• l’année dernière

Le 17 juin 1995, les Bleus arrivent presque au terme de leur Coupe du Monde de rugby en Afrique du Sud, et s’apprêtent à vivre un match historique. Au cours de la demi-finale France-Afrique du Sud qui se déroule à Durban, Abdelatif Benazzi raconte avoir vécu une expérience qui « dépasse les limites du sport ». Toutes les circonstances sont réunies pour faire de cette rencontre un match hors du commun : des pluies torrentielles s’abattent sur le stade, laissant planer le doute quant au maintien même du match… Après deux heures d’attente, les joueurs se mettent finalement en place sur une pelouse aux allures de piscine !

Malgré les prières de sa mère, c’est le mauvais sort qui s’abat ce jour-là sur Abdelatif Benazzi, le « gamin prodige d’Oujda », la ville où il est né au Maroc. A quelques minutes de la fin du match, et après deux essais français refusés par l’arbitre, tout repose sur lui. Dans sa dernière action, le Géant du rugby semble aplatir le ballon sur la ligne d’essai mais ne parvient pas à amener la victoire à son équipe. C’est plein de frustration que les Bleus s’offrent donc une petite finale, l’occasion aussi de se réconcilier avec leurs meilleurs ennemis, les Anglais. Pour Benazzi, c’est le destin. « C’était le jour de l’Afrique du Sud » déclare-t-il, ce qui lui vaudra une lettre personnelle du Président Nelson Mandela, lui témoignant son respect et sa reconnaissance pour ces propos, « emprunts de grande sagesse ».

Les Springboks, sacrés champions du monde contre les Néo-Zélandais quelques jours plus tard, apportent, comme le rêvait Mandela, une parenthèse de joie, de solidarité, et d’unité à leur pays, divisé par la violence et le racisme. Dans ce podcast original produit par Europe 1 Studio, le Géant du rugby français nous dépeint un rugby qui va au-delà d’un trophée et qui l’a « construit en tant qu’Homme ».
Retrouvez "Les Géants du rugby" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-geants

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Bonjour, je suis Manon Fossat.
00:05 Bienvenue dans Les géants du rugby.
00:07 La seconde partie de cet épisode consacré à la Coupe du monde 1995 débute dans les
00:12 vestiaires de l'équipe de France.
00:14 Nous sommes juste avant la demi-finale historique contre l'Afrique du Sud.
00:18 Cela fait bientôt deux heures qu'abdélatif Benazie et les Bleus patientent.
00:21 Le déluge s'abat toujours sur Durban.
00:24 J'avais un rituel, ce qu'on appelle aujourd'hui la routine.
00:28 J'avais ma routine à moi que juste avant le coup d'envoi, il faut que j'appelle
00:32 maman, il faut que j'entende la voix de ma mère pour avoir quelques prières et quelques
00:36 bénédictions.
00:37 Je suis un peu ému de parler de ça, mais ça me touche.
00:42 Honnêtement, c'était marquant.
00:44 Ça m'a tellement donné d'énergie d'ailleurs que j'ai failli me blesser à la première
00:48 action puisque le coup d'envoi, je montre un malade sur François Pinard.
00:53 Je lui donne un coup d'épaule.
00:55 A l'époque, on avait encore le droit de donner des coups d'épaule, ne pas serrer
00:58 les bras comme aujourd'hui.
00:59 J'ai senti même une petite douleur à l'épaule et j'aurais dû faire attention.
01:04 En tout cas, ces moments et ces paroles nous ont conditionnés pour préparer cette demi-finale.
01:12 Ces deux heures d'attente, personnellement, m'ont submergé un petit peu d'acide lactique,
01:21 donc j'avais du mal à trouver un petit peu mes repères les 20 premières minutes.
01:24 On a beaucoup joué dans notre camp, mais c'était très difficile de pouvoir faire
01:29 deux passes.
01:30 Derrière, ils étaient frustrés par rapport aux quart de finale contre l'Irlande.
01:34 Ils ne pouvaient pas faire trois passes derrière.
01:38 Il y avait beaucoup de joueurs au pied, il y avait beaucoup d'arrêts, etc.
01:41 C'était plus un patinoire et par moments, une piscine pour rien dire.
01:48 Des fois, je me restais coincé sous le regroupement.
01:51 Il fallait rester en apnée parce qu'il y avait 15 centimètres d'eau.
01:56 C'était assez folklorique.
01:58 Au cours de cette rencontre apocalyptique, tous les éléments se déchaînent contre
02:02 l'équipe de France.
02:03 Un Tamak et Galtier marquent deux essais que l'arbitre refuse.
02:07 Il ne reste plus que quelques minutes à jouer.
02:10 Les Bleus continuent inlassablement de pousser alors qu'ils sont menés 19 à 15.
02:15 S'ils marquent un essai, ils seront en finale.
02:18 Plusieurs mêlées s'effondrent à 5 mètres seulement de la ligne d'embûte sud-africaine.
02:23 Et puis arrive cette dernière action, entrée dans la légende du rugby tricolore.
02:27 Abdelatif Benazie, du haut de son mètre 97, avec ses 120 kg, s'empare du ballon.
02:34 Cette action, on l'a fait 100 fois aujourd'hui.
02:39 100 fois, je vous promets.
02:40 100 fois, je suis 10 mètres derrière la ligne.
02:44 Mais comment ça se fait que vous prenez une balle, lancée avec 120 kg comme ça, lancée
02:48 comme un obus, à 3 mètres de la ligne et vous avez un partenaire, le capitaine de l'équipe,
02:53 qui vous tombe ?
02:54 Mais en général, quand on tombe dans un terrain glissant, on glisse.
02:58 Mais là, je tombe comme une masse.
03:00 Vraiment, je reste scotché au sol.
03:04 Et ça, je n'arrive pas à l'expliquer.
03:06 Mon délai est passé par là, le destin est passé par là.
03:10 Et je vous dirai avec le recul, je vous promets, j'ai appris ce jour-là que le sport dépasse
03:14 le fait de gagner ou de perdre.
03:16 Et c'était tant mieux pour ce pays.
03:17 Parce que moi, qui es né en Afrique, être sensible, comme je le suis, sur le problème
03:21 des discriminations, ayant vu des choses choquantes en 93, voir cette Coupe du Monde transformer
03:27 ce pays-là, c'était quelque chose, une bénédiction pour eux.
03:30 Et tant mieux, tant mieux, tant mieux.
03:32 Et voir ce Mandela en finale avec le maillot de l'Apartheid, j'en ai pleuré.
03:39 Et j'ai encore les frissons aujourd'hui.
03:41 Quand l'arbitre M.
03:42 Bivan siffle la fin du match, l'Afrique du Sud exulte.
03:46 La France, elle, est à genoux.
03:48 Et derrière, on voit, tout s'écroule, on rentre au vestiaire et puis tout le monde
03:53 gueulait, tout le monde gueulait, disait qu'on a été laissé d'Abdel, était marqué,
03:57 pourquoi l'arbitre ? L'arbitre nous a triché.
03:59 Et puis moi, je me lève et je dis, je n'ai pas marqué.
04:01 Pour que d'ailleurs cette souffrance s'arrête.
04:04 Et derrière, ça, il y avait une idée qu'il fallait jouer les Anglais pour la troisième
04:08 place, quitte à perdre la Coupe du Monde, quitte à ne pas perdre la troisième place.
04:12 Et les Anglais, c'était l'autre ennemi qu'il fallait battre parce que ça faisait
04:15 cinq ans qu'ils nous battaient chez nous et chez eux.
04:18 Ils se profilaient dans trois jours.
04:20 Donc je me lève, je dis à tout le monde, je n'ai pas marqué.
04:22 Maintenant, il y en a marre, je n'ai pas marqué.
04:24 Arrêtez de gueuler pour qu'on puisse passer à autre chose.
04:28 Il fallait voir ces joueurs français à minuit passer encore errés comme des âmes en peine
04:33 dans le hall de leur hôtel qui était absolument désert.
04:36 Il s'agit pourtant d'un grand hôtel dans le centre de Pretoria.
04:39 Il n'y avait pas un chat, que les rugbymen qui traînaient encore leur gros sac de sport
04:43 sur l'épaule après le dîner.
04:44 Ils n'avaient pas vraiment envie d'aller se coucher.
04:46 Ils voulaient parler, refaire le monde, refaire le match.
04:49 Alors au bar de cet hôtel, il y avait deux postes de télévision et l'une des chaînes
04:53 locales rediffusait la rencontre et beaucoup de joueurs ont voulu revoir ce match.
04:58 Bon, tous n'ont pas eu, je dirais, le courage de rester jusqu'à la fin parce que c'était
05:02 vraiment très dur, trop dur.
05:04 Ils sont allés boire une bière en ville, histoire de se changer un peu les idées car
05:08 le sentiment qui domine jusqu'à présent ici, c'est un peu celui de la frustration.
05:12 Moi je me console, peut-être que les autres joueurs ne l'ont pas fait ou l'entraîneur
05:15 parce que je crois au destin, je crois à ce fameux Mucktube.
05:18 C'était le jour de l'Afrique du Sud.
05:20 Mais en tout cas, quand je vois les comportements de l'arbitre, quand je vois les essais qui
05:24 ont été marqués et qui ne sont pas valables, notamment celui de Kruger, il n'est plus là,
05:29 il n'est pas valable.
05:30 L'essai de Galtier sur cette mêlée, il est valable, il n'est pas accepté.
05:34 Donc le mien qui est sur la ligne, aujourd'hui avec l'arbitrage vidéo, on peut décortiquer
05:40 cette action-là.
05:41 Mais en tout cas, il y avait plein de choses douteuses sur le comportement de l'arbitre
05:47 qui faisaient que cette demi-finale ne pouvait pas échapper au Springbok.
05:57 En attendant cette finale historique entre les Springboks, pays organisateur, et les
06:01 All Blacks, meilleure équipe du monde, les Bleus, eux, doivent éviter de sombrer.
06:05 Il reste une rencontre à jouer, ce qu'on appelle la petite finale, le match pour la
06:10 troisième place.
06:11 Un match pour gagner les Anglais.
06:12 Je ne sais pas s'ils étaient prêts, mais un match pour gagner les Anglais, pour ne
06:18 pas entendre ce mot de Good Game encore une fois par Will Carling.
06:22 Et puis paradoxalement, c'était un des moments les plus importants de la Coupe du
06:28 Monde, puisque c'est la première fois après la victoire contre les Anglais, on voit les
06:32 Anglais venir tous à notre vestiaire, changer nos maillots, servir les bières, et dire
06:38 qu'est-ce qu'on fait ce soir ensemble.
06:41 Et on sort tous ensemble, arbitrés par un joueur de golf qui s'appelle Ernie Els, qui
06:45 était au milieu de nous.
06:46 Et puis on a fait une troisième mi-temps comme jamais je l'ai faite de ma vie, en
06:51 finissant très tard, en rigolant ensemble et tout ça, et en cassant ces a priori, cette
06:57 espèce d'arrogance ou ce conflit qu'il y avait.
07:00 Donc à partir de ce moment-là, pour moi, il n'y avait pas de problème avec les Anglais.
07:03 On était des amis, des copains, et on comprenait pourquoi ils étaient comme ça.
07:08 Parce que c'était une culture différente, parce qu'ils étaient timides, ils ne parlaient
07:10 pas français.
07:11 Et à partir de ce moment-là, j'avais envie d'aller jouer en Angleterre.
07:14 Bon, on était au milieu de la ville, enfin dans des bars, on changeait les endroits,
07:19 il y avait des orchestres, enfin ça rigolait de partout, c'était vraiment avec nos supporters
07:23 français qui étaient autour de nous, nos amis, quelques membres de la famille.
07:27 Donc il y avait une espèce de communion, même si la langue des fois est difficile
07:30 à exprimer en anglais, etc.
07:32 Mais on est là, le trait d'union c'était le rugby, c'était le partage, c'était
07:36 la fête.
07:37 Et c'est ça qui est beau dans des Coupes du Monde comme ça, c'est qu'à un moment
07:39 donné vous êtes ambassadeur d'une nation, et qu'on va rencontrer d'autres nations,
07:45 et puis la fraternité est là, et puis tout le monde avec sa culture partage ce moment-là,
07:49 et le trait d'union c'est le mot rugby, et avec le verre de l'amitié, tout se
07:54 reconsulide, d'où l'adage "c'est un sport de voyous pratiqué par les gentlemens",
07:58 c'est bien ça.
07:59 Les sourires sont un peu revenus sur les visages des joueurs du XV de France après
08:03 cette victoire 19 à 9 contre l'Angleterre.
08:06 Mais c'est en simple spectateur qu'il faut désormais assister à la finale entre l'Afrique
08:10 du Sud et la Nouvelle-Zélande.
08:11 La rencontre a lieu sur le terrain mythique de l'Elis-Park à Johannesburg.
08:16 Dans les tribunes, Abdelatif Benazie est assis entre Pierre Berbizier et Philippe St-André.
08:21 Les mines sont renfroignées.
08:22 Donc on arrive, on n'est plus joueurs, on a nos tickets, on est derrière les poteaux,
08:28 on n'est pas dans les loges ou quoi que ce soit, donc on était tous à ce moment-là
08:32 privés de cette fête.
08:33 On avait gagné les Anglais mais on était venus pour vivre la finale, pour gagner la
08:37 Coupe du Monde.
08:38 Donc on est tous fermés, on est tous tendus, il n'y a pas de parole, on est juste en
08:44 train de ressentir une grosse frustration mais en même temps découvrir et voir ce
08:48 qui se passe.
08:49 Ce qui se passe d'abord c'est l'espèce de tableau qui est devant moi, c'est l'espèce
08:55 de multitude de couleurs.
08:59 C'est ça qui m'a le plus marqué.
09:00 Dans les tribunes il y avait des couleurs vert bouteille, rouge, blanc, des chapeaux,
09:08 tout était des instruments de Zoulou, tout était mélangé et c'était magnifique,
09:15 c'était poétique.
09:16 Donc ça c'est la première image qui m'a marqué dessus, très cosmopolite avec un
09:19 mélange entre les blancs, les noirs, tout était comme un seul corps.
09:23 Ça, ça m'a marqué.
09:24 Le deuxième coup c'est le bruit qu'on a ressenti avec un stade qui bouge.
09:28 Et là c'est quoi, qu'est-ce qui se passe ? C'est un tremblement de terre et en fait
09:31 c'est un avion qui passe.
09:33 Aucune compagnie ne peut faire ça, aucune autorisation ne peut être donnée pour ce
09:37 genre de jambo qui passe au-dessus du stade et qui fait trembler le stade.
09:41 C'était le sponsor officiel de la Coupe du Monde, South African Airlines.
09:47 Et en bas de l'avion il y avait marqué "Go Boca", je me rappelle toujours Boca, "Allez
09:53 les Bocs", les Springboks.
09:54 Et ça c'était quelque chose qui m'a aussi effrayé.
09:57 Et puis après le spectacle, je ne me rappelle pas s'il y avait des écrans, mais en tout
10:02 cas on voyait Mandela descendre, sortir de ce tunnel avec ce maillot vert, applaudi par
10:07 tout le monde, vraiment adulé.
10:11 Et là on était dans un état second, en train de voir un petit peu, en se morfondant
10:17 quand même de ne pas y être au milieu.
10:18 On observait simplement.
10:19 Au milieu de ce stade en liesse, Nelson Mandela s'avance avec le maillot des Springboks
10:24 sur le dos.
10:25 Il porte le numéro 6, celui du capitaine François Pinar, fils d'Africaners et pur
10:30 produit de l'apartheid.
10:31 Je n'avais pas fait attention à ce moment-là que c'était le numéro du capitaine François
10:35 Pinar, pur africain, né dans le pays des bouches, dans une école 100% blanc, vraiment
10:44 quelque chose qui éduquait comme tel, perturbait lui dans sa vie avec sa rencontre en étant
10:50 capitaine et en portant le message de changer le pays en étant capitaine.
10:54 Il sort du cadre sportif.
10:56 Et ce lien fraternel qu'il y a eu avec Mandela, c'est quelque chose de magique.
10:59 Donc ce maillot avec le numéro 6 de François Pinar, vêtu par Nelson Mandela le président,
11:07 c'était quelque chose de symboliquement...
11:09 Mondialement, je crois que tout le monde a eu, même si on n'est pas addict de rugby,
11:16 même si on est néophyte, on ne peut qu'admirer ce moment-là.
11:19 Je vois que l'événement a réussi, qu'un homme a fait tout pour changer un pays et
11:28 que le bonheur de ces gens qui étaient privés de liberté, de sport, de droit et tout ça
11:34 allaient peut-être trouver un équilibre et un pouvoir et une espèce d'harmonie dans
11:38 ce pays-là, dans ce pays arc-en-ciel.
11:40 Voilà, donc j'ai senti que le sport jouait ce rôle et c'est quand même fantastique
11:45 que Mandela, que la Coupe du Monde, que le rugby, que l'Afrique du Sud pouvaient transformer
11:50 une situation politiquement difficile, un espèce d'équilibre sur le moment, même
11:56 s'il y a encore des problèmes aujourd'hui.
11:57 Mais en tout cas, le sport a joué son rôle, le rugby a joué son rôle, la Coupe du Monde
12:01 a joué son rôle et Mandela a joué son rôle.
12:03 Et là, c'était l'osmos total, c'était inconcevable, deux ans auparavant, inconcevable.
12:11 Sur le plan sportif, ce match n'a pas marqué les esprits.
12:19 Mais la victoire de l'Afrique du Sud, 15 à 12 après prolongation, va bien au-delà
12:23 évidemment.
12:24 Une fois encore, c'est l'histoire qui s'écrit.
12:26 Tout un peuple exulte, noir et blanc, ensemble.
12:29 C'était la folie, c'était la folie dans les tribunes.
12:33 Ces chants, ça résonnait partout, ça chantait, ça chantait.
12:39 Avec cette Coupe du Monde et ces paroles aussi de François Pinard qui dit dans le micro
12:45 devant tout le monde, on avait l'impression que c'était Mandela qui parlait, qui disait
12:50 que ce n'est pas la victoire de 15 Sud-Africains mais 42 millions de Sud-Africains.
12:53 Et ça, c'était quelque chose qui était, c'était l'émotion qui a été trouvée.
12:56 Et c'était, je voyais des blancs porter les jeunes dans leurs épaules, tout le monde
13:01 s'embarrassait.
13:02 C'était quelque chose qui était une belle fête de sport.
13:04 Ce jour-là, Abdelatif Benazie comprend encore un peu plus pourquoi il a perdu la Coupe du
13:08 Monde.
13:09 L'Afrique du Sud avait besoin de ce titre pour se réconcilier avec elle-même.
13:12 Pour la première fois de son histoire, l'Afrique du Sud tout entière a fait la fête cette
13:16 nuit pour célébrer la victoire des Springboks.
13:18 C'est du jamais vu ici car le rugby a toujours été jusqu'alors le sport des blancs, le
13:22 symbole de l'apartheid.
13:23 Dès le coup de sifflet final, un vent de folie a traversé le pays.
13:26 Dans les rues malfamées de Johannesburg, on a croisé des mendiants qui criaient « Boka,
13:30 Boka ». Dans le quartier chic, où avait lieu le dîner de clôture de la Coupe du
13:34 Monde, on a vu des gardiens de parking noirs embrasser des grandes dames un peu coincées
13:38 de la société africaine.
13:40 Image fugitive et étonnante d'un pays enfin réconcilié, au moins pendant quelques heures.
13:45 Comme si le rugby d'un seul coup avait effacé des siècles de haine et 40 ans d'apartheid.
13:49 Sauf qu'on n'efface pas l'apartheid d'un coup de crayon magique ou avec un trophée
13:52 de rugby, si prestigieux soit-il.
13:54 Lors du dîner de clôture de ce mondial, le patron de la Fédération Sud-Africaine
13:59 de Rugby tient des propos outranciers.
14:01 On est à deux doigts du Pugilat.
14:03 Il y avait des suspicions qu'en quoi les All Blacks ont été empoisonnés, qu'ils
14:05 étaient affaiblis pendant le match, que certains vomissaient dans le vestiaire à la mi-temps,
14:10 etc.
14:11 Donc encore une fois des rumeurs.
14:12 Mais surtout, ce qui a déclenché, c'est l'attitude d'un président qui était très
14:16 arrogant, qui s'appelle Lloyd Lewis, qui dit que s'il y avait d'abord un homme à récompenser
14:22 pendant cette Coupe du Monde, c'est l'homme de la Coupe du Monde, il s'appelle Mr.
14:25 Bivens.
14:26 Il l'appelle devant tout le monde, il lui remet une montre en or.
14:28 Et on voit l'attitude des All Blacks, et notamment le numéro 6, Bréwer, qui se lève
14:35 et qui l'allait directement dans l'estrade pour aller emplâtrer le président.
14:40 Et donc tout est parti de là et le dîner a fini un peu en queue de poisson.
14:44 Et donc voilà, la Coupe du Monde finit par ces propos maladroites de ce président très
14:52 arrogant et très ambide lui-même.
14:53 Le retour à la vie normale s'annonce difficile.
14:55 Les Bleus reviennent en France dans l'indifférence quasi-générale.
14:59 Il n'y a ni supporters, ni caméras à l'aéroport.
15:01 Abdelatif Benazie, lui, a 27 ans.
15:04 A cette époque, il n'a pas de femme, pas d'enfant.
15:06 Il a peur de rentrer en France par crainte de devoir passer l'été à raconter encore
15:10 et encore cet essai refusé contre l'Afrique du Sud.
15:13 Il part donc faire un stage en Australie.
15:15 Je dis dans une conférence de presse, écoutez, moi ce que j'ai vécu pendant cette Coupe
15:22 du Monde, ça dépasse le cadre du sport, gagner ou perdre.
15:25 Tant mieux pour l'Afrique du Sud.
15:27 C'est le destin, c'est comme ça.
15:30 Cette Coupe du Monde, l'Afrique du Sud l'a bien désirée.
15:32 Tant mieux parce que ce que j'ai vu pendant la finale et ce message de Mandela m'a transporté.
15:36 Je suis de tout cours avec l'Afrique du Sud.
15:39 Je pense avoir dit ça.
15:40 Trois semaines après, je reçois un coup de fil de l'ambassadeur sud-africain à Paris
15:46 et aussi de Morni Di Plessis.
15:50 Morni Di Plessis qui était le manager de l'équipe sud-africaine, qui me dit Abdelatif
15:55 il y a un petit courrier de M.
15:57 Mandela que M.
15:58 l'ambassadeur va vous remettre parce qu'il a été très sensible à vos propos.
16:01 Moi je n'y avais complètement pas pensé.
16:04 Jusqu'au moment où j'ai trouvé cette lettre qui était très touchante.
16:09 C'est des fois, encore une fois, moi qui suis né en Afrique, à Oujda, je n'imaginais
16:13 en aucun cas jouer en équipe de France et être capitaine d'équipe de France et faire
16:17 trois Coupes du Monde.
16:18 Et avoir des moments comme ça, tu te dis qu'on peut mourir tranquille.
16:22 Cette lettre, elle figure en préface du livre d'Abdelatif Benazie "Une vie à laisser".
16:29 Bien sûr, Abdel l'a gardée précieusement chez lui.
16:32 Et il a accepté de nous la lire.
16:34 Le sport a le pouvoir de changer le monde, parce qu'il a le pouvoir d'inspirer les
16:38 êtres.
16:39 Autour de nous, rares sont les actions capables d'unir les peuples.
16:42 C'est avec beaucoup de respect Abdel que je vous écris ces lignes.
16:45 Vous savez que la Coupe du Monde de rugby a laissé en Afrique du Sud des souvenirs inoubliables.
16:50 Un de ces moments particuliers restera pour moi et pour mon peuple la dramatique demi-finale
16:56 de Durban durant laquelle les Springboks ont affronté la France.
17:00 Dans des conditions impossibles, sous le déluge, le 17 juin 1995.
17:05 Après avoir arrêté un joueur français appelé Abdel Benazie à quelques centimètres de
17:10 la ligne d'essai, du moins, nous croyons tous qu'ils l'ont fait.
17:14 Personne au cours de cette demi-finale ne méritait de perdre.
17:18 Après avoir tant donné et joué avec tellement de vaillance.
17:21 Quelques temps plus tard, il m'a été rapporté vos propos, emprunt de grande sagesse.
17:26 Nous vous remercions Abdel pour votre remarquable esprit sportif et le sentiment que nous éprouvons
17:32 pour votre nation.
17:33 You are so friendly.
17:36 Signé Nelson Mandela.
17:39 Voilà.
17:40 Vous allez me faire pleurer vous.
17:41 Non c'est… Je le dis, ça dépasse le sport.
17:48 C'est des moments rares.
17:50 Je n'ai pas gagné la Coupe du Monde, j'en ai fait trois, mais j'ai gagné des moments
17:55 comme ça.
17:56 C'est aussi une Coupe du Monde à moi, partagée avec tous mes coéquipiers.
17:59 Peut-être que certains ne l'ont pas ressenti comme ça, mais moi je l'ai ressenti parce
18:02 que très sensible à ce qui se passe dans ce continent.
18:06 Et voir un petit peu l'évolution de ce pays dans le contexte actuel, avec les changements
18:13 qui ont été rapportés à ce pays-là, je me réjouis.
18:16 Même si, encore je le répète, il reste encore beaucoup de crimes, beaucoup de problèmes,
18:20 etc.
18:21 Mais en tout cas, ça a fait beaucoup de choses et le droit est revenu.
18:25 Moi le rugby m'a construit en tant qu'homme, c'est surtout ça que j'ai gagné.
18:30 C'est être un bon citoyen, un homme responsable qui a appris certaines valeurs, qui a envie
18:38 de les transmettre aujourd'hui par une multitude de fonctions qui ont la mienne, que ce soit
18:42 caritatif ou en termes de gouvernance ou quoi que ce soit.
18:47 C'est ça aussi le sport et le rugby.
18:49 Vous venez d'écouter Les géants du rugby, un podcast Europe 1 Studio produit par Sébastien
19:05 Guyot et réalisé par Christophe Daviau.
19:07 Si vous avez aimé, parlez-en autour de vous, mettez un maximum d'étoiles et abonnez-vous
19:11 gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée pour ne rater aucun épisode.
19:16 À très vite pour une nouvelle plongée au cœur de la Mêlée Bleue.
19:19 *rire*

Recommandations