La présidente du Comité olympique français, Brigitte Henriques, démissionne à un peu plus d'un an de Paris 2024 : David Roizen, communiquant et spécialiste des politiques publiques sportives, est l'invité de 6h20
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00:00 Comité olympique français en pleine crise. Un peu plus d'un an des JO de Paris, sa présidente vient de démissionner
00:05 alors que ses jeux se font régulièrement critiquer sur le prix de la billetterie ou les engagements environnementaux.
00:11 Bonjour David Roisen.
00:12 Bonjour madame.
00:13 Vous êtes communicant et spécialiste des politiques publiques sportives.
00:16 Cette démission, c'est un nuage de plus dans un ciel déjà bien chargé ?
00:20 Je ne sais pas si c'est un nuage de plus, mais surtout pour moi, c'est un révélateur d'un problème de gouvernance dans le sport.
00:26 On a une gouvernance partagée mais on n'a pas de responsabilité partagée.
00:30 Ce n'est pas moi qui le dit, c'est la Cour des comptes, dans un rapport de septembre dernier.
00:33 Si vous voulez, on est face à une hydre à cinq têtes.
00:35 On a le ministère des sports et des JO, on a l'Agence nationale du sport, on a le COJOP, on a l'ADIJOP et on a le CNOSF.
00:43 Et on ne sait pas très bien qui fait quoi.
00:44 Et je pense que c'est ça aussi qui explique la situation actuelle entre les uns et les autres.
00:48 Mais là, qu'est-ce qui s'est passé exactement ?
00:50 Est-ce que c'est juste un conflit de personnes ou il y a de gros problèmes au sein du Comité olympique sportif français ?
00:54 Alors, je ne suis pas dans le secret des dieux mais quand même d'un point de vue extérieur, on a surtout l'impression,
00:59 vu que le rapport financier, le rapport moral ont été très largement...
01:02 le rapport d'activité, pardon, ont été très largement soutenus,
01:04 on peut penser qu'il y a un problème de personnes.
01:06 Et si je peux me permettre cette remarque,
01:09 on remarque qu'il y a souvent un problème de personnes quand les femmes ne veulent pas être des pantins.
01:12 Parce que c'est un peu ça qui s'est passé.
01:14 Ces messieurs ont désigné Brigitte Henriquez parce que ça faisait bien avant les Jeux olympiques d'avoir une présidente.
01:19 Et ils l'ont soutenue et ils ont pensé qu'à partir de là, elle ferait ce qu'elles veulent.
01:22 Heureusement non, elle n'est pas celle-là.
01:25 Et donc elle a voulu et à partir de là, elle a refusé d'être un pantin.
01:28 Et ça a été la crise, la crise, la crise.
01:30 Après il y a eu des erreurs individuelles de part et d'autre
01:32 mais je ne veux pas me focaliser là-dessus.
01:33 Je pense que c'est ce que ça révèle pour le sport français qui me semble le plus intéressant.
01:36 Alors, ces JO sont présentées par leurs organisateurs comme des Jeux populaires et accessibles à tous.
01:41 Ça, ils le redisent quand même régulièrement.
01:43 Mais on voit bien quand même le prix de certains billets.
01:45 D'ailleurs, il y a des athlètes eux-mêmes qui s'en offusquent et qui disent
01:48 qu'ils ne pourront même pas acheter des places pour leur famille.
01:50 Donc ils ne sont pas vraiment accessibles ces Jeux.
01:52 - Alors, je crois que c'est une erreur fondamentale parmi d'autres en matière de communication
01:57 des JO et des acteurs olympiques, on va dire, au sens large.
02:00 C'est d'avoir effectivement prétendu que des Jeux étaient populaires.
02:02 Depuis quand une finale de Ligue des Champions, de Roland-Garros,
02:05 je regardais, parce que c'est la semaine prochaine, début de Roland-Garros,
02:07 je regardais, le billet moins cher c'est 160 euros et ça monte jusqu'à 1750 euros pour la finale.
02:12 Et personne s'en émeut.
02:14 Pour pouvoir nous faire accepter, nous, population au sens large, les JO,
02:18 on nous raconte tout et n'importe quoi.
02:20 Les Jeux, c'est pas fait pour être populaire.
02:22 Les Jeux, c'est les finales sur un même territoire de multiples championnats du monde.
02:25 Si vous allez demain à la finale du championnat du monde de judo, de gym ou de je ne sais pas quel sport,
02:29 excusez-moi de le dire comme ça, ça ne sera pas moins de 50 euros.
02:32 Ce n'est pas vrai.
02:33 - Mais pourquoi c'est si cher ?
02:34 - Parce que ça a été annoncé d'ailleurs, il n'y a pas de surprise.
02:38 Il faut remplir un budget.
02:40 Ils ont fait une révision budgétaire, le budget des JO est passé de 6,2 milliards à 8,8 milliards.
02:46 Et lors de la révision budgétaire en janvier dernier, le COJO a annoncé qu'ils allaient augmenter le prix de la billetterie.
02:52 On nous a vendu des jeux sous impôt, ce qui n'a aucun sens par ailleurs.
02:55 Il faut le justifier, il faut pouvoir y atteindre.
02:58 Je ne suis pas choqué, moi, par les prix de ces billets.
03:01 J'ai eu la chance de participer à des Jeux Olympiques en tant que pétateur.
03:04 Et c'est toujours comme ça.
03:07 - Juste, il fallait le dire et ne pas essayer de vendre.
03:09 C'est ça qu'est des Jeux comme étant...
03:11 - Le problème, c'est qu'on raconte au nom des Jeux Olympiques, pour justifier, pour légitimer les Jeux Olympiques, tout et n'importe quoi.
03:17 Et à un moment, les Français se rendent compte que ce n'est pas vrai.
03:19 Je rappelle que c'est le Président de la République qui a expliqué que les Jeux allaient changer nos vies.
03:23 Hier matin, j'étais à Belgaard, sur Marsal, dans le Tarn, 762 habitants.
03:27 Les Jeux Olympiques, ils s'en fichent.
03:29 Voilà.
03:30 J'allais dire, ils s'en cognent, excusez-moi.
03:32 - Mais est-ce que ce n'est pas normal ? On est un peu plus d'un an, peut-être que l'engouement va venir dans les prochains mois.
03:36 Un an, c'est logique, non ?
03:38 - Oui, mais si vous voulez, il y a cette dichotomie entre... On nous promet l'excellence environnementale, des Jeux populaires, des Jeux autofinancés.
03:45 Et on s'en rend bien compte que ce n'est pas vrai.
03:47 Chaque jour, sur votre antenne notamment, on parle des étudiants qui doivent être déplacés, des SDF qui doivent être déplacés.
03:55 Il y a une constante dans l'histoire des JO.
03:57 Il y en a une double, pardon.
03:59 Le CIO fait des bénéfices énormes, et 20 millions de personnes ont été déplacées depuis 1976.
04:04 C'est ça, les deux seules constantes. Après, tout change.
04:06 - Donc finalement, ces Jeux de Paris, ils ne sont pas différents des autres ?
04:09 - Pas du tout. On était censés entrer dans une nouvelle ère, avec l'agenda 2020 adopté en 2013, puis la crise du Covid,
04:18 où les porte-parole du COJO nous expliquaient qu'on allait rentrer dans une nouvelle ère.
04:22 Ce n'est pas vrai, c'est toujours pareil.
04:24 La seule spécificité, on peut s'en réjouir, c'est que nous, on n'aura pas a priori d'éléphants blancs,
04:27 c'est-à-dire de grandes enceintes sportives qui ne serviront à rien.
04:30 Et ça, c'est un vrai avantage pour la France.
04:32 - C'est l'argument qui a été évoqué, justement, pour dire "on fait des Jeux qui vont respecter l'environnement, pas de gaspillage,
04:38 avec des bâtiments durables". - Les seuls Jeux qui ne respectent pas l'environnement, c'est ceux qui n'ont pas lieu.
04:41 Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'ensemble des ONG.
04:44 Carbon Market Watch explique très bien qu'en l'occurrence, si on veut économiser la couche de CO2,
04:51 si je puis dire, le mieux, c'est de ne pas faire des Jeux.
04:53 Alors, il y en a qui proposent d'autres solutions.
04:55 Ils proposent de faire des Jeux plus resserrés.
04:57 Ce n'est manifestement pas le cas. Confère la Cérémonie d'ouverture.
05:00 Il y en a qui proposent de faire des Jeux sur un seul site et de renouveler chaque année, tous les 4 ans.
05:05 Je pense qu'il y a d'autres solutions qui existent.
05:07 - Alors, ces Jeux, on a bien compris, ils ne seront pas verts, mais néanmoins,
05:10 est-ce qu'ils seront plus verts que les précédents, si j'ose dire ?
05:14 - Heureusement. Je veux dire, heureusement.
05:16 Mais, sauf que par rapport aux précédents, on a compris que la situation climatique, pour faire simple, il y avait urgence.
05:22 Et heureusement, et manifestement, l'ensemble des organisations sportives veulent concourir à ça.
05:29 À ce changement-là, dans l'organisation des événements.
05:31 Mais je le redis, si vous ne voulez pas faire un événement qui pollue la planète,
05:35 il ne faut pas faire des Jeux Olympiques de cette ampleur-là.
05:37 Les Jeux Olympiques, depuis post-Sochi, sont devenus des grandes machines financières
05:43 où, pour justifier l'événement qui n'est plus soutenu par les populations,
05:46 on nous vend, j'allais dire, du rêve avec la notion d'héritage.
05:51 Je pense que ça n'a pas de sens, parce que moi, je ne vais pas assister aux Jeux en me disant
05:55 "Ah, qu'est-ce que ça va faire pour mes enfants ? Est-ce qu'ils vont faire plus de sport à l'école ?"
05:58 C'est "Est-ce qu'on va avoir des médailles ? Est-ce que ça va être sécurisé ? Est-ce qu'il va y avoir une fête populaire ?"
06:02 Ça, ça fait sens.
06:03 - David Roizen, je rappelle que vous êtes spécialiste des politiques publiques sportives.
06:06 Vous l'avez évoqué d'un mot, j'aimerais qu'on y revienne sur le budget.
06:09 Là aussi, il y a peut-être une erreur de communication, puisque vous dites qu'il y en a eu plusieurs.
06:13 Les organisateurs ont promis de tenir, de contrôler le budget, pas de dérapage.
06:17 Bon, ben c'est raté, visiblement.
06:18 - Je ne suis pas sûr qu'on puisse parler d'ores et déjà de dérapage.
06:21 Et il faut espérer que la France parvienne à rompre la malédiction olympienne.
06:25 - Vous nous avez dit qu'il y avait déjà eu une petite rallonge.
06:27 - Oui, on était passé de 6,2 milliards à 8,8 milliards.
06:30 - C'est pas mal de milliards de plus.
06:32 - Ah oui, non, c'est pas moi qui vais voter, au contraire.
06:35 Moi, ça ne me choque pas en soi, et c'est une constante.
06:38 Ce qui me perturbe le plus, c'est quand on dit que les Jeux seront au financé, qu'il n'y aura pas d'impôt G.O.
06:43 Ben si, de fait, il y a déjà un impôt G.O.
06:45 C'est le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui explique que l'État a d'ores et déjà investi 3 milliards.
06:52 C'est pas rien. C'est la billetterie solidaire.
06:54 - Et il n'y aura pas de retour sur investissement au moment des Jeux ?
06:57 - Ben si, il y aura même un retour sur investissement, mais c'est un engagement financier de l'État ou des collectivités.
07:02 C'est pareil pour la billetterie solidaire. La billetterie solidaire, c'est vous et moi qui partons nos impôts, elle en a payé.
07:07 - Mais alors, quel est l'intérêt d'organiser des Jeux ?
07:09 D'ailleurs, on ne l'a pas dit encore, mais il y a de moins en moins de villes qui sont candidats tous les 4 ans pour accueillir ces Jeux.
07:14 Donc, celles qui se portent candidats et qui les ont, comme Paris, c'est quoi l'intérêt ?
07:18 - Ben, je pense que... - Soft power ?
07:20 - Evidemment le soft power. C'est parfois du sport-washing, on ne va pas se mentir.
07:24 C'est-à-dire l'idée selon laquelle on va se donner une bonne image...
07:26 - On va dire des mots français parce que la sport-war et le sport-washing...
07:28 - Oui, vous avez raison. L'idée qu'en utilisant le sport, on peut changer sa réputation.
07:33 C'était l'idée d'Emmanuel Macron quand il a soutenu la candidature, et de François Hollande quand il était à l'heure président de la République.
07:39 C'est le changement de pied d'Anne Hidalgo, qui au départ est contre les Jeux et après est pour.
07:43 C'est un vrai problème. Si vous voulez, le CIO se retrouve confronté à la désaffection et le rejet par les populations.
07:52 Donc, on nous vend quelque chose d'autre au-delà de l'événement sportif.
07:54 - Merci beaucoup pour votre analyse, David Roazen, communiquant et spécialiste des politiques publiques sportives.