Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre, était lundi 4 septembre l’invité du 8h30 franceinfo.
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00:00 Cette alerte lancée par le président des Restos du Coeur, Patrice Douré, en direct dans le JTTF1 hier.
00:06 L'an dernier, les Restos du Coeur ont distribué 142 millions de repas.
00:10 Et là, nous en sommes à plus de 170 millions de repas distribués par les Restos du Coeur.
00:15 Très clairement, aujourd'hui, ce n'est plus tenable.
00:17 À ce rythme-là, si l'on n'y fait rien,
00:20 même les Restos du Coeur pourraient mettre la clé sous la porte d'ici trois ans.
00:23 C'est ce qu'il dit hier à 13h.
00:25 Et à 20h, la ministre des Solidarités, Aurore Berger, annonce une enveloppe d'aide de 15 millions d'euros.
00:30 Est-ce que vous saluez l'efficacité du gouvernement ?
00:33 Écoutez, c'est bien qu'il y ait une réaction.
00:35 L'alerte des Restos, elle recoupe l'alerte de beaucoup d'associations.
00:40 Face à l'augmentation des prix alimentaires qui pénalisent des ménages,
00:44 des personnes qui vont devoir aller solliciter de l'alimentaire parce que ça ne passe plus.
00:48 Mais pour les associations qui distribuent, il y a aussi des coûts augmentés dans l'achat.
00:52 Parce qu'une partie est achetée, pas tout ce qui est distribué par les distributions alimentaires.
00:56 Mais aussi parce qu'il y a l'augmentation de l'électricité,
00:58 parce qu'il y a l'augmentation de l'énergie et ça pèse aussi sur les associations.
01:01 Alors oui, c'est bien que la nouvelle ministre des Solidarités, Aurore Berger, réagisse en disant
01:07 "on vous a entendu".
01:08 En fait, ça fait un moment que les Restos tirent la sonnette d'alarme.
01:10 On sait que la distribution des banques alimentaires a été multipliée par trois en dix ans.
01:15 Donc on n'est pas face à un problème à un moment donné, dans une rentrée 2023.
01:19 C'est un glissement.
01:22 Il se passe quelque chose face à la fragilité de ceux qui étaient déjà pauvres,
01:26 qui s'en foncent un peu plus, et face à d'autres qui ont peur de basculer
01:28 ou qui ont commencé à basculer face à ces coûts élevés de bien de première nécessité.
01:33 – C'est du colmatage, on n'a pas assez anticipé.
01:35 – Oui, bien sûr que c'est du colmatage.
01:37 Il est nécessaire, comme toutes les situations d'urgence, les personnes à la rue,
01:40 il faut trouver des solutions immédiates.
01:42 Il y a des personnes qui ne peuvent pas s'alimenter, il faut leur donner à manger,
01:45 il faut leur tendre la main, il faut les protéger.
01:47 Mais à un moment, il faut regarder, qu'est-ce qu'on fait ?
01:49 On passe de crise en crise, la crise sanitaire, l'augmentation,
01:52 l'inflation sur les prix, les biens de première nécessité,
01:55 et puis on met des pansements, comme ça on voit très bien,
01:58 et les restos l'ont redit ce matin, il faut des mesures d'urgence,
02:01 mais il faut aussi des mesures structurelles qui puissent aider durablement
02:05 les ménages les plus pauvres et les plus modestes dans notre pays.
02:07 – Est-ce que vous faites partie de ceux qui disent que l'État s'appuie trop
02:09 sur les associations pour des missions qui lui incombent en fait ?
02:13 Nourrir les Français.
02:14 – Alors, ça dépend de quoi on parle, parce que si vous voulez,
02:17 si les ménages les plus modestes, si les ménages les plus pauvres
02:21 avaient un bouclier social, et moi j'appelle ce matin à un bouclier social,
02:24 sur les APL, sur le RSA qu'on doit faire augmenter,
02:27 sur la multiplication du chèque énergie par 3,
02:29 si on avait ces mesures structurantes qui sont des décisions du gouvernement,
02:33 il y aurait moins de personnes qu'il faudrait aider via les associations.
02:37 Donc ça ne s'oppose pas, tout est lié.
02:40 Par contre, laisser se dégrader la situation de centaines de milliers de ménages
02:45 au fil des années, sur le plan du logement, sur le plan du pouvoir d'achat,
02:48 sur le plan des minima sociaux, et puis ensuite se dire
02:50 "non mais les associations vont se débrouiller", ça, ce ne serait pas acceptable.
02:53 – Vous avez parlé de glissement tout à l'heure,
02:54 vous voyez dans tout ce dont on parle depuis hier,
02:57 un signe que la population française s'appauvrit.
03:01 – Alors, si on prend le taux de pauvreté, pas particulièrement,
03:05 mais vous savez que c'est un indicateur monétaire parce qu'on dit
03:07 il y en a tant qui sont en dessous de ce taux, tant qui sont au-dessus.
03:10 Mais en fait, cet indicateur de la pauvreté qui nous amène à peu près
03:13 entre 9 et 10 millions de ménages selon comment on calcule,
03:18 il ne tient pas compte des dépenses.
03:20 Ce que nous, nous voyons à la Fondation Abbé Pierre,
03:22 c'est que quand on regarde les budgets des ménages que l'on aide,
03:24 ou que les restos aident, c'est qu'en réalité, les dépenses des besoins
03:28 des biens de première nécessité ont tellement augmenté pour se chauffer,
03:32 pour se déplacer, pour s'alimenter, que au fond, avec des petites ressources,
03:36 eh bien votre reste à vivre a diminué considérablement depuis la crise Covid.
03:41 Donc, il y a deux phénomènes majeurs. Les plus pauvres s'enfoncent
03:44 parce que eux, il faut bien continuer à manger, il faut bien continuer à se chauffer,
03:47 même si beaucoup se privent déjà. Et l'autre phénomène,
03:50 c'est qu'à côté des plus pauvres qui s'enfoncent, c'est que ceux qui étaient
03:53 sur le fil, eh bien, se retrouvent dans des situations de privation,
03:56 d'inquiétude énorme, qui vraiment suscitent beaucoup, beaucoup de peur
04:00 au sein des familles, et je pense notamment aux femmes seules avec enfants,
04:02 je pense aux jeunes, je pense aux étudiants, qui particulièrement
04:05 sont confrontés à ces difficultés.
04:07 – Les Restos du Coeur tirent la sonnette d'alarme,
04:08 comme plusieurs autres associations, vous l'avez dit,
04:10 la Croix-Rouge, le Secours Populaire, l'Armée du Salut,
04:13 comment ça se passe de votre côté ?
04:15 Est-ce que vous aussi, vous êtes débordés par les demandes d'aide ?
04:18 – Alors c'est un petit peu différent parce que toutes n'agissent pas
04:21 de la même manière. Par exemple, si on prend l'exemple des restos,
04:24 il y a des dons, des restos, mais il y a aussi des aides publiques,
04:26 des aides européennes, il y a des dons de nourriture.
04:28 Nous, ce ne sont que des dons, c'est-à-dire qu'il n'y a pas
04:30 de financement public, c'est 3% de l'usage de la fondation.
04:32 Donc ce sont des donateurs qui soutiennent l'action de la fondation ABPIER.
04:36 De ce point de vue-là, moi, et je tiens vraiment à les remercier,
04:40 la solidarité est au rendez-vous, c'est-à-dire que ça n'augmente pas fortement,
04:43 mais ça ne baisse pas malgré ces difficultés.
04:45 Et vous savez que beaucoup de petites gens donnent,
04:48 c'est-à-dire que c'est 200 000, 300 000 donateurs par an,
04:51 et beaucoup de gens qui ont des petites ressources,
04:52 qui nous disent "là je peux faire un peu moins,
04:54 ça ne sera pas 7 ou 10 euros par mois, ça sera 5 euros, 7 euros".
04:57 C'est une force, c'est une indépendance.
05:00 En revanche, ce que l'on voit, c'est que nous, ce que nous avons à faire,
05:02 c'est d'aider les mal logés, là ils sont plus nombreux,
05:05 ils souffrent plus, et les associations que l'on soutient,
05:07 qui aident les mal logés, puisqu'on finance à peu près 800 projets
05:10 par an, portés par 400, 500 associations,
05:13 elles sont en difficulté.
05:14 Parce qu'il y a plus de demandes, de besoins, de gens qui souffrent,
05:17 en difficulté, qui ont besoin d'être aidés,
05:19 et parce qu'elles ont des dépenses aussi.
05:20 - Et la réalité, c'est qu'on n'arrive pas à aider tout le monde.
05:24 - Bien sûr. Bien sûr qu'on n'arrive pas à aider tout le monde.
05:26 - Et les publics ont changé aussi.
05:27 - Tout le monde ne vit pas convenablement dans ce pays,
05:30 notamment les plus pauvres,
05:31 et je veux vraiment qu'on ait en tête ces deux dimensions.
05:35 Quand vous, vous voyez votre caddie augmenter,
05:37 comme vous en parlez sur vos ondes tous les jours,
05:40 imaginez quand vous aviez déjà très peu,
05:42 un RSA à 600 euros quand vous êtes seul,
05:44 ou quand vous avez 1400 euros parce que vous êtes au SMIC,
05:49 et que vous avez deux enfants,
05:51 vous voyez bien ce que ça fait.
05:52 Donc vous avez ceux qui sont déjà pauvres qui s'enfoncent,
05:55 et les autres qui ont peur de bâtir.
05:55 - Vous avez vu des nouveaux publics venir taper à votre porte ?
05:59 - Alors ce qu'on a vu, notamment depuis la crise Covid,
06:03 la crise sanitaire, effectivement,
06:05 ce sont des personnes par exemple,
06:07 qui n'arrivaient plus à payer leur loyer,
06:09 donc qui se retrouvaient menacées d'expulsion à court ou moyen terme.
06:13 Et là, ce sont des petits entrepreneurs,
06:15 des auto-entrepreneurs, des artisans, des commerçants.
06:18 Alors il y a eu le bouclier qui a été mis en place
06:20 pendant la crise Covid,
06:21 mais vous voyez bien que ça a fait que pour certains différer,
06:23 parce qu'il faut rembourser le prêt garanti par l'État,
06:26 parce que ceci, parce que cela.
06:27 Et là, on a vu tout un pan de ce public-là se fragiliser.
06:31 Et ce n'était pas un habitué de l'aide publique,
06:34 des associations, des aides, si vous voulez,
06:36 et qui nous ont dit "Bah nous, ça ne passe pas".
06:38 Et je le dis sur vos ondes, il ne faut pas avoir honte.
06:40 Enfin je veux dire, on a des protections sociales,
06:42 on contribue aussi.
06:43 - Ils arrivent en ayant honte.
06:44 - Il faut se faire aider.
06:45 - Oui, parce que ce sont des gens qui découvrent la pauvreté.
06:46 - Moi, je vais vous dire ce qui me fait le plus de douleur aujourd'hui,
06:48 quand je parle de ce que nous discutons ce matin,
06:52 c'est que j'entends beaucoup de familles que nous croisons qui ont honte.
06:54 Honte des conditions de vie qu'ils offrent à leurs enfants.
06:57 Honte de devoir demander l'aide sociale.
06:59 Honte. Il ne faut pas avoir honte.
07:01 Ça nous dépasse ce qui est en train de se passer.
07:03 Une crise sanitaire, ça nous dépasse ce qui est en train de se passer.
07:06 Enfin, avec l'inflation, ça ne nous dépasse pas, mais...
07:09 Il faut se faire aider à un moment,
07:10 ça évite de basculer dans quelque chose de plus difficile.