C'est quoi, une bonne comédie ?
On a posé la question aux réalisateurs des films "Intouchables" et "Le sens de la fête"... Conversation avec Éric Toledano et Olivier Nakache.
On a posé la question aux réalisateurs des films "Intouchables" et "Le sens de la fête"... Conversation avec Éric Toledano et Olivier Nakache.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Question très simple, c'est quoi une bonne comédie ?
00:03 Déjà une bonne comédie, c'est une comédie qui a du rythme
00:09 et c'est une comédie où tu te marres.
00:11 Mais régulièrement, pas un petit peu régulièrement.
00:14 Mais aussi je dirais une bonne comédie, c'est une comédie qui n'est pas que une comédie.
00:17 Mais ça c'est plus subjectif et personnel à nous.
00:20 C'est-à-dire qu'on peut utiliser la comédie pour raconter des choses intéressantes,
00:25 profondes et qui ont du sens.
00:27 Notre pas de côté à nous, c'est de dédramatiser un peu,
00:31 c'est d'essayer d'entendre les rires dans les salles,
00:34 parce que c'est ça qui nous fait vibrer.
00:35 C'est marrant ça parce que je me rappelle d'un bouquin que j'avais lu de Frank Capra,
00:39 son autobiographie "Hollywood Story".
00:41 Et dans laquelle il raconte notamment qu'en fait il s'était rendu compte en voyant ses films en salle
00:45 que les gens réagissaient différemment en salle que quand ils étaient seuls chez eux.
00:48 Et donc du coup volontairement il l'accélérait, il demandait à ses acteurs en tout cas d'accélérer
00:52 leur rythme de parole parce qu'il disait, un peu empiriquement,
00:56 que quand les gens voient un film en groupe, ça peut aller plus vite.
01:00 Est-ce que vous, c'est un truc que vous avez perçu,
01:03 sur que vos comédies en salle, ce n'est pas pareil que vos comédies quand on les regarde sous la couette ?
01:08 Alors c'est sûr qu'il y a une spécificité en salle.
01:09 D'abord quand tu enchaînes les vannes, si ça rit bien, il y a des vannes qui passent à la trappe.
01:13 Donc ça c'est connu.
01:15 Et en même temps, les films sont faits pour être vus plusieurs fois,
01:18 peut-être à la différence des séries qu'on va consommer
01:21 et qu'on va peut-être un peu plus oublier facilement,
01:23 même si elles nous ont marqué très fortement.
01:25 Le fait est que ça va être vu plusieurs fois et qu'il va y avoir plusieurs vies.
01:29 Alors à l'époque on disait la salle, la vidéo, on peut dire aujourd'hui le streaming,
01:34 et puis la télévision, fait qu'à un moment ou un autre, les gens le reverront
01:38 et tant mieux, ils chopperont des choses qu'ils n'avaient pas vues, etc.
01:42 Nous il y a autre chose qu'on a gardé de Capra, qu'on aime beaucoup aussi,
01:46 et qui a quand même ouvert la voie sur pas mal de domaines,
01:49 c'est qu'il faisait des enregistrements, des rires dans les salles.
01:53 Et nous on fait ça avant de finir le montage,
01:55 c'est-à-dire qu'on n'est pas toujours d'accord sur tout,
01:58 et heureusement sinon on ne serait pas un duo productif,
02:00 mais de temps en temps on a cette subjectivité de dire "ça c'est drôle"
02:03 et qu'il dit "bah non, ça c'est pas drôle, mais là les gens vont rire, mais non".
02:06 Et donc il y a le monteur qui est là doréant aussi, qui se mêle et qui dit "mais non, mais moi je trouve ça..."
02:09 Et finalement quand on est trois, il y a peut-être des fois les deux contre un,
02:12 ça c'est très galère, deux contre un,
02:14 et donc le verdict c'est, on prend un ingénieur du son,
02:17 on fait une projection en province, voilà, sans prévenir, on s'arrange avec un exploitant,
02:23 ce qu'on a fait là sur une année difficile qu'on vient de terminer,
02:26 on a été dans la banlieue de Rouen, à Elbeuf,
02:29 et on a pris 500 personnes dans le public et on a enregistré.
02:32 Et là il y a un verdict.
02:33 - Il y a un côté disruptif dans ce que vous dites,
02:35 c'est que le cinéma français, disons la nouvelle vague, c'est le cinéma d'auteur,
02:40 le cinéma d'auteur c'est "je suis l'offre, je propose, et puis le public dispose",
02:44 mais clairement vous vous tenez compte du coup beaucoup plus de la demande,
02:48 c'est un peu le public qui dicte quelque part le contenu du film ?
02:51 - Non, non, pas du tout.
02:52 - Pas du tout, ça c'est ce qu'on appelle une phase de finition,
02:55 c'est-à-dire qu'on a fait le film, on est à 98% de l'offre que nous aussi
03:01 on propose comme un cinéma d'auteur, mais dans un genre de comédie,
03:05 et encore pas toujours parce que quand on fait en thérapie,
03:07 c'est une série et il n'y a pas de comédie,
03:09 mais à un moment, par respect pour le public, et puis par respect pour nous
03:14 parce qu'on passe beaucoup de temps dans les salles,
03:15 et que je peux vous dire une vanne qui claque pas,
03:17 ça part du talon et ça remonte jusque derrière la nuque, tellement c'est gênant.
03:22 C'est un peu comme dans un dîner, si vous avez un moment à qu'apparaît la parole
03:26 et que vous commencez à dire "j'ai une super anecdote",
03:28 et que quand vous terminez, il y a des petits sourires polis,
03:31 vous dites "j'aurais dû mieux la fermer, ça aurait été mieux",
03:33 c'est exactement le même principe.
03:34 - Ou quelqu'un qui dit "je vais prendre un décaf finalement".
03:36 - "J'aurais dû mieux la fermer", j'aime bien cette formulation.
03:39 - Comment une comédie vieillit ?
03:41 - Au-delà d'une comédie, quelque chose qui est proposé au public,
03:45 c'est le temps, le vrai juge, c'est le temps, une chanson, un tableau, je sais pas,
03:49 c'est le temps, c'est comme du vin en fait.
03:51 - Oui mais l'humour, l'humour évolue.
03:52 - Ah oui !
03:53 - C'est très irrationnel, il y a des films, comme on dit dans le jargon,
03:57 qu'on prit un jeton, c'est-à-dire qu'il y a des cadres, des réflexions, etc.
04:01 et à la fois, il y a des films comme ça qui sont l'abri du temps.
04:05 - Après il y a des acteurs puissants qui passent le temps,
04:07 je pense que Bourvil de Funès c'est indémodable, indémodable,
04:11 et de voir maintenant à nos âges avec nos enfants,
04:15 on voit que ça marche, vous regardez le corneo ou Rabi Jacob,
04:18 et bien c'est parce que c'est aussi dû à la force des dialogues,
04:21 à la force de l'interprétation qui est unique.
04:23 Ce sont des acteurs qui sont à part, qui sont complètement hors normes.
04:27 - Est-ce que Jean-Pierre Bacri, que vous avez dirigé,
04:30 est-ce que lui, vous pensez qu'il va durer dans le temps par exemple ?
04:32 - Non seulement il va durer, mais je pense que plus ça va passer,
04:35 c'est comme disait Olivier, c'est comme le vin,
04:38 plus on va se rendre compte à quel point il y avait du génie dans Jean-Pierre.
04:41 - On va parler un peu de technique, ça a l'air chiant comme ça,
04:43 mais c'est quand même une base du cinéma.
04:46 Techniquement, en quoi Jean-Pierre Bacri, c'était un grand acteur de comédie ?
04:52 - La musique.
04:53 - C'est la musique, c'est-à-dire un dialogue qu'on écrit,
04:58 on arrive chez lui un soir, et on lui dit "voilà cette scène" etc.
05:02 et il la met en bouche et d'un coup...
05:04 - C'est magique en fait, on ne va pas citer nos films,
05:08 mais dans Didier, quand Alain Chabat défonce l'oreiller
05:13 et que Bacri dit "ça me fait des bonnes journées avec toi",
05:17 il n'y a que lui pour la lancer au bon moment, au bon timing,
05:20 avec la bonne musique.
05:21 Comme dit Eric, c'est une partition musicale, c'est un Stradivarius,
05:24 c'est comme un violon qui est très très très très rare,
05:26 et extrêmement bien accordé,
05:28 et qu'à chaque fois, nous, comme on a écrit avec sa musique en tête,
05:32 pendant les lectures, on voyait si ça claquait ou pas.
05:35 Et lui, il t'amène des répliques au firmament parce qu'il a le bon timing.
05:40 C'est quelque chose qui est inné.
05:42 - J'ai aussi un souvenir dans "Cuisine et dépendance"
05:45 quand Sam Carman ouvre le fouet et dit "je crois que c'est brûlé,
05:48 vous pensez que ça va aller ?"
05:49 et qu'il dit "sauf si t'aimes manger brûlé".
05:51 Et effectivement, c'est la façon d'envoyer le recul
05:54 qui fait qu'il y a quelque chose de magique.
05:57 - Après, pour le coup, c'est le texte, la vanne est drôle en soi.
06:00 - Non mais c'est pas que le texte,
06:01 c'est honnêtement, on peut la faire de 17 façons.
06:04 - Moi je me rappelle aussi, bon, alors là c'est un film à nous,
06:07 mais c'est une expérience vécue,
06:08 quand Vincent McCain, dans le sens de la fête, vient le voir
06:10 pour lui dire "il y a un problème de table,
06:11 Gary Hajar, c'est le même auteur et tout",
06:13 il essaye de le calmer et puis quand il part, il dit
06:16 "il va de mieux en mieux, lui".
06:18 - C'est ça le problème ?
06:18 - C'est ça le problème.
06:19 Et puis quand il part, il dit "il va de mieux en mieux, lui".
06:21 Ça, "il va de mieux en mieux, lui", c'est pas exceptionnel.
06:24 On l'avait écrit en imaginant que lui pourrait en faire quelque chose.
06:27 Et effectivement, il en fait quelque chose
06:29 et effectivement, les gens se marrent dans la salle.
06:31 - À l'inverse, j'imagine que ça doit vous arriver
06:33 d'écrire des trucs que vous trouvez drôles
06:34 et de tomber sur un acteur qui n'a pas ce sens du rythme,
06:37 peut-être, de Jean-Pierre Bacry.
06:38 Et comment on fait ça ?
06:39 Quand on écrit un scénar,
06:41 il y a un acteur que vous avez choisi, qu'a priori,
06:43 auquel vous croyez, et puis ça ne le fait pas.
06:45 - Non mais souvent, ce n'est pas que de sa faute.
06:48 - Voilà, il faut changer la réplique.
06:49 - Il faut changer la réplique tout simplement,
06:51 ou alors l'adapter à lui.
06:53 Mais normalement, on essaye de faire en sorte que
06:57 ce qu'on écrive soit fait pour être dit,
07:00 et si c'est une vanne, que ça claque.
07:02 Sinon, si ça ne claque pas, on l'enlève.
07:04 - Ou alors on fait huer le lecteur devant tout le monde,
07:06 sur le plateau.
07:07 - Ou alors on change tout.
07:08 - On lui donne confiance.
07:09 - Est-ce que vous pensez que vous êtes meilleur aujourd'hui qu'avant ?
07:11 Et en quoi ?
07:11 Qu'est-ce que vous avez appris ?
07:12 - Alors, il y a des choses qu'on perd aussi.
07:14 C'est-à-dire la spontanéité, le fait de ne pas savoir,
07:16 de ne pas penser aux réactions de la presse, du public.
07:19 Donc la spontanéité de nos jours heureux, on l'a perdue.
07:21 C'est-à-dire qu'on essaie de la retrouver.
07:23 On essaie de la retrouver en se disant, mais on perd aussi.
07:26 - Retrouver la spontanéité, ça doit être la liberté.
07:28 - C'est de se mettre en danger.
07:30 - Oui, de se mettre en danger et surtout d'être le plus sincère avec nous-mêmes
07:34 et d'avoir cette liberté en se disant,
07:38 on fait vraiment ce qu'on a envie de faire sans forcément se dire,
07:40 est-ce que ça va plaire ?
07:42 - Pour parler un peu, parce qu'on est sur Brut,
07:43 parler un peu des réseaux sociaux.
07:45 YouTube, Internet, les réseaux sociaux en particulier.
07:49 Est-ce que ça a changé, vous, votre métier ?
07:52 Le fait que finalement, aujourd'hui, n'importe qui peut s'exprimer sur les films,
07:55 le publier.
07:56 Et puis il y a un humour aussi, réseaux sociaux, un humour Internet.
07:59 Est-ce que vous, ça a impacté votre métier ?
08:00 - Avant, le bouche à oreille, il mettait un certain temps.
08:03 Il fallait attendre le samedi soir que les gens se voient pour dire, j'ai vu un film.
08:05 Là, ça peut monter très vite, comme ça peut descendre très vite.
08:09 Donc oui, ça impacte les réactions,
08:12 parce qu'on sent le vent qui peut bouger plus vite.
08:15 - Chaque génération a des choses qui lui sont propres.
08:18 Nous, on a eu l'apparition de Canal, on avait les nuls, on avait ça.
08:21 C'était à nous que nos parents comprenaient forcément, peut-être pas.
08:25 Et là, eux, ils sont nés avec les réseaux sociaux.
08:28 Ils font avec.
08:29 Alors, tout ça se régule plus ou moins bien avec les excès, les dérives,
08:33 mais ils font avec, ils ont leurs trucs.
08:34 Et c'est vrai que quand nos enfants parlent ensemble, on ne connaît rien.
08:37 Ils nous montrent des trucs, des fois très drôles,
08:40 qui sont des choses très innovantes.
08:41 Je vois des fois des productions sur Internet,
08:45 par exemple Studio Bagel ou des choses comme ça.
08:48 Je me dis, c'est ultra bien produit.
08:49 C'est assez étonnant.
08:51 - En même temps, il n'y a quasiment aucun,
08:53 sauf erreur de ma part, je vais le faire allumer dans les commentaires,
08:55 il n'y a quasiment aucun YouTuber qui a marché au cinéma.
08:58 Peut-être parce que ce n'est pas la même chose ?
09:00 - Peut-être que ce n'est pas la même chose, peut-être que ça viendra un peu plus tard.
09:02 Parce qu'il faut quand même...
09:04 C'est vrai que des fois, il y a des gens qui font un stand-up
09:06 et ils font un film tout de suite.
09:08 Il faut un peu de temps.
09:11 - Il faut se méfier des recettes.
09:12 Prendre quelqu'un qui a beaucoup de...
09:14 - Après, des fois, ça marche.
09:14 - ...fournis et puis se dire, ça va forcément faire venir les gens.
09:18 C'était déjà faux à la télé à une époque.
09:19 Il y avait des gens qui étaient très connus à la télé.
09:21 D'un coup, ils faisaient un film et les gens, personne ne venait.
09:24 Il n'y a pas d'équivalence.
09:24 Quand on change de catégorie,
09:26 il faut boxer dans l'autre catégorie et il faut être bon dans l'autre catégorie.
09:29 Alors, il y aura sûrement à un moment quelqu'un qui va contredire
09:32 ce que tu vas te prendre comme salade sur les commentaires.
09:35 Mais en tout cas, avec du travail,
09:38 c'est toujours un plus d'avoir une certaine notoriété au départ.
09:42 [Générique]
09:44 [SILENCE]