Victorieux lors des quarts de finale contre les Fidji en 1987, le XV de France poursuit son ascension lors de la première Coupe du Monde de l’histoire du rugby, organisée en Nouvelle-Zélande et en Australie. Les Bleus semblent alors « gêner » les nations encore présentes dans la compétition : l’Australie, le Pays de Galles et la Nouvelle-Zélande. Personne ne les attendait aussi haut ! Alors qu’ils s’apprêtent à affronter les Australiens chez eux à Sydney, les Français sentent le vent tourner. Sous le feu des critiques depuis le début de la compétition, les Bleus sont alors portés par un public grandissant et reçoivent même le soutien du Premier Ministre, Jacques Chirac.
Dans cet épisode du podcast « Les Géants du rugby » produit par Europe 1 Studio, la légende du rugby français, Serge Blanco, nous fait le récit des phases finales de ce Mondial 1987. Le parcours des joueurs de Jacques Fouroux est impressionnant : ils s’élèvent jusqu’à la finale contre les favoris néo-zélandais à la suite de ce qu’on a appelé « l’essai du bout du monde ». Serge Blanco, auteur de cet essai mythique, nous fait vivre cette compétition de l’intérieur, nous dépeignant une équipe de France plus que soudée, donnant tort à toutes les prédictions, et évoluant dans une ambiance de solidarité et de fraternité entre les équipes internationales, surpassant une barrière de la langue encore très présente. “Par des gestes, par des tapes sur l’épaule, par des regards, on se comprenait quand même”, confie ému, notre Géant du rugby français.
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00:00 Bienvenue dans Les géants du rugby, je suis Manon Fossat.
00:08 Dans le premier épisode consacré à la Coupe du monde 1987, Serge Blanco nous a emmené
00:13 avec lui dans les coulisses d'une épreuve qui a constitué le point d'orgue de sa carrière.
00:17 Dans cette seconde partie du podcast, il va être question d'actions d'anthologie
00:21 et d'épopées humaines inoubliables.
00:23 Le samedi 13 juin, sous un soleil d'hiver austral, les Bleus sont attendus au Concordoval
00:31 Stadium de Sydney.
00:33 Les poteaux, les plus hauts du monde, s'élancent vers le ciel sur près de 40 mètres.
00:37 Pour cette demi-finale, le 15 de France avance en outsider face à l'Australie, l'un des
00:42 deux pays organisateurs.
00:44 Jamais depuis 1961, les Bleus ne se sont imposés face aux Wallabies à Sydney.
00:49 Ils vont jouer dans leur jardin, devant leur public, alors que nous, nous sommes assez
00:53 loin de chez nous.
00:54 Il nous faudra, je crois, beaucoup de mental, parce que dans le rugby, à ce niveau-là,
01:00 on peut considérer qu'il y a à peu près 40% de physique et 60% de mental.
01:06 Et pour battre les Australiens actuellement, je pense qu'il faudra 70% de mental pour
01:13 30% de physique.
01:14 La demi-finale que nous avons effectuée à Sydney, en 1987, pour cette première Coupe
01:22 du Monde, est bizarrement dans un petit stade.
01:25 Je crois que c'est le Concordoval.
01:27 Je crois que c'est un stade de 20 000 places, 20 000 ou 25 000 places.
01:32 Alors, il y avait une tribune centrale, et puis en face, vous aviez des talus qui remontent
01:39 d'herbe, et les gens étaient debout.
01:41 Donc voilà, il y avait une tribune, et après, tout le reste se passait sur l'herbe.
01:46 Mais c'était le rugby d'autrefois, entre guillemets.
01:50 Et même dans ce petit stade, où il n'y avait peut-être pas encore 20 000 personnes,
01:55 mais même dans ce petit stade, on sent qu'il y a un engouement qui est complètement différent
01:59 par rapport à ce qu'on a vécu jusqu'à maintenant.
02:02 On a senti que là et maintenant, il se passait quelque chose.
02:05 Autant dans les matchs de poules, personne n'était présent, pratiquement, autant là,
02:11 les avions sont arrivés de la France, de tous les pays britanniques, les Australiens
02:16 sont un peu plus concernés, les Néo-Zélandais exactement pareil.
02:19 Donc c'est-à-dire que là, on sent qu'il y a quelque chose qui est en train de se passer.
02:24 L'atmosphère, en tout cas ce que moi j'ai ressenti, c'est que nous étions en train
02:29 de gêner une vision future prévue par beaucoup de personnes.
02:36 C'est-à-dire dans le monde du rugby, on prédisait qu'il y aurait une finale Nouvelle-Zélande-Australie.
02:43 Mais quand on s'est présenté en Australie pour préparer cette demi-finale contre les
02:50 Australiens, à l'endurance, l'entraîneur a été un peu suffisant.
02:58 Donc ça nous a véritablement motivés.
03:01 Moi j'ai choisi cette musique-là au départ parce que je pense que Nabucco, Chant d'esclaves
03:13 de Verdi, ça correspondait bien avec ce que nous avions vécu.
03:19 On était agressés par nos propres médias.
03:22 Alors je ne dis pas que c'était injuste, mais vous savez, c'est toujours injuste quand
03:28 vous êtes sur un terrain et que vous pensez que bon, ça va, il ne faut pas en faire des
03:33 tonnes quand même.
03:34 Et puis après, par notre entraîneur, par l'opinion publique, par l'entraîneur de
03:40 l'équipe d'Australie, au bout d'un moment ça suffit.
03:43 Donc les avants étaient dans leur monde et nous on avait besoin d'être dans le nôtre.
03:49 Et au fur et à mesure, quand on écoutait cette musique de Verdi, on sent que ça part
04:02 tout doucement.
04:03 Et puis au fur et à mesure, ça monte.
04:07 Ça monte.
04:08 Au fur et à mesure que cette musique avançait, ça dure plus de 16 minutes, je crois un peu
04:24 comme ça.
04:25 Donc vous comprenez, au bout de 16 minutes, vous pouvez être ou concerné par le sujet
04:31 ou vous pouvez vous en désintéresser et en penser à autre chose.
04:34 Là, la force c'est que tout le monde est allé jusqu'au bout et tout le monde a fait
04:38 une fixette par rapport à son adversaire direct.
04:41 Dans les vestiaires, le demi-deux-mêlés Pierre Berbizier galvanise un peu plus ses
04:45 camarades avec cette petite phrase à propos des Australiens.
04:49 Ils ont tué l'événement, on va le recréer.
04:52 Pourtant, le début de la rencontre est laborieux.
04:55 On prend une première pénalité, une deuxième pénalité, une troisième, on marque un essai
05:00 qui est refusé, qui est parfaitement valable, mais à aucun moment, sur ce début de match,
05:07 nous avons eu peur de quoi que ce soit.
05:09 Même quand nous avons été à 9-0, je pense qu'il y a eu 9-0, il n'y a pas eu un sentiment
05:18 d'infériorité ou un simple...
05:21 Il n'y a pas eu de panique, il n'y a rien eu.
05:24 Au contraire, on est dans nos certitudes et quand vous êtes dans vos certitudes, peu
05:29 m'importe si vous avez pris 9 points ou pas.
05:31 Ce groupe était en osmose ce jour-là, c'est-à-dire qu'on était tous connectés pour un seul
05:37 objectif.
05:38 Dans ce stade champêtre tout acquis à la cause des Australiens, les Français tiennent
05:42 le choc.
05:43 Juste avant la mi-temps, le deuxième ligne tricolore Alain Laurieux, qui effectue peut-être
05:48 le match de sa vie, inscrit un essai.
05:50 Les Bleus n'ont plus que trois points de retard.
05:52 Commence alors une seconde mi-temps totalement folle et indécise.
05:57 On est à égalité, 24 partout, il reste quelques minutes.
06:00 En tout cas, on est satisfait parce que, dans un premier temps, si le match s'arrête,
06:07 on va donner prolongation et puis après on aura encore la chance de montrer ce que l'on
06:12 sait faire.
06:13 Et là, ça part sur une mêlée, introduction France, Pierre Berbizier me passe le ballon.
06:18 Moi, je fais une passe en veutu en voilà qui aboutit avec un rebond pour Patrice Agisquet,
06:26 Patrice déborde, met un coup de pied, Alain Laurieux qui sort dans ses ous.
06:31 Contre Campézet, en tout cas, Ambet Campézet dans la reprise du ballon.
06:42 Et on récupère tout simplement le ballon et puis après il y a cette continuité.
06:50 C'est Laurent Rodríguez qui récupère le ballon et qui me le transmet, qui me le donne.
06:59 Et puis bon, après il faut courir, aller marquer un coup, un coup.
07:09 Mais ça, le jour où j'ai posé le ballon, dans ce match, à la minute où je l'ai posé,
07:18 ça a été une récompense, mais pas une récompense pour Serge Blancon.
07:21 Ça a été une récompense parce que c'était notre groupe qui sortait vainqueur de cette
07:26 situation.
07:27 Et c'était tout ce qu'on avait enduré, tout ce qu'on s'était fait engueuler, tout ce
07:32 qu'on avait partagé.
07:33 On était, voilà.
07:34 Je ressens beaucoup de force, beaucoup d'énergie qui se libère.
07:43 Voilà, c'est du pur bonheur.
07:46 C'est un pur bonheur.
07:47 Mais comme je vous le disais, ce n'est pas un sentiment particulier à Serge Blancon.
07:51 Si j'ai pu arriver à ça, si j'ai pu arriver à ce résultat-là, c'est parce que je me
07:57 suis senti poussé, poussé par les autres.
08:01 Pierre Bermuzier, qui est le premier qui vient et on se saute dans les bras.
08:06 Pierre Bermuzier, je joue depuis junior.
08:09 J'étais en équipe de France junior avec Pierre Bermuzier.
08:12 Au centre, il y avait Bermuzier et Colornou.
08:15 Donc, c'est-à-dire que ce sont des aventures humaines.
08:18 Ce n'est pas ponctuellement qu'on a eu la chance de faire un match de rugby.
08:23 Voilà, et donc, c'est cette force qui se libère.
08:26 Voilà, c'est véritablement une force.
08:28 Ce groupe, après la demi-finale, est un groupe exceptionnel parce que d'abord, on ne rentre
08:35 pas directement dans les vestiaires.
08:38 On savoure.
08:39 Et à l'époque, les supporters pouvaient rentrer sur le terrain, chose qui est impossible
08:45 aujourd'hui.
08:46 Je me rappellerai toujours de cette image.
08:49 Après, je vois Eric Champ qui cherche, qui cherche.
08:55 Il ne sait pas où aller.
08:56 Il ne sait pas s'il va vers un joueur, s'il va…
08:59 Comme il y a tellement de monde, à un moment donné, il y a un supporter qui arrive et
09:03 il a moins sur le supporter.
09:05 Ça veut tout dire, quoi.
09:06 Ça résume bien cet état d'esprit.
09:09 Et c'est vrai qu'après, au bout d'un moment, on est allé boire une bière dans
09:15 le vestiaire.
09:16 On s'est détendu.
09:17 On s'est douché.
09:19 Et une fois que nous étions seuls, on est ressorti sur la pelouse tous ensemble.
09:25 On est allé chanter.
09:26 On est allé se dire ce qu'on avait besoin de se dire.
09:29 Et on a entamé un chant basque.
09:34 Et on a fait en sorte que ce moment reste inoubliable.
09:38 Voilà.
09:39 Cette victoire historique contre les Australiens procure un engouement sans précédent en France.
09:46 On a reçu des milliers de télégrammes.
09:49 En pleine nuit, on est réveillés par des supporters enthousiastes qui ne se rendent
09:53 peut-être pas compte qu'il y a 10 heures de décalage, les joueurs ont besoin de dormir,
09:57 les dirigeants aussi.
09:58 Mais comme ce sont des appels du cœur, ce sont des supporters inconditionnels qui nous
10:04 disent de tout leur bonheur qu'on est gagné et qu'ils souhaitent bien sûr la victoire
10:08 prochaine, alors on se dit que c'est vrai qu'ils ont senti quelque chose de différent
10:13 dans notre sport.
10:14 Surfant sur cet engouement, le président de la République de l'époque, François
10:18 Mitterrand, et son Premier ministre Jacques Chirac, en pleine cohabitation, ne tardent
10:22 pas à réagir.
10:23 Quelques semaines avant le départ des Bleus pour le Pacifique, Jacques Chirac les avait
10:28 reçus à Matignon.
10:29 Je leur avais indiqué que s'ils arrivaient en quart de finale, je leur offrirais trois
10:35 jours de repos à Bora Bora et que s'ils arrivaient en finale, ce serait une semaine.
10:41 Je ne sais pas si cette perspective a joué dans le moral de notre équipe, mais enfin,
10:50 je constate qu'il a été superbe ce moral.
10:53 Et si je le dis, c'est parce que ça c'est aussi la France qui gagne et que nous devons
10:59 en être fiers.
11:00 Après la victoire historique contre l'Australie, Jacques Fouroux laisse 48 heures de liberté
11:10 à ses joueurs avant d'affronter les redoutables Black que les Bleus ont battus quelques mois
11:15 plus tôt lors d'un test match à Nantes.
11:17 Il y a un relâchement parce que physiquement on a eu besoin de récupérer et on s'est
11:22 planté parce que moi, à mon sens, je crois que pour la préparation de cette finale,
11:29 la récupération pour moi n'était pas de mise.
11:33 Je pense qu'il aurait fallu qu'on continue à bosser comme on avait bossé la semaine
11:37 qui avait précédé notre demi-finale.
11:39 Et donc on était dans un hôtel qui s'appelait à l'époque, je ne sais pas s'il existe
11:46 toujours, Montdésir.
11:47 Et c'était à bord de plage alors on allait marcher dans l'eau, on allait faire ci,
11:53 on allait faire ça, on récupérait.
11:55 Mais je pense qu'on s'est trop détendu.
11:58 Une heure avant le coup d'envoi, Jacques Fouroux réunit ses joueurs pour la causerie
12:03 d'avant match.
12:04 Ils sont tous là, sur la pelouse, dans l'embute, sous les poteaux.
12:07 Le sélectionneur veut créer un électrochoc en délivrant des messages très intimes.
12:12 Cette causerie, une heure avant le début du match, a été un moment spécial, magique
12:22 et spécial.
12:23 Je pense que nous avons tous endossé les douleurs que certains d'entre nous pouvaient
12:29 avoir et les fardeaux que certains portaient.
12:31 Donc ça nous a énormément perturbés, mais énormément.
12:35 Il se dit des choses que je ne peux pas révéler.
12:39 Il y a des choses qu'on ne peut pas partager.
12:42 On les partage entre nous.
12:44 J'ai des amis en particulier qui vivent des vies un peu spéciales.
12:51 Parce qu'il y a certaines choses qui font que tous les jours ça ne rigole pas.
12:58 Il y a des gens qui doivent s'occuper de certaines autres personnes.
13:02 C'est-à-dire qu'on était concerné véritablement par les préoccupations que pouvaient avoir
13:09 certains coéquipiers.
13:10 Et ça, c'est la plus belle chose que nous ayons partagée dans cette finale.
13:17 Même si on l'a perdue, ce moment-là nous a encore un peu plus ressoudés, recentrés
13:23 sur nos vies personnelles.
13:25 Et maintenant, près de 30 ans après, ou 35, je ne regrette pas.
13:33 En fin de compte, je ne regrette pas parce que c'était peut-être ça l'apothéose,
13:37 c'était peut-être ça notre bâton de maréchal et notre victoire de la Coupe du
13:42 Monde.
13:43 Le 15 de France achève ce premier mondial de l'histoire, la tête haute.
13:46 La défaite 29 à 9 est logique, mais finalement assez anecdotique au regard de l'aventure
13:51 humaine extraordinaire vécue par Serge Blanco et ses camarades.
13:55 Il y a un fait exceptionnel, c'est que le lendemain de la finale, nous sommes à l'hôtel
14:02 et les blacks viennent et nous partageons le repas du dimanche midi.
14:09 Ils sont venus avec femme, enfant, à notre hôtel, comme si on n'avait pas joué la
14:18 veille.
14:19 Et ça, c'est des souvenirs inimaginables.
14:24 Ça vaut tout l'or du monde.
14:26 On n'a pas fini premier, on est venu second.
14:29 Il y a un tel respect de telle équipe qui vient et qui vous a battus et qui a assez
14:35 d'humilité pour venir le lendemain pour partager ce moment exceptionnel.
14:43 Au même titre, je fais un petit rétro-pédalage, en quarte de finale, quand nous avions gagné
14:50 contre les Fidjières, on a passé nos soirées avec les Fidjières, qui étaient exceptionnelles.
14:55 Soirées de chant, d'allégresse, de partage.
15:00 Voilà.
15:01 Je pense que dans une autre Coupe du Monde, on a vu ça après.
15:05 C'est pas possible parce qu'après on est rentré dans un système qui voulait que
15:10 le rugby commence à changer.
15:13 C'est tout ce que je retiens.
15:15 De l'amitié, des échanges avec les gars avec qui j'ai joué, mais surtout contre
15:21 qui j'ai joué.
15:22 C'est-à-dire qu'il y avait la barrière de la langue, surtout à cette époque-là.
15:29 Maintenant, tous les joueurs parlent anglais, les anglais parlent français, font des efforts.
15:36 C'est-à-dire qu'il y a une osmose linguistique qui est exceptionnelle.
15:42 Mais nous, de par des gestes, de par des tapes sur l'épaule, de par des regards, on se
15:47 comprenait quand même.
15:48 Et on partageait quelque chose.
15:50 Voilà.
15:51 J'ai beaucoup d'émotions par rapport à cette vision qui m'a fait revivre.
16:07 J'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup d'émotions.
16:11 Je suis touché au plus profond de moi-même.
16:14 Vous venez d'écouter Les Géants, un podcast Europe 1 Studio, produit par Sébastien
16:26 Guyot et réalisé par Christophe Daviau.
16:28 Si vous avez aimé, n'hésitez pas à vous abonner sur votre plateforme d'écoute préférée.
16:32 C'est gratuit.
16:33 A très bientôt pour le prochain épisode avec un autre géant du rugby.
16:36 Salut !
16:37 [Musique]