Héloïse Linossier et Kevin Cicurel : "La presse jeu vidéo a longtemps été formatée dans des carcans"

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La presse du jeu vidéo est à bout de souffle : Héloïse Linossier et Kevin Cicurel journalistes spécialisés dans les jeux vidéo et membres fondateurs d'Origami, média spécialisé qui verra le jour en septembre. Ils sont les invités du 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-vendredi-16-juin-2023-7628430
Transcript
00:00 Il est 6h20, un nouveau média va voir le jour dans un secteur archi-dynamique, le jeu vidéo,
00:05 une industrie qui brasse des milliards, qui a été l'une des rares à ne pas s'effondrer
00:08 pendant l'épidémie de Covid. En France, c'est même le premier marché culturel. Et pourtant,
00:13 on va voir que c'est pas si facile pour des journalistes de travailler dans ce milieu.
00:16 Bonjour Héloïse Linossier et Kevin Sicurel. Vous êtes tous les deux journalistes spécialisés dans
00:21 les jeux vidéo et vous faites partie des cinq co-fondateurs d'Origami, alors qu'il ne sera pas
00:26 un magazine papier, il se déclinera en ligne. Des sites sur le jeu vidéo, il y en a déjà un paquet,
00:31 comment comptez-vous vous distinguer Héloïse ? Alors tout simplement, en ne fondant pas exactement
00:35 un site, l'intérêt c'est de partir vers un modèle économique un peu différent. On ne va pas
00:40 s'attabler sur les... On ne va pas attendre des pubs en fait de nous apporter l'argent dont on a
00:46 besoin pour fonctionner. Ce sera un média qu'on dit décentralisé, c'est un terme qui est un peu
00:50 sujet à controverse en ce moment, mais c'est tout simple, on sera hébergé sur les plateformes de
00:55 diffusion comme Twitch, comme Youtube ou comme directement dans votre boîte mail, il y a une
01:00 newsletter. Donc nous on a vraiment l'envie d'aller chercher directement les lecteurs, les auditeurs,
01:05 les spectateurs où ils sont. Et sur le contenu, j'ai vu votre vidéo de présentation, vous dites
01:09 que ce sera du journalisme indépendant, éthique et rigoureux. Parce que ce n'est pas le cas
01:14 aujourd'hui dans le secteur du jeu vidéo, Kevin Sicurel ? Alors c'est un peu dur de dire ça,
01:19 mais ça ne l'a pas toujours été à ce point-là et en fait effectivement on arrive à un moment où
01:24 le journalisme jeu vidéo, qu'il soit en ligne ou à plus forte raison papier, a du mal à subsister.
01:30 Et une des manières qu'il a eu de subsister, ça a été de peut-être se dévoyer un petit peu en
01:37 faisant du contenu qui n'a plus vraiment affaire au journalisme et qui va plutôt aller chercher
01:42 à générer des vues et du clic facile, parce que c'est le modèle de la publicité, c'est justement
01:48 celui qu'on essaie d'éviter. Des contenus qui font davantage plaisir aux éditeurs, qui mettent
01:51 une petite pression un peu. Est-ce que vous l'avez ressenti dans les précédents supports
01:57 pour lesquels vous avez travaillé ? Oui un peu, il y a eu une suite des annonceurs, moi je viens de
02:03 la presse magazine donc je l'ai très bien perçu, dans le sens où ils ont eu de nouveaux supports
02:09 qui étaient peut-être un peu plus avantageux pour eux tout simplement sur YouTube par exemple,
02:13 avec les youtubeurs, sur les plateformes de streaming, tout simplement parce que là on a
02:19 affaire à des créateurs de contenus qui n'ont pas forcément besoin de venir critiquer à deux
02:25 pages plus loin finalement le jeu ou le produit qui a été... C'est plus simple pour eux et plus
02:30 intéressant de travailler avec des influenceurs qui n'ont pas tendance à les critiquer ou à dire
02:33 "bon votre jeu vidéo il n'est pas si terrible que ça" plutôt que d'être avec des journalistes.
02:36 Exactement et puis il y a aussi, on a vu les influenceurs, les vidéastes se sont vraiment
02:42 développés ces 15 dernières années et donc il y a un public qui est monstre, ça peut être plus
02:49 intérêt que d'aller dans un magazine spécialisé qui a peut-être un peu moins de lecteurs et un peu
02:53 moins de visibilité mais qui va pas traiter le sujet de la même manière. Alors revenons à votre
02:57 projet Origami, il va prendre quelle forme exactement ? Vous nous avez dit médias décentralisés ?
03:02 Décentralisés, alors on est à la protéiforme on va dire, c'est peut-être un terme un peu plus juste
03:07 mais vas-y Kevin je te laisse expliquer. Oui alors on en a parlé un petit peu mais la base du projet
03:13 c'est tout de même d'avoir un média entièrement financé par son public ou en tout cas très
03:17 majoritairement financé par son public et de là découle donc plusieurs choses. Donc déjà
03:24 c'est cette volonté de ne pas avoir un site qui va centraliser, c'est pour ça qu'on utilise souvent
03:28 le terme décentralisé, qui va pas centraliser toutes les infos au même endroit et en fait à
03:33 partir du moment où on est financé par notre public c'est déjà quelque chose qu'on voit beaucoup dans
03:37 le milieu du podcast ou d'autres milieux attenants, on peut se permettre beaucoup plus
03:42 d'ouverture et de liberté dans les formats qu'on propose et donc nous on pense vraiment
03:47 à porter de nouveaux formats dans le jeu vidéo. La presse jeu vidéo est une presse qui a été
03:52 très longtemps formatée dans des carcans très vraiment immuables de tests de jeux vidéo.
03:58 Il y avait une exhaustivité qui était nécessaire en fait, on avait besoin de présenter absolument tous
04:04 les jeux qui sortaient, on devait faire ce qu'on appelle une preview donc c'est un test avant la
04:08 sortie du jeu, le test à ce moment là et après peut-être des sujets qui... La colonne point
04:13 positif, point négatif, etc. Et il y a autre chose à faire, c'est ça c'est pas que du test. En tous
04:18 les cas nous on pense que voilà il y a quelque chose... C'est des enquêtes sur les éditeurs par
04:21 exemple, des reportages, notamment effectivement. Ou même du contenu plus afférent directement au
04:27 jeu vidéo lui-même mais sous des angles un petit peu plus originaux comme le font
04:33 certains et certaines influenceurs et influenceuses d'ailleurs on va pas non plus non renier tout leur
04:38 travail. Et on se retrouve du coup dans une situation hyper confortable, on va avoir un sujet et on va
04:43 se dire quel est le support qui va être le plus à même d'expliquer et de montrer le sujet de la
04:49 meilleure des manières. Donc ça c'est un luxe incroyable en tant que journaliste de se dire bon
04:52 bah voilà je vais pouvoir faire de la vidéo, si j'ai besoin d'un live je ferai un live, si j'ai
04:56 envie de faire une enquête écrite on trouvera le moyen de le publier du coup sur un site vitrine
05:01 par exemple, une sorte de blog ou ce genre de choses. Et ça c'est juste un plaisir en fait de
05:06 pouvoir se dire ça et de ne pas être bloqué par des décideurs en haut qui vont dire "ah bah non c'est
05:10 un peu trop cher quand même, faut pas faire ce genre de choses". Je voudrais revenir au financement parce
05:14 que vous dites que ce sera par vos lecteurs, auditeurs, voilà ceux qui vont vous suivre mais
05:19 je reviens à cette petite vidéo de présentation que vous avez publiée dans la vidéo, vous dites
05:23 c'est un média qui paye bien, donc ça veut dire que c'est pas forcément le cas aujourd'hui dans le
05:28 monde du jeu vidéo, et dont l'essentiel du contenu restera gratuit. Alors si c'est gratuit, il ne paye pas ?
05:33 En fait c'est un modèle qui peut un peu surprendre mais auquel on croit profondément
05:38 aujourd'hui, qui a été installé avant nous, on n'invente pas ce modèle là. Moi par exemple j'ai
05:42 travaillé longtemps sur une chaîne de télévision spécialisée aussi qui s'appelait "No Life" et qui
05:47 avait déjà ce modèle là, c'est à dire que c'est une chaîne dont l'accès était entièrement gratuit
05:50 mais qui proposait un abonnement de soutien. C'est l'équivalent un peu moderne de passer
05:55 le chapeau après un spectacle en quelque sorte. Et nous on tient vraiment justement à ce que
06:00 les gens payent pour nous soutenir s'ils estiment que ça en vaut la peine.
06:05 C'est risqué d'être au bon vouloir et de ne pas faire un abonnement régulier, non ?
06:09 C'est risqué mais c'est quelque chose auquel on croit vraiment aujourd'hui, enfin on croit vraiment
06:15 en notre capacité à faire tenir un média comme ça aujourd'hui. Et il est important pour
06:20 nous de ne pas mettre l'info ou le contenu qu'on propose derrière un paiement en fait, parce
06:26 qu'on pense aussi qu'il est aujourd'hui important que l'info soit accessible à tout le monde.
06:29 Et puis pour le moment ça commence bien parce que vous avez lancé une campagne de financement
06:32 participatif, vous aviez besoin de 75 000, c'était l'objectif que vous étiez fixé.
06:36 Là j'ai regardé, vous êtes à 133 000, voilà vous avez quasiment doublé ce que vous
06:41 souhaitiez avoir. Ça va vous servir à payer quoi tout ça ? Vous en êtes où en fait du projet ?
06:46 Ça va être les charges fixes principalement parce que créer une entreprise, on l'a un peu
06:49 découvert à ce moment-là, c'est quand même hyper coûté. Il y a déjà le plateau à équiper
06:54 parce qu'on ne peut pas faire quelque chose à moitié et c'était vraiment pour ça qu'on avait
06:58 fixé la barre à 75 000 euros. Il va y avoir les salaires à avancer, il va y avoir le loyer à
07:03 avancer parce que je crois que c'est six mois à avancer d'un coup comme ça. Donc en fait ça va
07:08 être tout ça qui va nous permettre aussi d'avoir un fonds de roulement et un confort qui va faire
07:13 qu'on va pouvoir pas rester juste entre nous, à nos cinq, et aller chercher des talents à droite à
07:17 gauche qui ont subi les fermetures de rédaction et qui se retrouvent à devoir soit faire une
07:23 reconversion, soit à travailler pour presque rien et dans des conditions qui ne sont pas possibles.
07:28 Et le top départ c'est pour quand ?
07:29 Ce sera pour septembre, ce sera pour la rentrée de septembre.
07:32 Et la dernière question, pourquoi ce nom Origami ?
07:34 Alors parce que c'est très dur...
07:36 Rien à voir avec la petite cocotte en papier ?
07:37 Bah si un petit peu, mais tout d'abord c'est parce que c'est très dur de mettre cinq personnes
07:41 d'accord.
07:42 Cinq journalistes en plus, c'est pour un titre ?
07:45 Parce qu'on trouvait ça joli et qu'il y a quelque chose de ludique dans le pliage de papier,
07:50 tout ça qui nous paraissait assez convenir à la manière qu'on avait d'aborder le jeu vidéo.
07:54 C'est-à-dire que vous avez plié, déplié le jeu vidéo dans tous les sens ?
07:58 C'est ça, exactement.
07:59 Merci beaucoup Héloïse Linossier et Kevin Sicurel, donc tous deux cofondateurs d'Origami.
08:04 Vous êtes cinq au total et ce média va voir le jour donc courant septembre.
08:08 Bon courage et bonne continuation à vous.
08:10 6h28.

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