La féminisation est un "véritable enjeu pour l'industrie", pour Aline Aubertin

  • l’année dernière
Roland Lescure a annoncé la relance du collectif IndustriELLES, qui a pour objectif de mobiliser les hommes et les femmes de l'industrie afin d'agir en faveur de la mixité dans le secteur. Pour en parler, Aline Aubertin, présidente de l'association "Femmes ingénieures" est l'invité de 6h20.

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Transcript
00:00 Les 6h20, automaticiennes, ajusteuses, monteuses, chaudronnières, soudeuses,
00:05 voilà des métiers qu'on entend rarement aux féminins et pour cause,
00:08 les femmes représentent à peine 30% des salariés de l'industrie.
00:11 D'où cet événement qu'organise Bercy ce matin pour favoriser la mixité dans ce secteur
00:15 et auquel vous êtes conviée Alina Aubertin. Bonjour !
00:18 Bonjour !
00:19 Vous êtes présidente de l'association Femmes Ingénieurs et directrice générale de l'ISEB,
00:22 c'est une école d'ingénieurs des technologies du numérique.
00:25 Le ministre de l'Industrie Roland Lescure réunit donc pour ses différentes tables rondes
00:29 des chefs d'entreprise, des étudiants, des parlementaires pour échanger autour de cet enjeu
00:33 qu'est la féminisation de l'industrie. Quel est voulu dire au ministre ?
00:36 Écoutez, moi je vais parler plus spécifiquement du Mentora,
00:40 qui est une des quatre initiatives que décline l'initiative industrielle.
00:45 Le Mentora c'est ?
00:46 Le Mentora c'est donner à voir aux femmes et aux jeunes filles surtout les métiers de l'industrie
00:52 pour leur donner envie, mais on sait que ça ne suffit pas,
00:55 on sait que leur donner à voir ça peut susciter une envie,
00:57 mais qu'il faut aussi les accompagner plus au long cours pour qu'elles aillent jusqu'à faire des études et s'insérer.
01:02 Donc c'est les accompagner dans cette perspective.
01:05 C'est ça le frein numéro un ? C'est les jeunes filles qui n'ont pas envie de travailler dans ces métiers ?
01:09 Ou alors c'est aussi les patrons qui veulent des hommes ?
01:12 Les freins sont à plusieurs niveaux, mais par contre dire que les patrons veulent des hommes,
01:17 d'une certaine manière c'est un peu vrai parce qu'on est tous porteurs de stéréotypes dans la société,
01:22 mais quand même aujourd'hui les patrons veulent plutôt désespérément des femmes,
01:27 parce qu'ils ont compris que quand on est divers on est plus performant, on est plus créatif.
01:32 Ils ont compris également que la plupart du temps 50% de leurs clients sont des clientes,
01:36 et donc on ne peut pas développer les produits de demain sans avoir des femmes.
01:40 Donc pour l'industrie aujourd'hui non c'est plutôt un enjeu.
01:42 C'est un enjeu de recrutement et c'est un enjeu de diversité.
01:45 D'accord, donc c'est pas juste un enjeu d'égalité hommes-femmes, il y a des enjeux économiques aussi ?
01:49 Absolument, absolument, et des enjeux qui sont souvent sous-estimés dans le secteur qui est le mien.
01:54 Alizep vous l'avez dit, on forme des ingénieurs dans les technologies du numérique.
01:58 Le numérique ça peut être la plus belle des choses ou ça peut être la pire des choses,
02:01 ça peut être un outil d'aliénation de l'humain.
02:03 L'intelligence artificielle si on ne l'adresse pas correctement elle peut devenir sexiste et raciste,
02:09 et pour le faire je pense qu'il faut être divers et porteurs de la diversité de notre société,
02:13 sinon on reproduit ce qu'on connaît soi-même et ce qu'on est,
02:15 on a une intelligence artificielle qui devient étroite et puis de toute façon dans notre pays
02:20 il manque environ 10 000 ingénieurs par an,
02:23 donc une manière de répondre aux besoins de notre industrie c'est d'aller chercher d'autres profils
02:28 et donc d'aller chercher des femmes.
02:29 Et dans votre école quel est le ratio ?
02:31 Dans mon école le ratio au global il est de 23% mais elle est représentative des stéréotypes dont on vient de parler,
02:37 puisque derrière ce 23% ce qui est un chiffre marquable pour une école d'ingénieurs de technologie du numérique,
02:42 c'est vous dire l'enjeu et vous dire comment ça peut se passer dans les écoles qui ont plus de mal.
02:47 Le ratio peut aller de 14% dans la prépa la plus classique,
02:52 la prépa qui ressemble aux classes préparatoires aux grandes écoles,
02:55 où on fait beaucoup de maths et de physique,
02:57 jusqu'à aller à plus de 30% dans une classe préparatoire que j'aime bien qui s'appelle sciences et sociétés,
03:02 où on donne leur chance à des élèves qui n'ont choisi qu'une spécialité scientifique au bac et autre chose.
03:08 Donc dans ce cycle intégré international sciences et sociétés on s'appuie sur ce qu'ils ont appris par ailleurs,
03:14 on les renforce en maths et en physique et en deux ans on leur permet de rejoindre un cursus d'ingénieur classique
03:20 avec leur camarade qui a été au départ plus matheux et plus physicien que ces élèves là.
03:25 Et dans cette filière bien sûr plus de 30% de filles, je dis bien sûr et en même temps ça me fait peine mais c'est la réalité.
03:32 Et en dehors de ce secteur, parce que quand on parle de l'industrie c'est vaste,
03:35 il y a de l'industrie pharmaceutique, il y a de l'agroalimentaire, il y a de l'aéronautique, il y a de l'automobile,
03:40 je l'ai dit, sur le global c'est 30% en moyenne de femmes, mais selon les secteurs, précisément, il y a des différences ?
03:46 Absolument, il y a des différences, on trouve beaucoup plus de femmes dans les secteurs dits plus classiquement féminins
03:52 qui souvent ont trait à ce qu'on appelle le care, prendre soin, donc c'est vrai pour tout ce qui est bio quelque chose.
03:58 D'ailleurs les écoles d'ingénieurs, et tout ce que je dis serait vrai aussi à Bac+2 ou à OCAP,
04:04 je vous parle d'ingénieurs puisque en tant que présidente de Femmes Ingénieures, évidemment je connais mieux ces chiffres-là,
04:08 30% de filles en moyenne dans les écoles, comme vous venez de le dire, mais ça va de parfois plus de 80% dans certaines écoles de bio,
04:14 Mais au-delà des écoles, dans les métiers aussi ?
04:16 Oui, oui, oui, jusqu'à, c'est vrai aussi pour la chimie, c'est vrai aussi pour l'environnement, jusqu'à parfois 10%
04:24 donc dans certains secteurs du numérique, dans tout ce qui est sciences dures, l'électroïde qui en a parlé, l'électricité,
04:29 à l'école polytechnique par exemple, beaucoup, beaucoup de difficultés à recruter des filles,
04:34 donc voilà, en fonction des sujets, on n'a pas le même pourcentage de filles, c'est dire si ce 30% peut recouvrir des chiffres beaucoup plus bas dans certains secteurs.
04:42 Donc en fonction des secteurs ça varie, et en fonction des postes aussi, au niveau de la hiérarchie ?
04:46 En fonction des postes, bah oui, malheureusement aussi, le secteur technique fait pas exception,
04:51 on a à peu près les mêmes pourcentages que dans l'ensemble de la société, et on sait que plus on monte dans la hiérarchie, moins on trouve de femmes,
04:58 donc les femmes au démarrage sont payées grosso modo comme les hommes, s'insèrent très très bien professionnellement,
05:06 connaissent le plan d'emploi, ça c'est à dire aussi aux parents qui souvent freinent leur fille au professeur,
05:11 y'a le plein emploi dans nos métiers, et ça depuis toujours, en ce moment y'a une embellie dans l'emploi en France, mais ça a toujours été le cas,
05:20 et plus on monte dans la hiérarchie par contre, moins on a de femmes.
05:23 - En parenthèse aussi, vous parlez du plein emploi, et j'ai vu sur le site de Pôle emploi qu'il y a aussi beaucoup d'idées reçues sur le fait,
05:29 les métiers d'industrie ce sont des métiers mal payés, Pôle emploi précise bien que les salaires sont de 13% supérieurs à la moyenne.
05:35 - Absolument, parce que ce qui est rare est cher, donc effectivement, oui oui, une ingénieure débutante gagne au moins deux fois le SMI.
05:44 - Aline Aubertin, on a pas parlé de votre parcours, vous êtes ingénieure chimiste et biologiste, est-ce que vous avez hésité vous à faire ça ?
05:50 Est-ce que dans votre entourage on vous a dit "oh la la, mais pourquoi tu te lances là-dedans ?"
05:53 - Non, j'ai eu la chance d'avoir un entourage dans lequel tout était possible, donc j'ai eu aucun frein d'ailleurs,
05:58 c'est ce qui m'a valu mon engagement au sein de Femmes ingénieures, c'est seulement quand j'ai été diplômée,
06:03 que j'ai commencé à travailler, que j'ai réalisé effectivement que je partenais à une minorité,
06:07 en fait je m'en étais pas rendu compte, donc ça a pas été un problème.
06:10 - Et pour trouver du travail, ça a été difficile ?
06:12 - Non, pas du tout, ça a été très facile, au contraire.
06:14 - Avec des collègues qui vous ont accepté facilement ?
06:17 - Oui, complètement masculin, effectivement à mon époque, moi dans ces vilières-là,
06:21 maintenant il y a facilement 50% de filles, à mon époque il n'y en avait que 30%,
06:25 c'est un des secteurs où ça a bien évolué.
06:27 - Vous travailliez dans quoi précisément ?
06:28 - Au démarrage je travaillais chez un fabricant de stérilisateurs,
06:32 qui travaillait pour beaucoup l'industrie pharmaceutique et pour l'hôpital.
06:36 Mais par contre oui, j'étais complètement minoritaire,
06:38 et c'est là que j'ai réalisé que j'avais fait un choix qui n'était pas celui de tout le monde.
06:42 - Et donc aujourd'hui vous voulez inciter les jeunes femmes à faire ces métiers,
06:46 à se lancer dans les métiers de l'industrie,
06:48 d'où cette association que vous présidez, Femmes Ingénieures.
06:51 Merci beaucoup Aline Aubertin, vous êtes également directrice générale de l'école d'ingénieurs qui s'appelle l'ISEP.

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