Féminicides : 20 ans après la mort de Marie Trintignant, l'historienne Christelle Taraud appelle "la société à éduquer les garçons différemment"

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Christelle Taraud, historienne et spécialiste des questions de genre et de sexualité, était l'invitée de franceinfo le 1er août 2023.

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00:00 Bonjour Christelle Tharaud.
00:01 Bonjour.
00:02 Vous êtes historienne, vous avez publié l'an dernier Féminicide, une histoire mondiale
00:06 aux éditions La Découverte.
00:08 Crime passionnel disait-on en 2003.
00:11 Tout a changé en 20 ans.
00:12 Est-ce que la mort de Marie Trintignant c'est un basculement ?
00:15 Oui, c'est un basculement important.
00:18 Comme je dis souvent, tous les pays ont leur affaire.
00:22 Mais en réalité, il faut toujours connecter la mort de Marie Trintignant à une affaire
00:26 qui précède son assassinat.
00:29 Le 1er août 2003, qui est celle de l'assassinat de Sohan Benziane à Vitry-sur-Seine.
00:36 Et en fait, c'est dans cet électrochoc que produisent ces deux meurtres de femmes, qui
00:43 sont des femmes très différentes, qui viennent d'endroits différents, qui sont issues de
00:47 milieux différents, mais qui meurent selon la même logique, qu'on a vraiment un point
00:52 de rupture.
00:53 Le début de quelque chose qui va nous conduire finalement, 20 ans plus tard, enfin à la
00:59 reconnaissance de leur mort réciproque comme féminicide.
01:03 Mais ça a été très très long.
01:04 On a beaucoup prêché dans le désert parce qu'on était assez peu prise au sérieux en
01:10 réalité, aussi bien par les pouvoirs publics, y compris que par les médias, comme vous
01:15 l'avez rappelé tout à l'heure.
01:16 Il a fallu effectivement ces deux cas-là et le cas Marie Trintignant pour que les choses
01:21 changent.
01:22 Et jusque-là, comment expliquez-vous qu'on ait pu à l'époque employer ces termes-là
01:26 qui n'étaient pas celui de féminicide ?
01:28 Le terme de crime passionnel est un terme ancien qui est lié à l'émergence d'une
01:33 presse de masse au XIXe siècle.
01:35 C'est lié aussi à un contexte de très grande coercition contre les femmes, le Code
01:39 civil, l'article 213, la femme doit obéissance à son mari, la femme est considérée comme
01:45 une propriété de l'homme.
01:46 Et je le rappelle, le féminicide est un crime de propriétaire.
01:50 Parce que ce qu'on observe dans l'affaire Marie Trintignant, c'est ce qu'on appellerait
01:54 aujourd'hui une forme très pernicieuse de contrôle coercitif, sous couvert d'amour,
02:01 on contrôle tout.
02:03 Et apparemment, la dispute de fin juillet démarre avec un SMS reçu de Marie Trintignant
02:12 qui rend fou littéralement le féminicide, en l'occurrence Bertrand Cantat.
02:17 La société a changé, vous l'avez dit, en 20 ans le vocabulaire a évolué aussi.
02:22 Il n'y a pas de retour en arrière, vous pensez là-dessus ?
02:25 On a toujours un risque de retour en arrière sur toutes les questions qui traitent des
02:29 violences faites aux femmes.
02:30 On l'a vu évidemment il y a peu de temps avec l'interruption volontaire de grossesse
02:35 aux Etats-Unis.
02:36 Donc il faut être toujours très très vigilant et vigilante parce que nos droits sont fracts.
02:42 Ils sont fragiles.
02:43 Et je le rappelle souvent, les droits des femmes sont les droits des luttes des femmes
02:46 et des combats des femmes.
02:47 Et Bertrand Cantat, il y a quelques années encore, 2017, on se souvient d'une Une des
02:51 un rock, par exemple, restait présenté comme un personnage romantique ?
02:55 Oui, bien sûr, il y a cette image extrêmement problématique du bad boy qu'on a retrouvé
03:01 aussi dans une autre affaire récente avec Johnny Depp.
03:05 Donc effectivement, il a été présenté finalement comme une sorte d'artiste maudit
03:10 et ça va jusqu'au fait de tuer, comme nous le savons, de manière extrêmement violente
03:16 sa compagne, Marie Trintignant.
03:19 Donc oui, effectivement, il a bénéficié non seulement de cette image très romantisée
03:24 mais aussi d'une connivence masculine évidente, d'abord dans les médias et puis ensuite,
03:29 il faut bien le dire aussi dans la justice parce que le juge d'application des peines
03:33 quand même qui le libère au bout de quatre ans en liberté conditionnelle, tient des
03:38 propos qui sont juste effarants et que j'espère plus aucun juge d'application des peines
03:43 ne pourrait dire aujourd'hui puisqu'il précise qu'on ne peut absolument pas considérer
03:48 que c'est un meurtrier, encore moins un assassin, c'est un homme qui a eu un problème de parcours
03:56 d'une certaine manière.
03:57 C'est totalement hallucinant en réalité.
03:59 20 ans après la mort de Marie Trintignant, la justice, la volonté politique ont changé
04:04 suffisamment d'après vous ?
04:05 Jamais suffisamment bien évidemment puisque l'objectif c'est quand même de construire
04:09 une société d'égalité, d'égalité réelle et non pas formelle et évidemment nous n'en
04:14 sommes pas encore là.
04:15 Il y a de très nombreux domaines en fait où l'égalité entre les femmes et les hommes
04:19 n'est pas active aujourd'hui donc il y a beaucoup de travail à faire.
04:22 Qu'est-ce qu'il reste à faire pour protéger les femmes victimes de violences conjugales ?
04:26 Moi je dis souvent, c'est pas en envoyant des hommes en prison qu'on réglera le problème
04:31 des féminicides, c'est en éduquant les garçons différemment et donc c'est un projet sociétal
04:35 très très important parce qu'on ne peut pas se scandaliser comme nous le faisons aujourd'hui
04:39 sur votre antenne que des femmes meurent évidemment de violences féminicidaires et en même temps
04:45 continuent à éduquer les garçons à être sans coup fait rire des féminicidaires.
04:49 Donc la société doit prendre conscience qu'il y a un énorme problème d'éducation, c'est
04:53 l'éducation qui va permettre d'éradiquer les féminicides.
04:56 D'un mot, une loi contre les féminicides ça peut changer les choses ?
04:59 J'aimerais beaucoup parce que nos voisins belges viennent de faire passer une loi très
05:03 avant-gardiste et j'espère grandement que nous entrons dans une dynamique qui permettra
05:09 à la France de voter une loi similaire.

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