Zoom - Jean-Pierre Maugendre : L'obéissance est une vertu virile

  • l’année dernière
Cette année est le dixième anniversaire du rappel à Dieu de deux personnalités, Helie Denoix de Saint Marc et Jean Madiran qui résistèrent à des ordres qu'ils estimaient injustes. Le fait est que de plus en plus de lois non conformes au bien commun sont promulguées dans la société civile et que les abus de pouvoir se multiplient dans l'Eglise. Face à cela, la question de l'obéissance se pose chaque jour de manière plus aigüe. A la lumière de l'histoire, de la philosophie, de la théologie et du simple bon sens, Jean-Pierre Maugendre livre des pistes de réflexion pour vivre une obéissance clairvoyante mais pas aveugle.
Transcript
00:00 [Musique]
00:05 Bonjour Jean-Pierre Maugendre.
00:06 Bonjour Martial Bill.
00:07 Jean-Pierre, vous êtes un des brillants animateurs de Terre de Mission.
00:11 Brillant, nous essayons.
00:13 Mais vous êtes aussi et surtout le directeur général de Renaissance Catholique,
00:16 une association qui organisait son université des TCT à la mi-juillet.
00:22 Un moment très apprécié et très réussi.
00:24 Vous êtes intervenu et ça m'a intéressé sur un thème,
00:27 permettez-moi de dire l'expression un peu casse-gueule,
00:29 l'obéissance dans l'Église, aveugle ou clairvoyante.
00:33 Alors, pourquoi tel sujet, ici et maintenant ?
00:37 Alors, je crois qu'il y a deux raisons.
00:39 Il y a d'abord des raisons un petit peu accidentelles liées à l'actualité
00:43 puisque nous avons célébré, nous aurions dû célébrer il y a quelques jours,
00:47 le rappel à Dieu de deux personnalités
00:50 qui ont été confrontées à la question de l'obéissance.
00:53 Le 31 juillet dernier, dixième anniversaire du décès de Jean Badiran,
00:57 confronté à la question de l'obéissance dans l'Église,
01:00 et le 26 août dernier, dixième anniversaire du décès d'Élie Desnois de Saint-Marc,
01:06 lui aussi confronté à la question de l'obéissance.
01:09 Donc il y a ces questions un petit peu d'actualité.
01:13 Et puis il y a le fait que, aussi bien dans la société civile que dans l'Église,
01:17 nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des problèmes de conscience
01:23 dans la société civile, et bien ce sont de plus en plus de lois non conformes au bien commun,
01:28 nous l'avons vu au moment de la crise du Covid-19,
01:32 les atteintes à la liberté de circulation, les atteintes à la liberté de culte,
01:36 la vaccination obligatoire, et puis dans l'Église,
01:39 un certain nombre de réformes pour le moins discutables
01:43 qui sont imposées au nom de l'obéissance.
01:46 – À chaque fois que vous évoquez votre sujet interne,
01:49 il y a quand même une formulation dans votre intervention qui est presque devenue taboue,
01:53 c'est le mot "obéissance".
01:55 Qu'est-ce que ça veut dire précisément l'obéissance ?
01:58 – Alors l'obéissance, d'abord il faut rappeler que ça n'est pas une vertu cardinale.
02:04 Les vertus cardinales sur lesquelles repose la vie morale de chacun,
02:08 c'est traditionnellement la force, la prudence, la justice et la tempérance.
02:13 L'obéissance, elle est rattachée à la vertu de justice,
02:17 c'est-à-dire qu'il est juste que j'obéisse à mon supérieur
02:22 qui détient une autorité sur moi.
02:26 Mais, et là je vais faire un petit peu d'étymologie,
02:30 cette autorité n'est pas une autorité sans limite.
02:34 On dit habituellement qu'il y a deux composantes dans l'autorité.
02:39 Il y a, c'est le terme latin, l'étymologie "auctoritas".
02:43 "Auctoritas" en latin, ça vient de "augere".
02:47 "Augere", ça veut dire "croître, augmenter".
02:49 Le détenteur de l'autorité, c'est celui qui a pour vocation, pour mission,
02:54 de faire croître la personne sur laquelle il a autorité.
02:57 L'exemple le plus évident, c'est l'autorité des parents sur les enfants.
03:01 Cette autorité, elle a pour vocation de faire grandir l'enfant
03:05 et de lui permettre d'épanouir au mieux ses capacités.
03:08 Donc, première composante de cette autorité, c'est l'aptitude,
03:13 la nécessité pour le détenteur de l'autorité de faire grandir ses collaborateurs.
03:17 Mais il y a également une deuxième dimension, c'est ce qu'on appelle la "potestas".
03:21 La potestas, c'est quoi ? C'est le pouvoir de contrainte.
03:25 C'est-à-dire que, effectivement, les parents sont là pour faire progresser leurs enfants,
03:30 mais les enfants n'en sont pas toujours conscients,
03:34 et il y a des moments où, ma foi, les enfants obéissent parce qu'ils ne veulent pas ramasser une claque.
03:38 Dans la société civile, c'est la même chose.
03:41 Nous obéissons à un certain nombre de règles, par exemple les règles du code de la route,
03:45 qui doivent nous permettre de circuler en sécurité.
03:49 Alors, ça, c'est pour les plus vertueux d'entre nous.
03:53 Et puis, il y a un certain nombre d'entre nous, ils respectent les règles du code de la route,
03:57 tout simplement parce qu'ils n'ont pas envie de ramasser une amende ou de perdre des points.
04:03 Voilà. Donc l'obéissance est là pour vocation, elle a pour rôle d'insérer l'individu dans un ordre qu'il dépasse.
04:11 Deuxième point d'étymologie, l'obéissance, c'est l'obéissance que l'on doit au détenteur de l'autorité,
04:18 qui fait partie de la hiérarchie.
04:21 Voilà. Hiérarchie est un mot que connaissent nos téléspectateurs.
04:25 Il a une double origine.
04:27 Hieros, en grec, ça veut dire "sacré".
04:31 Et puis, Arkane, c'est le pouvoir.
04:34 Hieros, qu'on retrouve dans Hiéroglyphe, les dessins sur les tombes, qui sont des monuments sacrés en Égypte.
04:40 Et puis Arkane, monarchie, le pouvoir d'un seul.
04:43 Anarchie, le pouvoir de personne.
04:45 Et qu'est-ce que nous dit cette étymologie autour du mot de hiérarchie ?
04:50 Que toute fonction d'autorité, que tout membre de la hiérarchie est détenteur d'une autorité,
04:59 parce qu'il est en fait le représentant auprès des personnes sur lesquelles il a autorité,
05:05 de celui qui a la plénitude de l'autorité et qui est Dieu.
05:09 Le roi de France, il est représentant de Dieu sur la terre.
05:13 Il est lieutenant de Dieu.
05:15 Dans les sociétés traditionnelles, chez les Incas, en Égypte, au Japon,
05:20 l'empereur, il est le représentant de Dieu, il est considéré comme d'essence divine.
05:25 Et en obéissant à mon chef, j'obéis à Dieu.
05:29 Et le point important qu'il faut souligner là, c'est que cette obéissance à l'autorité
05:35 est indépendante de la qualité du détenteur de l'autorité.
05:39 J'obéis au chef parce que c'est le chef.
05:41 J'obéis à mes parents parce que ce sont mes parents.
05:43 Et j'obéis à mon chef, pas obligatoirement parce qu'il est plus malin, plus astucieux,
05:49 mais parce que c'est dans l'ordre des choses.
05:51 Sa mission à lui étant de me faire effectivement progresser.
05:56 Là, on est dans un enseignement très polignin, c'est celui de Saint-Paul
06:01 qui dit aux serviteurs d'obéir à leur maître,
06:05 même si ces maîtres n'ont pas le caractère facile.
06:09 Mais cela existe.
06:10 – C'est la part de responsabilité de celui qui obéit.
06:12 – Alors, c'est la part de responsabilité, vous faites bien d'employer ce mot,
06:17 mais cette obéissance, elle ne me décharge pas,
06:22 elle ne me libère pas de toute responsabilité.
06:25 Je crois qu'on en a un bon exemple dans l'actualité relativement récente,
06:29 en particulier autour des travaux d'Anna Arendt sur la question du totalitarisme.
06:35 Anna Arendt, et c'est très bien mis en valeur dans un film
06:40 que je reconseille à nos téléspectateurs de regarder,
06:44 qui s'appelle tout simplement "Anna Arendt" de Margarethe von Trottin.
06:49 Anna Arendt est à Jérusalem en 1961.
06:53 Jérusalem en 1961, qu'est-ce qui se passe ?
06:56 C'est le procès Eichmann.
06:58 Eichmann, c'est qui ?
07:00 C'est un peu pompeux, c'est l'homme de la solution finale.
07:04 En fait, c'est la personne qui a été chargée d'organiser la logistique
07:10 permettant de déplacer tous les juifs d'Europe vers les camps d'extermination de Pologne.
07:17 Les services spéciaux israéliens ont fini par le rattraper en Amérique latine,
07:24 et il est jugé.
07:26 Et toute son argumentation tout au long du procès, c'est de dire
07:30 "Mais attendez, moi je suis un logisticien.
07:33 Mon métier, c'est de déplacer des choses d'un endroit vers un autre.
07:37 On m'a demandé de déplacer des juifs, j'ai déplacé des juifs.
07:40 On m'aurait demandé de déplacer des tonnes de pommes de terre,
07:43 j'aurais déplacé des tonnes de pommes de terre.
07:45 Et en plus, je ne suis pas antisémite, je n'ai rien contre ces gens-là."
07:48 Il n'a pas réussi à convaincre le tribunal.
07:51 C'est-à-dire que le tribunal a jugé et a dit
07:55 "Voilà, vous avez obéi, c'est vrai,
07:58 mais cette obéissance ne vous retire pas votre responsabilité.
08:03 Donc vous êtes responsable, vous avez participé à ce génocide.
08:06 En conséquence de quoi, il est condamné à mort et il est pendu."
08:09 Je crois que c'est quelque chose sur lequel il faut insister.
08:14 L'obéissance, c'est une vertu d'homme libre.
08:18 Ça n'est pas un dressage et chacun reste responsable
08:22 des actes qu'il pose, même en obéissant.
08:25 Alors si je vous suis bien, malgré ce que vous avez dit et cité Saint-Paul,
08:30 vous dites-vous qu'il est légitime de désobéir à des ordres,
08:33 dès lors qu'ils sont injustes.
08:35 Je vous croyais un contempteur de la désobéissance civile
08:38 et je vous retrouve promoteur de cette civilité.
08:40 Alors, nous allons un petit peu affiner le sujet, si vous voulez bien.
08:43 Et pour cela, je vais vous donner trois exemples.
08:46 Premier exemple, nous sommes le 5 juillet 1962 à Oran.
08:52 C'est le jour de l'indépendance de l'Algérie.
08:56 Et là, pendant cette journée, 700 civils européens, plus des musulmans,
09:02 sont massacrés en quelques heures.
09:04 Le général qui commande les troupes qui sont présentes à Oran,
09:08 le général Katz, a reçu ordre de ne pas intervenir.
09:12 C'est-à-dire que pendant toute la journée, cela va être des massacres abominables.
09:16 Les hommes sont massacrés, égorgés, les femmes sont violées.
09:21 Les civils qui cherchent à rentrer dans les casernes sont repoussés.
09:25 Alors, majoritairement, les officiers présents ont obéi.
09:30 Il y a quelques exceptions.
09:32 Le lieutenant-calife, ancien de Dien Bien Phu, qui, avec son unité, protège les civils,
09:39 le capitaine Kroegenhecht, qui est au deuxième Zouave,
09:42 était-il légitime d'obéir à cet ordre ?
09:46 Deuxième exemple, toujours sur la guerre d'Algérie,
09:49 puisque tout à l'heure, on a parlé d'Elie de Noix de Saint-Marc,
09:52 qui a été confrontée à cela.
09:54 Il faut rappeler que pendant la guerre d'Algérie,
09:57 les effectifs musulmans dans l'armée française, en 1960,
10:01 sont globalement de 220 000 hommes.
10:04 Il y a 150 000 personnes qui sont des harkis, des supplétifs, des auxiliaires, etc.
10:10 Et puis, il y en a aussi dans les unités de Spahie, de Zouave, de l'armée française.
10:16 On estime qu'à ce moment, 10 % des musulmans, des hommes, des mâles, sont engagés dans l'armée française.
10:23 En face de ça, le FLN n'a jamais pu mettre en ligne que 40 ou 50 000 personnes.
10:29 En 1960, la majorité de ces troupes sont d'ailleurs en dehors de l'Algérie,
10:33 suite au plan Châle, donc sont au Maroc et en Tunisie.
10:38 Donc, au moment où le général De Gaulle fait connaître ses intentions
10:42 devant aboutir à l'indépendance de l'Algérie,
10:44 d'un côté, on a 40-50 000 musulmans,
10:47 de l'autre, on en a 50 ou 200 000.
10:50 C'est-à-dire que si on les laisse entre eux,
10:53 il y en a qui sont 4 fois plus nombreux que les autres,
10:56 ils risquent bien de gagner.
10:58 Donc, la solution qui est trouvée est la suivante.
11:01 On va désarmer les supplétifs.
11:03 Alors, on ne va pas désarmer les gens qui sont dans les unités de Zouave, de Spahie, etc.
11:07 Mais les unités de Harkis sont désarmées.
11:10 C'est-à-dire que les officiers reçoivent l'ordre
11:13 de reprendre leurs armes aux supplétifs qu'ils ont engagés,
11:17 qui sont immédiatement pris par le FLN
11:21 et, je dirais, égorgés dans des conditions abominables.
11:25 Fallait-il obéir ?
11:27 Et puis, troisième exemple que l'on peut prendre,
11:31 là, c'est plus dans le cadre de Jean Badiran,
11:34 qui a manifesté une résistance, en particulier à la réforme liturgique,
11:38 dont tout le monde s'accorde aujourd'hui, sauf quelques idéologues,
11:41 à dire qu'elle a consisté à vider les Églises.
11:44 Fallait-il accepter d'obéir,
11:48 sans discernement, sous prétexte que c'était la volonté de l'autorité ?
11:53 Ce qu'il faut retenir de cela,
11:56 c'est qu'au-delà de l'autorité effective du supérieur à un instant donné,
12:01 il y a aussi des lois supérieures aux ordres que peut me donner mon chef.
12:08 – Et ça aboutit à la désobéissance civile.
12:11 – Alors non, la désobéissance civile, c'est moi qui me fais le juge
12:15 de ce à quoi je n'obéis et ce à quoi je n'obéis pas.
12:20 L'objection de conscience, c'est, je refuse d'obéir à une loi
12:27 au nom d'une loi supérieure à laquelle devrait être soumise
12:33 la personne qui me donne un ordre.
12:35 L'exemple, il n'est pas d'aujourd'hui, c'est l'antigone de Sophoque,
12:39 l'antigone d'Hannouille, donc antigone qui dit à Créon,
12:43 puisque Créon lui a interdit de rendre les honneurs funèbres
12:47 à son frère Polynice, qu'il a condamné à mort,
12:49 et donc Polynice est condamné à errer,
12:51 l'âme de Polynice est condamnée à errer sur la terre jusqu'à la fin des temps,
12:55 et antigone dit à Créon, il y a des lois immortelles
12:59 voulues par les dieux sur lesquelles tu n'as pas d'autorité.
13:02 Eh bien l'objection de conscience, dans un certain nombre de cas,
13:06 c'est effectivement cela.
13:08 Il y a des lois au-dessus des lois que me donne mon supérieur.
13:12 Dans l'Église, le devoir de préserver la foi et de travailler au salut des âmes.
13:18 Dans la société civile, le respect du décalogue
13:22 et puis un certain nombre de valeurs comme l'honneur ou le respect de la parole donnée.
13:26 Ça n'est pas un libre-examen protestant,
13:29 c'est la référence à des lois supérieures
13:32 contre des lois inférieures qui ne leur sont pas soumises.
13:35 – Alors, vous n'êtes pas en train néanmoins de saper les fondements de l'obéissance,
13:40 de sombrer finalement, vous avez dit ce terme-là, dans le libre-examen.
13:44 – Alors, je viens de l'évoquer, de répondre, je pense en partie à cela.
13:50 Le libre-examen, c'est moi qui choisis.
13:53 Là, non, je me soumets à une loi supérieure que je ne choisis pas.
13:59 Et en ce sens…
14:01 – C'est ce que vous appelez les lois naturelles.
14:04 – Alors, ça peut être la loi naturelle
14:07 ou dans l'Église, c'est prévu dans le droit canon.
14:10 Ce sont des lois supérieures.
14:13 Je pense, sur cette question de l'Église en particulier,
14:15 il faut bien avoir le souci de rappeler que les autorités dans l'Église,
14:20 elles ne sont pas propriétaires de l'Église.
14:23 Les autorités dans l'Église, les pasteurs dans l'Église,
14:26 ils sont les gardiens d'un dépôt.
14:29 Ils ont pour vocation, c'est l'expression que l'on emploie à propos de Saint-Joseph,
14:35 "depositum custodi", garde le dépôt.
14:37 Voilà, la responsabilité du pasteur, sa responsabilité, c'est de garder le dépôt.
14:43 Et s'il vient à devenir infidèle au dépôt,
14:47 eh bien, j'ai le droit de résister.
14:49 Non pas de désobéir, mais de résister.
14:52 Saint Thomas d'Aquin fait cette distinction, je crois, tout à fait importante.
14:57 Une loi qui n'est pas légitime n'est pas une loi.
15:00 C'est-à-dire, en refusant d'obéir à des ordres injustes,
15:03 je ne désobéis pas, je résiste à un abus de pouvoir.
15:07 Donc, les deux formules que vous proposez, c'est de résister ou l'objection de conscience,
15:12 évoquée en d'autres temps par le pape Jean-Paul II.
15:16 Alors, résister...
15:19 Alors, ma conscience, là aussi, je crois, on peut faire une remarque importante,
15:25 c'est le regretté Xavier Dor, le docteur Dor qui disait ça.
15:31 « La conscience n'est pas la lumière, elle est l'œil qui regarde la lumière. »
15:37 Elle est l'œil qui regarde la lumière.
15:39 C'est-à-dire, je ne fais pas tout passer au prisme de ma conscience,
15:42 mais ma conscience éclairée m'indique quelles sont les lois supérieures
15:47 auxquelles doivent être soumises les lois civiles
15:51 ou les lois canoniques de l'Église à un instant donné.
15:54 En fait, Jean-Pierre Maugendre, si je vous suis bien, et pour bien vous connaître,
15:59 vous aboutissez à travers toute cette remarquable démonstration à un point très précis,
16:04 c'est de jeter la suspicion sur tous les détenteurs de l'autorité,
16:08 et disons-le clairement, sur le pape.
16:11 Je ne jette aucune suspicion. D'abord, je crois qu'il faut faire deux remarques.
16:15 La première remarque, c'est une distinction que fait Blaise Pascal.
16:19 Blaise Pascal, dans son discours sur la condition des grands en 1670,
16:24 il fait la distinction suivante.
16:27 Il dit « Le respect que nous devons aux personnes qui ont autorité sur nous, il y a deux aspects.
16:34 Il y a tout d'abord les grandeurs d'établissement.
16:37 C'est le respect que je dois au détenteur de l'autorité, parce qu'il est le détenteur de l'autorité.
16:43 Et puis, il y a une deuxième catégorie, nous dit Pascal, ce sont les grandeurs naturelles.
16:48 C'est le respect que je dois à cette personne en fonction de ses qualités d'âme.
16:52 Et là, j'ai le devoir de l'honorer.
16:55 Le drame dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui, me semble-t-il, c'est la confusion entre les deux.
17:00 Permettez-moi de vous donner deux exemples.
17:03 Un premier exemple, on rebondit, puisque c'était mon introduction autour de l'exemple d'Elie Denoit de Saint-Marc,
17:09 au moment des événements d'Algérie, prise d'armes,
17:14 et puis il y a là un ingénieur du génie maritime, qui est un homme brillant, il est polytechnicien, etc.
17:21 Donc prise d'armes avec le général de Gaulle.
17:24 Il salue le général de Gaulle parce qu'il est le président de la République,
17:28 mais il refuse de lui serrer la main, là qui serait une marque un peu de reconnaissance de ses qualités humaines, etc.
17:36 en fonction de son comportement à l'occasion de la guerre d'Algérie.
17:40 Voilà, cet homme est connu, je pense, d'un certain nombre de nos téléspectateurs, c'est Arnaud de Lassus.
17:45 Le soir même, il est cassé de son grade et renvoyé. Premier exemple.
17:49 Et deuxième exemple, quand, de manière habituelle, pendant des siècles,
17:55 on avait coutume, pour saluer un évêque, de se mettre à genoux devant lui et de lui baiser l'anneau,
18:05 ce n'était pas parce qu'il était intelligent, spirituel, raffiné, distingué, peut-être même un saint,
18:11 c'est parce qu'il représentait le Christ.
18:14 Et je crois qu'aujourd'hui, je me souviens d'une remarque qu'on m'a rapportée justement d'un évêque
18:18 qui était un peu surpris, "mais je vois bien que tout ça, ce sont des salamalèques, c'est pas pour moi".
18:25 Mais bien sûr que non, Excellence, c'est pas pour vous.
18:28 C'est pour le Christ que vous représentez, si ça n'était dû qu'à vos mérites personnels,
18:33 effectivement, on comprend qu'il n'y ait peut-être pas nécessité,
18:36 mais en baisant l'anneau de l'évêque, en me mettant à genoux devant lui,
18:39 c'est devant le Christ, c'est devant Dieu lui-même que je le fais.
18:42 Et je crois qu'aujourd'hui, on a du mal à distinguer.
18:46 Vous avez parlé du pape tout à l'heure, eh bien le pape...
18:49 – Mais alors qu'est-ce que vous faites avec le pape ?
18:50 Vous mettez à genoux devant le pape, vous ne lui serrez pas la main, j'ai compris.
18:53 – Alors oui, alors aujourd'hui, pas lui serrer la main, il était très tactile, paraît-il, comme on dit aujourd'hui.
19:01 Mais je me mets à genoux, je lui baisse son anneau, mais je peux aussi, sur certains cas,
19:07 on le verra à propos du synode qui arrive, voilà, je crains très saint père
19:14 que dans un certain nombre de domaines, vous ne soyez un faux soyeur de la foi.
19:17 Et j'ai le droit de lui dire, mais je lui ai baisé, et je le respecte.
19:22 – C'est pas de l'hypocrisie tout ça, Jean-Pierre Mouchon ?
19:24 – Non, c'est pas de l'hypocrisie, c'est de la distinction.
19:27 – Hypocritesse en grec ?
19:29 – Hypocrites. [Rires]
19:32 C'est distinguer, distinguer la personne et sa fonction.
19:36 Et aujourd'hui, il me semble qu'on souffre trop souvent de cette confusion.
19:42 C'est soit une obéissance aveugle, soit un libre examen.
19:47 Eh bien, le juste milieu, il m'est dit au stade virtus, ça n'est ni l'un ni l'autre.
19:52 – Est-ce que vous avez des pistes à nous donner, en encore quelques secondes,
19:56 pour approfondir sur ce sujet qu'on a vraiment balayé rapidement ?
19:59 – Avant ça, je voudrais… – Faites comme chez vous.
20:03 – Merci. Revenir sur une question, sur le fait que l'obéissance que l'on doit à l'autorité,
20:15 il peut y avoir deux excès.
20:18 Un premier excès vis-à-vis de cette autorité, c'est la servilité.
20:22 Voilà, touchez ma bosse, mon seigneur.
20:27 Et puis en plus, une obéissance servile, ça présente des avantages.
20:31 Comme vous obéissez à l'autorité, vous recevez de cette autorité
20:37 des prébendes, des avantages, de l'avancement, etc.
20:40 Donc il y a une conception servile de l'autorité.
20:45 J'obéis parce que j'en attends des avantages.
20:48 Il y a également, me semble-t-il, et là aussi c'est grave,
20:52 une notion de l'obéissance qui est en fait une faiblesse de l'intelligence.
20:58 Oh là là, c'est compliqué.
21:01 Bon, je fais confiance à l'autorité, on ne pourra jamais rien me reprocher.
21:06 Mais non, ça c'est la négation de l'intelligence.
21:10 J'ai retrouvé ça dans un des textes sur lesquels j'ai travaillé.
21:14 L'obéissance, c'est une vertu virile.
21:16 Je pense à cette devise de la secte des Achachines.
21:20 Les Achachines, ça vient de "assassin", c'est la secte du Vieux de la Montagne
21:24 au moment des croisades au Moyen-Orient.
21:27 Et la devise de ces gens, c'était
21:30 "Je suis en votre pouvoir, maître, comme le cadavre entre les mains du laveur de mort."
21:37 L'obéissance, c'est pas ça. L'obéissance chrétienne, c'est pas ça.
21:41 Il y a une très belle expression de Péguy aussi que j'aime bien.
21:44 Il parle du noble agenouillement d'un homme libre.
21:49 L'obéissance chrétienne, dans notre civilisation,
21:52 c'est le noble agenouillement d'un homme libre.
21:55 Ça n'est pas l'asservélité, c'est pas le refus de l'obéissance,
22:00 et c'est pas non plus une forme d'amoulissement et de destruction de la personnalité.
22:06 Alors, vous m'avez demandé si...
22:08 Oui, quand même, effectivement, je vous ai posé une question.
22:10 Alors, je vais répondre à cette question-là.
22:12 Je vais mettre des éléments pour approfondir un peu le sujet.
22:15 Je prends ça à trois documents.
22:17 D'abord, sur l'aspect purement profane,
22:20 donc une plaquette qui a été éditée par le Centre d'études des entreprises,
22:24 "L'autorité, du pouvoir à la légitimité",
22:27 qui traite en particulier de cette question de l'obéissance,
22:30 donc qui est disponible sur le site du CEE, cee-management.com.
22:34 Donc ça, c'est l'autorité, l'obéissance.
22:37 Vous retrouverez ce que j'ai dit sur la hiérarchie, etc.,
22:40 d'un point de vue profane.
22:42 Et puis, pour ceux de nos téléspectateurs
22:46 qui se posent des questions, peut-être plus par rapport à l'Église,
22:50 je me permets de recommander deux documents.
22:52 Tout d'abord, alors, un article qui doit être disponible sur Internet,
22:56 un article du père Labourdette,
22:58 le père Labourdette étant un Dominicain,
23:00 qui, dans la revue "Thomiste" en 1957,
23:03 a écrit un article tout à fait passionnant,
23:06 de 25 pages à peu près,
23:08 sur la vertu d'obéissance selon saint Thomas.
23:11 Voilà, il explique bien ça.
23:13 Et puis, également, un petit livre dû à un disciple du cardinal Journet,
23:18 donc le cardinal Journet, le grand cardinal suisse,
23:22 l'auteur de l'Église, du Verbe incarné.
23:25 Donc il a eu comme disciple en particulier un protestant converti
23:28 qui s'appelait Lucien Mérose.
23:30 Et Lucien Mérose a écrit un livre
23:34 qui s'appelle "L'obéissance dans l'Église, aveugle ou clairvoyante".
23:37 Voilà, c'est de là, un petit peu,
23:39 que j'avais tiré le titre de ma conférence,
23:43 où il rappelle bien que l'obéissance est une vertu majeure,
23:48 c'est par l'obéissance du Christ à son Père
23:52 que les hommes sont rachetés,
23:54 mais que cette obéissance, elle n'est jamais inconditionnelle et sans limite.
23:58 – Jamais inconditionnelle et sans limite.
24:00 Et nos limites à nous, c'est les horaires,
24:02 ils sont presque dépassés.
24:04 – Merci Jean-Pierre Mojan, donc on vous retrouve très rapidement
24:07 en compagnie de Guillaume Detieuloy,
24:09 avec votre ami Guillaume Detieuloy,
24:12 chaque semaine sur TVL pour une nouvelle émission.
24:14 – Merci Martial.
24:15 – Merci à vous Jean-Pierre.
24:16 – Merci Martial.
24:17 [Musique]

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