Christophe Bechu réunira ce lundi les acteurs de l’écosystème de la mode, des chercheurs, des associations, des personnalités du monde de l’influence et des industriels du textile : Julia Faure, cofondatrice de la marque de vêtements responsables Loom est l'invitée de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-lundi-04-mars-2024-8258424
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00:00 Il est 6h21, comment réduire l'empreinte carbone des vêtements que nous portons ?
00:04 L'industrie textile est devenue l'une des plus dévastatrices pour l'environnement.
00:08 Les députés vont s'emparer du sujet dans les prochains jours.
00:11 Deux propositions de loi veulent réguler la « fast fashion », ces marques de mode
00:15 ultra-éphémères qui inondent le marché de vêtements à bas prix et de mauvaise qualité.
00:19 Dans le même temps, Christophe Béchut, le ministre de la Transition écologique, organise
00:23 ce matin un colloque sur la mode durable.
00:25 Et vous faites partie des intervenants invités, Julia Faure.
00:28 Bonjour !
00:29 Vous avez créé une marque de vêtements éthique qui s'appelle L'UME et vous êtes également
00:32 coprésidente du Mouvement Impact France, une association qui regroupe des entreprises
00:37 à impact positif, social et écologique.
00:40 On ne parle plus de « fast fashion » mais d'« ultra fast fashion ».
00:45 Ça va de plus en plus vite ?
00:46 On parle encore de « fast fashion » mais ce qu'on voit beaucoup c'est l'« ultra
00:50 fast fashion ».
00:51 Mais en fait, ce qu'il faut se rendre compte c'est que l'« ultra fast fashion », c'est-à-dire
00:54 ces marques qui nous incitent à consommer essentiellement sur des plateformes internet,
00:58 ne sont que la partie émergée d'un système global.
01:01 C'est-à-dire qu'il y a quasi un monopole aujourd'hui en France dans la vente de vêtements
01:06 du low cost de la fast fashion.
01:07 Pour vous donner un chiffre, en France, 7 vêtements sur 10 qui sont vendus, c'est du low cost.
01:12 C'est-à-dire que ce n'est pas marginal, c'est marque, c'est la quasi-totalité du marché.
01:16 Et on parle de quoi comme marque ?
01:17 Alors, l'« ultra fast fashion », vous avez sans doute entendu parler de Chine, de Tému,
01:22 mais la fast fashion…
01:23 Les marques chinoises donc ?
01:24 Les marques chinoises, Ubu, etc.
01:26 C'est les « pretty little things », mais la fast fashion, le premier vendeur de vêtements
01:28 par exemple en France qui vend des vêtements low cost et avec des incitations à consommer,
01:33 c'est KIABI.
01:34 Le deuxième, c'est Leclerc.
01:35 Donc qui est sur le même…
01:36 Finalement, qui est autant une marque de…
01:38 Qui sont autant des marques de fast fashion que les Primark, H&M, etc.
01:41 Et pourquoi c'est dévastateur pour la planète ?
01:43 Alors, pour les marques chinoises, on comprend, il y a les trajets en avion.
01:45 Pour les marques qui sont françaises ?
01:47 Alors, les marques qui sont françaises, elles produisent dans les mêmes pays que les marques chinoises.
01:50 D'accord.
01:51 Il n'y a quasiment pas de marques 100% françaises ?
01:52 Ben si, il y en a.
01:53 Il y en a d'autres ?
01:54 Il y en a, mais même nous, on n'est pas 100% français, on est plutôt portugais.
01:56 Mais pour vous donner un ordre de grandeur, les vêtements qui sont faits, qui sont vendus
02:01 en France, c'est 3% du marché.
02:02 L'immense majorité de ce qu'on achète, ça vient d'Asie.
02:08 Donc pourquoi c'est très polluant la fast fashion ?
02:11 En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'un vêtement individuellement, ce n'est
02:14 pas très polluant.
02:15 Vous savez, c'est léger, ça retire peu de matière, il n'y a pas de technologie
02:18 dedans.
02:19 Ce qui rend la mode très polluante, c'est qu'on consomme énormément de vêtements.
02:22 Les chiffres de 2022, c'est 3,3 milliards de vêtements, chaussures et linges de maison
02:27 qui ont été consommés par les français.
02:29 C'est une cinquantaine de pièces neuves par an.
02:31 Si on compare aux années 80, moi je compare à quand je suis née, c'était deux fois
02:35 moins, c'était 1,4 milliard.
02:37 C'est-à-dire qu'on a fait exploser la quantité de vêtements qui sont consommés,
02:40 et comme produire s'est pollué, on a fait aussi exploser l'impact environnemental
02:45 de l'industrie textile.
02:46 Alors comment la réguler, cette industrie textile ? Vous dites qu'il ne faut pas compter
02:49 sur une prise de conscience des entreprises et une haute régulation, ça, ça ne marchera
02:52 pas.
02:53 Le fait de développer la seconde main, c'est insuffisant parce qu'on ne traite que les
02:56 symptômes.
02:57 Donc il faut des lois contraignantes, il n'y a pas d'autre solution ?
02:59 Oui, en fait, pour comprendre pourquoi c'est important de réguler, il faut comprendre
03:03 que les entreprises du textile ne sont pas poussées à améliorer leurs pratiques, au
03:09 contraire.
03:10 Il y a ce qu'on appelle au mouvement Impact France, une primovice, c'est-à-dire un avantage
03:13 compétitif à mal faire.
03:14 Si vous décidez de délocaliser la production de vos vêtements de la France vers le Bangladesh
03:18 par exemple, vous allez diviser par 3, 4, 5 vos coûts de production.
03:22 C'est-à-dire que si vous décidez de bouger votre production d'un pays qui paye bien
03:26 les gens, qui protège efficacement l'environnement, vers un pays où les gens gagnent des salaires
03:30 de misère, c'est vraiment des salaires de misère au Bangladesh, et où, par exemple,
03:33 les eaux issues des teintures qui sont pleines de produits chimiques ne sont pas traitées
03:37 et sont reversées directement dans la nature, alors vous allez être plus compétitif.
03:41 Donc on est gagnant à faire mal ?
03:42 On est gagnant à faire mal.
03:43 Il y a donc une primovice, un avantage compétitif à mal faire, et tant qu'il n'y a pas des
03:47 lois qui viennent corriger cette primovice, le comportement naturel des entreprises sera
03:51 toujours de faire pire.
03:52 Alors justement, parmi les propositions de loi, il y a celle qui dit qu'il faut instaurer
03:56 un malus sur les vêtements qui sont vendus par cette fast fashion jusqu'à 10 euros.
04:01 Ça c'est une bonne solution ?
04:02 Alors ce n'est pas une taxe qui est sur les vêtements, c'est un malus qui est appliqué
04:07 au niveau de l'entreprise.
04:08 C'est-à-dire contrairement à la TVA ou par exemple...
04:10 Donc ce n'est pas l'acheteur qui serait concerné ?
04:12 Non, c'est l'entreprise qui est pénalisée, libre elle de répercuter ça sur le prix
04:17 des vêtements ou bien de changer de comportement.
04:18 Si vous ne voulez pas payer les 10 euros par vêtement, vous n'avez qu'à changer de comportement.
04:22 Mais comment on fait pour taxer une entreprise dont le siège se trouve en Chine ou ailleurs ?
04:25 Alors on le fait à travers un mécanisme qui existe déjà, c'est-à-dire les éco-contributions
04:30 dans le cadre de la responsabilité élargie du producteur.
04:32 C'est-à-dire que chaque entreprise qui met sur le marché français des vêtements doit
04:38 payer une éco-contribution.
04:40 Ces quelques centimes qui servent ensuite à gérer la fin de vie du produit.
04:43 Ce que proposent les propositions de loi des députés Vermorel et Violent, c'est d'augmenter
04:50 cette éco-contribution, et de moduler cette éco-contribution de sorte que quand les marques
04:54 polluent beaucoup, elles payent beaucoup.
04:56 Et les marques qui polluent peu, voire qui produisent localement, donc qui sont normalement
04:59 désavantagées, bénéficient de ce bonus.
05:02 Et ça, ça pourrait vraiment suffire pour changer, pour réguler cette industrie textile,
05:06 pour inciter des marques peut-être françaises à rapatrier la production en France ?
05:10 Alors c'est ce qu'on appelle de la fiscalité comportementale.
05:13 C'est-à-dire que ça a vocation à faire changer le comportement des entreprises.
05:17 Et je suis à peu près sûre que si Chine devait payer 10 euros d'éco-contribution
05:22 par vêtement qu'il met sur le marché, cette marque ferait évoluer ses pratiques.
05:27 Donc ce qu'il faut noter, c'est que c'est la première fois qu'on a une marque qui
05:30 s'attaque à la régulation du marché du textile, de la fast fashion.
05:34 Et donc en ça, il faut le seuler.
05:35 Est-ce que c'est suffisant ? Non.
05:37 Pourquoi ?
05:38 Parce qu'au niveau local, la réglementation européenne nous empêche de pratiquer certaines
05:47 lois.
05:48 Par exemple, de mettre certaines réglementations.
05:50 Par exemple, il est interdit de favoriser le made in France.
05:53 Il est interdit de favoriser ce qui est produit localement.
05:56 Il y a des lois au niveau européen qui…
05:58 Pas de protectionnisme.
05:59 En revanche, on peut pénaliser des entreprises étrangères, c'est ça ?
06:01 Non.
06:02 Non plus.
06:03 On est obligé de le faire sur des critères écologiques.
06:04 C'est pour ça que c'est assez compliqué.
06:05 Et quand on y pense, c'est absurde.
06:07 Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas favoriser les choses qu'on produit localement si on
06:10 sait les faire ?
06:11 Pourquoi elles devraient être mises sur le même plan ?
06:12 C'est pour ça que cette loi est importante, mais elle n'est pas suffisante.
06:15 Il faut des réglementations européennes.
06:16 Et justement, on a une opportunité en ce moment.
06:18 Il y a la loi sur le devoir de vigilance qui globalement pénalise, en fait, elle rend
06:22 responsable les entreprises des drames sociaux et écologiques qui ont lieu dans leur chaîne
06:26 de production.
06:27 C'est une loi qui a apparu après le drame du Rana Plaza.
06:31 Et le problème, c'est que la France est en train de détricoter cette loi.
06:34 Et dernière question, parce que le temps file, Julia Fort, le consommateur, dans tout
06:37 ça, parce que lui aussi, il a un rôle à jouer.
06:39 On peut attendre quelque chose de lui ou pas ?
06:41 On peut attendre quelque chose de lui à la marge.
06:43 Mais on sait bien qu'à la fin, le premier critère qui nous dirige tous, qu'on ait
06:49 de l'argent quand on en est peu, c'est le prix.
06:51 C'est pour ça que 70% des vêtements aujourd'hui qui sont vendus en France, c'est du low cost.
06:54 Donc on voit bien que, quel que soit le choix, on ne fait pas les meilleurs choix pour notre
06:59 pays et pour nous-mêmes.
07:00 C'est exactement sur la route.
07:02 Si vous me laissez conduire à la vitesse que je veux, il est fort possible que je dépasserais
07:06 celle qui assure la sécurité des autres automobilistes.
07:10 Merci Julia Fort pour vos explications.
07:12 Votre marque de vêtements durable et éthique s'appelle L'Ume et vous êtes co-présidente
07:16 du mouvement Impact France.