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Le journaliste Fabrice Arfi était l'invité de France Inter lundi 29 mai à l'occasion de la publication d'un livre pour les 15 ans de Mediapart. Le journaliste déplore notamment "l'épidémie de la réalité parallèle", qui est "un poison qui gagne partout, y compris dans les cercles intellectuels et politiques français".

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 Nicolas Salamé, votre invité ce matin est journaliste co-responsable du pôle enquête
00:04 de Mediapart.
00:05 Bonjour Fabrice Arfi.
00:06 Bonjour.
00:07 Merci d'être avec nous ce matin.
00:09 Mediapart a 15 ans et pour l'occasion le journal en ligne dont vous êtes l'une des
00:12 grandes plumes sort un livre au seuil regroupant 15 des plus grandes enquêtes de votre journal.
00:17 Lorsque Mediapart a été lancé par Edouard Pleynel il y a 15 ans, rares étaient ceux
00:21 qui pariaient un copec sur ce journal en ligne payant réservé aux abonnés spécialisés
00:25 dans l'investigation.
00:26 Finalement 15 ans après vous avez déjoué tous les pronostics, vous comptez 210 000
00:30 abonnés, vous avez marqué la société française en révélant des affaires retentissantes.
00:35 Vous avez créé une marque, aussi un journal, un média connu de tous, qui est respecté
00:40 mais qui est aussi critiqué, du succès, des lecteurs et des ennemis.
00:46 Est-ce que c'est ça au fond Mediapart ?
00:47 Je dirais même que c'est ça un journal.
00:50 A partir du moment où on a décidé de mettre sur la table des informations d'intérêt
00:54 général et vérifier, ça crée du débat, ça crée de la discussion.
00:59 On essaye, mais comme le fait n'importe quel média, comme vous le faites ici, et
01:02 évidemment le service public, avec vous, de créer une grammaire commune, y compris
01:06 pour ne pas être d'accord.
01:08 Mais cette grammaire commune ça s'appelle les faits, les opinions, tout le monde peut
01:11 en avoir.
01:12 Et c'est ce qu'on essaye de faire méthodiquement, difficilement, de manière brouillonne, patiente
01:17 tous les jours.
01:18 On va en parler des critiques de Mediapart dans un instant, mais d'abord sur ce livre,
01:21 comment vous avez choisi ces 15 enquêtes qui paraissent dans le livre ?
01:25 Ça a été dur, non ? Parce que je rappelle que Mediapart a publié 6300 enquêtes en
01:30 15 ans.
01:31 En fait, vous en avez présélectionné 100 et vous avez demandé à vos lecteurs de choisir
01:34 les 15 plus marquantes, c'est ça ?
01:35 C'est ça, avec Michael Aschdenberg qui est l'autre personne qui dirige le pôle d'enquête
01:40 à Mediapart.
01:41 On a voulu faire ce livre comme on ferait une pause et on a sollicité ceux qui nous
01:45 lisent pour nous aider à construire le sommaire.
01:48 Il y a eu un espèce de sondage qui a été fait auprès de plusieurs milliers de personnes
01:52 et ça nous a permis, y compris parce que nous on fait l'émission d'un message, mais
01:58 ce qui est important c'est aussi sa réception chez ceux qui nous lisent, qu'est-ce qui
02:00 les a marqués ces 15 dernières années ? C'est comme ça qu'on a bâti ce sommaire-ci.
02:04 Alors on trouve évidemment l'affaire Cahuzac qui a marqué un tournant dans l'histoire
02:07 de Mediapart.
02:08 Vous écrivez qu'il y a un avant et un après l'affaire Cahuzac.
02:10 Il y a aussi évidemment l'affaire Bettencourt, l'affaire Beaupin, l'affaire Benalla, celle
02:14 sur l'argent russe de Marine Le Pen, celle sur Adèle Haenel.
02:17 Quelle est à vos yeux, à vous, je demande l'avis subjectif de Fabrice Arfi, la plus
02:22 marquante ?
02:23 Alors c'est terrible parce que je vais citer une des enquêtes que j'ai faites.
02:27 Alors c'est pas très faire vis-à-vis de mes camarades mais disons qu'il y a une histoire
02:32 qui pour moi, à titre personnel, est vraiment très importante.
02:35 C'est l'affaire dite des financements libyens de Nicolas Sarkozy et le chemin parcouru depuis
02:40 nos premières révélations qui datent de l'été 2011.
02:42 Et aujourd'hui, dix ans après l'ouverture d'une enquête judiciaire, le parquet financier
02:47 qui demande un procès, rien de moins pour un ancien président de la République, Nicolas
02:51 Sarkozy, et trois anciens ministres dont deux anciens de l'intérieur, dans une affaire
02:57 dont je rappelle le cœur du soupçon, c'est d'une démocratie qui est soupçonnée d'avoir
03:01 été stipendiée par une effroyable dictature.
03:03 Elle est à vos yeux la plus importante ?
03:05 Elle n'est pas importante pour moi, en fait elle est importante de mon point de vie pour
03:08 l'histoire de notre pays.
03:09 Ce livre est aussi l'occasion, Fabrice Affi, de répondre aux critiques de vos détracteurs.
03:14 L'avant-propos est en ce sens révélateur.
03:16 Vous écrivez « Notre travail ne se résume pas à dégommer des personnalités publiques
03:20 comme certains de ceux qui adorent nous détester voudraient le faire croire.
03:23 Nous enquêtons sur tout le monde ». Pourquoi cette mise au point ?
03:25 Parce que je crois qu'il y a chez une partie de certaines coteries, mondanités politiques,
03:33 de gens qui, comme on l'écrit avec Michael, adorent nous détester, des effets réputationnels
03:39 de gens qui refusent même de nous juger sur pièce.
03:41 Et donc, bien sûr, comme tout organisme, Mediapart est critiquable et nous avons à
03:47 répondre des critiques à condition qu'on nous donne des cas précis, des exemples
03:51 précis pour pouvoir contribuer à cette discussion.
03:54 Alors, par exemple, je vais vous citer, il n'est pas le seul, mais c'est vrai que ça
03:58 a été très reposté sur les réseaux sociaux, l'édito de Pascal Praud la semaine dernière,
04:04 ça vous fait marrer, pour fêter à sa manière les 15 ans de votre journal.
04:08 Il est très virulent.
04:09 Son fondateur, Edouard Plenel, pratique un journalisme militant qui prend racine dans
04:13 l'ultra-gauche dont il est l'un des porte-parole.
04:15 Monsieur Plenel prend ses informations chez certains magistrats qui partagent avec lui
04:19 ses rêves de grand soir.
04:20 Monsieur Plenel mène des campagnes de presse odieuses, campagnes exclusivement à charge,
04:25 qui demandent des tribunaux populaires et réclament des têtes.
04:27 Un journalisme partisan, une volonté de couper des têtes, des campagnes à charge.
04:33 Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
04:34 Mais si vous voulez, vous me demandez de répondre à une personne, une sorte de boussole qui
04:37 monte le sud.
04:38 Moi, quand j'ai vu cet édito, d'abord, j'ai un peu souri et j'ai plutôt eu l'impression
04:43 que quelqu'un avait tendu un miroir pour se regarder dedans, Monsieur Pascal Praud.
04:48 Voilà, c'est vraiment pas l'alpha et l'oméga de la discussion, cette histoire de couper
04:52 de tête, de journalisme procureur, policier, magistrat.
04:55 C'est ça, au-delà de ce que dit Pascal Praud, ce qu'on entend chez beaucoup de gens, et
04:59 la musique est plus…
05:00 Enfin, chez certaines personnes, oui.
05:01 C'est la personne qui a raison de ne pas beaucoup nous aimer.
05:03 Oui, oui, mais c'est aussi pour ça que vous l'entendez.
05:05 Vous dites vous-même, et la musique se fait plus forte aujourd'hui qu'il y a peut-être
05:10 deux ou trois ans, qu'est de dire oui, ils vont trop loin, c'est des procureurs, des
05:14 coupeurs de tête.
05:15 Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
05:16 D'abord, moi, j'ai jamais trouvé que c'était une insulte d'être procureur, policier ou
05:20 juge, sauf que c'est pas notre rôle social.
05:22 On est journaliste, on publie des informations et on répond de ce qu'on fait devant les
05:26 tribunaux.
05:27 Donc, c'est vraiment de créer des espèces de bulles de réputation pour une seule raison,
05:32 de ne pas répondre des informations qui sont publiées et desquelles nous répondons dans
05:37 le débat public.
05:38 Donc, c'est vraiment des espèces de théâtre, de petites sociétés du spectacle qui veulent
05:44 empêcher que les informations existent.
05:46 Alors maintenant, sur le fond, cette petite musique que vous jugez délétère pour la
05:50 démocratie, vous l'avez aussi beaucoup entendu il y a dix jours, quand la Cour d'appel a
05:54 condamné Nicolas Sarkozy à trois ans de prison, dont un ferme a purgé sous bracelet
05:58 électronique pour corruption et trafic d'influence dans l'affaire dite des écoutes, l'affaire
06:01 dite Nicolas Sarkozy, je rappelle, s'est prouvé en cassation.
06:04 Vous vous êtes ému, Fabrice Sarphy, je vous cite, du déni politique mais aussi médiatique
06:08 qui a entouré cette décision de justice pourtant historique à vos yeux.
06:12 Et vous dites aussi, au lieu de se dire on a peut-être un problème avec la politique
06:15 en France, la petite musique politique et médiatique c'est "on a peut-être un problème
06:19 avec la justice en France".
06:20 Oui, c'est étonnant et ça n'est pas que le cas de M. Sarkozy, même si je considère
06:26 qu'il y a une particularité du sarkozisme dans la question des atteintes à la probité.
06:30 C'est que si on décentre un tout petit peu la discussion, si vous voyez des multiplications
06:35 d'affaires de trafic de stupéfiants, de drogue, de braquages, on se dit on a un problème
06:40 avec le trafic de drogue et les braquages.
06:41 Pour la délinquance en col blanc, comme on l'appelle, plus il y a des condamnations,
06:46 plus il y a des affaires.
06:47 Le problème n'est pas la corruption, le problème c'est la justice, le problème
06:51 c'est la presse qui révèle les affaires.
06:53 Et ça raconte pour moi une sorte de grand impensé culturel français, de déni vis-à-vis
06:58 de ces questions-là.
06:59 Je rappelle quand même qu'on est le pays d'un président condamné pour des atteintes
07:03 à la probité, Jacques Chirac, de son successeur qui a été condamné pour des atteintes à
07:06 la probité, Nicolas Sarkozy.
07:08 Le premier ministre du premier, Alain Juppé, a été condamné pour des atteintes à la
07:11 probité.
07:12 Le premier ministre du second, François Fillon, a été condamné pour des atteintes à la
07:15 probité.
07:16 Je pourrais citer par exemple six des huit ministres de la justice, des derniers ministres
07:20 de la justice, sont dans les filets de la justice en anticorruption.
07:23 Quand on a un curriculum vitae judiciaire comme celui-là, je crois que c'est comme
07:28 un bon moment mathématique, on nous pose un problème et plutôt que, comme l'avait
07:31 dit Chirac pour la crise climatique, quand la maison brûle, on ne regarde pas ailleurs.
07:36 Vous dites, la France va-t-elle enfin ouvrir les yeux sur sa corruption ? Pour vous, elle
07:40 n'ouvre pas assez les yeux ? Elle pense que la corruption c'est la Grèce, c'est l'Italie,
07:43 c'est pas nous, c'est ça ?
07:44 Voilà, c'est-à-dire qu'il y a un peu une espèce d'insularité française vis-à-vis
07:47 de ces questions-là, comme si c'était les autres, comme si ça ne nous concernait pas
07:51 en tant que citoyenne et citoyen, comme si ce n'était pas de notre rapport entre représentants
07:56 et représentés dont on parlait, comme si ce n'était pas de notre argent dont on parle,
08:00 puisque la corruption ça nous coûte à nous, à tous ceux qui nous écoutent, dans leur
08:03 portefeuille, et ça crée cette espèce de très grande fatigue démocratique au point
08:07 qu'aujourd'hui si des gens manifestent par exemple contre le pouvoir en place, celui
08:11 d'Emmanuel Macron il tape sur des casseroles, ce qui me paraît en termes de symbole légèrement
08:16 fort.
08:17 Mais sur cette condamnation, la condamnation d'il y a dix jours de Nicolas Sarkozy, plusieurs
08:20 voix ont fait entendre, ont critiqué cette décision de justice, je vous en cite quelques-unes,
08:25 un du Habel sur BFM, entre le contenu de cette affaire, celle des écoutes et le jugement
08:28 donné, je trouve qu'il y a une disproportion qui me paraît évidente.
08:31 - L'agrégé de droit pénal à l'individu ?
08:33 - Enfin il a le droit de le dire, Franz-Olivier Gisbert dans Le Point a dénoncé une sentence
08:37 totalement surréaliste, un déni de justice et un mauvais procès fait au chef de l'État.
08:40 Enfin Alain Finkielkraut dans Le Figaro parle, je vous cite, de l'hubris du pouvoir judiciaire
08:45 que rien ne semble pouvoir arrêter et d'une presse médiapartisée, ça c'est pour vous,
08:49 d'une presse, enfin pour nous d'ailleurs, d'une presse médiapartisée qui voudrait
08:52 nous faire croire que nous vivons encore autant de rublasses et qu'une opération
08:55 d'impropre s'impose de toute urgence, vous leur avez répondu dans un article cinglant,
08:59 c'est-à-dire quoi ? Pour vous ils n'ont pas le droit de critiquer cette décision de justice ?
09:04 - Mais pas du tout, c'est pas une question de droit, ça n'a rien à voir avec le droit,
09:06 c'est une question de quoi nous débattons.
09:08 Et quand on efface à ce point la frontière entre les faits et le faux, eh bien on empêche
09:15 le débat public, c'est-à-dire que chacun est dans cette espèce de bulle de réassurance,
09:19 d'espoir, dans lequel c'est ta vérité contre ma vérité.
09:23 Et quand la vérité déplait, on dit que c'est une opinion dissidente avec laquelle
09:26 on n'est pas d'accord.
09:27 - Eux citent le mur des cons, enfin qu'elles retitrent le mur des cons en disant que c'est
09:31 une justice politisée qu'en veut à Sarkozy, voilà ce qu'ils disent.
09:33 - Oui mais c'est absolument délirant, ça s'appelle du Trumpisme ça.
09:36 Je veux dire, on peut se rire de ce qui s'est passé ou pleurer de ce qui s'est passé
09:41 dans d'autres pays, cette épidémie-là de la réalité parallèle, des vérités alternatives
09:47 est un poison qui gagne partout, y compris dans les cercles intellectuels et politiques
09:51 français.
09:52 - Mais quand vous entendez la politologue associée à la Fondation Jean Jaurès, Chloé
09:55 Morin, dans son livre, estimer que la culture de la transparence après l'affaire Cahuzac
09:59 a eu des effets pervers, c'est ce qu'elle écrit dans son livre, loin de restaurer la
10:02 confiance dans la vie publique, l'ensemble des règles mises en place depuis 10 ans n'a
10:05 fait que conforter les préjugés de ceux qui, très majoritaires en France, ne voient
10:09 en les politiques que des corrompus.
10:10 Qu'est-ce que vous répondez à ça ? C'est une chercheuse qui dit ça.
10:13 - Oui, mais c'est pas parce qu'une chercheuse dit que c'est vrai.
10:17 - Non, je ne dis pas qu'elle a la vérité.
10:19 - Non, je crois pas.
10:20 Je crois que la défiance vient de l'ignorance et ne vient pas de la publicité.
10:24 Je pense exactement l'inverse.
10:26 Mais le problème de ce mot de transparence, c'est qu'il est piégé, puisqu'il donne
10:30 en lui-même, dans sa définition, l'impression qu'on voudrait voir au travers des gens.
10:33 Ça n'est évidemment pas la question.
10:34 Et je l'utilise, ce mot, comme n'importe qui, mais c'est un mot qui a été inventé
10:38 et développé, je crois, par ceux qui précisément n'en veulent pas.
10:40 - Mediapart, 15 grandes enquêtes, c'est du publi au seuil.
10:44 Merci Fabrice Arfil, d'être venu ce matin.
10:46 - Merci à vous.

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