• l’année dernière
Transcription
00:00 Place à la rencontre. Aujourd'hui notre invité est réalisateur.
00:04 D'abord médecin, il nous a ouvert les portes de l'hôpital de la première année de médecine
00:08 à des services surchargés à travers trois films et une série.
00:11 Aujourd'hui il nous emmène à l'école, une autre institution fragilisée au cœur de l'actualité
00:17 et aussi des polémiques. Son film s'appelle "Un métier sérieux".
00:21 Bonjour Thomas Dilty. Bonjour. Et bienvenue dans les Médis de culture.
00:24 Alors être médecin c'est un métier sérieux, être enseignant aussi est réalisateur. C'est un métier sérieux Thomas Dilty ?
00:31 On commence tout de suite par la question essentielle. Est-ce que c'est un métier sérieux être réalisateur ?
00:35 Tous les métiers sont sérieux évidemment et le titre du film, il faut l'entendre avec une forme d'ironie,
00:40 c'est pas tellement que certains métiers ne puissent ne pas l'être.
00:44 C'est pourquoi ce métier d'enseignant n'est plus considéré avec le sérieux qu'on pourrait attendre.
00:50 En fait c'est un métier qui s'est dévalorisé beaucoup et puis surtout qui est mal aimé.
00:53 C'est le constat que j'en fais, qui est mal aimé un peu par tout le monde,
00:57 pas uniquement par les politiques publiques mais aussi par les parents d'élèves,
01:03 par les gens en général qui passent leur temps à douter des compétences, des qualités
01:08 et qui pensent pouvoir souvent penser à la place des profs, intervenir, dire comment on devrait faire,
01:16 leur dire qu'est-ce qui serait mieux pour enseigner,
01:19 alors même que le métier est finalement très méconnu de tout le monde.
01:22 Moi je prends toujours cette image.
01:23 J'ai jamais entendu un chef du gouvernement par exemple dire à un médecin comment il devrait opérer l'appendicite
01:30 alors qu'on passe notre temps à expliquer.
01:32 - Quand même pendant la crise du Covid, il y a quand même eu un petit peu les médecins pour faire comme ça.
01:36 - Oui mais c'était quand même les médecins entre eux surtout qui se prenaient le bec.
01:39 - Métier mal aimé, vous le dites, mal aimé aussi peut-être par ceux qui le font,
01:44 ou en tout cas par les conditions de travail.
01:47 C'est là où c'est aussi important et ça interroge sur la crise des vocations.
01:51 - Quand les métiers se dévalorisent, souvent c'est parce que les gens qui pratiquent le métier
01:56 sont les premiers à en douter, à les remettre en question.
02:00 Pourquoi ? Parce qu'il y a une souffrance qui s'opère,
02:03 qui est une souffrance au travail dont on parle beaucoup,
02:05 dont j'ai parlé aussi chez les soignants, mais qui est réelle chez les enseignants.
02:08 Mais quelle est cette souffrance ?
02:10 Cette souffrance c'est surtout de ne pas pouvoir faire son métier dans des bonnes conditions.
02:13 Et c'est pour ça que certainement le métier s'abîme et se dévalorise.
02:18 De toute façon, à un moment donné, on tombe dans un cercle vicieux dont il faut réussir à sortir.
02:23 - Vous ne m'avez pas vraiment répondu Thomas Guilty.
02:25 - Est-ce que le réalisateur est un métier sérieux ?
02:27 - Vous dites que tous les métiers sont sérieux, mais c'est une petite pirouette.
02:29 - Non, ce n'est pas une pirouette.
02:31 - Ce n'est pas le même engagement, réalisateur, enseignant ou soignant.
02:34 - Non, vous avez raison. Il y a des métiers que je considère très difficiles à définir.
02:38 Moi, je parle souvent de métiers d'utilité publique, c'est un grand mot comme ça.
02:41 - On a parlé de métiers essentiels ou non-essentiels.
02:44 - Des métiers non marchands, moi j'aime bien ce terme.
02:47 C'est un peu des métiers non marchands. Et tous ces métiers non marchands,
02:49 ce qui n'est pas le cas du réalisateur qui est un métier marchand.
02:51 - Oui, c'est ce que j'allais vous dire.
02:52 - Qui est un métier marchand. Mais tous ces métiers non marchands
02:55 se sont quand même désacralisés, dévalorisés, dépréciés depuis de longues années.
03:00 Parce que quand on en arrive à des...
03:02 Pour prendre l'exemple le plus flagrant, c'est les pompiers qui peuvent être molestés.
03:06 Par exemple, les pompiers, c'est l'exemple absolu du métier non marchand.
03:10 Et d'ailleurs, chez les profs, on voit bien qu'il y a plein de profs qui fuient un peu l'éducation nationale
03:16 pour aller faire des cours privés, des cours particuliers,
03:19 ce qui est donc marchand de leur savoir-faire.
03:21 Et donc, on a une dévalorisation du métier de départ.
03:25 - Donc vous, métier sérieux, marchand, pas forcément utile, réalisateur ?
03:31 - Non, il y a... Ah bah si, extrêmement utile, mais on ne peut pas...
03:34 Là, vous essayez de me faire trouver dans une sorte de binarité
03:37 où il y aurait les bons métiers et les mauvais métiers.
03:39 Bien sûr que non, mais il y a des métiers d'engagement, de passion,
03:41 qui donnent énormément de sens à la vie et qui, eux, ne sont pas du tout valorisés,
03:45 qui sont ces métiers d'utilité publique, les soignants, les enseignants.
03:49 Et c'est là qu'est le drame.
03:51 N'empêche pas qu'il y a plein d'autres métiers sérieux, mais qui, eux, sont valorisés.
03:56 - Justement, Thomas Lilti, on va tout de suite écouter un extrait de votre film "Un métier sérieux".
04:01 Comme ça, on aborde frontalement la question des enseignants.
04:04 * Extrait de "Un métier sérieux" *
04:11 - Alors, silence s'il vous plaît. Est-ce que quelqu'un peut me dire ce que c'est ?
04:15 - C'est un avocat.
04:17 - Très drôle, Quentin. Les autres ?
04:20 - C'est la lourde.
04:22 - Oui, certes, mais quoi d'autre ?
04:24 Une sphère ?
04:28 * Extrait de "Un métier sérieux" *
04:35 - Léonie ? - Starcher.
04:37 - Yes ? - Euh, je ne sais pas.
04:39 - Après ça ? Apolline ?
04:42 - Euh, je pense que c'est un cours principal.
04:46 - C'est vrai. Et quel genre de cours principal aimez-vous ?
04:49 - Malcom ?
04:51 - Un hamburger.
04:53 - En anglais, s'il vous plaît ? - Un burger.
04:56 - On est en plein débat sur la différence entre sphère et boule, puisqu'on vient d'entendre un extrait de votre film "Thomas Lilti, un métier sérieux"
05:05 dans lequel on entend Benjamin, interprété par Vincent Lacoste,
05:08 tesar en chimie, professeur contractuel en mathématiques qui débarque dans un collège.
05:12 Il fait alors face à des premières fois, première fois devant les élèves,
05:15 première fois en solitaire, mais aussi en équipe avec des autres profs,
05:18 première fois dans une grosse machine administrative.
05:21 Bref, les premiers choix à faire avec des premières erreurs.
05:24 Pourquoi êtes-vous allé sur ce terrain de l'école, Thomas Lilti ?
05:28 - Déjà, comme vous l'avez dit au début de l'émission,
05:31 j'avais longuement exploré ce métier que je connais si bien,
05:35 qui est le métier de soignant, de médecin, puisque c'est ma formation de départ.
05:39 J'ai fait trois films qui se passent plus ou moins liés à la médecine.
05:45 J'ai fait une série en milieu hospitalier.
05:47 Donc je crois que j'avais été temps que j'aille un peu explorer autre chose,
05:50 l'envie de faire un film différent.
05:52 Puis finalement, j'ai fait un film pas si différent que ça, j'en ai conscience.
05:55 On retrouve mes thématiques préférées, la vocation, l'engagement,
06:00 trouver du sens dans sa vie professionnelle,
06:05 comment mêler l'intime à la vie professionnelle, le collectif,
06:09 comment le collectif permet de surmonter les difficultés de métiers
06:12 qui sont relativement, même très solitaires.
06:15 Tout ça, c'est des thématiques que j'ai déjà traitées
06:17 et que je retraite à nouveau dans ce nouvel univers qu'est l'école.
06:19 Mais pourquoi l'école ?
06:21 Évidemment, parce que c'est au cœur de nos vies.
06:23 On parlait de métiers essentiels, il n'y a pas plus essentiel en effet
06:25 que les métiers d'enseignant et d'enseignement.
06:27 Mais c'est aussi parce que pour des raisons personnelles,
06:30 ma mère, je suis fils de prof, tout simplement.
06:32 - Vous n'êtes pas que fils de médecin.
06:33 - Je ne suis pas que fils de médecin, je suis fils de prof.
06:35 Et quand on est fils de prof, c'est sa marque quand même.
06:39 On a vu sa mère travailler, ramener les copies à la maison,
06:44 parler de ses élèves, on a vu sa solitude,
06:47 on a vu aussi le petit chagrin de la fin de l'année
06:49 quand on quitte les élèves auxquels on s'est attachés,
06:54 le redémarrage au mois de septembre.
06:56 Et puis j'ai aussi mes grands-parents qui étaient profs,
06:58 mon grand-frère qui est prof, mes oncles, mes tantes.
07:00 Je suis un enfant de prof.
07:02 En vacances, il n'y avait que des profs autour de moi,
07:04 donc obligatoirement, ça marque.
07:06 Et puis en vie, d'essayer non pas de rendre hommage,
07:08 parce que j'entends parfois que c'est un hommage aux profs.
07:11 Moi, à aucun moment, je ne me suis dit que je vais rendre hommage aux profs.
07:13 Il n'y a personne pour rendre hommage aux profs.
07:15 Ils n'ont absolument pas besoin de moi, surtout quand on a tendance
07:17 à parler beaucoup à leur place.
07:18 Non, j'ai voulu essayer de comprendre un peu
07:21 ce que c'était ce métier d'enseignant.
07:23 Vous voyez, quand on est élève, on est dans une classe,
07:26 et le prof, on ne le connaît pas.
07:28 On ne connaît même pas son prénom.
07:29 Quand on le croise au supermarché par hasard...
07:31 On a l'impression que c'est une autre personne, d'ailleurs.
07:33 C'est une autre personne.
07:34 On se dit "Qu'est-ce qu'il fait là, cet homme ?"
07:36 Oui, il vit en dehors de l'école.
07:37 Et je me suis dit "Oh, en vie !"
07:39 Et je crois qu'élève, j'avais envie de savoir un peu plus de mes profs.
07:41 J'avais envie de me dire "Est-ce qu'ils ont des amoureux, des amoureuses ?
07:44 Est-ce qu'ils ont des enfants ?"
07:46 Vous ne l'avez jamais posé la question ?
07:47 Non, vous vous posiez ce genre de question.
07:49 Moi, j'ai déjà posé cette question-là.
07:51 Parce qu'à un moment donné, on n'en peut plus.
07:53 Et on dit "Je vous ai vus au supermarché, vous étiez avec votre amoureuse."
07:57 Je ne dis pas que je le faisais avec tous les profs.
07:59 Il y a trop de distance entre moi et les profs.
08:01 J'ai toujours eu une distance, une sorte de timidité vis-à-vis d'eux,
08:05 vis-à-vis de leur autorité.
08:06 Mais c'est vrai que là, on voit l'envers, d'une certaine manière,
08:09 de la vie de professeur.
08:11 Les copies, la vie avec les partenaires,
08:14 les enfants qu'on doit éduquer.
08:16 Donc là, vous avez réussi à percer ce mystère-là ?
08:20 Réussi, j'en sais rien. J'ai essayé, du moins, c'est déjà pas mal.
08:23 Mais pour nous dire quoi ? Que c'était des êtres humains ?
08:25 Non, pour essayer de comprendre ce qui...
08:30 Parce que là, on est là, on dit "C'est un métier d'engagement,
08:32 c'est un métier de passion, c'est une vocation."
08:34 Moi, déjà, cette vocation, la terme de vocation,
08:37 je n'ai jamais très bien compris ce qu'il y avait derrière.
08:39 Mais en tout cas, on dit ça, et finalement, essayons de le montrer.
08:43 Essayons de montrer en quoi c'est compliqué.
08:45 Pourquoi c'est douloureux ? Pourquoi les profs souffrent ?
08:48 Pourquoi, en même temps, il y a tant d'énergie à trouver dans ces métiers-là ?
08:52 Pourquoi ce sont des métiers qui donnent aussi du sel à l'existence ?
08:54 C'est ça que j'ai essayé de raconter,
08:56 et d'essayer de comprendre, de creuser,
08:58 en montrant des profs, dans un collège ordinaire,
09:01 dans un collège dont on ne parle pas beaucoup dans les médias.
09:04 C'est quoi, ce collège ? Dites-le-nous.
09:06 Il y a quelque chose qui est très intéressant dans votre film,
09:09 c'est qu'on n'est pas sur un ton spectaculaire.
09:12 Vous avez réussi, à mon sens, à ne pas tomber dans les clichés,
09:14 et à nous montrer quelque chose qui est presque banal.
09:18 J'espère.
09:20 Bon, banal, c'est un peu péjoratif.
09:22 La vie quotidienne.
09:24 Mais vous avez raison, d'une certaine manière,
09:26 la vie quotidienne a quelque chose de banal,
09:28 et pourquoi pas, ce n'est pas si désagréable.
09:30 Ce n'est pas péjoratif, dans mon sens.
09:31 Je sais bien, je ne l'ai pas du tout mal pris.
09:33 Non, parce que je comprends ce que ça veut dire.
09:35 Une vie de collège telle qu'on a pu la vivre.
09:38 Telle qu'on n'en parle jamais aux infos.
09:40 Parce qu'aux infos, à juste titre, on parle des faits gravissimes
09:44 qu'on puisse produire, de toutes les polémiques.
09:48 Mais on ne parle jamais, finalement, de 80% des collèges de France
09:52 où ça ne se passe pas si mal,
09:54 où les profs, pour certains d'entre eux,
09:56 trouvent encore du plaisir dans leur enseignement.
09:58 Et il y en a plein, j'ai plein de témoignages.
10:00 Le prof qui adore leur métier, il l'adore,
10:02 ce n'est pas pour autant qu'il ne souffre pas,
10:03 et qu'il ne trouve pas que ça devrait changer,
10:05 que les conditions de travail ne sont pas difficiles.
10:06 Mais il continue à aimer leur métier.
10:08 C'est ça que j'ai voulu raconter.
10:10 Je me suis dit, c'est à ça que sert la fiction.
10:12 Ce n'est pas un documentaire que j'ai essayé de faire.
10:14 C'est la fiction.
10:16 Essayer par la fiction de raconter quelque chose qu'on raconte peu,
10:19 mais qui redonne un peu, je trouve, foi dans l'école, dans le collège.
10:24 Et puis, des films sur le collège, il y en a plein.
10:26 C'est ça que j'allais vous poser comme question.
10:28 Il y a quand même presque une catégorie de films "Éducation nationale".
10:31 On peut en citer.
10:32 Il y a des catégories de films, il y en a plein.
10:34 Il y a la catégorie "Polar", la catégorie "Films sur l'école".
10:36 Oui, j'ai fait un film sur l'école.
10:38 Mais souvent, il y a plusieurs écueils dans ces films-là.
10:40 Ils sont soit trop dans la comédie,
10:42 ou alors quelque chose de plus politique.
10:45 Ce qui n'est pas un écueil, d'ailleurs, mais plus de dénonciations.
10:48 Et vous, il y a tous les passages obligés du conseil de discipline,
10:52 la réunion parents-profs, la cantine, la rentrée, la projet-vacances, la sortie scolaire.
10:56 Vous aviez en tête tous ces passages obligés à montrer d'une manière assez épurée, assez juste ?
11:02 Le souci de recréer le réel est omniprésent chez moi dans mon travail.
11:07 Recréer le réel, ce n'est pas le réel.
11:11 C'est une vision subjective du réel que j'imagine.
11:15 Mais pour moi, c'est une obsession.
11:17 C'est une obsession du détail.
11:18 Je veux que le spectateur ait le sentiment, quand il voit mon film,
11:21 d'assister à quelque chose qui existe vraiment.
11:23 Ce n'est pas une qualité en soi.
11:25 C'est mon cinéma qui ressemble à ça.
11:28 À ça, j'aime insuffler, rajouter du romanesque.
11:31 Il y a des acteurs connus, c'est romanesque.
11:33 Il y a des histoires romanesques dedans, mais qui sont des histoires romanesques du quotidien.
11:37 Je me suis interdit, en effet, dès le départ, à faire ce qu'on a beaucoup dans les films sur l'école.
11:43 Par exemple, des profs qui vont défendre une pédagogie hors du commun,
11:46 qui vont s'avérer exceptionnels, qui vont avoir la capacité d'amener les élèves ailleurs.
11:50 "Le cercle des poids disparus", par exemple.
11:51 C'est le "Syndrome, cercle des poids disparus".
11:53 Film que j'adore, par ailleurs.
11:54 C'est un super film, mais c'est vraiment ce que je ne voulais pas faire.
11:58 Ou alors, de raconter ce qu'on a décrit tout à l'heure.
12:01 C'est-à-dire le collège de banlieue en très très grande difficulté,
12:04 les élèves qui vont très mal, les grandes souffrances sociales et économiques.
12:08 J'ai voulu aussi me les interdire.
12:10 Donc, obligatoirement, on est du point de vue des profs.
12:13 C'est un film de groupe.
12:14 C'est comment les profs font corps, comment les profs sont solidaires.
12:18 Ce qui n'est pas la réalité de tous les collèges, loin de là.
12:21 Mais comment la solidarité peut être une réponse à la difficulté de l'enseignement
12:26 et à la solitude du métier d'enseignant.
12:29 Et c'est comme ça que je me suis attaché au quotidien d'une année scolaire,
12:34 à travers des personnages pour lesquels, je crois, on peut avoir de l'affection.
12:37 Oui, avec des personnages, j'allais vous le dire, qui sont très différents.
12:41 Il y a l'ancien, celui qui est là depuis des années,
12:44 qui s'interroge d'ailleurs sur "Est-ce que je continue ? Est-ce que je m'ennuie ? Est-ce que je m'arrête ?"
12:49 On parlait de Benjamin tout à l'heure, Vincent Lacoste,
12:53 il faut bien le dire, il tombe là par hasard presque.
12:56 Il est contractuel, il ne sait pas comment on enseigne,
12:58 il ne sait pas comment on se comporte devant une classe.
13:00 Et moi, ce qui m'a fait...
13:02 Il est un peu lâché dans l'arène.
13:03 Et ce que j'ai découvert, c'est cette solidarité aussi entre profs sur Internet.
13:10 Ils sont tellement démunis, ces enseignants,
13:13 qu'ils se retrouvent à aller chercher des tutoriels sur YouTube.
13:19 Bien sûr, il y a 3000, cette année, je crois, 3000 postes vacants,
13:24 où il n'y a pas de profs.
13:26 Donc, ils sont mal formés pour certains d'entre eux.
13:30 C'est-à-dire que ce sont des profs même qui n'ont pas été formés, des profs contractuels.
13:33 Et c'est le cas du personnage que joue Vincent Lacoste.
13:35 Il est envoyé comme ça dans ce collège.
13:38 Lui, il le fait un peu au départ pour des raisons alimentaires,
13:40 pour subvenir à ses besoins.
13:41 Il fait une thèse de chimie.
13:43 Voilà, il n'a plus sa bourse.
13:45 Il y a plein de thésards qui se retrouvent à prendre des postes comme ça,
13:49 de profs contractuels, sans formation.
13:52 Et voilà, il va découvrir au contact, en effet,
13:55 des profs déjà plus installés que lui, le métier.
13:58 Et vous avez raison.
13:59 J'essaie de décrire, au détour d'une séquence,
14:02 comment ces tutos, ces tutoriels qu'on peut retrouver sur YouTube,
14:06 qui au départ sont faits pour les élèves.
14:08 Ce sont des profs qui font ça pour des élèves en difficulté.
14:10 Et il y a certains profs qui sont devenus des stars.
14:13 - Comme soutien scolaire. - Bien sûr, qui sont devenus des stars
14:15 comme soutien scolaire pour aider.
14:17 Mais il y a plein de profs qui s'inspirent de ces tutos.
14:19 Pourquoi ? Parce que la grande difficulté de capter l'attention d'élèves,
14:23 il faut être capable de trouver des méthodes.
14:25 C'est ça, ce qui est dur dans ce métier de prof.
14:29 C'est trouver les moyens, les astuces, la méthode pour capter l'attention des élèves.
14:35 - Ça, c'est une chose très intéressante.
14:36 C'est les scènes de classe, effectivement,
14:37 où on voit que l'enjeu, c'est de capter l'attention.
14:40 C'est presque l'idée de la transmission, en fait.
14:42 Comment vous vous êtes dit pour réaliser ?
14:45 Comment je vais essayer de voir comment le courant peut passer
14:48 entre un prof et ses élèves et montrer les évolutions de cette relation ?
14:52 - Parce que si on considère qu'enseigner, c'est avant tout,
14:55 c'est essayer de créer un échange, donc un lien.
14:58 Voilà, donc comment on crée un lien entre un adulte et un élève de 13, 14 ans, 12 ans, 15 ans ?
15:05 Donc la question, elle est là.
15:06 Pour créer de l'échange, il faut du lien.
15:08 Donc ce lien, il est obligatoirement quand même affectif, quel qu'il soit,
15:12 mais il faut un lien affectif.
15:13 Donc il faut réussir à créer ce contact.
15:17 Et c'est difficile.
15:18 Je n'ai pas le secret, mais il faut y arriver.
15:21 Il y a des profs pour qui c'est plus simple,
15:23 d'autres pour qui c'est plus dur,
15:24 d'autres pour qui c'est quasi impossible.
15:26 Mais il y a quand même...
15:27 On peut imaginer que ça s'apprend.
15:29 On peut imaginer qu'on peut se former à ça.
15:31 Donc moi, je pense que c'est essentiel,
15:32 parce qu'en plus, derrière, l'idée que j'essaie de défendre,
15:35 alors c'est en filigrane dans le film,
15:37 c'est qu'enseigner, ce n'est pas transmettre un savoir.
15:41 Souvent, on dit que le prof est là pour transmettre un savoir.
15:44 Moi, je ne crois pas tellement à cette idée-là,
15:46 parce que si c'est transmettre un savoir,
15:47 j'ai l'impression que les machines le feront très bien.
15:49 À un moment donné, on va nous mettre,
15:50 pourquoi pas, soyons un peu complotistes,
15:53 on nous met une puce dans la tête avec du savoir.
15:55 Et ce n'est pas ça qu'on demande à un prof.
15:56 Un prof, ce qu'on lui demande, en fait,
15:58 c'est de réussir déjà à ce que les élèves apprennent à vivre en société,
16:01 à s'entraider, à avoir une considération pour les autres élèves.
16:06 Et puis surtout, le plus important, c'est d'apprendre une chose.
16:10 C'est le goût d'apprendre, en fait.
16:12 En tout cas, faire prendre conscience à un élève
16:16 qu'il a quelque chose dans la tête qui s'appelle un cerveau
16:18 et que ça, ça va lui permettre d'apprendre des choses plus tard aussi.
16:21 Et moi, je pense que c'est ça qui est essentiel,
16:23 beaucoup plus que d'apprendre un savoir.
16:25 - Mais il y a un parallèle avec le métier de cinéaste, en fait,
16:27 sur cette idée, non pas de délivrer des images comme ça,
16:31 de les balancer, mais vraiment de se dire,
16:33 à travers ces images, je veux montrer,
16:35 c'est une manière de faire du lien, de créer des relations,
16:38 de faire aussi du soin.
16:40 Ce n'est pas pour vous parler de votre métier de médecin,
16:42 mais vraiment d'apporter une sorte d'attention à l'autre.
16:45 - C'est vrai qu'on aime bien me dire, je vois la boutade,
16:50 mais on aime bien me dire que je fais des films comme un médecin.
16:53 - Attendez, parce que ça va être notre prochaine question.
16:55 N'anticipez pas sur notre cours du futur.
16:58 - En effet, il y a vraiment quelque chose qui est dans mon cinéma,
17:02 peut-être qui est influencé par ma formation.
17:05 Mais évidemment que faire des films,
17:08 par exemple, pour essayer d'avoir une idée concrète,
17:11 beaucoup de gens dans le public me disent,
17:13 mais votre film, est-ce qu'il va changer les choses ?
17:15 Est-ce que vous allez le montrer au gouvernement ?
17:17 - Un côté militant, pour le coup.
17:19 - Voilà, influencé, comme mes films sur la médecine
17:21 auraient pu influencer des politiques publiques sur la santé.
17:26 Je réponds toujours, non, pas vraiment,
17:28 parce que c'est beaucoup plus complexe que ça.
17:30 En revanche, juste le fait d'avoir fait un film
17:32 qui a été vu par quelques personnes,
17:34 et j'espère par le plus grand nombre,
17:36 et de se dire qu'on va pouvoir, ça peut être un lieu d'échange,
17:39 de discussion, de prise de conscience de certaines choses,
17:42 ça c'est déjà énorme, c'est beaucoup en fait.
17:44 C'est ça un film, c'est cette émotion qu'on va pouvoir partager autour d'un sujet.
17:47 - En fait, vous êtes complètement ancré dans notre époque,
17:51 dans l'actualité aussi, parce que là on est à quelques jours
17:54 après cette fameuse rentrée de septembre.
17:57 Peut-être juste un mot sur cette actualité.
18:00 Vous aujourd'hui, quand vous avez travaillé sur ce film,
18:02 vous avez travaillé sur cette profession,
18:04 quand vous voyez cette rentrée 2023,
18:06 qu'est-ce que vous vous dites ?
18:07 Avec ces polémiques, avec aussi l'idée peut-être qu'on parle aussi
18:10 beaucoup de harcèlement dans les écoles.
18:12 Comment vous vivez cette rentrée ?
18:14 - Il y a plein de choses qui me viennent en tête.
18:16 Bon, vous me lancez sur les sujets politiques d'actualité,
18:19 je ne suis pas obligatoirement la personne la mieux placée,
18:22 et puis peut-être que mon avis ne passionne pas les gens.
18:25 Et puis, c'est des avis qui sont très complexes,
18:27 ce que je pense aujourd'hui ne sera peut-être pas ce que je pense demain,
18:30 et peut-être pas ce que j'ai pensé hier.
18:32 Non, mais c'est vrai, c'est compliqué d'avoir un avis tranché, etc.
18:35 Ce que je sais, c'est que les profs ont besoin de soutien,
18:38 et de sentir qu'il y a des forces politiques qui les comprennent.
18:44 Et ça, c'est pas évident.
18:46 Ça, c'est une première chose.
18:48 La deuxième, c'est qu'on ne peut pas tout le temps dire aux profs
18:52 "Vous êtes responsable des maux de la société".
18:55 La société porte en elle des difficultés, une forme de violence,
18:58 qu'on semble décrire depuis de longues années.
19:01 Le harcèlement, par exemple, en fait partie.
19:04 Et de dire aux profs "Ce problème-là, ça va être à vous de le régler,
19:08 parce qu'il y a une démission de l'éducation nationale,
19:11 donc des enseignants, etc. sur ces sujets-là",
19:14 je trouve ça vraiment extrêmement injuste.
19:16 Enseigner, c'est déjà très lourd.
19:18 On sait qu'aujourd'hui, ça a été estimé par des études très sérieuses
19:21 que c'est à peu près 43 heures par semaine,
19:24 même quand on fait 17 heures de cours,
19:27 c'est 43 heures par semaine de travail effectif.
19:30 Que dans ces 43 heures, il y a ces heures de cours
19:32 qui sont des heures d'une très grande insensité,
19:34 qu'on peut difficilement comparer à une heure de travail classique
19:37 chez un salarié, ou, on va dire, qui ne soit pas enseignant.
19:42 Donc je trouve que ce qui, moi, me met en colère,
19:45 c'est cette façon de porter une sorte d'effet loupe
19:50 sur les enseignants, en disant "Voilà, vous avez une immense responsabilité,
19:55 maintenant, débrouillez-vous".
19:56 Non, les profs, ils ont déjà beaucoup à faire
20:00 avec juste leur travail d'enseignant.
20:03 Porter les mots de la société sur leurs épaules,
20:05 ça me semble vraiment extrêmement exagéré.
20:07 - Et juste un mot encore sur cette rentrée,
20:10 on a beaucoup parlé de la baïa dans votre film,
20:14 le fait religieux ne rentre pas du tout en compte,
20:18 c'était volontaire ?
20:20 - C'est volontaire, parce que justement, j'ai voulu ancrer le film,
20:23 on va dire, dans ce collège ordinaire,
20:26 donc pas dans un collège où les communautarismes
20:30 vont être exacerbés, ça c'était un choix.
20:33 Par conséquent, je n'ai pas voulu en parler.
20:35 Et puis pour revenir à la baïa, parce que je n'ai pas de soucis
20:37 à en parler, moi, de la baïa, et je ne vais pas dire
20:39 "Je suis pour, je suis contre la baïa",
20:40 ce n'est pas très intéressant, ça ne va pas faire avancer le débat.
20:42 Ce que je sais, c'est que ça a pris énormément de place médiatiquement,
20:46 que ce que j'ai entendu, je prends avec des pincettes,
20:50 parce que chacun aura ses chiffres, mais a priori,
20:52 il y a eu 67 cas d'élèves qui n'ont pas pu rentrer à l'école
20:57 à cause du port de la baïa, et il y a 12 millions d'élèves en France.
21:00 Donc ça fait quand même relativiser, 67, 12 millions.
21:03 Donc je pense que le traitement de la baïa a pris des proportions
21:08 absolument dingues, quoi qu'on pense du sujet.
21:11 Et ça empêche des sujets beaucoup plus essentiels,
21:15 les 3000 postes vacants dont on a parlé,
21:17 la grande souffrance des profs, ces profs qui s'en vont,
21:21 le harcèlement, on en parle un peu, mais quelles solutions
21:24 on essaye de trouver ? On dit "Oui, j'ai entendu, évidemment,
21:27 le ministre dire "On n'a pas fait assez de choses contre le harcèlement",
21:32 mais oui, maintenant, alors oui, on fait quoi ?
21:34 Comment on aide les profs, comment on aide l'institution
21:36 pour lutter contre cet harcèlement ?
21:38 Je trouve qu'on est toujours dans le temps du constat,
21:41 on est rarement dans le temps des solutions.
21:44 12h-13h30, les midis de culture, Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
21:53 Alors, qu'est-ce qui vous arrive ?
21:56 C'est le névralgie cervico-braquial.
21:58 L'hypothalamus régule la sécrétion de beaucoup de glandes dans l'organisme,
22:02 mais pas directement.
22:03 Parce qu'après, c'est d'autres complications encore qui se rajoutent.
22:07 Donc la pression monte, monte, monte, monte,
22:09 et quand la pression est plus haute que la pression aortique,
22:12 elle s'ouvre.
22:13 Et le sang, bam, il passe.
22:15 Oui, mais avec sa pancréatite chronique, je me suis dit que...
22:18 Ah !
22:19 Des douleurs, il en avait tout le temps, mais il était...
22:21 On est vraiment trop cons.
22:23 Tumeur temporal gauche.
22:25 Inopérable.
22:26 Elle est en phase terminale.
22:28 Elle ne va jamais remarcher.
22:30 Examinez bien, tout va bien.
22:32 Donc si je comprends bien, je vais pouvoir partir d'ici.
22:34 Hé ho, docteur !
22:37 Bah, le coeur s'est arrêté.
22:39 Merci, docteur.
22:41 Au revoir.
22:42 Médecin de campagne, Hippocrate.
22:45 Hippocrate, la série, première année, voici vos films.
22:48 Thomas Lilti, vous avez anticipé ma question tout à l'heure
22:52 sur filmer comme un médecin.
22:54 Est-ce que ça vous ennuie au bout d'un moment, en fait,
22:57 ce rapprochement entre ces deux métiers-là ?
23:00 Pas du tout.
23:01 Pas du tout.
23:02 Vous savez, longtemps, moi, j'ai fait un peu ces deux cursus en parallèle.
23:07 Alors, il y en a un des deux que j'ai fait de façon autodidacte.
23:09 Je vous laisserai deviner lequel.
23:10 Médecin.
23:11 Voilà, évidemment.
23:12 Évidemment.
23:13 J'espère pas.
23:14 Et il y en a un pour lequel j'ai fait des études.
23:16 Mais je les ai faits parallèlement.
23:18 Donc, obligatoirement, ils se sont influencés.
23:20 Et puis, très longtemps, je pensais qu'il y avait une barrière étanche
23:22 entre ces deux métiers.
23:23 C'est-à-dire que, parmi les gens avec qui je travaillais à l'hôpital,
23:28 je ne disais jamais que je faisais du cinéma.
23:30 J'avais le sentiment que ça allait me décrédibiliser,
23:32 ce qui aurait été certainement un petit peu le cas.
23:34 Et parmi les gens de cinéma, vous savez que je faisais des études de médecine
23:38 quand j'étais jeune médecin, mais ça ne m'apportait pas énormément de choses.
23:41 Et surtout, je voulais faire des films qui ne parlent pas de médecine.
23:44 Et d'ailleurs, mon tout premier long métrage,
23:46 "Les yeux bandés", ne parle pas du tout de médecine.
23:48 Et puis, "Les yeux bandés" n'a pas vraiment rencontré un franc succès,
23:52 on va dire.
23:53 Loin de là.
23:54 Ça a été un échec.
23:55 Je me suis remis en question.
23:57 Mais j'avais encore envie de faire du cinéma.
23:59 Je suis retourné faire le médecin.
24:00 Et je me suis dit, peut-être qu'il faut que je parle de choses
24:03 qui me touchent personnellement, que je connais mieux.
24:05 Et c'est comme ça qu'est née "Hypocrate".
24:07 Et depuis "Hypocrate", j'ai totalement envie de mélanger tout.
24:11 Évidemment que la médecine et le cinéma sont extrêmement liés.
24:14 Et je pense, c'est difficile pour moi de l'analyser,
24:17 mais ma façon de faire des films,
24:19 et je dirais au-delà même de l'écriture ou des thématiques,
24:21 parce que ça, c'est une sorte d'évidence que les thématiques médicales
24:24 sont présentes dans mes films.
24:25 Mais je dirais ma façon de travailler sur le plateau,
24:27 avec les comédiens.
24:29 C'est quelque chose qui, certainement, vient de ma formation de médecin.
24:33 C'est-à-dire ?
24:34 Parce que quand on pense à la figure du médecin,
24:36 on peut aussi penser à une figure de sachant, de savant,
24:39 un petit peu autoritaire, qui est quand même dans un système très hiérarchisé.
24:43 Tout moi, vous m'avez très bien défini.
24:45 Est-ce que c'est ça pour vous, le métier de réalisateur ?
24:47 Vous êtes autoritaire et tyrannique ?
24:49 Non, parce que moi, je pense aux médecins hospitaliers.
24:51 Au fond, c'est ça que j'aurais aimé être si j'avais fait une carrière médicale.
24:55 C'est ce médecin hospitalier.
24:56 Dans un service, alors ?
24:57 Dans un service qui travaille en équipe.
24:59 Je ne sais pas, dans tout type, même aux urgences.
25:02 J'ai beaucoup aimé mon passage aux urgences, même si c'est difficile.
25:05 J'aime cette idée du travail en équipe,
25:07 avec différents corps de métier qui n'ont pas de hiérarchie entre eux.
25:11 Les médecins ne sont pas les chefs des infirmiers et des infirmières.
25:14 Ce sont deux types de métiers différents, avec des savoirs différents.
25:18 Et j'ai aimé, moi, ce travail collectif, ce travail en équipe.
25:21 Et c'est ce qu'on retrouve beaucoup dans le sujet de mes films.
25:25 Et c'est ce que j'aime sur le plateau de cinéma, c'est ce travail en équipe,
25:28 avec des comédiens.
25:30 Vous l'avez remarqué, les comédiens avec qui je tourne régulièrement.
25:33 J'aime bien les reprendre, notamment.
25:36 Et ça, c'est quelque chose qui me vient, je pense, de ma formation de médecin.
25:41 Mais alors pourquoi ne pas avoir posé une caméra dans un service que vous connaissez,
25:46 peut-être un hôpital que vous connaissez,
25:48 et avoir filmé ce qui se passe dans ces services ?
25:51 Peut-être que c'est la façon la plus évidente, au début,
25:54 de montrer comment on travaille dans un hôpital,
25:56 et par extension, comment on travaille dans un collège.
25:59 Vous parlez du documentaire.
26:01 Oui, le documentaire.
26:03 En fait, parce que j'ai une affection immense pour la fiction,
26:06 et je pense que la fiction, ce n'est pas le documentaire, c'est autre chose.
26:10 Et ça apporte un autre regard, en effet, une autre subjectivité.
26:17 Mais le documentaire, c'est une subjectivité aussi,
26:19 selon où vous mettez vos caméras, qui vous allez décider de filmer, etc.
26:22 Donc, c'est autre chose.
26:24 Ça permet d'amener du romanesque,
26:26 ça permet de faire vivre le temps d'un film d'une heure et demie,
26:29 peut-être cinq ou six ans de ce que j'ai vécu dans ma vie de médecin,
26:33 par exemple, si on prend un film comme "Hippocrate" ou "La série".
26:36 Ils vivent des choses extrêmement romanesques.
26:38 Alors, il y a un sentiment de réel,
26:40 mais c'est beaucoup plus romanesque que dans la vie.
26:42 Et c'est ça qui, moi, me passionne.
26:44 Et c'est ce que j'aime écrire et ce que j'aime raconter dans mon film sur le collège.
26:47 Pour revenir à ce film "Un métier sérieux",
26:49 je raconte un groupe extrêmement solidaire.
26:52 Vraisemblablement, si j'étais allé filmer un documentaire dans un collège,
26:55 ce groupe solidaire, je ne l'aurais pas trouvé.
26:57 Parce qu'il existe, sans aucun doute, mais il est rare.
27:01 Et donc, la fiction me permet...
27:03 - Il faut qu'il soit d'accord, en fait, pour le...
27:05 - Ça, c'est certain.
27:06 Mais en tout cas, moi, j'avais envie de raconter,
27:08 de dire peut-être une des solutions.
27:10 En tout cas, dans cette société où la pratique du métier d'enseignant est si difficile,
27:15 peut-être que le collectif, c'est quand même la solution
27:17 pour que ce soit un peu moins douloureux.
27:18 C'est ça que je voulais raconter.
27:20 Et rien de tel que la fiction pour le raconter, je pense.
27:22 - Moi, j'aimerais revenir sur ce paradoxe, Thomas Lilti, du réel quand même.
27:26 C'est-à-dire de passer...
27:28 On a l'impression que passer par la fiction, paradoxalement,
27:31 permet d'atteindre plus de réel, plus de réalité ou de justesse.
27:36 Est-ce que vous pensez ça ?
27:38 - Plus, je ne crois pas.
27:40 Mais en tout cas, ça permet.
27:42 Ça permet, pour moi, la fiction, c'est mon outil, en fait.
27:46 C'est comme, je ne sais pas, c'est comme...
27:49 Comme dans tout artisanat, on a un outil, un savoir-faire,
27:53 quelque chose qu'on sait manipuler pour essayer de raconter des choses
27:56 qui nous touchent et qui nous tiennent à cœur.
27:58 Chez moi, ça passe par la fiction, avec une reconstruction,
28:01 une recréation du réel.
28:03 Mais ça passerait...
28:04 On peut raconter des choses, je pense, très puissantes
28:06 sur le monde dans lequel on vit, en utilisant aussi la fiction,
28:09 mais sans repasser par la recréation du réel.
28:11 Par exemple, dans un film de genre, ou dans des films fantastiques
28:14 ou de science-fiction, pour raconter des choses extrêmement
28:17 prégnantes du monde contemporain.
28:19 Donc, moi, mon outil, c'est celui-là.
28:21 Aujourd'hui, j'adorerais savoir en maîtriser un autre,
28:23 mais pour le moment, celui que je maîtrise le mieux, en effet,
28:26 c'est ce cinéma très ancré dans le réel, mais...
28:29 Ou traversé quand même par des...
28:32 Par du romanesque.
28:34 - Un cinéma qui n'est peut-être pas sans rappeler celui-ci.
28:37 - Regarde, le sénateur a été formidable.
28:39 On a un très joli téléphone, viens voir.
28:41 Tout moderne.
28:43 Pas mal, non ?
28:45 - Oui, pas mal, ce téléphone.
28:46 - J'ai promis à Maman et à Lucien que tu écrirais une lettre
28:48 au sénateur pour le remercier.
28:51 - Ça va, la lettre ?
28:53 - Oui, ça va bien.
28:54 Tu vois, elle est presque terminée.
28:55 - Tu peux lire ?
28:56 - Oui, même terminée.
28:57 - "Monsieur le sénateur, grâce à vous, j'ai obtenu en huit jours
28:59 ce que les Français moyens réclament pendant des années sans résultat."
29:02 - Mais, enfin, t'es complètement fou !
29:03 Tu vas pas envoyer ça, non ?
29:04 - Et pourquoi ? C'est pas la vérité ?
29:06 - Mais, écoute, Antoine ! Antoine, écoute !
29:09 Lucien s'est décarcassé ! Le sénateur est un client du garage !
29:11 Tu peux vraiment pas faire ça, je t'assure !
29:13 - Écoute, je rigole, je peux pas mettre autre chose.
29:14 - Ah, bah, t'as qu'à l'écrire toi-même, hein, la lettre.
29:15 - Oui, oui, je vais l'écrire.
29:16 Mais tu es dégoûtant, tu sais, tu es un égoïste qui peut tout faire pour toi,
29:18 et toi, tu fais rien pour les autres.
29:20 - Écoute, moi, je ne me suis rien demandé.
29:22 Le téléphone, je m'en fous.
29:23 Tu comprends ? C'est pas moi qui l'ai demandé.
29:24 Je m'en fous.
29:25 - Moi, je sais bien que tu t'en fous.
29:26 Parce que le téléphone, ça permet aux amis d'appeler à la maison,
29:28 et ça permet de désappeler aussi quand on s'ennuie.
29:29 - Quand on s'ennuie ?
29:30 - Quand on s'ennuie, bah moi, je ne sais pas ce que c'est que l'ennui.
29:44 L'ennui, j'en ai entendu parler, je sais qu'il y a des gens qui s'ennuient,
29:46 mais moi, je ne sais pas ce que c'est que l'ennui.
29:47 Il y a toujours quelque chose à faire.
29:48 Je sais pas, on peut découper les pages d'un livre,
29:49 on peut faire des mots croisés, on peut prendre des notes.
29:50 Il y a toujours quelque chose à faire.
29:51 Moi, je me contente les journées et les 30 heures, tu vois,
29:52 parce que je ne m'ennuie jamais.
29:53 Tu comprends ?
29:54 Et puis, là, mieux, j'ai l'air d'être vieux, tu vois,
29:55 pour pouvoir me contenter de 5 heures de sommeil par nuit.
29:56 - "Domicile conjugal" de François Truffaut, c'est la série des Antoine Douanel.
30:03 Est-ce que ça, c'est le genre de cinéma qui vous a influencé dans ce côté aussi ?
30:07 Attraper des moments, bah là, on entend, c'est le domicile conjugal.
30:10 Il y a une dispute autour du téléphone qui vient d'être installé.
30:13 Est-ce que c'est ce genre de naturel-là, de réalisme-là qui vous intéresse ?
30:17 - Oui, bien sûr.
30:18 Alors, c'est toujours étrange parce que c'est des influences
30:21 de ma toute jeune cinéphilie, de la fin de l'adolescence,
30:25 jeune âge adulte, le cycle des Douanel, domicile conjugal en particulier.
30:29 Je l'ai vu un nombre de fois incalculable.
30:33 "Baisers volés", qui était juste avant également.
30:35 Donc, c'est certain que ça m'a influencé.
30:37 Après, je n'ai pas le sentiment aujourd'hui de faire des films
30:41 à la manière des films de Truffaut parce qu'ils sont très différents.
30:44 Ils sont beaucoup plus basés sur la relation sentimentale,
30:49 la relation de couple, la vie de famille que les films que je fais.
30:52 Mais c'est certain qu'ils m'ont influencé.
30:54 Je les ai adorés.
30:55 C'est marrant cet exemple parce qu'on entend très bien Jean-Pierre Léaud,
30:58 mais on peut entendre aussi Claude Jad, qui joue sa femme dans le film.
31:01 Et Claude Jad que j'avais croisé un jour à l'hôpital.
31:03 J'étais étudiant en médecine.
31:05 Je vois Claude Jad qui est décédé aujourd'hui malheureusement.
31:08 Je la croise et je vais la voir.
31:09 Je dis "moi, je suis un fan de ce que vous faites".
31:11 Je me souviens, elle m'avait envoyé des photos dédicacées d'elle
31:14 que je dois toujours avoir quelque part.
31:16 C'était pour dire que oui, j'étais fan.
31:18 C'est des films qui m'ont évidemment influencé.
31:21 Et puis la série d'Antoine Doinel, ce n'est pas n'importe quoi.
31:24 Parce qu'il y a un attachement de Truffaut à Jean-Pierre Léaud
31:33 et aux personnages d'Antoine Doinel.
31:35 Ce qui se passe aussi par exemple quand vous passez d'Hippocrate le film
31:38 à Hippocrate la série, où là on va continuer à exister avec vos personnages.
31:42 Et d'ailleurs pour être tout à fait honnête,
31:44 je suis frustrée que votre film "Un métier sérieux" soit seulement un film
31:47 parce qu'on a envie de continuer à être avec ces personnages
31:49 et de cheminer avec eux.
31:51 Oui, alors Vincent Lacoste qui serait une sorte d'Antoine Doinel dans mon cinéma,
31:57 c'est extrêmement flatteur.
31:59 Mais je pense que Vincent Lacoste, c'est le Antoine Doinel de Riyad Satouf.
32:02 Parce que Riyad Satouf, c'est lui qui a découvert, j'allais dire Antoine Doinel,
32:05 Vincent Lacoste, comme Truffaut a découvert Jean-Pierre Léaud.
32:08 Il était tout gamin, 15 ans.
32:10 Et il découvre, il ne découvre pas un acteur,
32:12 il découvre une personnalité extrêmement singulière qui est Vincent Lacoste.
32:16 Moi, je n'ai fait qu'arriver juste après.
32:19 Et c'est vrai qu'il n'y a pas ce rapport de filiation, de paternel entre Vincent et moi.
32:25 Entre moi et Vincent, il y a un rapport fraternel.
32:28 Donc c'est une sorte de frère de cinéma, Vincent,
32:30 même s'il est beaucoup plus jeune que moi.
32:32 C'est une sorte de frère de cinéma.
32:34 Donc je pense que c'est un rapport très différent.
32:36 Et ensuite, est-ce qu'un métier sérieux pourrait être une série ?
32:40 C'est une remarque qu'on me fait beaucoup.
32:41 Parce que je pense qu'un métier sérieux, c'est un film très polyphonique
32:43 où j'ai décidé, contrairement à mes films précédents,
32:46 de suivre la destinée et le cheminement de plein de personnages
32:50 dont je vais frustrer un peu le spectateur
32:53 avec le sentiment qu'on aurait pu aller plus loin
32:55 et mieux comprendre plein de choses d'eux.
32:57 Mais aussi, j'aime bien le hors-champ.
32:58 Je trouve que le hors-champ, on a tendance peut-être à cause de la série
33:01 à moins facilement le supporter au cinéma.
33:03 Alors que je trouve vraiment un plaisir de spectateur
33:06 que de pouvoir imaginer ce qui arrive au personnage
33:08 et de ne pas tout dire dans un film.
33:10 Donc, ça a été un parti pris de frustrer aussi le spectateur
33:13 et l'histoire de tous les éléments
33:15 qui pourraient constituer la trajectoire des personnages.
33:18 Mais j'ai été aussi très influencé par mon travail en série.
33:22 Je pense que quand j'ai écrit ce film, j'ai adoré
33:24 et j'adore toujours le travail sur la série "Hypocrate".
33:28 Et c'est vrai que certainement que j'ai découvert des choses
33:30 en cette série qui ont changé un petit peu mon écriture
33:34 et qui ont influencé le film.
33:35 Peut-être que ça deviendra une série.
33:37 - Puisque vous parliez de Vincent Lacoste, en écrivant "Un métier sérieux",
33:41 vous avez pensé directement à lui ?
33:43 Est-ce que vous avez écrit ce personnage pour lui ?
33:45 Comment est-ce que ça fonctionne ?
33:46 On a compris que vous aviez votre bande d'acteurs
33:48 et ce collectif qui est très fort pour vous.
33:50 Comment ça a marché ?
33:52 - Ça a marché parce que c'est l'autre motivation inavouable
33:56 et on en a toujours quand on est réalisateur et scénariste.
33:59 J'ai aussi écrit ce film pour réunir Vincent Lacoste et François Cluzet.
34:03 - Et Louis Bourgoin aussi qu'on retrouve.
34:05 - Oui, Louis Bourgoin, William Labile, tous.
34:07 Mais au tout départ de l'écriture, c'est de réunir Vincent Lacoste et François Cluzet.
34:12 Deux générations d'acteurs qui ne se connaissent pas,
34:14 qui n'ont jamais travaillé ensemble.
34:16 - Et vous n'avez pas dit en quoi ça avait changé votre manière d'écrire,
34:18 de passer à la série ?
34:19 C'est quoi ? Sur la caractérisation des personnages, sur des scénarios ?
34:22 - L'envie de me mettre encore plus en retrait d'un point de vue dramaturgique.
34:26 L'envie de me dire "j'aimerais que mon film ne soit pas traversé
34:30 par une grande histoire, par quelque chose d'un élément narratif
34:36 et scénaristique extrêmement puissant".
34:38 - Presque qu'il n'y ait pas d'histoire en fait.
34:40 - Voilà, on dit comme ça, on va faire chier les spectateurs
34:43 si on dit qu'il n'y a pas d'histoire.
34:45 Mais de se dire que c'est les personnages qui vont être l'histoire,
34:47 c'est ce groupe.
34:48 Et moi, de me mettre en retrait par rapport aux personnages.
34:51 Pourquoi j'ai fait ça aussi ?
34:52 Parce que je me suis senti moins légitime à raconter l'école.
34:55 Et je me suis dit, raconter l'école et raconter les profs,
34:57 moi qui ne suis pas prof, peut-être que la solution
34:59 c'est de faire un pas de retrait et de dire
35:02 ce sont les personnages et donc les acteurs.
35:05 Parce que des personnages, ce sont des acteurs avant tout
35:08 qui vont assumer et porter sur leur dos le sujet, l'intrigue,
35:13 la force narrative du film, plus qu'un scénariste
35:17 qui a décidé de ce qui allait se passer.
35:19 - Ils ne sont pas interchangeables ?
35:21 - Entre eux les acteurs ? Ah non, je ne trouve pas, non.
35:23 J'ai vraiment écrit pour eux et je savais pourquoi
35:25 je leur écrivais ces partitions-là.
35:27 - Donc par exemple, vous êtes en tournage
35:29 de la troisième saison d'Hippocrate.
35:31 - Oui.
35:32 - Vous allez appliquer cette idée-là,
35:35 de ne pas avoir forcément une histoire forte,
35:37 mais plutôt des histoires qui se croisent
35:39 et de laisser toute la place à des personnages,
35:41 à des caractères qui vont évoluer ensemble ?
35:44 - Non, pas tout à fait.
35:45 Hippocrate, la série est déjà construite comme ça.
35:47 C'est avant tout des personnages qui portent la série.
35:49 - Et des points de départ assez forts.
35:51 - Mais voilà, il y a un point de départ par saison très fort
35:53 et il y a une thématique.
35:54 - Une épidémie.
35:55 - Voilà, je dirais qu'une épidémie,
35:57 j'avais un peu anticipé.
35:58 - Oui, c'est vrai.
35:59 - J'avais un petit peu anticipé.
36:01 Je dirais que Hippocrate est construit
36:04 d'une façon très simple et c'est une recette
36:07 que je réutilise pour la saison 3.
36:09 C'est un point de départ très puissant,
36:11 que j'espère puissant en tout cas, original,
36:13 un peu singulier.
36:14 Un fil conducteur, c'est-à-dire une thématique
36:17 qui va porter toute la série.
36:19 La saison 2, par exemple, c'était vraiment
36:20 la souffrance au travail des soignants.
36:22 La saison 1, c'était l'erreur médicale.
36:24 La saison 3, ce sera autre chose.
36:25 Et puis après, c'est surtout des personnages
36:27 qui portent tout ça.
36:28 - Merci beaucoup Thomas Lilti.
36:30 Je rappelle que votre film "Un métier sérieux"
36:32 sort dans les salles mercredi prochain,
36:34 le 13 septembre.
36:35 Bientôt, on espère, j'espère, la saison 3 d'Hippocrate.
36:38 Mais pour finir, vous avez le choix Thomas Lilti
36:40 entre deux chansons, soit une chanson
36:42 sur les professeurs, soit une chanson
36:43 sur les docteurs.
36:44 - Sur les professeurs.
36:46 - Alors c'est parti.
36:47 ♪ ♪ ♪
37:05 ♪ Every day I go to school ♪
37:09 ♪ I hear my teacher teach a golden rule ♪
37:13 ♪ 'Cause I know, I know ♪
37:17 ♪ I love my teacher so ♪
37:19 ♪ ♪ ♪
37:23 ♪ Midday when I go for lunch ♪
37:27 ♪ I pick bananas from the bunch ♪
37:31 ♪ 'Cause I know, I know ♪
37:34 ♪ I love bananas so ♪
37:37 ♪ ♪ ♪
37:40 ♪ At the end of each and every day ♪
37:44 ♪ I give thanks and praise every day ♪
37:48 ♪ He makes me walk right down the line ♪
37:53 ♪ His movement's got me right on time ♪
37:57 - Chuck et Dobby, I love my teacher.
37:59 Pour clôturer cette émission, un grand merci
38:01 à l'équipe des Midi de culture qui sont préparés
38:03 tous les jours par Aïssa Touhendoï,
38:05 Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Zora Vignier,
38:08 Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle,
38:10 à la réalisation Nicolas Berger, prise de son
38:13 Jean-Guylain Mej. Pour réécouter cette émission,
38:15 rendez-vous sur le site de France Culture
38:17 à la page de l'émission. Merci Nicolas.
38:20 Je ne vous dis pas à demain, mais à lundi.
38:22 - À lundi, Géraldine.

Recommandations