Pour la reprise de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL, Edouard Chanot reçoit Thibaud Gibelin, chercheur au Mathias Corvinus Collegium de Budapest.
Viktor Orban a prononcé un discours le 27 juillet dernier à l’université d’été de Balvanyos, où pensée et action politiques se confondent harmonieusement pour élaborer une géostratégie exemplaire. Le premier ministre hongrois enseigne comment un État, même enclavé, peut s’en sortir dans un monde en crise permanente.
Viktor Orban a prononcé un discours le 27 juillet dernier à l’université d’été de Balvanyos, où pensée et action politiques se confondent harmonieusement pour élaborer une géostratégie exemplaire. Le premier ministre hongrois enseigne comment un État, même enclavé, peut s’en sortir dans un monde en crise permanente.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Bonsoir à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26internationale de TVL. Je suis ravi de vous retrouver ce soir pour ce premier épisode
00:32de la nouvelle saison, nouveau format, nouveau studio et surtout nouveau rythme puisque
00:36j'ai eu le plaisir de vous annoncer que Choc du Monde vous donnera désormais rendez-vous
00:40chaque semaine. Merci à vous, c'est grâce à votre fidélité que cette émission s'accroît.
00:45Mais sans plus attendre, revenons aux affaires mondiales. Direction la Hongrie de Victor
00:51Orban avec Thibaut Giblin, chercheur au Matthias Corvinus Collégium de Budapest et
00:56auteur de l'essai Pourquoi Victor Orban joue et gagne. Thibaut Giblin, bonsoir.
01:00Bonsoir Edouard.
01:01Merci beaucoup d'avoir encore une fois répondu présent à l'appel de Choc du Monde. On ne
01:06parle pas assez de Victor Orban, pourtant ce qu'il dit, ce qu'il pense, ce qu'il fait pourrait bien
01:11être une boussole sur la manière par laquelle un Etat peut s'en sortir dans un monde en crise
01:16permanente. Thibaut Giblin, c'est un peu ce que vous semblez nous dire depuis quelques temps.
01:20Victor Orban d'autant plus a prononcé un discours le 27 juillet dernier à l'université d'été de
01:26Balvagnos où pensée et action politique se confondent harmonieusement pour élaborer une
01:31géostratégie. Il part de la guerre en Ukraine, dans l'Ukraine voisine, qu'il qualifie, je cite,
01:35« la guerre est notre pilule rouge », comme dans le film Matrix. Thibaut Giblin,
01:40qu'a-t-elle cette guerre révélée à Orban ?
01:43C'est une révélation dans le sens quasiment apocalyptique du terme. C'est-à-dire que tout
01:50le tissu idéologique, tous les mots qui couvraient des réalités finalement se déchirent. Victor
01:57Orban parle de pilule rouge et fait référence à Matrix d'abord pour être compris du plus grand
02:02nombre parce que son ambition c'est d'être soutenu par la majorité démocratique. Pour ça,
02:08il faut des images assez simples. C'est vrai que cette image que beaucoup de gens situent,
02:12j'imagine les téléspectateurs de TVL aussi, Néo doit choisir soit la pilule bleue pour tout
02:19oublier et rester dans le domaine du faux, dans la Matrix, dans l'illusion, ou la pilule rouge.
02:23Et là, il va falloir affronter la dure réalité. Et comme la guerre nous impose de trancher,
02:28est une question de vie ou de mort, engage la destinée ou la disparition des nations,
02:33eh bien ça a bien été une pilule rouge pour les Européens du XXIe siècle.
02:37Alors c'est un homme d'action. Il est capable aussi de manipuler bien sûr la culture populaire,
02:41mais c'est un homme d'action. Il a un peu fasciné au mois de juillet dernier en lançant une
02:46blitzkrieg diplomatique totalement inattendue. Je vous propose, Thibaut Giblain, de faire un
02:51petit tour de cette tournée pour que tout soit clair.
03:16Orban s'est ensuite rendu à Pékin le 8 juillet pour rencontrer Xi Jinping, qui réclame lui aussi
03:22une cessation des hostilités et surtout une meilleure égalité de traitement entre l'Ukraine
03:28et la Russie pour y parvenir. C'est ensuite au sommet de l'OTAN à Washington avec Joe Biden
03:34que l'on a retrouvé Orban le 10 juillet, avant qu'il ne conclue cette tournée le 11 juillet avec
03:41Donald Trump en Floride. Une offensive qui n'a guère été du goût de tout le monde.
03:46« Si quelqu'un essaie de résoudre des problèmes dans le dos des autres ou même aux dépens de quelqu'un
03:51d'autre, pourquoi devrions-nous prendre en compte cette personne ? » a réagi dans la foulée
03:56Volodymyr Zelensky. Un mois plus tard, Kiev lançait une attaque surprise contre la région russe de
04:02Kursk, repoussant la perspective d'un cessez-le-feu. Si vous vous tournez vers les dirigeants de demain,
04:08seul le président Trump, susceptible d'être élu dans un avenir proche, est en mesure d'obtenir
04:14la paix à nos portes, estimait en juillet le chef de la diplomatie hongroise, Peter Sijarto.
04:19Alors Sijarto considère que Trump est le seul à voir la situation avec un minimum de réalisme.
04:29Vous Thibaut Giblin, vous avez évoqué les illusions des dirigeants occidentaux. Quand
04:34on suit l'actualité internationale avec attention, on est aussi frappé par la vacuité des dirigeants,
04:39Macron, Borel, Biden. Vous avez l'air de dire qu'Orban, ce n'est pas la même chose. Il a des
04:46qualités supplémentaires. Vous savez, Archimède disait « donnez-moi un point d'appui et je
04:50soulèverai le monde ». Le dirigeant hongrois, Victor Orban, a un point d'appui. C'est son pays,
04:56c'est la Hongrie. C'est qu'il s'appuie sur du réel. Les dirigeants politiques en général dans le
05:01monde occidental, ce sont des acteurs. Ils sont là pour être les fondés de pouvoir, les relais
05:10de puissance qui elles sont décisives et qui sont d'abord des puissances économiques, financières,
05:15idéologiques. Donc Victor Orban, lui, il est parti de la sécession anticommuniste. Cet État
05:23est tombé dans des circonstances internationales très particulières dans lesquelles Victor Orban
05:29a été un bénéficiaire. Mais ensuite, il a construit pas à pas, depuis son retour au pouvoir en 2010,
05:36un État, une profondeur stratégique, des financements pour les médias, des filières
05:43d'excellence pour former une élite nationale. Et c'est fort de tout cela qu'il a pu dire non en
05:492015 à la crise migratoire, qu'il ose dire non au tsunami idéologique de la théorie du genre et
05:57qu'il ose dire non pour la guerre en Ukraine. C'est parce qu'il n'est pas qu'un représentant,
06:02qu'un élu sorti d'un scrutin comme tant d'autres. Il a un véritable processus politique en tant que
06:14construction du réel et direction dans la longue durée du peuple hongrois.
06:19Alors vous dites qu'il n'est pas qu'un élu. Les élections ne se déroulent pas toujours
06:23parfaitement bien, si l'on en croit en tout cas les médias occidentaux. Qu'avez-vous à
06:26répondre à cette accusation à l'écart de Viktor Orbán ou en tout cas de la majorité
06:30hongroise dont les élus par exemple aux dernières élections européennes sont en baisse ?
06:36Alors c'est évidemment absolument faux. Après on peut dire qu'à l'omnié il en restera toujours
06:41quelque chose. Il y a des observateurs internationaux bien sûr qui sont là,
06:46tout est parfaitement régulier. Mais en plus chacun a des puissances médiatiques pour
06:54déployer et faire entendre son discours. Ce n'est pas le cas chez nous. Évidemment que les élections
07:00très récemment en France mais aussi au Royaume-Uni ont montré combien la disproportion, le décalage
07:06entre l'aspiration des gens et le résultat des parlementaires désignés dénote un grand
07:15malaise démocratique. En Hongrie c'est bien différent et c'est vrai qu'aux élections
07:20européennes la liste de Viktor Orbán, les listes du Fidesz a fait 45% et elle était talonnée,
07:27si l'on peut dire, par une liste de centre droit à 30%. Mais il est plébiscité, il a fait le
07:35meilleur score dans l'Union Européenne à part peut-être le parti en arrivant en tête à Malte,
07:39mais enfin bon c'est pas très significatif dans la mesure où la vie politique maltaise n'est pas
07:44bien complexe. Et du point de vue de la compétition, de la concurrence qui est à
07:55l'œuvre dans cette Hongrie démocratique, il y a bien sûr la liberté d'expression mais il y a
08:01en plus le soutien international. Le soutien international notamment de la gauche américaine
08:06qui finance à fond perdu l'opposition hongroise bien qu'il ne semble multiplier que des zéros.
08:10Alors revenons, vous évoquez l'opposition hongroise, l'influence américaine. La Hongrie
08:19se place sur l'échiquier mondial d'une certaine manière et on l'a vu récemment,
08:22on le voit d'autant plus avec les visites de Xi Jinping par exemple récemment en Hongrie au mois
08:29de juin. Orbán entretient de très bonnes relations avec Xi Jinping et la Chine puisque la Hongrie
08:36évidemment est stratégiquement placée sur les routes de la soie chinoise. Dans son discours de
08:40Balvernos, il évoque aussi les accusations occidentales contre Pékin et dénonce l'hostilité
08:46à la fois contre la Russie et contre la Chine. Pourquoi Viktor Orbán selon vous,
08:50refuse-t-il de désigner ainsi, contrairement à l'ensemble de ses partenaires européens
08:54voire occidentaux, ces deux puissances comme le font donc les autres dirigeants ? Pour une
08:59première raison fondamentale, structurelle, c'est que la Hongrie c'est l'Europe centrale,
09:04c'est donc les marges de l'Occident et on pourrait si vous voulez faire des cercles concentriques.
09:09Vous avez d'abord l'anglosphère, vous avez les Etats-Unis, le Canada, l'Angleterre,
09:14Noël-Zélande, l'Australie qui constituent le pôle de l'identité occidentale telle qu'elle
09:20s'est déployée depuis 60 à 80 ans. Vous avez ensuite l'Europe continentale, la France évidemment,
09:27l'Allemagne, l'Italie qui sont intégrées dans les structures américanisées de l'UE et de l'OTAN et
09:36qui sont par ailleurs qui ont aussi un surmoi occidental très fort parce qu'après tout
09:39l'Occident c'est nous qui l'avons fondé, sans doute le Royaume de France avec les Francs.
09:45Ensuite ces régions d'Europe centrale sont sur les marges et donc ne se sentent pas concernées
09:52tant que ça. Mais pourquoi ? Parce que la grande expansion de l'Occident, c'est à partir de la
09:57Renaissance, c'est les grandes découvertes, c'est tout ce bouleversement qui va faire de
10:02l'Europe la suzeraine du monde. Mais à ce moment-là, la Hongrie a été conquise par l'Empire
10:07ottoman, elle est sortie de l'histoire européenne. Donc à ce moment-là, les Européens n'ont pas
10:12lancé une croisade pour libérer les Hongrois. Et quand les Habsbourgs ont reconquis la Hongrie,
10:19ils l'ont fait à leur bénéfice, ils ne l'ont pas fait pour libérer les Hongrois. Donc ce rapport
10:24à l'universel que nous avons nous les Occidentaux, les Hongrois l'ont un peu moins. Ils disent nous
10:31les Hongrois. Vous savez, Rivarol disait dans son célèbre discours sur l'université langue
10:37française que la langue française est universelle. Et très peu après, la Révolution française a
10:41postulé qu'en fait, le français était l'homme universel. Et d'où les droits de l'homme et
10:45toute cette méprise sur la diversité irréductible des communautés humaines. Pour les Hongrois,
10:53les Hongrois ne pensent pas qu'ils sont des humains comme les autres. Ils sont des Hongrois,
10:57la Hongrie à sa propre destinée. Et dans le monde très complexe, fragmenté, post-unipolaire
11:03que nous connaissons, ça aide profondément à la clairvoyance, à la bonne intelligence des
11:10rapports de forces internationaux que de se libérer de cette matrice au sens de poisons
11:18idéologiques qui nous enferment dans une conception des choses qui ne sont pas partagées par 90% des
11:24habitants de cette planète. Alors vous êtes très critique de l'universalisme Thibaut Giblin,
11:27comme Victor Orban en fin de compte. En fait, Victor Orban a un certain universalisme qui est
11:33dans sa religion chrétienne. Et d'ailleurs, c'est au titre de ses devoirs de chrétien aussi,
11:40l'a-t-il dit, qu'il a fait cette croisade pour la paix parce que c'est son devoir d'essayer de
11:48sauver des vies là où il peut faire le bien. Vous évoquez la tournée de Victor Orban chez
11:53Zelensky-Poutine. Très bien évoqué dans votre pastille, effectivement. Donc cet aspect-là,
11:57ce rapport à l'universel, on peut le trouver, mais il est d'ordre, je dirais. C'est un humanisme
12:04qui n'implique pas une radicalisation idéologique. Au contraire, ça lui impose des devoirs en tant
12:12qu'Hongrois, mais aussi en tant que représentant d'un peuple de la civilisation européenne.
12:18A-t-il réussi à apaiser les tensions avec Zelensky et l'Ukraine ? Je rappelle qu'Orban
12:24est très critique de la position de Kiev depuis le début du conflit. Il refuse d'aider militairement
12:30l'Ukraine. Il vote in extremis les sanctions contre Moscou et continue de recevoir du gaz russe. Pour
12:36dire les choses vulgairement, il est accusé d'être le plus pro-russe des membres de l'Union européenne,
12:40une position qui est pour le moins délicate. C'est évidemment délicat d'être accusé d'être
12:46pro-russe, mais c'est à peu près l'anathème du moment. Simplement, Viktor Orban est en fait un
12:54dirigeant loyal à son peuple et aux intentions de ses électeurs, mais aussi aux quatre occidentales.
13:02C'est-à-dire que les paquets de sanctions, la Hongrie les a adoptées, à contrecoeur,
13:05mais elle le fait par solidarité parce que c'est le consensus européen. Elle dit que c'est une
13:10erreur, mais elle ne peut pas faire sans. Là où son intérêt vital était engagé, c'était sur les
13:15livraisons de gaz. Elle a eu des exemptions, mais au même titre que la Tchéquie et la Slovaquie.
13:21Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que Viktor Orban n'est pas pro-russe ou anti-russe,
13:27pro-ukrainien ou anti-ukrainien, il est pro-hongrois. Dans cette approche très critique de la conduite de
13:34la politique étrangère ukrainienne par Zelensky, il ne fait aussi que se faire l'avocat de toutes
13:41ces familles ukrainiennes détruites, de toutes ces vies fauchées. Si soutenir l'Ukraine, c'est être
13:50aux côtés de la ligne belliciste, ça ressemble à une opération d'anéantissement de l'Ukraine. Ce
13:57à quoi se livrent les dirigeants ukrainiens, avec des armes et du matériel occidental c'est vrai,
14:01mais avec des vies ukrainiennes qui ne seront pas remplacées et avec surtout pas de perspectives
14:10de victoire militaire. Faire cette guerre sans capacité de la gagner, c'est profondément absurde
14:16pour Viktor Orban et là où il s'en est mêlé plus que tout autre dirigeant, c'est parce qu'il y a une
14:22minorité hongroise en Ukraine et que ces hongrois sont conscrits, sont envoyés au front et meurent
14:29par centaines, par milliers. Dans cette perspective là, on comprend bien que la responsabilité d'un
14:34chef d'état, c'est de monter à la tribune. La guerre justement, d'autant plus, s'est aggravée,
14:43elle a pris un nouveau tournant avec l'attaque ukrainienne dans la région de Koursk le 6 août
14:47dernier. Elle a donc de facto provoqué un éloignement immédiat, dès pour parler de paix,
14:52que souhaitait Orban. Alors ce que dit Viktor Orban, ce qu'il a dit à Balvanius et ailleurs,
14:57c'est que la Russie résiste et donc que les Européens et anglo-saxons ont eu tort,
15:01prosaïquement, les sanctions que vous évoquez ont échoué. Mais aussi au niveau, j'ai envie de dire,
15:06socio-philosophique, Orban déclare la description que l'on nous fait de la Russie, une autocratie
15:12néo-stalinienne rigide et donc fausse. Vous pensez qu'il a raison aussi sur cette compréhension de la
15:17Russie ? De fait, souvenons-nous de l'état d'esprit dans lequel nous étions il y a deux ans et demi,
15:24dans tous les médias européens. On va mettre la Russie à genoux, ce qu'il disait Bruno Le Maire,
15:29ministre de l'économie, en fanfaronnant, mais c'était très sérieux et ça semblait imminent à
15:35l'époque. Donc bien sûr que le contresens total sur ce qu'est la Russie, sur comment on peut isoler
15:42le plus grand pays du monde, sur comment les Occidentaux peuvent décider de l'ordre mondial
15:48selon leurs impératifs moraux, tout ça, c'est précisément la pilule rouge en question,
15:54a montré ses limites. Là où Viktor Orban fait des commentaires très équilibrés, c'est qu'il
16:02reconnaît que l'Ukraine développe un courage, une résilience exceptionnelle et il témoigne d'un
16:10profond respect pour la combativité, la valeur du soldat ukrainien. Simplement, ça ne les
16:15repermet pas d'avoir la victoire. Et c'est vrai, vous évoquez cette opération à Kursk, rien de
16:21tel pour relancer les hostilités, rien de tel pour se faire évanouir les perspectives de cesser
16:27le feu et de paix. Mais finalement, l'Ukraine a sacrifié ses meilleures divisions pour une
16:33aventure. Et ça n'empêche pas que dans quelques semaines, cette présence ukrainienne sera résorbée
16:42dans la région de Kursk au prix de pertes importantes ukrainiennes et que les conditions
16:47du cesser le feu reviendront. Simplement, ce sera de manière encore plus défavorable à l'Ukraine.
16:53Selon Orban, la guerre en Ukraine a rabattu les cartes du pouvoir en Europe. Je le cite encore,
16:58l'axe Paris-Berlin n'existe plus. Le nouveau centre de pouvoir comprend Londres, Varsovie,
17:04Kiev, les Pays baltes et les Pays scandinaves. Alors n'est-ce pas trop dur ? Thibaut Giblin,
17:08après tout, Macron a été aux avant-postes pour soutenir Kiev en missile. Il a évoqué avant tout
17:14le monde un envoi de troupes au sol, etc. Orban n'exagère-t-il pas ? En fait, si jamais on compare
17:21les livraisons d'armes américaines et le transfert, elles sont débarquées via la mer
17:28baltique en Pologne. Donc c'est bien cet axe-là et ce qui a amené à envoyer la France, notamment
17:33des canons César, des choses importantes, significatives, mais qui sont en fait très
17:38faibles par rapport à la machine de guerre américaine. Et les relais de cette machine
17:44américaine, ce sont les polonais et les baltes. La France voulait doser, être un petit peu le
17:53maître du tempo et avec des déclarations erratiques qui manifestement n'ont pas du
17:57tout atteint leur but. Mais le fait que Paris et Berlin étaient associés il y a quelques années,
18:05bon il y a maintenant une vingtaine d'années, Jacques Chirac et Gerhard Schröder s'opposaient
18:10ensemble à l'invasion américaine de l'Irak. Cette situation-là aujourd'hui n'existe plus du
18:17tout et c'est à l'aune de cet axe franco-allemand qu'il faut voir les choses. Évidemment l'axe,
18:23je dirais, François Hollande-Angela Merkel des années 2015, ce n'est pas non plus un axe
18:30franco-allemand qui était bienveillant. C'est pour ça qu'il a été subverti aussi facilement et que
18:35les Etats-Unis ont davantage besoin de renforcer un acteur polonais qui malheureusement a une
18:42certaine volatilité dans l'activité politique et géopolitique et ils en font un pion pour les
18:49intérêts américains. Ça, ça marginalise gravement Paris et Berlin. Est-ce que Orban est en mesure de
18:55créer un axe alternatif ? Pour l'instant on a l'impression qu'il est quand même très isolé,
18:58alors je veux bien croire que la Slovaquie s'aligne aussi sur les thèses de Budapest,
19:02mais la Slovaquie ne pèse pas lourd. La Hongrie, je le rappelle, c'est 10 millions d'habitants.
19:07Orban est vraiment seul au monde. En fait, pour les Hongrois, il s'agit de survivants. Et donc,
19:14tant qu'ils ne meurent pas, ils gagnent. Donc, il faut vraiment essayer de prendre la perspective
19:19inverse. Qui essaie de tuer la Hongrie ? C'est les circonstances qui sont tellement délétères
19:27que la broyeuse avance. La broyeuse en termes d'évolution géoéconomique qui fait qu'en fait
19:36cette planète devient un grand supermarché où le travailleur devient remplaçable par le robot,
19:41où le consommateur local peut être remplacé par un consommateur importé. C'est toute la
19:48question de l'immigration. Et dans ce contexte-là, la Hongrie défend l'élaboration d'un discours
19:56national, d'institutions qui lui permettent d'être et de durer. Il ne s'agit pas de renverser la
20:01vapeur. Il ne s'agit pas de trouver une solution miracle. Il n'y a pas d'âge d'or dans la
20:06perspective. Il s'agit simplement de durer une génération de plus, un peuple qui est là depuis
20:11mille ans. C'est une façon un peu plus humble, je dirais, de voir les choses que d'imaginer que
20:16nous disposons de l'ordre international. Là où il y a une vraie bascule historique, c'est si
20:22Donald Trump emporte les élections aux États-Unis, la guerre va se détourner, va desserrer son emprise
20:29en Ukraine, peut-être d'ailleurs au détriment d'une autre partie du monde qu'est le Moyen-Orient.
20:34Et en termes de pression politiquement correcte, mondialiste, un poids va s'enlever des épaules
20:44des Américains, mais aussi de fait des Européens, puisque nous sommes un protectorat américain.
20:49C'est ça la perspective dans laquelle Viktor Orban est en train de placer ses attentes.
20:54Ça reste un pari risqué.
20:55C'est un pari risqué, mais j'entendais récemment l'ambassadeur de Hongrie aux États-Unis qui évoquait
21:01cette question des élections. Il disait que si jamais on a une administration démocrate, on sait
21:05faire. On a eu les années Obama avec Hillary Clinton, à l'époque secrétaire d'État, qui
21:11écrivait des lettres de ce monstre à Viktor Orban pour lui expliquer qu'il était méchant. Il y a eu
21:17cette séquence difficile, en pleine crise du Covid, avec le retour des démocrates qui était
21:22inattendu. Et la Hongrie a tenu. Simplement, avec le retour de Trump, il n'y a pas seulement la
21:28perspective de survivre, il y a la perspective d'aller vers du mieux. Et ça, c'est tout l'enjeu
21:34des mois qui viennent. La vérité est que tout le monde se range du côté de la Russie, a aussi
21:38écrit Viktor Orban, citant la Turquie, l'Inde et j'en passe. En fait, Viktor Orban semble avoir
21:43accepté la thèse de l'émergence d'un monde multipolaire que l'on entend en Russie, en Chine
21:47et ailleurs dans le monde, donc avec l'émergence des pays du Sud global. Est-ce là encore la
21:52continuité de ce que vous expliquez sur, d'une certaine manière, le refus ou en tout cas
21:57l'amoindrissement de l'universalisme plus occidental ? Les mots sont intéressants. Vous
22:04parlez d'une thèse, la thèse du monde multipolaire. Mais en fait, ce n'est pas une thèse, c'est une
22:08réalité qui crève les yeux. C'est l'ordre des choses. Et d'abord, parce que tout bêtement,
22:15il y a plus de 8 milliards d'habitants sur cette planète et que les Occidentaux n'en sont qu'une
22:21partie congrue, vieillissante et confrontée à des dynamismes industriels, économiques et
22:28démographiques considérables, tout le sous-continent indien par exemple. Mais cela,
22:32couplé avec des réserves encore colossales de tout le golfe, avec toute cette région de l'océan
22:40indien, toute cette map monde est interconnectée et personne ne peut... Alors si, il y a bien sûr,
22:48pour l'instant, la question de la finance. Les États-Unis, par le dollar, ont encore un rôle
22:53absolument décisif. Mais le dollar est passé ces dernières semaines, me semble-t-il, en dessous
22:57des 60% des réserves mondiales. Et c'est quelque chose qui est une tendance lourde. Ça s'est
23:03aggravé depuis la crise de 2008. Après 2020 et le COVID, ça a pris une nouvelle dynamique. Et
23:09qui sait où cela nous mènera ? Emmanuel Todd a écrit un livre très intéressant sur la fin de
23:17l'Occident. Il parle notamment de la production industrielle américaine. On n'est pas dans
23:22l'idée, on n'est pas dans une thèse. On est dans le fait que les États-Unis ne produisent pas ce
23:27qu'ils consomment. Ils l'achètent à crédit. C'est une situation qui ne durera pas éternellement.
23:31Et dans cette situation, l'Occident a deux armes. C'est d'abord les sanctions financières et puis
23:39c'est la guerre. Et c'est les deux choses que nous avons alors que nous sommes par ailleurs en
23:43dizette d'hommes. Même les conditions de la société américaine qui, il y a 23 ans, pouvait
23:50envoyer des armées, envahir l'Afghanistan, puis il y a 20 ans, envahir l'Irak, ce n'est plus le cas.
23:55Les Américains, dans leur mode de vie morbide, se sont mis dans une situation où il n'y a même
24:03plus la possibilité de mobiliser des hommes. Et quand on voit que les Ukrainiens et les Russes
24:09s'entretuent alors qu'il semble que l'Amérique meurt d'obésité morbide, c'est parfaitement
24:18étonnant. Mais on voit que ce n'est peut-être pas l'avènement d'une grande puissance russe,
24:25puisque la Russie est aussi diminuée par ce conflit, mais c'est la fin du monde européen
24:31au sens large tel qu'on l'entendait. Ce monde qui a inclué à la fois les Etats-Unis et la Russie,
24:36ce que Napoléon a cité comme les deux géants à leur berceau lors de la fin de son règne. Ces
24:43puissances-là, 150 ans plus tard, sont devenues les puissances tutélaires qui dominaient l'Europe.
24:48C'est la guerre froide. Et puis, depuis une trentaine d'années, les Etats-Unis ont donné
24:54l'impression d'être la puissance qui met fin à l'histoire. Et puis, en fait, pas du tout. L'histoire
24:58continue et elle continue sans eux. Et elle peut continuer sans nous si nous n'avons pas le bon
25:03sens de défendre notre intérêt national, de retrouver un sens de la rationalité au service
25:10du bien commun et de nos peuples. Un sens de la rationalité, justement, je voulais vous
25:14interroger là-dessus, Thibaut Gilbain. C'est très philosophique, bien sûr. Orban accuse l'Occident,
25:18comme vous le faites, de ne plus être rationnel. Ses décisions, comme vous le dites, ne suivent plus
25:22son intérêt. Alors que l'Occident, vous l'avez dit, rappelons-le, est la patrie du rationalisme.
25:27Alors, la petite Hongrie est-elle désormais gardienne de ce rationalisme en voie d'extinction ?
25:32Qu'avez-vous trouvé là-bas, dans ce petit pays, je le rappelle, de 9 millions d'habitants ?
25:36Je dirais que l'intérêt tout particulier qu'a la Hongrie, c'est qu'actuellement, le chef d'État,
25:46le Premier ministre Victor Orban, est aussi fait un intellectuel à sa façon. Alors,
25:52pas un intellectuel dans le sens où il élabore des concepts subtils, mais il est capable de
25:58mettre en musique les besoins d'une population, les enjeux d'une époque et les moyens politiques
26:07pour parvenir à cela. Et à ce titre, c'est un objet d'étude intéressant. Ce n'est pas possible
26:14de faire un copier-coller d'un pays à l'autre, mais on peut s'inspirer de principes, de méthodes,
26:19de formes, de bon sens, dans un moment où les pays européens partagent énormément parce qu'ils
26:25sont sous la même tutelle, dans ce même cadre européen. Et de ce point de vue-là,
26:29Victor Orban a en effet l'immense avantage de montrer que c'est possible de faire autrement.
26:37Alors, dans la situation actuelle, je dirais qu'on est confronté à une course contre la montre.
26:47Mais je vais vous apporter le dernier livre de Balazs Orban, qui est le directeur politique
26:53de Victor Orban. Balazs Orban a écrit un premier livre que j'ai eu le plaisir de préfacer. On en
26:59avait parlé d'ailleurs sur TV Liberté. Et là, sur la coupe hongroise, la stratégie hongroise
27:05pour la connectivité, le directeur politique de Victor Orban décrit comment la Hongrie se voit
27:11comme un pont. Le but, c'est d'être une clé de voûte. Et donc, c'est d'être le gagnant en étant
27:16dans l'Occident, mais aussi en étant lié aux routes de la soie. C'est une capacité à garder
27:22les communications ouvertes et à tirer parti de toutes les opportunités que recèle notre époque.
27:31On le sait, là où croit le danger, croient aussi ceux qui sauvent.
27:34Un regard ouvert, en fait, sur un monde multipolaire.
27:38Absolument.
27:38Eh bien, Thibault Giblin, ce sera le mot de la fin. Je retiendrai aussi ce que vous avez dit.
27:42Victor Orban a l'immense avantage de montrer que l'on peut faire les choses autrement. Thibault
27:47Giblin, merci encore. Je rappelle que vous êtes chercheur au Matthias Corvinus Collégium de
27:52Budapest et que vous avez aussi écrit l'essai « Pourquoi Victor Orban joue et gagne aux éditions
27:57fauves ». Merci encore, Thibault Giblin. Merci à tous d'avoir suivi ce premier épisode de
28:01Chocs du Monde, le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL de la saison.
28:05Surtout, surtout, n'oubliez pas de commenter, de partager cette émission. Son succès dépend de vous.
28:10Bonne soirée à tous.