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Léa Salamé reçoit le journaliste François Xavier Ménage pour "Ça craque" (Robert Laffont). Il y raconte son parcours de reporter de guerre qui explore l'Hexagone. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-20-septembre-2023-1682159

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00:00 Et ce matin vous recevez un grand reporter.
00:02 Bonjour François-Xavier Ménage.
00:04 Bonjour.
00:04 Merci d'être avec nous ce matin.
00:06 Vous êtes grand reporter à TF1 actuellement.
00:08 Vous couvrez les zones de guerre.
00:10 Si vous étiez un pays et un adjectif, ce serait lesquels ?
00:13 Alors, adjectif, sans me lancer de fleurs, mais je suis enthousiaste.
00:16 Pour tous les sujets, notamment journalistique, même s'il faut aller faire les soldes, je vais lever la main, il n'y a pas de problème.
00:21 Pour le pays, le Japon, parce que c'est un pays où j'ai laissé mon cerveau.
00:26 J'ai couvert Fukushima là-bas et je suis tout le temps paumé là-bas.
00:30 Tout le temps, tout le temps.
00:31 Mais je suis paumé tout en sachant où marcher.
00:33 Vous dites "je peux passer 20 heures à vous parler du Japon comme Nicolas Demorand".
00:36 Vous avez deux passions communes.
00:38 Je ne devrais pas le dire à ma famille, mais si j'avais le choix aujourd'hui, je partirais en vacances dans la zone rouge pour couvrir les suites de Fukushima.
00:44 C'est là où je prends le plus de plaisir.
00:46 C'est un pays fou et ce qu'ils ont vécu récemment avec cette catastrophe me hante.
00:50 Et donc oui, voilà, c'est le Japon.
00:52 La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer d'ici le 20 décembre.
00:55 Est-ce que vous êtes d'accord avec lui ?
00:57 Non.
00:59 Oui parce que ce qu'il dit est vrai et non parce que sur le terrain, j'entends aussi beaucoup de choses très différentes.
01:07 Ce n'est pas un enfer parce que, et c'est le principe même de ce livre, je donne la parole à des gens qui sont tous dans l'action.
01:13 Qui tous essayent de s'en sortir.
01:15 Qui tous sont sur le point de craquer, mais aucun ne craque vraiment.
01:18 Et je pense que c'est important de montrer ce mélange d'optimisme et de pessimisme.
01:23 Parce que ce n'est pas un enfer, on est dans un purgatoire.
01:25 C'est vrai que nous voyons en général se sillonner les zones de guerre.
01:28 Vous avez couvert Fukushima, le Japon, la Libye, l'Ukraine, l'Égypte, l'Afghanistan, le Liban, plein de pays en guerre.
01:34 Et là, ce livre-là dont on parle, parce que c'est pour ça que je vous ai invité, "Ça craque" chez Robert Laffont.
01:39 Un reporter de guerre dans une France explosive, ça c'est le sous-titre, raconte vos 5 ans de reportage sur le terrain français.
01:45 Vous voulez dire que quand vous dites "Ça craque" ou "La France est explosive", vous diriez qu'on est quasiment sur un terrain de guerre ?
01:52 Non, mais dans un terrain éclaté au point où, et je m'inclue dedans, je ne comprends plus ce que vit mon voisin à 3 mètres de chez moi.
01:59 Je ne comprends plus ce qui se passe dans une ville qui peut être à 20 km de Paris, je parle de Grigny, 20 km de la capitale, où il n'y a pas de supermarché.
02:07 C'est la ville la plus pauvre de France, 30 000 habitants, on est tous en train de s'époumonner sur l'inflation.
02:11 Eux n'ont pas de supermarché.
02:13 Le supermarché revient souvent dans le livre.
02:15 Vous dites que c'est vraiment la zone névralgique qui dit la France, l'aimant économique de l'écrasante majorité des villes de France, le supermarché.
02:22 Qu'est-ce que vous avez appris de la France en allant dans des supermarchés ?
02:26 Eh bien d'abord, on n'y va pas forcément avec plaisir, mais on y va parce qu'on n'a pas le choix, bien sûr.
02:30 Et on y va parce que ça raconte toutes les ségrégations possibles, en fonction des rayons, en fonction des choix des supermarchés, des positionnements des supermarchés.
02:38 Donc c'est le principe même de ce bouquin, expliquer comment les choses se passent en 2023, jusqu'à quel point certains luttent très différemment de soi-même.
02:46 Et je pense que c'est éclatement ce côté totalement fragmenté du pays.
02:50 Il faut le raconter, pardon j'ai une moteur qui commence à vrombir, avec nos armes de journalistes.
02:54 C'est le terrain qui décide.
02:56 Et que cette photographie, je le dis très modestement, mais j'espère qu'elle explique un petit peu ce pays où on est tous paumés.
03:01 Vous voyez les tableaux de Nicolas Destal ?
03:03 En fonction de l'endroit où on est, à 1 mètre, à 10 mètres, à 50 mètres, on va tous raconter autre chose sur le bouquin.
03:08 Pardon, sur le tableau.
03:10 Justement, le bouquin, c'est l'idée de dire, on va essayer de mettre un tout petit peu moins de flou, parce qu'on est tous paumés et qu'il faut expliquer.
03:15 De Valenciennes à Saint-Brieuc, de Mayotte à Avignon, vous racontez donc la France, cette France que vous avez sillonnée.
03:21 Et c'est français qui sont souvent à bout.
03:23 Cette expression, ça craque, elle revient dans la bouche des fonctionnaires, des infirmières, des médecins, des policiers, des agriculteurs que vous avez rencontrés.
03:30 Qu'est-ce qui vous a le plus surpris ?
03:32 Quel est le témoignage qui vous a le plus étonné ?
03:34 La double casquette.
03:36 Et quand vous avez notamment des élus, parce que c'est quand même eux aussi qui aujourd'hui font un certain maillage bien sûr en France.
03:42 Et quand vous avez des élus qui à force de multiplier les casquettes, qui ne sont pas du tout celles pour lesquelles ils se sont lancés, notamment dans la politique, dans ce que c'est local et brillant aussi.
03:50 Il y a un j'habite qui s'appelle le maire se pompiste.
03:54 Je vais vous donner deux exemples de pompiste justement.
03:56 Un maire qui est obligé pour que sa commune ne soit pas complètement gazéifiée, pour qu'elle continue à exister, pour qu'il y ait encore des commerces.
04:03 Qu'est-ce qu'il est obligé de faire ?
04:05 D'ouvrir une station essence.
04:07 Et le maire se transforme certains jours dans la semaine en pompiste.
04:10 Et il a mis un million d'euros sur la table avec l'argent de sa commune pour que justement il y ait une station essence.
04:15 Ça raconte beaucoup de choses sur la France d'aujourd'hui.
04:18 Et vous avez un autre maire dans le Morbihan cette fois-ci qui lui, parce qu'il ne trouve pas de médecin de campagne, appelle un détective.
04:25 Un détective privé. Et c'est la suite qui est intéressante.
04:28 Il faut donner le contexte, et c'est ce que je fais dans le bouquin.
04:30 Il y a des lignes budgétaires qui sont votées.
04:32 Il y a un conseil municipal, on lève le doigt, on dit ok, on va donner 1500 euros pour qu'un détective privé essaye de trouver un médecin de campagne.
04:38 Ça c'est la France, c'est là où on en est aujourd'hui.
04:41 De la débrouillardise aussi, attention.
04:42 C'est pas la France qui se pète la gueule et qui dans 10 ans ressemblera à un seau de...
04:45 Je termine pas ma phrase. Non, c'est une France aussi de la débrouillardise mais souvent contrainte.
04:49 Puisque vous parlez des maires qui sont les derniers politiques que les Français aiment, vous dites aussi, vous avez halluciné sur le nombre de démissions des maires.
04:56 Qui vous disent « j'en peux plus, je lâche ».
04:58 On a beaucoup parlé du maire de Saint-Brévin qui avait, après les violences contre sa maison, contre ses voitures à cause d'un camp de migrants, avait démissionné.
05:07 Mais il y a plein de maires qui arrêtent à bas bruit, on ne les entend pas.
05:10 Et qui disent effectivement « ça craque ».
05:12 Dans des départements comme le Morbihan, qui est pas, là aussi, journalistiquement, il faut donner un contexte,
05:16 le Morbihan c'est pas le département qui est le plus en crise aujourd'hui en France.
05:19 Vous avez, parce que les maires ont fait ce calcul, donc c'est scientifique,
05:22 un taux de démission des élus depuis les dernières élections municipales qui est 5 fois supérieur au secteur privé.
05:29 Et là aussi, je pense qu'il faut expliquer, donner un contexte, mais ce sont des chiffres qu'on n'avait jamais vus.
05:35 Donc le ras-le-bol il est généralisé, mais attention, j'insiste, dans ce livre, il n'y a personne qui reste sur le canapé à dire « ah c'est la catastrophe,
05:41 qu'est-ce qu'on va devenir ». Tout le monde est dans l'action.
05:44 Il y a énormément de héros, j'allais dire de petits héros, c'est pas vrai.
05:47 Tous sont des héros, mais ils avancent et face à eux, ils ont des murs, ils se les prennent dans la tronche,
05:52 il y a des nez, il y a des bleus dans les visages, mais ils continuent quand même.
05:55 Et franchement ça, il faut aussi savoir le raconter.
05:57 Parlez-nous d'Apolline, l'infirmière qui travaille 365 jours par an.
06:01 Apolline qui conseille à ses patients de dramatiser quand ils vont aux urgences,
06:05 en leur disant « si vous n'arrivez pas aux urgences en disant que vous allez mourir, c'est foutu, on vous parlera pas ».
06:10 Elle est exceptionnelle, Apolline.
06:12 Elle n'a pas levé le doigt pour dire « j'ai envie qu'on parle de moi ».
06:14 Moi je l'ai rencontrée par le plus grand des hasards à Oudan, pas très loin de Paris,
06:18 dans un nouveau, des aires médicales.
06:20 Elle ne se plaint jamais, mais elle dit à ses patients « plaignez-vous ».
06:22 Parce que si vous ne dites pas que c'est très très grave, vous n'aurez jamais de place à l'hôpital.
06:25 Elle fait un boulot exceptionnel.
06:27 Elle a travaillé effectivement pendant un an, non-stop, pas un samedi, pas un dimanche de pause,
06:31 alors qu'elle a deux ou trois enfants à la maison en permanence à gérer.
06:34 Jamais elle ne se plaint, elle a un sourire exceptionnel.
06:37 Et pour autant, effectivement, elle porte trop.
06:40 Elle porte trop, c'est une infirmière libérale qui ne fait même pas tous les papiers nécessaires
06:43 pour qu'ensuite elle soit remboursée.
06:45 Elle peut passer une heure chez certains patients qui ne verraient sinon personne de la journée.
06:49 Et j'insiste, c'est pas la France qui gueule, c'est pas la France qui multiplie les points de vue, les opinions.
06:54 C'est ce que j'appelle moi la France silencieuse, qui avance sans emmerder personne,
06:58 mais pour laquelle on a aussi le droit d'écrire et de représenter des choses.
07:02 Qu'est-ce qu'elle vous a dit, Apolline, quand elle a vu qu'elle était dans votre livre ?
07:04 On a échangé hier et elle n'y croyait pas.
07:08 Et c'est moi qui n'y croyais pas de l'avoir rencontrée, parce que c'est moi qu'elle a nourri.
07:12 Elle m'a nourri et je trouve que son sourire me hante comme beaucoup d'autres d'ailleurs.
07:15 Vous parlez de la défiance à l'égard des politiques, de la politique.
07:19 Vous dites que la parole présidentielle, l'allocution d'Emmanuel Macron hors période Covid n'est plus du tout attendue.
07:24 Mais ça peut être Emmanuel Macron, c'est tous les leaders politiques, il s'en fiche.
07:28 Vous dites qu'on est au-delà du désamour, c'est l'indifférence.
07:31 Oui, ça n'existe plus. Parce que là aussi on peut se faire une critique et je m'inclus dedans,
07:35 journalistiquement, quand on passe la journée à dire « Attention, ce soir, 20h, allocution présidentielle,
07:39 on verra ce que les Français attendent de la parole du président ou du Premier ministre ».
07:44 Et une fois de plus, ce n'est pas du tout la classe politique que je vise en disant ça.
07:47 Et c'est compliqué pour eux aussi. Mais ce n'est pas vrai en fait.
07:50 Sur le terrain, moi les seuls moments, et j'ai vu des centaines de personnes pour ce livre,
07:54 les seuls moments où je parle de politique, c'est parce que c'est moi qui lance la conversation.
07:58 Et le reste, j'ai le sentiment, sans faire de sociologie à deux francs,
08:01 que la politique n'est plus représentée, pour beaucoup, qu'elle a quitté la pièce, le lieu de vie de beaucoup de Français.
08:08 On dit qu'ils ont une défiance à l'égard des hommes politiques,
08:12 mais que la politique en elle-même qui continue à parler politique.
08:15 La France est un pays très politisé. Vous n'avez pas vu ça ?
08:17 Ce n'est pas du tout ce que je vois. Mais pas du tout.
08:19 Parce que les personnes que j'ai rencontrées, chacun sont sur des thèmes précis,
08:23 logement, santé, vivre ensemble, évidemment c'est un des ciments de ce livre,
08:26 sont dans des problèmes tels que là c'est du concret, c'est du terrain pour lequel il faut trouver des solutions.
08:33 Donc la politique, c'est comme un langage général, mais qui n'est pas parlé par beaucoup.
08:38 Mais je ne veux pas généraliser, il y en a pour qui c'est évidemment quelque chose qui anime,
08:40 mais il y en a beaucoup d'autres pour qui ça n'existe plus.
08:42 Mais François-Xavier Ménage, la France va si mal que ça,
08:45 quand on entend Bruno Le Maire qui répète « Stop au déclinisme, stop au pessimisme »,
08:49 il se trompe ou quand on entend, écoutez-le, tiens, Alain Juppé qui était à ce micro et qui dit
08:53 « ras-le-bol des pessimistes et des déclinistes », écoutez-le, vous réagirez.
08:57 « Stop à cette espèce d'auto-flagellation de la France, de déclinisme, nous sortons de l'histoire, etc. »
09:03 Ça vous n'y croyez pas ?
09:04 Non, nous ne sommes plus le centre du monde, c'est vrai, nous ne sommes plus la première puissance européenne
09:08 et l'Europe n'est plus le centre du monde. Et alors, la belle affaire, est-ce qu'on va se flageller en permanence ?
09:12 Nous avons des atouts tout à fait considérables, nous avons une histoire, nous avons une culture,
09:17 nous avons une langue et nous avons surtout des territoires extraordinaires.
09:21 Quand on s'y vient de notre pays, on comprend pourquoi c'est la première puissance touristique du monde.
09:25 Il y a des difficultés en France, il y a des problèmes, il y a de la pauvreté, il y a des angoisses,
09:29 mais arrêtons de déprimer comme nous le faisons. C'est aussi un peu le message que je veux faire passer.
09:34 Continuons comme ça et la plupart de ceux que je vois au quotidien vous diront « ben voilà, on n'est plus dans les mêmes mondes ».
09:41 Je comprends tout à fait ce discours et c'est son métier, Alain Juppé, d'avoir un discours général qui structure
09:47 et s'est osature politique pour tout un pays, c'est normal. En revanche, au niveau local, il va falloir raconter la paperasse
09:54 qui fait qu'une directrice d'école va passer 70% de son temps sur son bureau et qu'elle ne va pas s'occuper de ses élèves.
09:59 Il va falloir parler du directeur d'hôpital qui lui va vous dire « écoutez, moi je suis entre l'élu qui gère l'hôpital,
10:04 puisque les maires sont les patrons des hôpitaux, et puis des syndicats, je ne peux rien faire ».
10:08 Je pense que c'est ce quotidien-là aussi qu'il faut expliquer.
10:10 C'est la déconnexion en fait de l'élite parisienne qui ne voit pas, qui ne voit plus, qui a l'impression que non, ça va,
10:15 finalement la France va plutôt bien. Et d'ailleurs quand on regarde les enquêtes, au niveau individuel,
10:19 les Français sont plutôt heureux, c'est au niveau collectif, quand on leur dit « l'avenir de la France », c'est là que ça commence à flipper.
10:24 Oui, mais alors là aussi, vraiment l'idée, c'est absolument pas de faire du populisme, pas du tout du tout, mais c'est d'expliquer.
10:29 Commençons par ça. On a la France des opinions, et on voit autour d'une table, pendant une demi-heure,
10:34 des gens qui vont taper du poing sur la table, qui vont dire « mais non, les Français pensent ci, les Français pensent ça ».
10:38 Mais je pense qu'on se trompe en fait, journalistiquement. Commençons par raconter où habitent les Français,
10:42 ce qu'ils vivent au quotidien, et après on saura peut-être un peu plus où nous-mêmes on habite.
10:46 Et je pense que, c'est pour ça que je le dis avec un peu de passion, il faut qu'on foute du reportage partout,
10:50 il faut qu'on explique, il faut qu'on sache un peu plus où habite notre voisin, ce qu'il vit, combien il gagne.
10:55 Et quel courage, accessoirement, quand moi je vais voir des Français qui me disent « ok, je les connais ni d'Eve ni d'Adam,
11:01 personne m'a demandé d'aller les voir », et je mets le pied sur la porte, dans la porte, et je leur dis « vous êtes ok pour me dire combien vous gagnez ? »
11:06 Quel courage de raconter ce quotidien-là ! Ils n'ont rien à gagner, eux.
11:09 Le journalisme de terrain, c'est votre passion, vous avez toujours aimé ça.
11:13 « Aller au plus près des Français », c'est aussi ce que faisait Jean-Pierre Pernaut, dans son 13h, ce qui lui valait d'ailleurs des colibés et des moqueries.
11:20 Il en parle, écoutez.
11:21 Sur le fait de se moquer un petit peu de la France rurale qu'on montre avec l'équipe de rédaction, avec des bérets, du fromage et du vin rouge dans les salles de rédaction,
11:31 c'est pas exactement comme ça dans la vraie rédaction de TF1.
11:34 Les gens s'en moquent de moins en moins parce que quand j'ai créé ce réseau de correspondants il y a 28 ans,
11:40 c'est vrai que j'étais le premier et le seul à le faire dans les médias, dans les télés nationales,
11:44 donc là j'ai été l'objet de pas mal de colibés.
11:47 « Oh là là, Pernaut, France rurale, il est fou », etc.
11:50 Puis en fait, aujourd'hui, on s'aperçoit que pratiquement tous les médias sont sur le même terrain, c'est-à-dire sur l'info de proximité.
11:55 Au moment où on parle de la mondialisation, il faut d'abord bien parler de chez soi, pour avoir l'ambition de parler des autres.
12:03 Voilà, vous parlez comme Jean-Pierre Pernaut.
12:06 Toutes proportions gardées. Un tout petit mot sur Jean-Pierre Pernaut.
12:09 C'est rare dans ce métier de croiser, et c'est pour ça qu'on l'aimait tous à TF1, quelqu'un qui a un tel moteur.
12:16 Je vais vous donner juste une petite anecdote.
12:17 Quand il y a eu le Covid et que l'Italie a fermé ses frontières, il y en a un qui a hurlé parce qu'il voulait absolument
12:23 qu'il y ait un maximum de journalistes, qu'il parte tout de suite en Italie raconter ce qui se passait.
12:27 Ce moteur-là journalistique, je crois qu'il porte.
12:30 Et Jean-Pierre, par ailleurs, et ça doit être vrai tous dans ce métier, quand on raconte une situation, ça ne doit pas être anecdotique.
12:36 Ça doit dire quelque chose.
12:37 Et c'est en donnant ce contexte aussi, que j'espère que le fait un petit peu dans le bouquin, c'est comme ça qu'on comprend un tout petit peu plus.
12:43 Et Jean-Pierre, il comprenait très bien la France.
12:44 Le fait d'avoir couvert des zones de guerre, des conflits meurtriers, pour vous, est-ce que vous pensez que ça vous donne une singularité
12:49 dans le regard que vous portez sur votre pays, sur la France ?
12:51 Je ne pense pas. Parce que d'abord, je ne vis pas les guerres. Je les vois.
12:54 Et après, moi, je reviens, je suis au chaud sous la couette et tout va bien pour moi.
12:57 Ce n'est pas pour moi que c'est dur. En revanche, la seule chose qui me frappe, et c'est pour ça qu'il y a un parallèle peut-être à faire quand même,
13:04 c'est qu'effectivement, qu'est-ce qui se passe quand il y a eu des fragmentations ?
13:08 Toutes proportions gardées, la France n'est pas un pays en guerre. Absolument pas.
13:11 Et on a beaucoup de chance.
13:12 Mais qu'est-ce qui se passe dès l'instant où des impacts de défragmentation sont arrivés ?
13:16 Qu'est-ce qu'on fait ? Comment on réagit ? Qu'est-ce qu'on devient ? Comment on regarde les autres ?
13:21 Et je pense que cette notion de vivre ensemble, elle est juste fondamentale.
13:24 - En lisant votre livre, ça m'a fait penser à Paul Naref, "Lettre à France".
13:28 - Tu n'aimeras toujours la fête que je te laisse infidèle.
13:37 Mais quitte venir l'avenir de nos souvenirs.
13:43 Oui, je m'en vais trop, trop, même si je ne le dis pas.
13:52 L'amour s'est fait de ça.
13:56 Je ne pensais pas entendre une chanson d'amour, dis donc.
13:59 - C'est la lettre à France. Il lui est infidèle comme vous en allant sur le terrain à l'étranger.
14:04 Et puis finalement, vous revenez, vous écrivez un livre sur votre pays, sur la France.
14:08 Quel a été, François-Xavier Ménage, le reportage le plus marquant de votre vie ?
14:12 Celui qui vous a transformé, celui qui vous a fait vraiment comprendre quelque chose sur la vie et sur les hommes ?
14:16 - La Centrafrique. Parce qu'on est partis, quand il y a eu cette guerre effroyable en Centrafrique.
14:24 On était dans un avion, personne ne croyait que le pays allait pouvoir basculer.
14:28 Et le lendemain, à 5h du matin, on a entendu des tirs, beaucoup de tirs.
14:32 Et quand on est sortis dehors, il y avait des dizaines et des dizaines de corps complètement démembrés sur les routes.
14:38 Et là, c'était tellement, tristement inattendu.
14:44 Et comme on ne s'attend jamais à rien dans ces cas-là, évidemment.
14:46 Mais c'était tellement violent que...
14:48 Et d'ailleurs, je me rappelle, l'un des hauts responsables du ministère de la Défense m'a appelé pour me dire...
14:52 A l'époque, je bossais pour BFM, on a donc diffusé des images avec beaucoup de distance et en floutant, bien sûr.
14:56 Il m'a dit "mais c'est vrai ce que vous montrez ?"
14:58 Cette phrase m'a hanté, parce que oui, évidemment, c'est sûr, c'est vrai ce qu'on montre.
15:02 Et ça a précipité les choses, et c'est vrai que...
15:04 Oui, ça me hante.
15:06 C'est des images qui me hantent.
15:08 Mais une fois de plus, c'est vraiment pas pour le reporter que c'est le plus compliqué.
15:10 Il faut arrêter de penser que c'est pour nous que c'est dur.
15:12 C'est pour ceux qui sont là-bas et qui vont rester, quoi qu'il arrive.
15:16 Vous l'avez toujours été, même si vous avez fait un peu d'antenne, ce qu'on dit de l'antenne, vous avez présenté...
15:21 Capital.
15:23 Et je voyais dans tous les portraits qui vous étaient consacrés, tout le temps on revient sur votre physique,
15:27 François-Xavier Ménage, costume anthracite, silhouette de roseau, yeux bleus d'amoureux,
15:32 François-Xavier Ménage a tous les attributs du beau-fils rêvé.
15:36 Ce truc de gendre idéale, de beau-gosse, de beau-fils...
15:40 C'est vraiment mal me connaître.
15:42 Non mais, ça vous agace ce que je vous dis là ?
15:44 Non, j'ai l'impression que vous ne parlez pas de moi.
15:46 Oui, c'est un non-sujet.
15:49 Ça me gêne, oui.
15:51 Alors on va passer aux impromptus.
15:53 J'aurais pu vous insulter là, je vous fais un compliment.
15:56 On va passer aux impromptus, quelques questions de fin, comme ça vous répondez sans réfléchir.
16:01 Si vous n'aviez pas été journaliste, vous auriez été quoi ?
16:04 Je voulais être avocat, pharmacien, cuistot, faire du marketing, enfin bref, tout sauf le journalisme.
16:10 Il a fallu que je le pratique pour adorer.
16:11 Le cliché sur les journalistes qui vous énervent le plus ?
16:14 Vous êtes à la solde de trois petits points.
16:19 Quand on est reporter de guerre, est-ce qu'il faut sacrifier sa vie de famille ?
16:22 Toujours un peu, mais jamais trop.
16:24 Le journaliste que vous admirez le plus est celui dont vous êtes très jaloux.
16:27 Hercé, qui a écrit un livre sur Hiroshima, exceptionnel, six portraits de victimes.
16:33 Il est arrivé juste après la catastrophe d'Hiroshima et il a, je pense mieux que quiconque,
16:38 en tout cas de mon point de vue, décrit ce que c'est là encore que la fragmentation.
16:42 Celui dont vous êtes jaloux ?
16:43 Vous Léa.
16:44 Ah bah...
16:45 Non, vous savez tout, franchement, je peux vous faire un petit compliment ?
16:49 Non.
16:50 Bon, alors je te dirai une prochaine fois.
16:51 Une autre fois.
16:52 Il faut être fluide dans ce métier.
16:53 NTM ou IAM ?
16:54 Ah, je suis rap américain, impossible.
16:55 BFM ou LCI ?
16:56 Bah, les deux, j'ai bossé dans les deux.
16:59 Avec le choisir.
17:00 BFM parce que j'ai fait énormément de terrain et voilà, parce que c'est mon histoire pendant des années.
17:05 Un salarié TF1 qui n'est pas corporel.
17:07 Plus difficile, David Pujadas ou Gilles Boulot ?
17:10 Bah, je connais Gilles Boulot beaucoup plus, parce que je bosse pour son journal.
17:15 PSG ou OM ?
17:16 Oh, je déteste le foot.
17:18 Ah ouais ? Vous détestez le foot.
17:19 Twitter ou Instagram ?
17:20 Twitter.
17:22 Votre drogue préférée ?
17:23 L'info.
17:24 Avouez une mauvaise pensée.
17:26 Euh...
17:27 Non, je ne vais pas pouvoir.
17:30 Il est trop parfait ce garçon, le gendre idéal.
17:33 Vers François-Xavier Ménage, ça craque, travail, argent, logement, santé, éducation, vivre ensemble.
17:38 Un reporter de guerre dans une France explosive qui parle aux gens que vous avez rencontrés au plus près du terrain.
17:44 Merci et bonne journée à vous, c'est chez Robert Lafond.

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