Semaine de quatre jours : "c'est gagnant-gagnant car les salariés sont plus épanouis et donc plus productifs"

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Tous les vendredis, samedis et dimanches à 19h18, Arthur Meuriot reçoit un invité décalé pour apporter un éclairage inédit sur l'actualité. Ce soir, Francis Boyer, spécialiste en innovation managériale.
Retrouvez "Les invités d'Europe Soir week-end" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-europe1-week-end
Transcript
00:00 "Europe un soir week-end" Arthur Murillo.
00:02 Plus de temps libre pour les salariés tout en maintenant une bonne productivité pour les entreprises.
00:07 C'est la promesse de la semaine de 4 jours.
00:10 En France, 5% des entreprises sont concernées, soit 600 000 personnes.
00:14 Un rythme de travail qui fait rêver mais pour le mettre en place, il y a certaines conditions à respecter.
00:19 Et nous allons en parler avec vous Francis Boyer.
00:22 Bonsoir.
00:23 Bonsoir, merci de m'inviter.
00:24 Vous êtes spécialiste en innovation managériale et l'auteur de "La semaine de 4 jours sans perte de salaire, ça marche".
00:31 C'est aux éditions Erol.
00:33 Vous parlez de la semaine de 4 jours comme un bénéfice gagnant-gagnant pour les salariés et les entreprises,
00:39 c'est-à-dire que même les patrons ont intérêt à mettre en place ce mode de fonctionnement.
00:44 C'est le paradoxe, ils ont tout intérêt à le mettre en place parce qu'on se rend compte avec beaucoup de...
00:49 On a deux ans d'expérience maintenant dans différents pays que non seulement les salariés sont plus épanouis, moins stressés, moins fatigués et plus productifs.
00:56 Donc en revanche, on sait que certaines organisations patronales sont encore dubitatives
01:01 parce que c'est difficile de comprendre les raisons pour lesquelles en travaillant moins de jours, on augmente la productivité.
01:06 Donc c'est ce que j'ai essayé de présenter dans le ouvrage.
01:08 Et tout est présent dans le livre mais il y a un prérequis indispensable et vous l'écrivez.
01:12 Imposer le maintien de la productivité comme condition de la semaine de 4 jours,
01:15 c'est la seule manière de garantir ce rapport gagnant-gagnant.
01:19 Le maintien de la productivité, si on ne le respecte pas, ça ne fonctionne pas la semaine de 4 jours.
01:23 - Oui, c'est la condition parce qu'en fait il faut savoir que l'employeur fait un geste
01:27 puisqu'il accorde 47 jours de repos supplémentaire par an en maintenant le salaire.
01:31 Ça veut dire que le salarié va travailler la moitié de son temps de vie, donc 50% de son temps.
01:36 Donc il faut une condition, une contrepartie qui est le maintien de la productivité.
01:40 Et non seulement c'est une condition, mais en plus l'autre condition que j'ai identifiée,
01:44 c'est que tout le monde doit jouer le jeu.
01:45 On a remarqué que les entreprises qui proposaient la semaine de 4 jours
01:48 comme étant une option parmi d'autres, ça ne fonctionnait pas.
01:51 Et c'est ça qui est intéressant, c'est vraiment d'inviter tous les acteurs de l'entreprise
01:58 à trouver des solutions pour faire en 4 jours ce qu'ils faisaient en 5 jours.
02:01 - Mais ça veut dire peut-être travailler plus longtemps le jour de travail,
02:04 c'est-à-dire au lieu de faire un 9-18 heures, on va peut-être faire un 8-20 heures ?
02:08 - Oui, tout à fait. En fait, il y a une augmentation de la durée quotidienne.
02:11 C'est comme si je vous disais, voilà, je vous offre le choix, Arthur,
02:15 entre la loi, donc travailler 7 heures par jour pendant 5 jours,
02:21 des aménagements de la loi, c'est-à-dire je vous offre la possibilité de bénéficier
02:26 par exemple de 20 RTT et de travailler 39 heures par semaine,
02:29 et je vous donne aussi la possibilité de travailler, ça c'est la troisième option,
02:32 c'est ce qu'offre la semaine de 4 jours, je vous offre la possibilité de travailler
02:35 en fait un peu plus longtemps par jour, mettons 8h50 par exemple,
02:39 mais je vous offre 47 jours de repos supplémentaires.
02:41 Donc il y a beaucoup de sondages qui sont faits là-dessus,
02:44 et on se rend compte que 80% des gens, des Français,
02:46 opteraient pour la semaine de 4 jours si on le leur proposait.
02:49 - Mais la France, elle est un petit peu en retard sur ces questions-là,
02:52 chez nos voisins européens, on pense notamment à l'Espagne,
02:54 eux sont en avance sur la semaine de 4 jours, il y a plusieurs entreprises
02:56 qui l'ont mis en place, même l'État qui prend un petit peu en charge cette mise en place,
03:01 on a retard en France sur la semaine de 4 jours ? On est un peu réticents ?
03:04 - Alors nous on a encore les 35 heures derrière nous,
03:08 la peur des 35 heures, donc on sait qu'on ne veut pas légiférer,
03:12 et dans les autres pays, il n'y a plus, à part en Belgique, mais ça n'a pas marché,
03:15 c'était plutôt des expérimentations à grande échelle.
03:17 Donc c'est vrai qu'on a les organisations patronales,
03:20 par exemple le MEDEF, la CPME, la NDRH, qui ne sont pas pour, pour le moment,
03:25 parce qu'on attend de voir ce qui se passe.
03:27 Donc est-ce qu'on est en retard ? Je ne gérerai pas jusqu'à dire qu'on est en retard,
03:30 mais c'est vrai qu'on n'est pas dans la culture que vont les autres pays,
03:33 ni qu'est la culture de l'expérimentation.
03:35 - Je pense à certains qui doivent se dire "oui mais moi, mon travail, par exemple un serveur,
03:40 moi ce n'est pas compatible avec 4 jours de travail par semaine".
03:45 Est-ce que c'est au cas par cas qu'il faut mettre en place cette semaine de 4 jours,
03:48 où toutes les entreprises, peu importe le domaine dans lequel elles travaillent,
03:51 peuvent la mettre en place ?
03:52 - Alors, quand j'ai écrit l'ouvrage, je voulais baser mes observations
03:57 sur la base de retour d'expérience, et on voit que ça marche bien dans plein de domaines,
04:00 dans le bâtiment, dans l'hôtellerie, dans le service aussi, Microsoft et d'autres.
04:05 Donc ce n'est pas au cas par cas individuellement, mais c'est au cas par cas des entreprises.
04:10 Et en fait ça part d'un présupposé qui est que
04:13 soit je considère que je peux faire mieux que ce que je fais aujourd'hui,
04:17 soit je considère que je ne peux pas faire mieux que ce que je fais aujourd'hui,
04:20 auquel cas je suis victime d'un biais cognitif qui est "ça va marcher".
04:23 Et donc c'est toujours intéressant de s'inspirer des entreprises qui l'ont fait,
04:27 et puis surtout ça répond à une valeur sociétale émergente,
04:30 post-Covid, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, il faut être très très clair,
04:33 les gens ils veulent trouver un nouvel équilibre.
04:36 Non pas que le travail n'a plus d'importance, mais il n'en a pas autant qu'il en avait.
04:40 Donc on voit bien que les entreprises peinent en termes d'attractivité, de recrutement,
04:44 de maintien d'engagement, on voit que le taux d'absentéisme
04:47 augmente vraiment de manière significative en France,
04:50 et on a remarqué pour les entreprises, que ce soit dans l'hôtellerie,
04:52 que ce soit dans le bâtiment et autres, on a remarqué qu'il y avait une meilleure attractivité,
04:56 et que les gens restaient plus, et qu'ils s'absentaient moins, qu'ils étaient moins stressés.
05:00 - C'est-à-dire avoir trois jours de repos au lieu de deux,
05:04 il y a un vrai changement sur le bien-être ?
05:06 - Oui, il y a une différence fondamentale.
05:07 Donc il y a deux approches, la première approche qui consiste à dire,
05:11 c'est ce que veulent certains politiques, on va baisser la durée hebdomadaire à 32 heures,
05:15 et la deuxième approche qui est la semaine de quatre jours.
05:18 La différence, c'est tout simplement que quand vous êtes en repos, une journée de plus,
05:24 vous êtes moins préoccupé, vous pouvez vous occuper à des loisirs,
05:28 vous produisez moins de cortisol, qui est l'hormone du stress,
05:31 c'est ce qui fait que vous revenez plus apaisé,
05:33 et d'ailleurs c'est pas nouveau, puisque cette expérience on l'a vécue en 1926 aux Etats-Unis,
05:37 quand Henry Ford a décidé d'adopter la semaine de cinq jours,
05:40 ce qui était un peu scandaleux à l'époque, on voyait pas trop comment on allait s'en sortir,
05:44 donc on voit bien le bénéfice d'un vrai repos.
05:46 Et ce qui est très intéressant, c'est qu'on se rend compte que
05:48 quand on demande aux gens "qu'allez-vous faire de cette journée de repos ?"
05:52 parce que finalement, moi je serais un peu embêté,
05:54 on se rend compte que les catégories supérieures vont plus passer leur temps à faire du loisir,
06:00 être dans un milieu associatif, et les CSP-1,
06:03 les catégories socio-professionnelles,
06:06 se consacrerait plus à des activités de type repos,
06:09 ou des activités comme les courses, les obligations administratives, etc.
06:13 Donc on voit bien que chacun va l'appréhender de manière complètement différente.
06:17 - Vous écrivez que la semaine de quatre jours est une opportunité de réduire certaines inégalités entre
06:22 les salariés dont les métiers peuvent être télétravaillés et ceux qui ne peuvent pas en bénéficier ?
06:27 - Oui, parce que quand on regarde, on a vraiment
06:31 vanté les mérites du télétravail, mais le télétravail ne concerne que 20% des emplois en France.
06:35 Donc si je suis serveur, je ne suis pas concerné par le télétravail.
06:38 Donc ça peut être normal que je trouve injuste
06:40 de ne pas pouvoir bénéficier de cette latitude dont le comptable,
06:44 enfin j'ai rien contre les comptables, je suis un ancien comptable, peut bénéficier.
06:47 Je pense que la semaine des quatre jours d'après les estimations qu'on a fait avec Thomas Laborey, qui m'a assisté,
06:52 je pense que la semaine de quatre jours pourrait potentiellement concerner 80% des emplois.
06:56 - C'est énorme. Donc on l'a dit, des avantages sur le bien-être des salariés,
07:01 des avantages, on l'a dit, ça réduit les inégalités entre les travailleurs,
07:05 mais il y a aussi des avantages sur l'environnement par exemple,
07:08 c'est-à-dire on va prendre moins sa voiture, on va moins dépenser d'énergie.
07:10 - Oui, alors il y a des études qui ont été faites, notamment une étude qui a été faite en Angleterre,
07:14 qui dirait, qui a été faite en 2021, dont la conclusion est la suivante,
07:19 si toutes les entreprises du Royaume-Uni adoptaient la semaine de quatre jours,
07:22 on baisserait l'empreinte carbone en 2025, donc au bout de 4 ans, de 21%.
07:27 Parce que les gens se déplaceraient moins.
07:29 On a une entreprise qui a adopté la semaine de quatre jours parce qu'elle avait besoin de faire des économies en termes d'énergie,
07:38 consommation d'énergie, face à la crise énergétique,
07:41 et donc ils ont déclaré avoir économisé 5000 euros,
07:44 qu'ils ont redistribué sous forme de primes aux salariés, donc c'est aussi intéressant
07:48 à un moment où on s'interroge sur le partage de la valeur.
07:52 Puis ça a d'autres effets, on sort d'un mouvement très très fort sur les retraites,
07:57 on peut partir du principe que si vous vous reposez plus longtemps pendant toute votre vie professionnelle,
08:01 vous arriverez à l'âge de la retraite dans de meilleures conditions.
08:03 - Francis, boyez votre livre "La semaine de quatre jours" sans perte de salaire, ça marche.
08:07 Il est destiné à qui ? Aux salariés ou aux patrons ?
08:09 - Alors moi je l'écris pour les patrons.
08:12 Je l'écris pour les patrons parce que je pense que ça viendra d'eux.
08:16 80% à peu près des salariés sont favorables à cela,
08:21 et on est un peu dans la loi de Pareto.
08:22 Par contre on a à peu près 20% des patrons qui le sont.
08:25 Donc je pense que la première chose à faire c'est de convaincre le patronat
08:28 et de leur montrer que c'est possible,
08:31 pour que plus largement tout le monde en bénéficie,
08:34 et que ce soit vraiment du gagnant-gagnant pour tout le monde.
08:37 - Et donc si un patron nous écoute sur Europe 1 actuellement,
08:40 il se dit "Tiens, la semaine de quatre jours,
08:44 je suis un peu dubitatif, comment est-ce qu'on peut le convaincre de dire "mais essayez" ?"
08:48 - Alors pour pouvoir s'approprier la semaine de quatre jours,
08:51 j'ai identifié quatre étapes.
08:53 La première étape c'est ouvrir le débat.
08:55 C'est-à-dire la première des choses à faire c'est
08:57 demander aux salariés si ça les intéresse, parce qu'il y en a qui ne s'intéressent pas.
09:00 La deuxième c'est aller justement observer les entreprises.
09:05 Ce que je trouve assez intéressant c'est que les entreprises françaises
09:08 qui se sont engagées dans la semaine de quatre jours
09:10 pour les avoir interjouvées sont
09:12 vraiment volontaires pour partager leur expérience.
09:15 Donc l'idée c'est d'aller voir les entreprises qui n'en déjà franchissent pas,
09:19 et puis après de comparer avec sa propre activité
09:22 et de définir le cadre. Par exemple,
09:24 il y a des entreprises qui ferment le même jour,
09:27 le vendredi par exemple.
09:29 Et puis il y en a d'autres, c'est par roulement.
09:30 Et puis il y en a d'autres qui sont dans une saisonnalité, qui disent "Bah là, moi,
09:34 je suis dans l'hôtellerie, la restauration, j'vais où, t'en oublies ?"
09:36 Ce qu'il faut croire, c'est vrai qu'on appelle ça la semaine de quatre jours,
09:40 j'aurais dû l'intituler "47 jours de repos supplémentaires par an".
09:44 - Merci Francis Esboyé, spécialiste en innovation managériale
09:48 et auteur de "La semaine de quatre jours" sans perte de salaire.
09:51 Ça marche, c'est aux éditions Erol.

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