Zoom - Eve Vaguerlant : Un prof ne devrait pas dire ça !

  • l’année dernière
Agrégée et docteur en lettres, enseignante, Eve Vaguerlant publie un livre-choc : "Choses vues et choses tues dans l’Education nationale". L’objet du livre est de dire tout ce que l’on cache sur l’Education nationale, tout ce que les enseignants savent et ne disent pas. Bref, tout ce qu’un prof, normalement, ne devrait pas dire…
Le livre a pour but salutaire de dépeindre le système de l’intérieur, de nous faire entrer dans les établissements scolaires ordinaires. Et le tableau est sombre, car "on a beau être averti du fait que l’école actuelle ne va pas pas très fort, on n’imagine pas à quelle vitesse la situation se dégrade".
Pour Eve Vaguerlant, l’école et l’instruction de nos enfants sont menacés par l’ignorance, l’endoctrinement et l'insécurité physique. Elle s’en explique faisant appel à de nombreux portraits et faits divers. Un témoignage effrayant, souvent amusant parfois incroyablement drôle, toujours alarmant et désespérant. Il faut lire ces choses vues et choses tues dans l’Education nationale.

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00:00 [Générique]
00:06 Agrégée et docteur en lettres, enseignante Eve Wagerland publie
00:10 "Un preuve ne devrait pas dire ça, chose vue et chose tue"
00:14 dans l'Education nationale.
00:15 C'est aux éditions L'Artilleur et c'est en vente sur la boutique TVL,
00:19 vous le savez, sur le site TVL.fr
00:21 ou directement en tapant boutiqueTVL.fr.
00:24 L'objet du livre est de dire tout ce que l'on cache sur l'Education nationale,
00:28 tout ce que les enseignants savent mais ne disent pas,
00:31 bref tout ce qu'un preuve normalement ne devrait pas dire.
00:34 Eve Wagerland, bonjour, merci d'être avec nous.
00:37 Bonjour, merci.
00:38 Alors pourquoi tout d'abord briser l'OMERTA ?
00:41 Et puis quand il y a l'OMERTA, quand le livre sort, il peut y avoir des représailles.
00:45 Alors il me semble que la situation devient vraiment urgente,
00:48 c'est pourquoi j'ai écrit le livre et surtout je m'aperçois
00:52 que les gens n'ont vraiment pas conscience de ce qui se passe
00:55 en dépit de tout ce qu'on a déjà pu dire sur l'Education nationale.
00:59 Il y a beaucoup d'analyses qui ont été faites mais qui restent assez théoriques,
01:02 en fait, que ce soit la fabrique du crétin,
01:05 qui est un livre qui date déjà de 2005, etc.
01:07 C'est pour ça que je suis passée par l'anecdote,
01:09 pour que ça soit concret en fait et essayer de toucher un maximum de gens
01:13 qu'ils prennent conscience de ce qui se passe vraiment dans les établissements scolaires.
01:17 Comprenons-nous bien, ce sont des anecdotes tirées de votre expérience personnelle,
01:21 8 années d'enseignement en Île-de-France et dans une dizaine d'établissements.
01:25 Pourquoi tant d'établissements ? Parce que vous avez un statut particulier.
01:28 C'est ça, c'est le fameux statut de TZR, on est très nombreux à être dans ce statut,
01:32 c'est-à-dire vous avez beau avoir passé un concours et être titulaire,
01:35 ce sigle signifie titulaire sur zone de remplacement,
01:39 on nous utilise en fait comme remplaçant pour combler des services, etc.
01:43 et on peut le rester pendant des années, effectivement.
01:46 TZR, déshumanisation.
01:49 Le livre a pour but de dépeindre le système de l'intérieur,
01:53 de nous faire entrer dans les établissements scolaires ordinaires
01:57 et le tableau est sombre car on a beau être averti du fait que l'école actuelle
02:01 ne va pas très fort, on n'imagine pas à quelle vitesse la situation se dégrade.
02:07 C'est ça, c'est que, encore une fois, le constat n'est pas particulièrement nouveau,
02:11 il a été fait dès les années 80, des intellectuels ont dénoncé les ravages
02:17 du pédagogisme, du ludisme, en gros dans la pédagogie, etc.
02:21 et du fait qu'il n'y avait plus suffisamment de transmission du savoir.
02:25 Le problème c'est que ce constat n'est pas nouveau
02:29 mais la difficulté augmente de jour en jour et les choses vont vraiment de pire en pire.
02:37 On découvre des choses nouvelles tous les ans quand on est dans l'enseignement,
02:41 on tombe des nuages.
02:42 – Vous dites que l'école et l'instruction de nos enfants sont menacées
02:44 par trois phénomènes, l'ignorance, notre doctrinement et aussi la sécurité physique.
02:48 – Oui bien sûr, parce que même, il n'y a pas besoin d'être dans un établissement
02:52 classé REP, Réseau d'Éducation Prioritaire, pour avoir une violence un peu endémique
02:58 qui est le mode de jeu et le mode d'interaction privilégié de beaucoup de jeunes désormais.
03:05 Qui ne savent interagir qu'à travers le coup, l'insulte,
03:09 qui considèrent ça comme un jeu, sauf pousser son camarade dans les escaliers,
03:13 c'est dangereux.
03:15 – Ou pousser le professeur.
03:17 – Ou le professeur, voilà.
03:19 – Une anecdote où vous expliquez que quand les professeurs descendent les escaliers,
03:24 ils se tiennent bien à la remarque.
03:26 – Personnellement je m'accroche, oui, dans le cas d'une grossesse en particulier,
03:30 je préfère attendre que les élèves aient terminé de passer pour me lancer dans un escalier.
03:35 – Il y a un chapitre particulièrement… on va sourire tout au long de ce livre,
03:39 parce qu'on sourit terriblement, on se dit "c'est pas possible",
03:42 à chaque page on dit "c'est pas possible", on sourit,
03:44 et puis après, c'est un autre type de pensée qui nous vient à l'esprit.
03:49 Il y a un chapitre, je le disais, particulièrement intéressant,
03:51 c'est celui intitulé "Les profs se plaignent-ils ? Pourquoi les profs se plaignent-ils tant ?"
03:56 Et on s'aperçoit, toujours anecdote à l'appui, du grand,
04:00 si vous me permettez l'expression, du grand déclassement des profs,
04:04 broyés par une administration méprisante, étouffante.
04:08 Alors au-dessus, si j'ai bien compris, vous allez m'expliquer ça,
04:10 vous avez les inspecteurs d'académie, les chefs d'établissement,
04:13 à vos côtés le personnel administratif, les syndicats,
04:17 et vous dites néanmoins que tout cela étouffe les professeurs, leur nuit,
04:23 et que les professeurs, au final, ils sont obligés, je reprends votre expression,
04:27 de se démerder tout seuls.
04:31 – C'est ça. En fait, ce mépris se traduit à travers des attitudes
04:37 de tout un chacun au quotidien.
04:40 Le personnel administratif qui va faire attendre un professeur
04:43 pour s'occuper d'un élève, qui va tutoyer le professeur de but en blanc
04:47 sans le connaître, le chef d'établissement, ou même des surveillants
04:51 qui sont susceptibles de vous renvoyer de force en classe un élève
04:54 que vous avez exclu ou que vous avez refusé parce qu'il était en retard.
04:58 Donc le professeur n'est plus maître dans sa salle de classe.
05:02 C'est des attitudes comme ça au quotidien qui font qu'on ne se sent plus respecté
05:06 et ça s'ajoute à des tas de petites choses comme ça.
05:10 – Vous expliquez par exemple, vous excluez un élève temporairement, bien sûr,
05:14 le chef d'établissement, le surveillant général,
05:20 on l'appelait le surveillant général, je ne sais pas si ça s'appelle comme ça,
05:23 le SG, je ne sais pas comment vous dites, vous le ramène
05:26 et devant l'ensemble des élèves vous dit "mais vous n'avez pas à l'exclure".
05:29 – C'est ça. Là, il s'agissait d'un élève qui était arrivé avec plus de 10 minutes de retard
05:34 que j'avais refusé, mais en fait, moi j'estime que c'est le professeur
05:38 qui devrait être le seul à décider s'il accepte ou non un élève en retard
05:42 parce que c'est nous qui sommes juges de la manière dont ça dérange le cours
05:48 en fonction de l'élève aussi parce qu'un élève sérieux qui a eu un problème de transport
05:52 qui est arrivé exceptionnellement en retard, il n'a aucun problème à le laisser rentrer,
05:55 il va s'installer, il va être autonome, tandis qu'on a des élèves problématiques
05:59 qui vont arriver systématiquement en retard.
06:01 Dans l'anecdote que je raconte, l'élève avait fait exprès puisque j'étais allée chercher
06:05 avec ses camarades dans la cour, il ne m'avait pas suivie, donc je savais très bien,
06:08 il arrive avec quasiment un quart d'heure de retard, donc je ne l'accepte pas.
06:12 Mais la vie scolaire a le droit de lui faire un billet d'autorisation à rentrer en cours
06:18 et à partir de là, il y a contestation de ma décision devant toute la classe,
06:22 ça met le professeur dans une situation impossible.
06:25 – Les professeurs sont aussi soumis à la pression des parents d'élèves,
06:29 ça ne vous le cachez pas, vous donnez de multiples désirs,
06:32 peut-être aussi parce que comme les professeurs n'instruisent plus,
06:37 mais ont une charge d'éducation et interviennent sur tous les niveaux d'éducation de l'enfant,
06:43 ils se retrouvent peut-être trop en confrontation quelquefois,
06:47 ou en collaboration avec les parents eux-mêmes.
06:50 – Collaboration ou concurrence en fait, il n'y a pas assez de distinction
06:53 entre l'instruction qui a lieu à l'école et l'éducation à la maison.
06:57 C'est nous qui sommes censés assurer à peu près tout,
07:01 avec des parents complètement démissionnaires dans certains cas,
07:05 qui attendent vraiment que l'école prenne en charge leurs enfants sur tous les plans,
07:10 ce qui n'est pas incompatible d'ailleurs avec cette attitude très intrusive,
07:15 souvent ça va ensemble, ça peut être des parents qui délaissent leur enfant
07:19 et qui ne l'éduquent pas suffisamment, qui viennent ensuite être intrusives dans l'école
07:23 et nous contester ou avoir des exigences absolument considérables.
07:27 Les deux attitudes fonctionnent ensemble, c'est assez curieux,
07:30 cette absence d'éducation et ensuite ce côté revendicatif dans l'école.
07:36 Moi je pense qu'il faudrait vraiment mettre une séparation claire,
07:40 les parents ont toutes sortes de moyens pour nous écrire à travers le carnet de correspondance,
07:45 ce qui existait déjà au départ, maintenant on a des messageries numériques,
07:48 je pense que c'est suffisant, moi ce qui me pose problème,
07:50 c'est que les parents puissent convoquer pratiquement le professeur
07:53 en faisant une demande de rendez-vous que nous n'avons pas le droit de refuser,
07:56 pour un oui, pour un non, ils peuvent exiger un rendez-vous
07:59 et je pense que ces rendez-vous devraient être uniquement à l'initiative des professeurs,
08:02 les parents peuvent nous écrire, ensuite c'est au professeur de juger s'il y a besoin d'un rendez-vous.
08:06 – On comprend bien que c'est un sujet délicat, l'ingérence des parents,
08:11 un sujet qui revient tout le temps, et pour me faire mon opinion,
08:14 j'ai lu, toujours dans votre livre, un prof ne devrait pas dire ça,
08:19 et ça c'est quelque chose d'intéressant aussi,
08:22 c'est que les interventions des parents, je pensais qu'elles étaient multiples,
08:25 en fait elles sont essentiellement d'ordre disciplinaire.
08:28 – Oui, en tout cas en ce qui me concerne, j'ai rarement vu des parents me contacter
08:33 simplement parce qu'ils étaient soucieux de la progression de leur enfant,
08:37 ou des parents vraiment dans la contestation du contenu de mon enseignement,
08:42 ça ne m'est pas arrivé non plus, parce qu'on pense évidemment au cas de Samuel Paty,
08:45 je pense qu'il est emblématique mais en même temps relativement exceptionnel,
08:49 que les parents viennent vraiment contester ce qu'on fait en classe,
08:52 c'est vraiment sur la question disciplinaire,
08:55 dès que vous avez le malheur de tenter une petite sanction,
08:59 là vous êtes sous le coup d'une demande de rendez-vous d'un parent mécontent,
09:02 qui n'a pas supporté qu'on mette un mot dans le carnet de son enfant,
09:05 ou une punition, et donc c'est la contestation de notre autorité,
09:08 alors que le parent devrait venir en appui à cette autorité,
09:12 ça me paraît essentiel.
09:13 – Il y a une incidente dans tout l'ouvrage qui est là aussi important,
09:16 c'est que vous démontrez qu'il y a quand même un énorme temps de présence à l'école,
09:23 faisons simple, vous êtes preuve dans un lycée,
09:26 et depuis toujours les preuves ils n'ont que 8h de cours, 10h de cours,
09:30 quand ils auront 35h, quand ils feront 40h comme nous, etc.
09:33 – Oui bien sûr.
09:34 – Vous connaissez cette chanson,
09:35 et là en fait vous apportez des éléments qui sont confondants.
09:38 – Oui, alors déjà un certifié fait 18h, un agrégé 15h,
09:44 on a des heures supplémentaires,
09:45 la plupart de mes collègues font une vingtaine d'heures,
09:47 et ça c'est le nombre d'heures de cours,
09:49 évidemment déjà le temps de présence dans l'établissement
09:52 ne se réduit pas au nombre d'heures données,
09:54 parce qu'il y a besoin de laisser une longue pause déjeuner
09:57 au milieu de la journée pour que tous les élèves puissent passer à la cantine,
10:00 donc on a pratiquement deux heures parfois de pause,
10:04 qui s'ajoutent dans le temps de la journée,
10:06 il y a les fameuses heures de trous,
10:08 d'autant que maintenant il y a une sorte d'obsession dans le système éducatif,
10:11 on ne veut pas que les élèves en aient,
10:13 c'est ce qu'on aurait appelé autrefois des heures d'études en fait,
10:16 et aujourd'hui en fait, comme on ne sait pas assurer une permanence calme
10:20 où les élèves travaillent, une salle d'études calme,
10:24 on a renoncé à ça, et donc c'est l'angoisse absolue
10:26 des chefs d'établissement qu'il y ait une heure de vacante,
10:29 de battante dans les emplois du temps des élèves,
10:32 donc ça rejaillit sur nos emplois du temps à nous,
10:34 parce que du coup nos emplois du temps ont très peu de souplesse,
10:36 et c'est nous qui avons les heures de trous,
10:39 parfois quand vous êtes un thésédère ou un stagiaire,
10:43 vous allez en avoir trois, quatre dans votre journée,
10:46 les chefs d'établissement n'ont aucun scrupule à vous en mettre autant.
10:49 Donc en fait on peut arriver pour 8h30 du matin et repartir à…
10:52 Oui, repartir à 17h pour 4-5 heures de cours à donner, bien sûr,
10:55 une journée complète…
10:56 Plus, plus, alors avant ça, toute la relation avec les autres professeurs
10:59 dans les conseils de classe, avec les parents d'élèves,
11:02 avec tous ces organismes de réunion que vous avez…
11:04 Oui, les réunions, les conseils de classe qui nous font rester très tard le soir,
11:08 moi en travaillant en banlieue parisienne,
11:10 je vais parfois rester pratiquement jusqu'à 20h30 dans mon établissement scolaire,
11:15 rentrer chez moi à 10h du soir,
11:17 c'est des journées qu'on peut avoir quand on est professeur
11:19 avec les conseils de classe, bien sûr.
11:21 Donc il y a ces réunions, il y a la préparation des cours,
11:23 les photocopies à faire, les copies à corriger,
11:26 c'est extrêmement long de corriger un paquet de copies,
11:28 un paquet de copies de 30 copies, c'est 2-3 heures, obligatoirement, en collège.
11:35 Donc en lycée, quand vous avez vraiment des copies longues,
11:38 c'est encore bien plus long que ça, les gens ne se rendent pas compte de ça,
11:40 ils disent "ah un prof, il travaille 15h".
11:43 Il travaille un truc un peu plus, on ne l'apprend pas,
11:45 on ne le sait pas, si on ne le savait pas.
11:47 On travaille un peu plus que ça, oui.
11:49 Et puis alors, bien sûr, il y a les cours oubliés, mais pas dans le livre,
11:53 c'est dans mon propos pour l'instant, c'est les enfants bien sûr, les élèves,
11:56 et là, vous n'y allez pas par quatre chemins,
11:58 nos élèves, pourquoi sont-ils si nuls ?
12:01 Voilà le titre du chapitre.
12:03 – Alors, c'était un titre que j'ai choisi par provocation
12:06 envers la bienveillance officielle et institutionnalisée,
12:10 par ailleurs je le justifie, en fait, dans le livre "Les lecteurs verront",
12:13 c'est une allusion à un professeur que moi-même j'ai eu,
12:15 qui n'hésitait pas à nous envoyer à la figure,
12:17 et ça ne l'empêchait pas d'être un excellent professeur,
12:20 je ne le dis pas à mes élèves, évidemment, aujourd'hui,
12:22 sinon vous imaginez la catastrophe.
12:25 Et ensuite, malheureusement, bon, il faut bien dire les choses,
12:30 à un moment, c'est aussi un peu vrai,
12:32 par ailleurs, j'ai mentionné tout à l'heure "La fabrique du crétin",
12:36 c'est déjà un titre pas très tendre,
12:38 et dans les années 80, on a déjà eu des titres très virulents
12:41 sur l'éducation nationale, comme "Voulez-vous vraiment des enfants idiots ?"
12:45 on a déjà eu ça dans les années 80,
12:47 donc ça relativise un petit peu le caractère provocateur de mon titre, je pense.
12:51 – Est-ce qu'ils sont tous nuls ou certains sont nuls ?
12:54 C'est différent, parce que certains tirent vers le bas à l'ensemble,
12:57 ou est-ce qu'il y a quand même des pépites ?
12:59 – Alors, il y a toujours des élèves très sérieux, motivés pour apprendre,
13:03 mais ils sont pénalisés par le système actuel
13:06 qui ne leur permet pas d'aller jusqu'au bout de leurs possibilités,
13:11 donc dans les classes que j'ai en moyenne,
13:14 même les élèves les meilleurs, on ne va pas dire qu'ils sont nuls,
13:17 mais ils n'ont pas un excellent niveau, même les premiers de la classe,
13:22 parce que tout le monde est tiré vers le bas par ce système.
13:25 Quand vous avez des classes avec l'hétérogénéité qu'on connaît,
13:28 où il y a toujours un noyau au moins de 4-5 élèves
13:32 qui ne peuvent strictement rien faire de ce qu'on fait,
13:35 parce qu'ils ont accumulé des années de retard scolaire,
13:38 comme il n'y a pas de redoublement, on passe d'une année à l'autre,
13:41 on entre au collège sans savoir lire, on entre au lycée sans avoir eu son brevet,
13:44 c'est ça la réalité, on passe d'une année à l'autre sans avoir les acquis,
13:48 donc celui qui est sorti du CP, CE1 sans savoir lire
13:51 et qui continue comme ça d'année en année, il arrive en quatrième,
13:54 il ne peut rien faire, il est en situation d'échec permanent en fait,
13:58 et sans possibilité de réorientation avant la troisième.
14:02 Donc ceux-là, ils n'ont rien d'autre à faire que de perturber les cours
14:06 et d'empêcher les enseignements, et ils les empêchent, ça c'est clair.
14:10 – Vous assistez sur le manque de discipline, on en a parlé,
14:13 mais aussi sur l'interdiction qui vous est faite de sanctions,
14:17 c'est l'organisation de l'impuissance par la disparition des sanctions,
14:20 ce sont vos termes, c'est-à-dire que la sanction aujourd'hui n'existe plus.
14:24 – On dispose de très peu de moyens, dans la plupart des établissements
14:27 que j'ai connus, il est pratiquement impossible de mettre des heures de col,
14:30 parce qu'on nous demande de les organiser entre profs,
14:33 en fait il n'y a pas une salle d'études avec un surveillant
14:35 qui surveille les heures de col,
14:37 beaucoup d'établissements ont supprimé les salles de permanence,
14:40 notamment dans les lycées, donc ça c'est un peu le seul recours du prof,
14:44 bien souvent il n'existe pas, ou il est très compliqué à mettre en place.
14:48 Il y a une pression énorme qui est mise sur les professeurs
14:51 pour qu'ils n'excluent pas les élèves qui empêchent de faire cours,
14:54 puisque comme je vous l'ai dit tout à l'heure,
14:56 parfois on les ramène de force en classe, il y a un discours ambiant,
15:00 je cite une principale de collège qui en début d'année
15:03 critique les professeurs qui excluent des élèves
15:06 et en profite ensuite pour faire cours tranquille,
15:08 et elle leur dit "vous devez des heures aux élèves",
15:11 donc pour moi c'est vraiment le monde à l'envers,
15:13 c'est cette idée que l'élève n'a aucun effort à fournir
15:17 et que le professeur lui doit quelque chose,
15:22 quelle que soit son attitude et ses capacités.
15:25 – Vous évoquez les ravages du pédagogisme,
15:28 le degré d'imprégnation de l'idéologie pédagogiste
15:31 est variable selon les métiers, alors là,
15:34 là aussi si ce n'était pas tragique on cesserait de rire,
15:36 parce que vous faites au fil des pages des anecdotes
15:40 sur l'apprentissage des langues par exemple, là encore c'est…
15:45 – Alors ce n'est pas ma matière mais je connais quand même bien le sujet,
15:49 notamment à travers des témoignages directs de collègues,
15:53 en fait le dogme pédagogiste c'est le ludisme
15:58 et l'idée que l'élève doit apprendre par lui-même
16:00 et en langue plus précisément c'est l'idée
16:02 qu'il faut apprendre par pure imprégnation,
16:05 donc à raison de 2 ou 3 heures par semaine,
16:09 comme quand on est à l'étranger, c'est-à-dire simplement
16:12 en entendant la langue, donc on n'apprend pas de liste de vocabulaire,
16:15 on ne fait pas de point de grammaire, pas d'exercice de grammaire
16:18 et on est censé apprendre les langues comme ça.
16:21 Donc ça ne marche évidemment pas parce que c'est quelque chose
16:25 qui peut fonctionner si on est dans le pays en permanence
16:28 et encore je pense que même quand on est dans cette situation
16:31 on a besoin de compléter par du vocabulaire et de la grammaire
16:34 pour vraiment maîtriser une langue, à l'écrit notamment.
16:37 Par exemple les élèves en cours d'anglais ou d'allemand,
16:43 quand ils ont un petit exercice à faire,
16:46 la question est toujours dans la langue étrangère
16:51 parce que parfois en soutien scolaire jettent ces élèves
16:56 et ils sont censés faire l'exercice,
16:58 ils sont incapables de comprendre la consigne.
17:00 Et théoriquement le professeur qui ne doit parler qu'en anglais ou en allemand
17:04 ne doit pas la leur traduire, il y a interdiction de traduire.
17:07 – Oui, interdiction de traduire, interdiction de parler,
17:09 donc il doit faire tout, par exemple un professeur d'allemand
17:11 arrive, il parle en allemand, il en a entendu tout.
17:13 – Théoriquement il doit… – Théoriquement mais comme personne
17:15 ne comprend, il finit quand même…
17:16 – Ils sont obligés, sinon ils ne se feraient jamais comprendre en fait,
17:18 il n'y aurait pas une seule consigne qui passerait
17:20 parce qu'ils ont un niveau désastreux en langue,
17:22 les élèves ils n'apprennent pas de vocabulaire.
17:24 Le professeur n'a pas le droit de donner de liste de vocabulaire théoriquement,
17:26 c'est affligeant.
17:28 Et ça c'est les consignes de l'inspection.
17:30 – En fait on recopie des phrases à l'infini ?
17:34 – En fait on est mis en activité sur un texte,
17:37 on va essayer d'aller piocher des éléments,
17:40 ou alors on travaille sur une image, des choses comme ça.
17:44 Moi c'est ce que j'ai connu comme enseignement délangue,
17:46 je suis sortie du lycée en ne sachant pas faire une phrase anglaise.
17:49 – Pour être complet, presque,
17:51 il faut ajouter tout ça à l'endoctrinement des élèves,
17:54 l'intrusion de la politique, on le voit bien d'ailleurs
17:57 avec des députés extrémistes qui viennent dans les lycées
18:02 comme ils viennent dans les universités,
18:04 l'embriganement, alors là par exemple LGBT, l'islamisme,
18:08 on a parlé de Samuel Paty qui a malheureusement
18:11 l'aboutissement le plus terrible de cette idéologie
18:16 dans les écoles, dans les lycées.
18:18 Le tableau il n'est pas sombre là mais il est totalement désespérant.
18:22 – C'est vrai que sur la question des idéologies,
18:25 il y a une pression qui vient un peu de toutes parts,
18:29 les interventions au milieu scolaire,
18:32 notamment sur l'éducation à la sexualité,
18:34 la lutte contre les discriminations, ça revient très souvent,
18:37 elles sont clairement faites par des associations
18:39 de militants d'extrême gauche
18:41 qui viennent répandre la théorie du genre, des choses comme ça,
18:47 où ensuite l'islamisme, la pression vient plutôt des élèves
18:53 et de leurs parents,
18:55 ensuite il y a le contenu de l'enseignement lui-même,
18:59 dans les programmes même il y a une orientation,
19:01 notamment en histoire, avec toujours ce discours
19:06 de culpabilisation de l'Occident, donc très négatif,
19:10 l'histoire de France est vue uniquement du point de vue
19:13 esclavagiste, patriarcal, les élèves ont une vision
19:16 caricaturale de tous ces sujets,
19:18 par exemple cette année, sur la question du féminisme,
19:21 j'abordais le Moyen-Âge et la courtoisie avec mes élèves,
19:25 et je leur expliquais la soumission du chevalier à sa dame,
19:28 et tout de suite il y a une main qui s'est levée
19:30 pour me dire "mais est-ce que ce n'était pas les femmes
19:32 qui étaient soumises avant ?"
19:34 parce qu'en plus ils mélangent tout,
19:36 c'est-à-dire tout le passé est englobé de manière très vague
19:39 dans une même vision, et on voit qu'à force de véhiculer
19:43 ces caricatures sur le passé, les élèves ne sont même pas
19:46 capables de concevoir quelque chose comme la courtoisie,
19:49 qui est quand même l'essence de l'esprit français.
19:52 - Je vais cesser d'être courtois, parce que je trouve
19:55 qu'il y a quand même quelque chose de particulièrement
19:57 plaisant, mais je vais cesser d'être courtois
19:59 tout au long du livre, c'est votre capacité à reconnaître
20:01 que les pires opposants aux profs, ce sont les profs eux-mêmes,
20:05 et s'il est responsable de tout ça, ce n'est pas les profs eux-mêmes.
20:08 - Je pense que le corps enseignant est responsable
20:12 en grande partie de sa situation, c'est ça qui est effectivement
20:15 tragique et que j'évoque dans le livre.
20:18 Alors d'abord à travers le discours des syndicats,
20:21 qui ne représente pas tous les enseignants,
20:24 mais qui reflète un peu le discours ambiant,
20:28 qui ramène tout à des questions de moyens,
20:31 de problèmes de moyens, les syndicats ne font jamais
20:34 rien d'autre que de réclamer davantage de moyens,
20:36 alors que le budget de l'éducation nationale
20:38 est déjà obèse, le problème c'est la répartition
20:41 des moyens, la manière dont on les utilise, mais il n'y a pas…
20:44 - Oui, il n'y a pas de manif de professeurs demandant
20:47 plus de sécurité, fonctionnement.
20:48 - C'est ce que je dis dans le livre, vous ne verrez jamais
20:50 une manifestation de professeurs pour demander des sanctions
20:55 pour les élèves qui nous agressent, qui nous insultent,
20:58 vous n'aurez jamais une manifestation pour demander
21:01 un retour à un minimum d'exigence de niveau avec une sélection,
21:05 des classes de niveau, du redoublement,
21:07 ce sont des choses qui sont complètement nécessaires maintenant.
21:09 - Ils ont tout sous les yeux, ils ont tout en face des yeux
21:12 et pourtant ça ne les empêche pas de poursuivre leur chemin
21:15 vers une notion de progressisme ou forme d'extrémisme de gauche,
21:18 c'est tu à quoi ?
21:20 - Il y a un blocage idéologique, en fait, le constat que je fais
21:25 est partagé par vraiment une majorité de mes collègues,
21:27 je pense maintenant, le problème c'est que quand il faut
21:29 réclamer des solutions, il y a vraiment ce blocage
21:32 idéologique qui empêche de se réclamer de notions
21:35 comme l'autorité, la discipline, la sélection, la sanction,
21:40 ce sont des mots horribles pour un esprit progressiste de gauche.
21:42 - Mais pas d'agirant, pourquoi ?
21:44 Parce que c'est intrinsèquement lié à leur personnalité
21:46 ou c'est parce qu'ils ont peur des chefs d'établissement,
21:48 des syndicats ?
21:49 - C'est la pression de la société, je pense.
21:51 Et le parcours de formation aussi, le type d'études,
21:57 aujourd'hui je pense qu'on a fait un certain type d'études,
22:00 on est un peu formatés intellectuellement,
22:03 et ensuite c'est difficile aussi d'assumer les difficultés.
22:11 On le voit en conseil de classe, la plupart des professeurs
22:16 préfèrent taire les problèmes et les difficultés qu'ils rencontrent,
22:19 notamment parce qu'il y a un discours très culpabilisant
22:21 qui revient à dire que si on a du bazar en classe,
22:24 c'est parce qu'on ne sait pas gérer, on ne maîtrise pas
22:26 la gestion de classe, il y a ce genre de discours,
22:29 ou qu'on n'a pas trouvé la bonne pédagogie,
22:30 donc c'est très culpabilisant pour les enseignants.
22:32 Donc en fait, arriver et dire les choses comme je le fais,
22:35 en disant "il y a des problèmes, on a des difficultés",
22:38 c'est un peu une honte aussi pour les professeurs,
22:42 ils ont du mal à le dire, en tout cas en dehors du contexte
22:47 de la salle des profs, parce qu'on est culpabilisés aussi.
22:51 – D'où peut venir le mouvement de réaction du gouvernement,
22:55 des gouvernements, on voit ce qu'il en est,
22:58 des profs vous le dites vous-même, ils creusent joyeusement
23:00 leur propre tombe depuis des décennies,
23:02 des parents qui résistent peu, ceux qui résistent foncent
23:08 a priori dans le privé, dans l'école libre, dans le hors-contrat,
23:13 aujourd'hui, mettre des professeurs de soutien
23:16 pour des heures supplémentaires pour leurs enfants,
23:20 ils se débrouillent pour les maintenir au-dessus
23:22 de la ligne de flottaison, comment aujourd'hui,
23:26 la réaction elle se fait où et comment ?
23:28 – Moi j'espère quand même, en tout cas j'ai vraiment écrit le livre
23:31 "A destination des parents", j'espère quand même une réaction
23:33 de la société civile, parce que notamment avec ce que font
23:36 nos gouvernants actuellement, les quelques refuges encore
23:39 où l'élite arrive à se protéger vont disparaître en fait,
23:42 petit à petit, où il ne restera vraiment plus que le privé hors contrat,
23:46 mais on voit que là il y a une attaque vers le privé sous contrat,
23:52 la volonté de répartir le problème, de le répandre au lieu d'essayer
23:57 de le résoudre, et il faut que les parents à un moment disent "stop",
24:01 il faut voir que l'attitude que je dénonce dans le livre,
24:06 c'est évidemment, elle vient d'une minorité de parents,
24:08 ce qu'il faut c'est que nous n'ayons plus à la subir,
24:10 mais il y a ensuite une majorité de parents qui évidemment
24:12 ne demandent que ça, que leur enfant puisse apprendre à l'école,
24:15 que les diplômes aient une valeur parce qu'il y aura une sélection,
24:19 c'est difficile d'accepter que son enfant puisse échouer au bac,
24:22 mais je pense qu'il faut l'admettre, c'est vraiment pour ça
24:25 que j'ai écrit le livre, pour que les gens admettent que oui,
24:27 leur enfant peut échouer, oui leur enfant peut être puni,
24:29 mais en échange il recevra une véritable instruction,
24:32 et il faut que les gens arrêtent de se dire "je vais pouvoir fuir,
24:36 je vais pouvoir protéger mon enfant de ça", parce qu'à court échéance
24:40 ça ne va plus être possible, donc il faut refuser ce système en bloc.
24:45 – Dernière question, qui permettrait finalement d'effacer tout ce qui a été dit
24:51 jusqu'à maintenant, de rêver que l'autorité du savoir n'a jamais été mise à bas,
24:56 est-ce que vous n'êtes pas finalement un peu aigri, passéiste,
24:59 est-ce que vous ne voyez pas que le négatif, j'ai pris un exemple,
25:02 en CM2, c'est-à-dire en 7ème, le niveau de français reprend sa progression,
25:07 voilà une information que je ne lis pas dans l'ouvrage.
25:10 – Je ne la connaissais pas, en tout cas il y a quand même maintenant
25:15 un constat objectif, on parle constamment de l'effondrement
25:20 du système éducatif, il y a les enquêtes PISA,
25:22 donc tout ça maintenant est chiffré, il y a des statistiques, etc.
25:27 On peut toujours trouver des points positifs dans le métier d'enseignant,
25:30 je termine le livre par deux anecdotes, où j'évoque deux moments très beaux
25:36 que j'ai connus dans ma carrière, où j'ai vraiment eu le sentiment
25:38 de pouvoir partager quelque chose avec mes élèves,
25:41 et moi c'est pour ça que je suis là, pour que ceux qui en ont envie
25:45 et qui à l'heure actuelle doivent s'effacer, n'osent pas exister
25:50 parce que la parole et l'attention du professeur est toujours
25:53 accaparée par des élèves problématiques et perturbateurs.
25:57 Je pense qu'il faut continuer de se battre pour ces élèves-là.
26:01 Mais ensuite, l'accusation de passéisme est très intéressante
26:05 parce que c'est ça qui nous bloque à l'heure actuelle.
26:08 On prend par exemple l'exemple de la lecture, l'apprentissage de la lecture.
26:15 On a abandonné à une certaine époque la méthode syllabique, Béaba,
26:20 pour mettre ce qu'on a appelé la méthode globale,
26:23 je ne sais pas si vous connaissez, il s'agit de mettre un mot sous une image
26:27 et d'apprendre à le lire comme ça, de manière directe.
26:30 Immédiatement il y a eu un effondrement de la connaissance de la lecture,
26:34 donc les gouvernements sont revenus en arrière,
26:37 mais mollement, au lieu d'assumer qu'ils avaient fait une erreur
26:40 justement à cause de cette accusation de passéisme,
26:43 ils ne sont pas revenus à la méthode alphabétique tout de suite.
26:46 Ils ont créé une méthode dite "semi-globale" qui mélangeait les deux méthodes.
26:51 Et on a mis des années à supprimer enfin cette méthode
26:54 qui elle aussi a fait des ravages.
26:56 Et aujourd'hui, des instituteurs la pratiquent encore
26:59 parce qu'on ne veut pas revenir en arrière, c'est la chose abominable.
27:02 Mais en fait si une méthode est bonne, qu'elle vienne du passé, du futur,
27:06 on l'apprend en fait, il n'y a pas à réfléchir davantage.
27:10 Donc je pense qu'on a ce progressisme institutionnalisé,
27:14 cette volonté d'être dans la modernité, avec en plus des recettes
27:18 qui sont franchement ringardes, parce que mettre les élèves en activité,
27:21 en "îlot" comme c'est le terme officiel, pour leur faire faire des activités de groupe,
27:26 ça se pratique depuis les années 70-80, et on sait très bien
27:29 que les élèves ne font que bavarder et qu'ils ne travaillent pas comme ça.
27:32 Mais on continue de trouver ça moderne et merveilleux et de le faire,
27:36 et il faut sortir de ces idées-là.
27:39 – On a tous été élèves, on sait comment il fallait faire.
27:41 – Oui.
27:42 – Voilà, un prof ne devrait pas dire ça.
27:44 Eve Vaguerland, je vous invite à mettre votre ceinture
27:48 et à lire cet ouvrage bourré d'anecdotes, mais qui laisse par moments pantois,
27:53 je l'ai dit aussi souriant quelques fois.
27:55 Vous restez prof ?
27:57 – Pour l'instant, oui, je continue, je suis prof et je le reste, oui.
28:01 – Ok, merci. – Merci.
28:03 [Générique]

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