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Le Média reçoit Médine pour la première de “ Ma France à moi “. “ Ma France à moi “ c’est une émission qui retrace le parcours de grandes figures qui marquent nos luttes contemporaines et qui osons le dire, changent la France. Médine c’est un rappeur, producteur et militant venu tout droit du Havre ! Le fil rouge de la carrière musicale de Médine, c’est son engagement. Figure emblématique de ce qu’on appelle le rap conscient ou engagé, on a demandé à Médine comment est né ton engagement ? Comment son regard s’est affuté ? Quelle presse lit-il ? Médine a toujours été de tous les combats. On connait son engagement en faveur des luttes anticoloniales, aujourd'hui il se distingue par ton investissement dans la lutte contre la réforme des retraites. Pourquoi avoir choisi ce combat ? Quelle est la séquence qui l'a plus marquée ? Et si c'était à refaire, quel chemin prendrait-il ? Une interview passionnante et authentique, animée par le réalisateur Romain Moriconi.

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Transcription
00:00 je conçois les choses de façon subversive en fait.
00:03 Même l'art, si l'art ne me provoque pas de réaction,
00:08 si ça ne me dérange pas, si ça ne vient pas me déranger dans mes croyances,
00:14 dans mes certitudes, c'est du divertissement.
00:18 J'ai l'impression que tous les gens de ma génération
00:21 ont été confrontés trop rapidement à des questions d'adultes
00:27 auxquelles il fallait répondre alors qu'on n'avait même pas fini notre processus individuel de construction.
00:34 J'ai dû répondre trop vite selon moi à des questions et ça m'a politisé.
00:40 Aujourd'hui je le relativise, il y a une part de ces combats-là qui étaient trop grands pour moi
00:47 et il y a une autre part que j'affronte et je me dis mais de toute façon,
00:52 c'est arrivé trop tôt pour moi mais ce serait arrivé dans ma vie.
00:55 La retraite pour moi c'est, je vais finir en Henri Salvador à 80 piges avec une guitare sur une scène à...
01:03 Tu vois ce que je veux dire ? C'est un peu ça dans l'esprit des artistes mais
01:07 ça n'empêche que je suis sensible en fait à la douleur de les boueurs qui passent devant chez moi,
01:14 à la douleur de ma propre mère qui est assistante maternelle,
01:18 de toutes ces personnes qui gravitent autour de moi
01:22 et qui vont devoir effectuer des métiers pénibles pendant tant d'années.
01:25 Donc c'est un combat qui s'impose à nous en fait.
01:29 Et la prochaine étape c'est quoi ? Médine, Mère du Havre ?
01:33 Pourquoi pas.
01:35 Tu y penses ?
01:37 J'y pense sous forme de boutade, j'en rigole dans des morceaux comme ça mais
01:42 le but c'est pas d'être maire, le but c'est qu'il y ait une ville de plus en plus équitable.
01:50 Bienvenue sur Le Média TV, c'est avec un immense plaisir que l'on reçoit Médine
01:54 pour la première de Ma France à Moi.
01:56 Ma France à Moi c'est une émission qui retrace le parcours de grandes figures
01:59 qui marquent nos luttes contemporaines et qui osons le dire, changent la France.
02:04 Médine c'est un rappeur, producteur et militant venu tout droit du Havre.
02:09 Salut Médine.
02:10 Salut.
02:11 Merci d'être avec nous et d'avoir répondu présent.
02:13 Avec plaisir.
02:14 Tu le sais sûrement Le Média en fait c'est la première web télé de gauche indépendante
02:17 et véritablement inclusive.
02:19 C'est important pour nous de peser dans l'information parce que le savoir et le pouvoir
02:22 passent par l'information.
02:24 Ce qui m'amène à te poser une première question, comment est-ce que toi tu t'informes ?
02:29 Je m'informe via les réseaux sociaux essentiellement.
02:32 Parce que je suis abonné à des comptes de médias officiels, traditionnels.
02:39 Et donc c'est Mediapart, c'est Politis, ce genre de médias là.
02:44 Et parce que j'ai l'impression qu'ils ne sont pas dans quelque chose d'hyper instantané,
02:50 ils ne sont pas dans un traitement de l'information trop rapide, à chaud, émotionnellement.
02:55 Je pense que c'est dangereux cette sur-information pour notre santé mentale, pour nos équilibres.
03:04 Voilà, c'est pas utile pour moi de savoir tout à tout moment, tout instant de la journée.
03:10 Il faut traiter les informations sur des timings différents selon moi.
03:14 Il y en a qui nécessitent d'être reçus rapidement, d'autres sus dans une semaine, dans un mois,
03:21 en fonction de l'enquête et de l'importance de l'information.
03:25 En fait on voulait commencer l'interview en parlant de ton parcours,
03:29 et puis on a été vite rattrapé par une actualité, et pas des moindres.
03:32 Cette semaine s'ouvre le premier procès aux assises pour terrorisme d'extrême droite.
03:37 Cinq personnes appartenant à une mouvance néo-nazie, dont un gendarme,
03:41 sont accusées d'avoir voulu commettre des attentats contre des mosquées, des institutions juives,
03:46 des mythiques de Jean-Luc Mélenchon, et contre toi.
03:50 Comment est-ce que toi tu as réagi en apprenant que tu étais la cible potentielle d'un groupe extrémiste ?
03:55 Ça ne m'a pas vraiment surpris, parce que moi je suis la cible de différents groupes extrémistes depuis quelques temps.
04:03 Parfois des néo-nazis, parfois des extrémistes religieux.
04:07 Du coup je n'ai pas été plus surpris que ça.
04:09 Ce qui m'a surpris c'est de l'apprendre très tardivement, par voie de presse,
04:15 et que je n'ai pas été contacté par les autorités pour prendre une quelconque mesure.
04:22 C'est ce qui m'a un peu plus surpris.
04:23 Ah oui, tu l'as appris par la presse ? Tu n'as pas reçu un appel des autorités ?
04:29 Non, je l'ai appris dans Politis, quand l'affaire a été révélée.
04:33 Ok. Alors on a appris que Jean-Luc Mélenchon s'est constitué parti civil dans le procès,
04:37 est-ce que toi tu penses aussi que tu vas faire ça ?
04:39 Non, j'y ai pensé, j'y ai songé.
04:41 Après j'ai consulté mes équipes d'avocates et ils m'ont dit que ce n'est pas vraiment nécessaire.
04:48 Ça ne va rien apporter forcément de supplémentaire à l'enquête,
04:51 sachant que Jean-Luc Mélenchon et d'autres organismes visés se sont portés parti civil eux.
04:59 L'idée c'est surtout de protéger les populations d'éventuellement ce qui aurait pu se passer,
05:07 de ce qui pourrait se reproduire, de ceux qui sympathisent avec ces idéologies-là.
05:13 Alors il y a un gendarme dans le lot et au-delà de la police ou de l'armée,
05:17 on a le sentiment que les idées d'extrême droite aujourd'hui,
05:20 elles infiltrent un peu tous les milieux de notre société.
05:23 Qu'est-ce que tu en penses de ça ?
05:24 Oui, je pense qu'il y a vraiment une extrême droitisation des débats publics,
05:28 une normalisation même de ces discours, c'est le plus dangereux.
05:34 Personnellement, j'en fais les frais parce que je suis un artiste
05:36 et ça fait partie des angles d'attaque de l'extrême droite,
05:41 de vouloir censurer l'art, de vouloir censurer la parole artistique.
05:48 Moi, me concernant, il n'y a pas un de mes concerts qui se déroule
05:51 sans qu'il y ait une pétition d'élus du Rassemblement National ou de Reconquête
05:57 qui se mobilise en interprétant mes textes, en les sortant de leur contexte,
06:02 en essayant de me prêter des proximités avec le radicalisme,
06:08 en disant que je suis à trois poignées de main d'un tel.
06:11 Toujours la même histoire, de faire des procès par association comme ça.
06:15 Le but, c'est d'intimider parfois les municipalités,
06:17 parfois les... C'est des méthodes, pour moi, mafieuses.
06:20 C'est des méthodes de voyous et ça contribue, je pense,
06:24 à me coller une cible dans le dos, clairement.
06:26 Et c'est ce qui fait qu'on en arrive à ce genre de menaces directes sur ma personne,
06:32 parce qu'il y a des esprits fragiles qui sont perméables à ce genre de discours
06:38 et qui finissent par amalgamer musulmans et djihadistes,
06:43 amalgamer tout un tas de personnes dans la société
06:45 et veulent s'en prendre à des gens qui font beaucoup plus pour le pays,
06:49 en réalité, que ces pseudo-élus d'extrême droite qui divisent les gens.
06:56 - Est-ce que tu ne penses pas que les médias ont aussi une responsabilité là-dedans ?
07:01 Par exemple, on a des thèmes aujourd'hui qui sont repris par les éditorialistes, les journalistes.
07:08 Je pense à "islamo-gauchiste", par exemple, "grand remplacement", "wauquisme".
07:13 Est-ce que c'est des termes qui ont un sens pour toi, par exemple ?
07:16 - Moi, j'ai longtemps été méfiant vis-à-vis des médias
07:23 et j'ai parfois même eu des mauvais réflexes de globalisation.
07:28 En fait, j'ai fini par faire de certains médias ce qui me faisait, en fait,
07:34 c'est-à-dire de globaliser et d'essentialiser en ne faisant pas la distinction.
07:40 C'est vrai qu'il y a une normalisation de certains discours et de certains, surtout, lexiques utilisés.
07:51 Quand il s'agit de définir des catégories de personnes et mal nommer les choses,
07:56 c'est rajouter au malheur du monde, comme dirait l'autre.
07:58 Donc oui, il y a forcément une part de responsabilité.
08:01 Maintenant, de là à charger le monde médiatique
08:05 et de le rendre seul responsable des maux de notre époque,
08:08 je pense que c'est une erreur.
08:10 Les plus ablamés là-dedans, ce sont ceux qui développent ces idéologies-là.
08:16 Quand on parle de "grand remplacement", ça fait référence à une idéologie qui a été développée.
08:20 Donc ne pas condamner l'instigateur de cette idéologie-là
08:27 et plutôt renvoyer la balle sur les médias, c'est déjà une erreur.
08:31 Il faut s'attaquer au problème à la racine.
08:33 Mais par exemple, récemment, on a eu le terme de "déscivilisation".
08:37 Il a été créé par un sociologue qui a été invité à l'Élysée.
08:42 Ensuite, Macron a repris ce terme-là et ensuite les médias le reprennent.
08:47 Généralement, ensuite, une fois que le mot est installé,
08:50 l'extrême droite s'en empare aussi et puis le pose sur des faits divers pour en faire une généralité.
08:56 C'est la responsabilité, surtout des élus qui manipulent ces termes.
09:01 Quand on utilise un argumentaire, quand on utilise un lexique et qu'on le normalise,
09:08 c'est qu'on le valide en fait.
09:09 Et on valide peut-être même les thèses qui sont cachées derrière ces termes-là.
09:14 Donc moi, je suis observateur un peu de tout ça.
09:17 Mon métier, c'est d'utiliser les mots, c'est de les décortiquer
09:21 et c'est d'utiliser parfois même les mots offensants, les attaques
09:24 et de les renvoyer contre les agresseurs.
09:26 Je passe mon temps à faire ça.
09:28 Parfois, ça fonctionne.
09:30 Parfois, c'est un peu moins bien compris.
09:33 J'ai utilisé les expressions comme "Islamo-raqaï".
09:36 Certains ont pensé que je m'attribuais moi-même ce titre.
09:40 En réalité, c'était pour couper l'herbe sous le pied de ceux qui nous taxent d'Islamo-raqaï.
09:45 Et il y a un discours construit, il y a une démarche culturelle,
09:49 il y a une volonté de faire progresser la langue française dans tout mon parcours.
09:56 Et du coup, quand tu utilises les mots de l'oppresseur et que tu les retournes contre lui,
10:01 ça coupe l'herbe sous le pied.
10:02 Ils n'ont même plus envie d'utiliser ce terme-là et ils vont en inventer d'autres,
10:05 parfois des encore pires, parfois il manque d'inspi.
10:08 C'est un peu mon combat aussi sémantique.
10:11 C'est d'utiliser les mots de l'agresseur et de les retourner contre lui.
10:15 - Mais dans un de tes textes, tu dis "J'étais là sous Giscard, je serai encore là sous Marine".
10:21 Est-ce que pour toi, l'arrivée de Marine Le Pen à l'Elysée, elle est inéluctable ?
10:26 - Moi, je ne suis pas devin sur ces choses-là.
10:28 Je suis un artiste, je reste à ma place d'artiste.
10:31 Et bien sûr que j'ai un regard citoyen sur les questions de société.
10:38 En tout cas, si Marine n'accepte pas la présidence en 2027, si je ne me trompe pas,
10:46 je crois qu'il y a une place confortable pour ses idées, malheureusement.
10:49 Il y a déjà des idées de Marine Le Pen qui sont déjà présentes,
10:56 à certains égards, dans le gouvernement Macron.
10:58 Il y a certaines idées qui ont déjà leur place de parking réservée là-bas.
11:05 C'est ce qui me fait le plus peur, en fait.
11:08 Plus que la personne en elle-même, c'est plus les idées qui sont à combattre.
11:13 - Alors avant de rentrer un peu plus loin dans l'interview politique,
11:16 j'aimerais qu'on parle un peu de toi.
11:18 Toi, Médine, ce n'est pas seulement ton nom d'artiste,
11:20 c'est aussi celui que ton père t'a donné en hommage à son meilleur ami, je crois.
11:25 - L'un de ses meilleurs amis, il y a une contraction avec un autre prénom qui est Médie.
11:29 - D'accord.
11:29 - C'était la volonté de ma mère.
11:31 Ils ont contracté les deux et ça a donné Médine.
11:33 - Et tu t'es fait connaître du grand public à travers des albums
11:37 avec des titres à chaque fois assez éloquents et provocateurs,
11:40 comme tu le disais justement.
11:41 Tu aimes provoquer avec les mots.
11:43 En 2004, tu sors l'album "11 septembre, récit du 11e jour".
11:47 En 2005, "Djihad, le plus grand combat est contre soi-même".
11:51 - Merci de préciser les sous-titres, c'est important.
11:53 - C'est très important, effectivement.
11:54 En 2013, "Proteste Song".
11:56 En 2017, "Prosélite".
11:58 En 2018, "Storyteller".
11:59 En 2020, "Grand Médine".
12:01 En 2022, "Médine France".
12:03 Tes titres, ils résonnent toujours avec une actualité,
12:05 j'ai l'impression, politique et polémique,
12:08 ce qui provoque des clivages dans la société.
12:11 Et d'ailleurs, tu dis souvent que c'est un peu comme un cheval de Troie,
12:14 tes titres d'albums.
12:16 Ça doit amener l'auditeur à aller explorer un peu plus
12:19 le message qu'il y a derrière.
12:22 En quoi la provocation, elle vient servir le combat politique ?
12:26 - En fait, je ne conçois pas le débat de façon platonique.
12:31 Pour moi, il y a une part de subversivité dans la discussion,
12:38 même dans l'esthétique de la discussion.
12:41 Je vais plus prêter attention à un orateur qui mord la ligne,
12:46 qui provoque son adversaire et qui va sur les sujets sensibles,
12:51 les sujets borderline.
12:53 Je vais plus prêter attention à quelqu'un qui a cette attitude-là
12:56 plutôt que quelqu'un qui arrondit les angles,
12:59 qui essaie d'être politiquement correct, surtout,
13:01 qui évite les sujets.
13:03 C'est une question de rapport, en fait,
13:06 à la... à comment dire, au débat et à la discussion.
13:10 Je conçois les choses de façon subversive, en fait.
13:14 Même l'art, si l'art ne me provoque pas de réaction,
13:19 si ça ne me dérange pas, si ça ne vient pas me déranger
13:22 dans mes croyances, dans mes certitudes,
13:28 c'est du divertissement.
13:29 Ce n'est pas de l'art.
13:30 Et je ne suis pas venu chercher du divertissement
13:33 dans certaines discussions.
13:35 Donc, si tu es juste là pour me dire ce que je sais déjà,
13:38 ça ne m'intéresse pas.
13:40 Si, par contre, on comprend que tu as un argumentaire,
13:44 qu'on va sortir des sentiers battus,
13:46 qu'on va aller au-delà de ce que la foule attend,
13:50 là, ça m'intéresse plus.
13:51 Donc, bien sûr que la provocation sert le débat,
13:55 sert le combat, selon moi.
13:57 Ça permet d'aller plus loin que le politiquement correct.
14:01 - Tu as déjà débattu avec l'extrême droite, d'ailleurs, je crois.
14:03 Tu n'as jamais refusé de débattre avec eux.
14:05 - À mon grand regret.
14:06 C'était un peu contre mon gré.
14:07 - Ah oui ?
14:08 - Ouais.
14:09 C'était organisé par Mouloud Achour de Clique TV.
14:12 - Ouais.
14:13 - Et donc, ça s'inscrivait dans un espèce de grand reportage
14:18 qui devait sortir,
14:20 où je rencontrais certains de mes contradicteurs
14:22 pour voir ce qu'ils me reprochaient.
14:24 Donc, sur le papier, c'était assez intéressant.
14:27 Sauf que quand la bagarre a commencé à avoir lieu,
14:31 une définition d'une clique, selon moi,
14:33 c'est "ça bouge quand il y a embrouille".
14:34 - Ouais.
14:35 - Et là, ça n'a pas bougé quand il y avait embrouille.
14:37 Du coup, on s'est retrouvés avec une vidéo contre-filmée
14:42 de la part de mes détracteurs,
14:44 qui ont balancé ça avec le son dégueulasse.
14:47 - J'ai été étonné quand j'ai vu cette vidéo.
14:48 - Je regrette cet échange, il est puéril, il est mesquin,
14:52 et il ne fait pas du tout parler...
14:54 Il ne donne pas une bonne lecture de plein de choses,
14:59 me concernant en tout cas.
15:01 - Mais au moins, tu ne t'es pas défilé.
15:03 - Je ne me suis pas défilé.
15:04 Moi, j'affronte toujours mes ennemis.
15:07 Je les combats jusqu'au bout, dans les règles de l'art.
15:12 On ne m'a jamais vu me rouler par terre avec quelqu'un
15:16 pour des idées, voilà.
15:18 Mais j'affronte les discussions
15:20 et je pense qu'on peut encore discuter de certaines choses.
15:25 Maintenant, ma limite, ma vraie limite personnelle,
15:28 et là, c'est un peu contradictoire avec ce qu'on vient de dire,
15:31 c'est l'extrême droite.
15:33 On ne, comme dirait l'autre,
15:35 on ne débat pas de recettes de cuisine avec des cannibales.
15:39 - Ça devient d'où, d'après toi, ce tempérament de combattant ?
15:42 - Je fais face, en fait, à ce qui m'arrive au fur et à mesure.
15:46 - Oui, mais on est tous différents par rapport à la manière de faire face
15:49 à un événement ou à des choses.
15:52 - Oui, mais je n'ai pas développé de...
15:54 Je ne pense pas avoir mentalisé le fait d'être un combattant.
16:00 J'essaie juste de ne pas me défiler.
16:02 Et en fait, aujourd'hui, dans une époque où tout est aseptisé,
16:07 j'ai l'impression que juste faire face aux grandes questions,
16:12 faire face aux débats,
16:14 c'est suffisant à faire de toi quelqu'un qui est un combattant,
16:18 un militant, etc.
16:20 Moi, j'ai juste décidé de ne pas me défiler
16:22 et de regarder les problèmes dans les yeux,
16:24 de les affronter, de les évoquer quand il faut les évoquer,
16:28 pas avec n'importe qui, encore une fois.
16:30 Mais voilà, donc j'ai pas l'impression d'être un super combattant.
16:35 C'est juste, je ne me défile pas.
16:37 Et ce n'est pas de la fausse modestie.
16:39 - Comment est-ce qu'il est né ton engagement au départ ?
16:41 Comment est-ce que ça a commencé ?
16:44 - J'ai l'impression d'avoir été politisé par les questions humanitaires.
16:51 C'est surtout ces questions-là qui m'ont politisé.
16:55 Comme beaucoup de personnes se sont tournées vers la politique
16:59 pour se mettre au service des autres, en fait.
17:02 C'est plus les questions humanitaires, un contexte géopolitique à mon adolescence
17:09 qui est, rappelons-le, post-11 septembre 2001,
17:14 et tout ce que ça génère comme débat public.
17:18 Donc du coup, je me suis un peu construit dans ce contexte-là.
17:23 Et j'ai l'impression que tous les gens de ma génération
17:26 ont été confrontés trop rapidement à des questions d'adultes
17:32 auxquelles il fallait répondre
17:33 alors qu'on n'avait même pas fini notre processus individuel,
17:38 tu vois, de la deconstruction.
17:40 J'ai dû répondre trop vite, selon moi, à des questions et ça m'a politisé.
17:45 Aujourd'hui, je le relativise.
17:47 Tu vois, il y a une part de ces combats-là qui était trop grand pour moi
17:52 et il y a une autre part que j'affronte et je me dis,
17:55 mais de toute façon, c'est arrivé trop tôt pour moi,
17:58 mais ce serait arrivé dans ma vie.
18:01 Voilà, c'est comme mes questions, tu vois,
18:06 de vouloir censurer ma liberté d'expression
18:11 parce que je suis frontal, parce que j'ai une voix qui s'élève.
18:15 J'ai l'impression que si moi, je ne mène pas ce combat-là,
18:20 d'autres artistes derrière moi,
18:21 et quand bien même ils ne sont pas musulmans,
18:24 ils ne sont pas issus de l'immigration ni des quartiers,
18:27 vont subir les mêmes mécanismes et les mêmes problématiques.
18:30 Donc, il y a comme une espèce de mission qui vient se rajouter
18:34 à cette conscientisation.
18:37 - Alors, tu as toujours quand même été de tous les combats.
18:40 On connaît ton engagement en faveur des luttes anticoloniales.
18:43 Je pense notamment à des textes forts sur la Palestine et l'Algérie.
18:46 Aujourd'hui, tu te distingues par ton investissement
18:49 dans la lutte contre la réforme des retraites.
18:52 Et c'est là que tu crées aussi la surprise
18:53 pour ceux qui seraient tentés d'enfermer les rappeurs dans des cases.
18:57 Pourquoi est-ce que tu as choisi ce combat ?
18:58 - Je n'ai pas choisi ce combat.
19:00 C'est ce combat qui nous a choisis.
19:02 C'est la violence et la virulence avec laquelle cette réforme a été imposée.
19:09 Cette façon de caractériser les choses et de renvoyer les populations
19:17 à leur quotidien et en leur disant
19:19 "on va modifier vos vies pour des générations".
19:21 Et c'est cette violence-là, moi, qui me blesse,
19:26 qui m'interpelle aussi sur la classe laborieuse,
19:30 sur comment la classe laborieuse est renvoyée
19:34 et n'a pas possibilité de se sortir de sa propre condition.
19:38 Clairement, en fait, on maintient les gens sous l'eau.
19:42 Et j'y suis sensible parce que j'ai des gens autour de moi
19:47 qui sont proches de la retraite et qui sont concernés par ça.
19:52 Je vois la difficulté de leur métier.
19:55 Et me concernant, ça me paraît loin parce que je fais un métier passion,
20:00 comme on dit, et du coup, j'ai toujours une espèce de distance avec la retraite.
20:04 Pour moi, je vais finir en Henri Salvador à 80 piges avec une guitare sur une scène.
20:11 Tu vois ce que je veux dire ?
20:12 C'est un peu ça dans l'esprit des artistes.
20:15 Mais ça n'empêche que je suis sensible à la douleur de les boueurs
20:21 qui passent devant chez moi, à la douleur de ma propre mère,
20:24 qui est assistante maternelle, de toutes ces personnes qui gravitent autour de moi
20:30 et qui vont devoir effectuer des métiers pénibles pendant tant d'années.
20:34 Donc c'est un combat qui s'impose à nous, en fait.
20:37 Et le refuser, ou plutôt y tourner le dos,
20:43 ou plutôt faire comme s'il n'y en avait pas, parce que ça c'est un peu le propre des artistes,
20:47 de ne pas trop s'exprimer parce que je risque de froisser une partie de mon public
20:52 qui, eux, sont plus en faveur du bail.
20:54 Et ça, c'est une forme de lâcheté, en quelque sorte.
20:58 Même si je peux comprendre les mécanismes d'un système
21:01 qui t'empêche de t'exprimer totalement, t'es là pour divertir,
21:05 t'es un artiste, fais ton métier et on n'en parle plus.
21:08 Je pourrais le faire en tant qu'artiste.
21:11 Maintenant, en tant que citoyen, je ne peux pas, en fait,
21:13 en tant qu'être humain, je ne peux pas détourner le regard
21:16 d'une violence qui est en train de se dérouler devant moi
21:19 et faire semblant de rien dire juste pour préserver mon petit commerce.
21:23 C'est une forme de lâcheté.
21:24 - Ce qui est d'autant plus choquant, c'est que Macron a dit, pendant le Covid,
21:28 il ne faudra pas oublier celles et ceux qui font tant pendant le Covid.
21:33 C'était les éboueurs...
21:35 - Si tu t'arrêtes qu'à cette lâcheté-là de la part de Macron,
21:38 je pense qu'il y a moyen de remplir la bibliothèque qui est derrière
21:41 des paroles de manquement comme ça.
21:44 - Qu'est-ce que tu en penses, toi, d'ailleurs, de la Macronie ?
21:47 Là, on a eu cinq ans de Macronie...
21:49 - C'est un peu large comme question, mais ça s'est imposé à nous, encore une fois.
21:54 Ça fait plusieurs années qu'on n'a plus le choix dans les urnes
21:58 que de faire barrage à l'extrême droite, de faire les castors
22:01 et de bloquer l'extrême droite.
22:04 C'est difficile, mais on se retrouve dans les derniers tours
22:07 toujours de cette façon-là.
22:08 Et pour moi, l'urgence, c'était encore une fois de bloquer Marine Le Pen,
22:13 parce que les idées d'extrême droite se matérialisent dans la réalité.
22:17 Comme en début de conversation, comme tu l'as cité,
22:20 il y a des gens qui sont violents au point de vouloir séparer la France
22:25 par les armes, au point de vouloir séparer la France par la violence.
22:29 Et donc, le débat n'est plus possible.
22:31 La discussion n'est plus possible.
22:33 Donc, je préfère la peste que le choléra,
22:35 parce qu'il y a une façon de dialoguer encore.
22:41 On ne va pas être encore dans...
22:42 Tu vois ce que je veux dire ?
22:43 Même si l'histoire me donne tort,
22:47 le 49-3, c'est une forme de violence.
22:50 L'imposition de force de la réforme des retraites
22:54 est une forme de violence, même si elle n'est pas frontale.
22:57 Ce que je veux dire, c'est qu'il y a des degrés de violence.
22:59 Il y a une violence qui reste symbolique.
23:02 Ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas virulente.
23:05 Et il y a une forme de violence qui se matérialise dans le quotidien.
23:08 Une forme de violence qui peut atteindre les gens
23:13 dans leur intégrité physique.
23:15 Et pour moi, à l'extrême droite,
23:17 ils ont déjà passé ce cap depuis longtemps.
23:19 - Moi, j'ai le sentiment que ton engagement aujourd'hui,
23:22 il a pris une dimension un peu plus locale.
23:25 Tu t'es rendu à la raffinerie Total Energy de Normandie
23:28 pour afficher ton soutien aux grévistes.
23:30 Tu as organisé un concert pour contrer la fête de la nation,
23:34 organisé le 1er mai au Havre par le Rassemblement National.
23:39 Ce n'est pas commun de voir un artiste de ton envergure
23:41 se mobiliser à ce point dans sa région.
23:44 Est-ce que c'est une façon pour toi de dire que le meilleur levier
23:46 en politique, ça reste le local ?
23:49 - En fait, avant même d'avoir des contractions comme celle-ci,
23:54 d'être sur des piquets de grève ou de manifester
23:59 quand il y a la présence de l'extrême droite dans ma ville.
24:03 Moi, j'ai une autre action qui est plus proactive.
24:07 Je suis président d'associations sportives.
24:10 Je me rends disponible auprès des institutrices de l'école de mes enfants
24:15 quand ils ont besoin de faire valoir leurs conditions.
24:18 Quand il y a des actions en lien avec les étudiants
24:21 et l'espèce de précarité de ces étudiants
24:25 et tenter de trouver des solutions, je m'associe à ces actions-là.
24:31 Oui, localement, c'est un espèce de terrain
24:35 qui te permet d'être utile directement parce que tu as un ancrage,
24:40 tu as une légitimité à travailler davantage sur ton territoire
24:44 plutôt que d'aller à un autre endroit en France.
24:47 D'abord, il y a mon territoire qui a des problématiques
24:50 et je serais contradictoire si j'allais donner de la force à d'autres endroits
24:57 alors que l'endroit où je vis est négligé en quelque sorte.
25:01 Donc oui, ce militantisme local, il est surtout positif pour moi.
25:07 Il est proactif et il n'est pas du tout en réaction.
25:10 Je ne me mobilise pas que quand Marine Le Pen vient au Havre
25:14 ou quand il faut qu'il y ait un piqué de grève à cet endroit-là.
25:18 Je suis mobilisé constamment localement.
25:22 - Et la prochaine étape, c'est quoi ? Médine, maire du Havre ?
25:26 - Pourquoi ? - Tu y penses ?
25:29 - J'y pense sous forme de boutade, j'en rigole dans des morceaux comme ça,
25:33 mais le but, ce n'est pas d'être maire.
25:36 Le but, c'est qu'il y ait une ville de plus en plus équitable,
25:42 qu'il y ait toutes les zones dans cette ville qui aient accès à l'éducation,
25:49 qui aient, de la même façon que dans le centre-ville par exemple,
25:53 que toute la ville soit bien desservie,
25:56 qu'il y ait une forme de justice sociale pour tout le monde.
26:01 Le but, ce n'est pas d'être maire, c'est de s'associer aux dynamiques
26:04 qui veulent faire en sorte de maintenir la ville du Havre
26:07 comme une ville de justice, justice sociale pour tous.
26:15 - Alors, tu étais à Montreuil il y a quelques semaines,
26:21 à la Parole Errante, où tu as donné un concert incroyable
26:24 à l'occasion du Week-end international antifasciste
26:27 organisé par l'action antifasciste Paris-Banlieue,
26:30 dix ans après le meurtre de Clément Méric.
26:34 Clément Méric, il représente quoi pour toi ?
26:37 - Clément Méric, c'est la matérialisation de la violence de l'extrême droite
26:42 et jusqu'où ça peut aller en fait.
26:45 C'est vraiment le symbole que le combat contre l'extrême droite commence.
26:55 J'allais dire n'est pas terminé, mais commence.
26:59 Sa mort doit donner du sens à tout ce combat antifasciste
27:06 qui est mené depuis longtemps par les collectifs antifas
27:09 à travers la France, mais à travers le monde aussi,
27:12 et qu'on fait vraiment face à une menace qui est virulente, qui est violente.
27:18 Encore une fois, je le rappelle, il n'y a pas un de mes concerts
27:21 qui n'est pas chahuté par des militants d'extrême droite,
27:26 parfois même par des gros puscules.
27:28 Je viens d'apprendre, et en plus c'est un monde qui est très poreux
27:33 avec le monde politique d'extrême droite.
27:39 Je viens d'apprendre récemment que mon concert à Albi
27:43 a été chahuté par un gros puscule d'extrême droite
27:48 qui s'appelle Patria Albijes.
27:50 Et dans ce groupe, l'un des membres qui est actif,
27:54 qui a été arrêté récemment pour affichage sauvage,
27:58 c'est l'un des fils du député cabrolier du Tarn
28:03 d'extrême droite du Rassemblement National.
28:06 Donc il y a une porosité entre ces mondes qui est urgente
28:12 et il faut se rendre compte.
28:14 Le combat antifa n'a jamais été aussi nécessaire que maintenant.
28:19 C'est pour ça que je m'y associe.
28:22 C'est pour ça qu'on a célébré l'anniversaire,
28:25 le triste anniversaire de la mort de Clément Méric,
28:28 pour se rappeler dans quelles conditions il est mort,
28:31 de quelle main il a été tué, par quelle idéologie il a été tué.
28:36 Pour mieux appréhender le combat antifasciste actuel.
28:39 - Est-ce que là, durant cette année très chargée politiquement
28:45 avec cette réforme des retraites,
28:47 tu as croisé aussi une jeunesse qui t'a paru un peu plus engagée,
28:52 un peu plus consciente ?
28:55 Est-ce que toi, tu penses que tu as participé d'une certaine manière
29:00 à cette conscientisation à travers tes textes et ton rap ?
29:06 - J'imagine que comme d'autres artistes,
29:09 j'ai mis l'accent sur plein de sujets.
29:12 J'ai sensibilisé.
29:14 Comme moi, je me suis aussi politisé par le biais d'autres artistes.
29:19 Akhenaton m'a politisé,
29:21 Kerry James m'a politisé sur plein de sujets.
29:25 J'imagine que certaines personnes se politisent à travers mes albums.
29:30 C'est pas plus mal, en fait.
29:31 Pour moi, je passe le flambeau.
29:34 Donc, est-ce que je rencontre une jeunesse plus consciente
29:40 des préoccupations de cette époque-là ?
29:42 Oui, clairement, sur des questions d'écologie,
29:45 sur des questions d'égalité, sur les questions du racisme,
29:50 sur les questions de la liberté d'expression.
29:53 Je constate que les jeunes sont vraiment affûtés.
29:58 Et je crois que ça va se matérialiser dans les prochaines élections européennes.
30:02 - J'espère aussi.
30:03 - Ouais, de toute façon, c'est de cette façon-là
30:07 que l'on se rend vraiment compte de comment bougent les populations,
30:11 comment les digues se reforment entre les courants politiques.
30:17 Parce qu'il y a des digues qui ont totalement sauté.
30:19 La digue droite, extrême droite,
30:22 il y a des élus et des militants qui la grignotent tous les jours
30:28 au point de la faire disparaître.
30:30 Et il y en a d'autres qui, justement,
30:33 surtout à gauche, où les idées se nuancent, se réaffirment.
30:37 Et du coup, il y a une espèce de digue qui est en train de se recréer
30:42 pour bien délimiter les courants de politique.
30:46 Et je crois que les jeunes sont de plus en plus affûtés sur ces questions.
30:50 - Et paradoxalement, on a l'impression,
30:52 pour revenir un peu dans le milieu de la musique et du divertissement,
30:56 que le rap n'a jamais été aussi peu,
30:59 je n'ai pas envie de dire conscientisé,
31:01 mais aussi peu revendicateur ou porteur de messages.
31:05 - Ça, c'est une fausse croyance pour moi.
31:07 Je pense que la revendication a pris une autre forme.
31:10 Elle n'est plus aussi frontale qu'à l'époque du rap dit conscient, etc.
31:17 La revendication est différente.
31:19 Il y a certains artistes qui vont s'associer à des militants
31:22 et qui vont donner de leur voix à ce moment-là
31:26 et qui vont servir de porte-voix pour une action précise.
31:32 Tu as d'autres artistes qui vont être plus frontales dans leurs morceaux.
31:37 Pour moi, c'est un peu une fausse croyance.
31:39 Aurel San fait partie des gens qui évoquent les sujets les plus actuels
31:45 en matière sociétale.
31:48 Nekfeu est dans les manifestations.
31:52 Il montre qu'il a une démarche militante au-delà de sa démarche artistique.
31:58 - Mais paradoxalement, c'est peut-être eux qui ont subi dans leur vie,
32:02 je ne sais pas, je ne connais pas leur parcours, mais le moins de pression.
32:05 - Je pense qu'Aurel San est assez légitime sur les questions de liberté d'expression.
32:11 Il a subi quand même des campagnes assez virulentes le concernant.
32:15 Déjà, et après, pour moi, il ne faut pas qu'on fasse dans le militantisme
32:24 une espèce de compte d'apothicaires et un espèce de tri de savoir
32:29 qui est légitime et qui ne l'est pas.
32:31 Je te prends un exemple dans un autre domaine
32:34 pour qu'on comprenne un peu ce qui est symptomatique dans le rap.
32:38 Omar Sy. Omar Sy, c'est un humoriste et tout ce qu'il y a de plus populaire
32:43 avec des titres et des films ultra populaires.
32:47 Omar Sy, il ne s'exprime pas sur les questions les plus complexes de notre époque.
32:53 Dès le début de sa carrière, dès le milieu de sa carrière, Omar Sy travaille,
32:58 fait son travail d'artiste, ce pourquoi il est fait.
33:02 Et un jour, il s'empare d'un sujet qui est la reconnaissance des tirailleurs sénégalais
33:11 et il le valorise à l'image, mais il le valorise aussi dans les discussions, dans les débats.
33:17 Il ne fuit pas les discussions, il ne fuit pas les débats.
33:20 Il porte vraiment le combat des tirailleurs sénégalais et de leur reconnaissance.
33:26 Omar Sy, il aurait pu s'en passer en réalité.
33:29 Et ça arrive à un moment de sa carrière où on se dit mais peut-être t'es tellement loin, frérot,
33:33 tu vas te mettre dans un bourbier avec ça.
33:35 Non, ça fait partie des choses qu'il a remisées, je pense, dans son esprit
33:39 et qu'il décide de le faire à un instant T parce qu'il y a une temporalité
33:43 qui permet d'exprimer ça de façon plus apaisée.
33:47 Et lui, il a plus de maturité à évoquer ces sujets-là.
33:50 Je crois que les rappeurs, c'est la même chose.
33:52 Il faut laisser le temps au temps.
33:54 Il y a des gens qui vont certainement s'exprimer sur des sujets dans une autre temporalité.
33:59 On n'a pas besoin que tout le monde s'exprime sur tous les sujets à ce moment-là.
34:03 Et je pense que leur demander de s'exprimer, c'est nous les fautifs.
34:08 C'est nous qui cherchons absolument à cliver les gens.
34:12 Est-ce que je vais continuer à écouter ta musique si tu ne penses pas comme moi ?
34:15 Je trouve que c'est un manque d'ouverture.
34:17 C'est un manque de nuances.
34:18 Est-ce qu'il n'y a pas une question d'indépendance aussi via les labels, les maisons de disques ?
34:23 Certainement.
34:24 Certainement.
34:25 Et puis, le rap est de plus en plus indépendant.
34:29 Le rap n'a jamais été aussi indépendant aujourd'hui.
34:32 Il y a une liberté.
34:32 Pourquoi tu es indépendant ?
34:33 Moi, je suis indépendant, même si je passe par des distributeurs.
34:36 Le modèle le plus bankable et sexy du moment dans le rap, c'est ce fameux deal de distribute.
34:44 Et on reste assez maître de nos paroles, de nos propos dans cette économie-là.
34:51 Donc maintenant, je pense qu'il faut laisser le temps au temps, la maturité des idées,
34:55 la maturité des hommes, qu'ils prennent conscience qu'il y a des questions qu'il ne faut plus fuir,
35:01 qu'il ne faut pas fuir.
35:03 Et c'est notre rôle à tous, journalistes, artistes, sportifs, de sensibiliser et de ne pas fuir ces discussions-là.
35:11 C'est des discussions périlleuses pour moi aussi.
35:14 Je me mets en danger à évoquer tout un tas de sujets.
35:17 Je pourrais simplement me cantonner de parler de la légèreté de la vie et de parler de ma musique.
35:22 Et non, je n'évoque pas tout ça.
35:24 Mais je décide de le faire parce que je sens qu'il y a une urgence actuelle sur toutes ces questions-là.
35:30 Peut-être que d'autres rappeurs qui vont voir cette discussion vont se dire "mais c'est vrai que sur ce sujet-là,
35:35 moi, je pourrais m'exprimer de façon artistique ou même dans une discussion avec un autre journaliste,
35:42 je pourrais rajouter à ce combat-là pour converger un peu plus".
35:47 Je pense que c'est vraiment... chacun fait sa part.
35:49 - Ce qui est bien avec toi, c'est qu'on a l'impression que tu n'es jamais un donneur de leçons,
35:52 mais que tu essayes de montrer par l'exemple.
35:54 - Oui, je n'aime pas les donneurs de leçons, je n'ai pas envie d'en être un.
35:56 - Qu'est-ce que ça t'a coûté, toi, quand même, cet engagement d'artiste militant ?
36:03 - Ça me coûte peut-être d'être le Français le plus préféré, c'est ça, non ?
36:14 La personnalité préférée des Français.
36:17 Parce que quand tu évoques autant de sujets aussi clivants, forcément, tu crées du clivage.
36:25 Il y a ceux qui sont pour, tu as ceux qui sont contre, tu as ceux qui observent.
36:31 Et du coup, en termes de marketing, ce n'est pas très "bankable", en vrai.
36:36 Je passe mon temps à me remettre en question, à remettre en question mes auditeurs,
36:40 à dire "mais est-ce qu'on n'est pas dans le faux, là ?"
36:43 Tu vois ce que je veux dire ? C'est un peu déstabilisant.
36:46 Mais j'ai fait un pari au début de ma carrière,
36:48 et j'ai l'impression que c'est ce qui me maintient, c'est le choix de la sincérité.
36:54 D'être sincère.
36:56 Quand moi je suis en phase avec des idées, j'essaie de les défendre.
37:00 Quand je ne suis plus en phase avec ces idées, je rappelle que,
37:02 "Eh, vous voyez les idées d'avant ? Reboot, on passe à autre chose.
37:06 Moi, maintenant, vous faites ce que vous voulez."
37:08 Je vous dis juste que je trouve qu'il y a suffisamment d'éléments pour avancer sur cette question-là.
37:13 Peut-être même être contradictoire avec la question d'avant.
37:16 Faire le choix de la sincérité, pour moi, c'est clivant, ça me coûte,
37:21 mais je kiffe tellement ça, en fait.
37:25 - Est-ce que c'est pas ça le plus beau dans la vie ?
37:26 C'est d'avoir cette capacité à pouvoir revivre.
37:30 - C'est une liberté incroyable.
37:31 Je ne me sens pas enfermé dans des postures,
37:34 je ne me sens pas enfermé dans des représentations,
37:37 et ça me donne une liberté.
37:39 Ça peut paraître incohérent, je peux le concevoir d'un point de vue extérieur,
37:43 de gens qui t'ont écouté en 2004, puis qui reviennent aujourd'hui,
37:48 qui se disent, "Mais il a totalement changé, le gava, là."
37:51 Ça peut paraître incohérent, mais pour moi, il faut prendre l'histoire dans son ensemble,
37:56 et les hommes ne sont pas figés.
37:58 À un moment donné, tu penses A, puis tu penses B,
38:01 puis tu recontestes le A, puis tu le reconsidères.
38:05 Voilà.
38:07 - Est-ce que tu penses que...
38:09 On voit bien que ta famille, c'est aussi un peu ton refuge, c'est un endroit...
38:13 - Ouais, totalement.
38:14 - Est-ce que tu penses que la famille, c'est politique ?
38:16 Tu dis dans une chanson, par exemple,
38:20 "Faire des enfants forts pour ne pas réparer des adultes cassés".
38:25 - Est-ce que c'est politique ?
38:28 Je crois qu'il n'y a rien de plus sociologique qu'une famille, en fait.
38:32 Il n'y a rien de plus déterminant qu'une famille.
38:35 C'est vraiment la cellule dans laquelle les individus se construisent,
38:41 donc les citoyens, les militants, qui que ce soit, les artistes.
38:48 C'est l'antichambre du monde politique, en vrai.
38:53 Il n'y a rien de plus politique que la famille.
38:54 Après, là, ça peut paraître effrayant, ce qu'on est en train de dire,
39:01 parce que ça pourrait tout de suite donner l'impression qu'on politise les enfants,
39:06 ce genre de choses.
39:07 Non, au contraire.
39:09 Moi, je pense qu'il faut que les enfants mènent leur enfance de façon complète
39:15 et de ne pas les polluer avec des idées d'adultes trop rapidement dans leur esprit.
39:20 Le monde va s'imposer à eux ultra rapidement.
39:24 Nous, ce qu'on peut donner, c'est des outils, des armes de distanciation,
39:28 d'être sarcastique sur des questions.
39:32 Le monde est tellement dur pour moi, le monde est méchant, comme dirait l'autre,
39:38 qu'il faut des outils très rapidement.
39:41 Il faut un panel d'émotions pour pouvoir classer ces attaques,
39:48 ces brimades, ces vexations, ces stigmatisations.
39:51 Comme ça, tu sais où les ranger dans ton esprit.
39:53 Tu te dis "ça, c'est important, ça, c'est pas important.
39:55 Est-ce que je vais me construire individuellement à travers la critique qu'il vient de me faire ?
40:00 Oh, zinique sa mère, lui, frérot, je regarde sa live, il est éteint."
40:04 Donc, tu vois ce que je veux dire ?
40:05 C'est donner ces outils-là aux enfants sans les politiser,
40:09 leur donner des idéologies, les abreuver de quelque chose de métaphysique.
40:17 Tu vois ce que je veux dire ?
40:17 C'est vraiment leur donner juste les outils.
40:20 Et les gars, vous inquiétez pas, le monde va vous attaquer,
40:24 mais sauf que vous, vous allez être préparés.
40:26 - Pour conclure ce premier numéro de "Ma France à moi",
40:30 est-ce que tu peux nous dire à quoi elle ressemble, ta France à toi ?
40:35 - Ma France à moi, c'est un peu comme le bistrot de Renaud.
40:43 - Mon bistrot préféré ? - Ouais.
40:44 - Quelque part dans les cieux ? - T'as la ref ?
40:46 - Ouais. - Je suis content que t'aies la ref.
40:48 C'est vraiment, ouais, c'est Brassens, c'est Brel, c'est Ferré, c'est Renaud, c'est PNL, c'est...
41:00 Moi, j'ai pas envie de me nommer, me dropper.
41:03 Mais c'est Aurel San, c'est Zinedine Zidane, c'est ça en fait.
41:12 Et puis c'est surtout le casting que je suis en train de réunir
41:14 dans un formidable podcast qui s'appelle "Made in France".
41:18 Et justement, je passe mon temps à rencontrer des interlocuteurs
41:22 pour savoir quelle a été, eux, leur porte d'entrée dans la France.
41:25 Comment ils s'enracinent français, comment ils se sentent vibrés français.
41:29 Donc je rencontre plein d'interlocuteurs qui vont de Joey Starr à Rokaya Diallo
41:35 en passant par Walid Dia, Rachid Benzin.
41:38 Moi, ce que j'aime, c'est que j'ai toujours eu à plaire à des gens
41:42 qui n'avaient pas les codes de la musique classique.
41:44 Et ça, c'est la plus grande chance que j'ai eue de ma vie,
41:46 parce que du coup, j'ai jamais cherché à me construire en fonction d'un regard élitiste
41:52 ou en fonction d'un regard savant.
41:53 J'ai toujours eu à me construire en fonction d'un regard émotionnel.
41:58 Et c'est une façon de démultiplier les portes d'entrée dans la France
42:02 pour s'enraciner et ne plus se définir à travers les injonctions.
42:08 Français de papier ou français de sang ou français de sol
42:11 ou t'es musulman avant d'être français,
42:14 les lois de la République en dessous des lois de ta foi.
42:17 J'ai plus envie de répondre à ces questions-là, moi.
42:19 Donc je suis français comme les invités de mon podcast
42:22 et comme le bistrot préféré de Renaud.
42:24 Bon. Merci beaucoup, Médine, de nous avoir offert du temps d'échange.
42:29 Fort, mobilisateur. À mon tour de t'offrir un petit cadeau.
42:33 - Ah oui ? - Tu peux ouvrir ce livre.
42:36 - Merci. - Tu peux le regarder.
42:38 Si tu veux, tu peux l'ouvrir.
42:41 C'est "Le Cantique des oiseaux".
42:43 C'est un recueil de poèmes écrits en perçant à la fin du XIIe siècle.
42:46 - Je sais pas si tu le connais. - J'ai le cœur d'arracher le beau papier,
42:48 parce qu'il est magnifique.
42:51 Tu disais "Le Cantique des oiseaux" ?
42:53 Ouais, "Le Cantique des oiseaux".
42:54 C'est un recueil de poèmes.
42:56 - OK. - Voilà.
42:58 Je voulais t'offrir ce livre.
42:59 Ah, merci beaucoup. Ça fait hyper intelligent, tu vois,
43:02 de lire des poèmes au bord de la mer, au Havre, là.
43:05 Je vais tellement passer pour un mec smart.
43:09 Je vais piquer des idées et il y aura des passages dans mon prochain album.
43:13 - Merci, en tout cas. - Avec plaisir.
43:16 - Merci, l'équipe. - Merci beaucoup.
43:17 - Au plaisir.
43:18 - Au revoir. - Au revoir.
43:20 Sous-titrage ST' 501
43:22 ...

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