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La réalisatrice vient de remporter la Palme d'or au 76e festival de Cannes. Son sentiment après cette victoire, ce qu'elle voulait raconter avec son film "Anatomie d'une Chute", son discours très remarqué contre la réforme des retraites et le gouvernement français... Elle répond aux questions de Corinne Pélissier pour France Inter.

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Transcription
00:00 Bonjour Justine Trier, merci d'être sur France Inter.
00:02 Bonjour.
00:03 On était dans votre cuisine il y a pile deux semaines pour parler du film.
00:06 Vous êtes aujourd'hui la troisième femme cinéaste à recevoir une Palme d'or,
00:09 la deuxième française après Julia Ducournau.
00:12 On vous a vu très émue au moment de recevoir cette Palme.
00:15 Elle a quel goût ?
00:16 Elle a quel ?
00:17 Elle a quel goût ?
00:18 Quel goût ?
00:19 C'est le goût de l'inconnu, parce que moi je ne m'attendais pas du tout à ça.
00:24 C'est une chose irréelle, je n'ai toujours pas pris la mesure de la chose,
00:30 mais en même temps est-ce que c'est important de le prendre ? Je ne sais pas.
00:32 C'est très joyeux en tout cas.
00:34 Le film a été montré dans les tout premiers jours du festival,
00:37 d'emblée accueilli avec beaucoup d'enthousiasme.
00:40 Comment vous avez vécu ces dix jours, ce moment de salle d'attente ?
00:43 Vous êtes restée à Cannes, vous êtes repartie à Paris ?
00:46 Oui, je suis repartie après les trois jours de presse que j'ai fait.
00:50 C'était très joyeux, c'est la réception je pense, je peux le dire,
00:54 qui a été la plus incroyable de tous mes films,
00:57 chacun venu à Cannes.
00:59 Et là j'avoue que c'était un peu fou.
01:01 Donc oui, c'était très très joyeux.
01:04 Et comme d'habitude, on ne peut jamais s'attendre à comment un film est réceptionné.
01:09 Là j'avoue que c'était très surprenant aussi,
01:12 parce qu'en toute honnêteté on ne s'attend jamais à ça.
01:16 Donc c'était très joyeux.
01:17 Mais vous êtes une enfant de Cannes, votre premier film avait été montré ici, à l'ACID,
01:22 le second, c'est votre deuxième fois en compétition,
01:26 forcément vous êtes un peu à domicile là maintenant.
01:29 Oui, maintenant on attend la chute, le moment où ça va retomber,
01:32 vu qu'il ne peut pas y avoir plus que ça.
01:34 Non, non, c'est évidemment à chaque fois que j'ai fait un film,
01:39 à un endroit où j'ai coupé aussi la fabrication du film,
01:43 c'est-à-dire que c'est un moment où j'arrête de monter,
01:45 je n'arrive pas à monter mes films,
01:47 et à ces différents endroits, ça a toujours été un moment assez fou,
01:51 très généreux.
01:53 Et Cannes pour moi c'est un endroit très violent,
01:55 et en même temps très beau,
01:57 parce que ça ne nous appartient plus, c'est un truc qui ne nous appartient plus.
01:59 On a fait ça et maintenant c'est aux autres,
02:01 donc c'est aussi les autres qui en parlent.
02:03 Donc évidemment c'est quelque chose qui est très joyeux dans la logique,
02:07 de s'en séparer.
02:09 C'est un film que vous vouliez faire depuis longtemps,
02:11 vous êtes passionnée par le monde judiciaire,
02:13 c'est un film de procès mais pas que,
02:15 il raconte aussi l'histoire d'une femme qui est forte, libre, moderne,
02:19 et c'est pour ça finalement qu'on la croit coupable d'avoir tué son mari dans le film.
02:23 C'est une métaphore en quelque sorte de notre société,
02:25 vous vouliez qu'il y ait à un moment donné une résonance avec un discours féministe ?
02:31 Alors non, c'est vrai que quand j'écris je ne peux pas du tout penser les choses de cette façon-là,
02:35 parce que c'est vrai que je ne théorise jamais mes films quand je les écris.
02:39 Donc non absolument pas, je fonce dans mon idée, je ne me dis pas ça,
02:45 après je me rends bien compte que ce personnage est profondément libre et féministe,
02:51 et qu'évidemment elle incarne quelque chose d'assez moderne,
02:54 et je comprends pourquoi il est vu de cette façon-là,
02:56 mais je ne l'ai pas prémédité, je ne l'ai pas préparé ça vraiment de manière théorique,
03:01 je fonctionne de manière très instinctive en fait.
03:03 Donc quand j'écris, j'écris, je me plonge dans un personnage qui m'intéresse
03:08 et qui est plus ou moins proche de moi, mais ce n'est pas théorisé.
03:13 Vous avez dit d'ailleurs au moment de recevoir votre récompense que c'était votre film le plus intime,
03:17 qu'est-ce que vous entendiez par là ?
03:19 Je pense que c'est le film le plus intime,
03:24 parce que c'est un film que j'ai aussi écrit pendant le Covid,
03:27 donc dans une période très particulière, on était quand même tous dans des bulles,
03:30 très enfermés, j'ai rarement été aussi seule et en même temps aussi accompagnée,
03:34 parce que mes producteurs étaient très très très présents dans l'écriture
03:38 et en même temps je travaillais avec mon compagnon,
03:40 donc c'est vrai que c'était très particulier, les choses prenaient tout de suite une dimension très affective.
03:46 Donc voilà, oui.
03:48 Il y a de la joie évidemment à la réception de ce prix, on a bien vu votre émotion.
03:53 Il y avait aussi l'envie peut-être d'utiliser ce prix comme une tribune,
03:58 en tout cas de vous montrer solidaire votre charge politique lors du discours de remerciement,
04:03 fait déjà réagir, la ministre de la Culture vous félicite pour votre palme,
04:08 mais se dit, je cite, "estomaqué par un discours injuste".
04:12 Qu'est-ce que vous avez envie de lui répondre ?
04:15 Je le comprends de son point de vue qu'elle pense comme ça,
04:18 après je pense que je ne suis pas seule dans ce milieu à penser comme ça,
04:22 je suis entourée de beaucoup de gens qui constatent à quel point,
04:26 évidemment à ma position à moi, j'ai quand même une grande facilité à financer mes films,
04:31 mais je vois bien autour de moi que les gens qui démarrent,
04:33 c'est plus difficile pour les plus petites productions,
04:35 et la question de la rentabilité des films est une question qui est très présente en ce moment
04:41 au sein des financements étatiques, et c'est une chose quand même qui a signifié,
04:44 c'est-à-dire que l'exception culturelle française, on nous l'envie dans le monde entier,
04:48 parce qu'elle dit justement que les films n'ont pas besoin d'être rentables,
04:51 et c'est ce qu'on nous envie, et je pense que non, il y a quand même un glissement lent,
04:57 alors peut-être qu'il n'est pas encore là totalement,
04:59 mais en tout cas vers l'idée qu'on doit vraiment penser à cette rentabilité des films,
05:03 et je pense que c'est quelque chose de fondamental dans l'histoire de la culture française,
05:08 de justement préserver cette idée de la non-rentabilité des films,
05:14 alors voilà, je ne dis pas qu'il ne faut qu'aucun film ne fasse d'entrée,
05:18 mais en tout cas c'est important de laisser cette porte ouverte,
05:21 et c'est aussi comme ça que d'autres réalisateurs peuvent arriver,
05:25 et moi j'en suis la preuve vivante,
05:26 c'est-à-dire que j'ai commencé à faire des films qui ne faisaient pas d'entrée,
05:28 donc voilà, j'en ai fait d'autres qui ont fait des entrées,
05:30 mais je veux dire, c'est cette porte qui doit rester ouverte,
05:33 et c'est pour ça que je me suis exprimée aujourd'hui de cette façon-là,
05:37 donc je comprends son estomac, mais en tout cas je ne suis pas la seule à penser comme ça.
05:47 C'est un message que vous aviez prévu de faire passer,
05:49 on vous voit étonnée au moment de l'annonce de la Palme d'Or,
05:52 on dit Justine Frier, Palme d'Or 2023,
05:55 vous aviez quand même en tête ce discours quoi qu'il arrive ?
05:58 Ah oui, tout à fait, je l'avais écrit, oui,
06:00 parce que je ne me sens pas…
06:03 Cannes pour moi a toujours été un endroit où les gens s'exprimaient politiquement
06:07 par rapport à la situation du pays, du monde,
06:09 je veux dire, ce n'est pas nouveau en fait,
06:11 donc oui, c'est un endroit où on doit garder une liberté de penser, de parler,
06:15 et je ne pense pas avoir dit des choses profondément différentes
06:20 de plein de gens qui pensent de cette façon-là,
06:23 et je pense qu'il n'y a qu'à voir ce qui se passe en ce moment dans les rues de Paris,
06:26 des rues même en France,
06:28 les gens sont extrêmement… il y a une vraie fracture très profonde, historique cette année,
06:32 donc je ne suis pas en train de faire sortir ça de mon chapeau de nulle part.
06:36 Merci beaucoup Justine Frier et bravo pour votre Palme d'Or.
06:39 Merci, merci beaucoup.

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