Qui dirige le monde ? Beyoncé répond : les filles ! Eh bien elle ne serait pas d’accord avec l’explorateur anglais du 17e siècle, Sir Walter Raleigh. Pour lui, « celui qui commande les mers, commande le commerce ; et celui qui commande le commerce du monde, commande les richesses du monde, et par conséquent le monde lui-même ». C’est moins drôle, n’empêche que c’est assez vrai, et c’est sur ça que l’Empire britannique va axer toute sa politique pendant des siècles ! Tout repose sur la Royal Navy. Alors pourquoi pas l’étudier, mais pour changer, à travers un film ? Master & Commander, a été écrit par John Collee et réalisé par Peter Weir à partir de plusieurs romans de Patrick O ‘Brian, qui lui s’inspirait de l’Histoire, la vraie ! Alors, est-ce que le film colle au contexte, à la réalité quotidienne, voire aux personnages et évènements de l’époque ? C'est ce qu'on va voir aujourd'hui !
Écriture : Benjamin Brillaud, Christophe Caporilli & Jean de Boisséson
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Montage : Dead Will / Wilfried Kaiser https://www.youtube.com/c/DEADWILL
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00:00 Mes chers camarades, bien le bonjour ! Qui dirige le monde ?
00:03 Et bien, Beyoncé nous répond les filles.
00:05 Mais je ne pense pas qu'elle serait d'accord avec l'explorateur anglais du 17ème siècle,
00:10 Sir Walter Hallegg.
00:11 Pour lui, celui qui commande les mers, commande le commerce.
00:15 Et celui qui commande le commerce du monde, commande les richesses du monde, et par conséquent
00:20 le monde lui-même.
00:21 Je vous l'accorde, c'est moins drôle, n'empêche que c'est assez vrai.
00:24 Et c'est sur ça que l'Empire britannique va axer toute sa politique pendant des siècles.
00:29 Tout va reposer sur la Royal Navy.
00:31 Alors pourquoi pas l'étudier aujourd'hui, mais pour changer à travers un film.
00:35 Master and Commander a été écrit par John Coley et réalisé par Peter Ver à partir
00:40 de plusieurs romans de Patrick O'Brien qui lui s'inspiraient de l'Histoire, la vraie.
00:45 Alors est-ce que le film colle au contexte, à la réalité quotidienne, voire aux personnages
00:50 et événements de l'époque ?
00:51 Et bien on va voir ça en commençant par un résumé rapide mais complet du film.
00:56 100% spoil, vous êtes prévenus.
00:59 En 1805, le capitaine Jack Aubrey, surnommé Jack Lachance par l'équipage du HMS Surprise,
01:04 reçoit l'ordre de traquer un navire corsaire français, l'Acheron.
01:08 Mais très vite, le chassé devient le chasseur.
01:12 L'Acheron est une frégate plus moderne et plus rapide.
01:15 Obsédé par ce duel, Jack poursuit son ennemi jusqu'au bout du monde, quitte à braver
01:20 les dangers du cap Horn et à se fâcher avec son ami, le chirurgien du navire.
01:25 Mais il finit par triompher grâce à la ruse et à une bataille finale pleine de courage
01:30 et de violence.
01:31 Alors est-ce que ça colle avec les guerres napoléoniennes au quotidien des marins de
01:35 cette époque, voire à des faits et à des personnages historiques réels ?
01:39 Pour le contexte, on commence par corriger un petit truc.
01:42 Quand le film commence en avril 1805, on dirait que l'Angleterre est à bout, seule, et
01:47 que Napoléon domine toute l'Europe.
01:49 La seule issue, c'est la guerre sur mer.
01:51 Bon, en réalité, à cette époque, l'Angleterre a déjà signé une alliance avec la Russie,
01:57 et dans l'été, ils sont rejoints par l'Autriche, la Suède et la Prusse.
02:01 C'est ce qu'on appelle la troisième coalition.
02:03 Rien n'est perdu.
02:05 Sauf à partir de décembre, où la France remporte une victoire décisive à Austerlitz,
02:10 et là on peut le dire, oui, Napoléon contrôle quasiment tout le continent.
02:14 Mais en même temps, cette façon très dramatique de présenter les choses n'est pas complètement
02:20 fausse, comme le dit le capitaine Jack pour encourager ses hommes, la surprise, leur navire,
02:25 c'est déjà toute l'Angleterre.
02:27 C'est la première et la dernière ligne de défense.
02:30 Et ça, c'est assez vrai.
02:32 Les îles britanniques vivent sous la menace constante d'une invasion, et la Royal Navy,
02:36 c'est un peu la muraille flottante, faite de bois, de canons et de marins, qui défend
02:41 l'Empire.
02:42 En effet, les français ont quand même tenté les débarquements dans l'archipel en 1796,
02:47 1797 et 1798.
02:50 A chaque fois, c'est un échec, mais quand même, c'est la panique générale chez les
02:55 banques et les petites gens de Londres.
02:57 En plus, Napoléon relance cette idée en 1803, et cette fois, il le jure, ça va barder.
03:03 Au Pas-de-Calais, il réunit sa célèbre Grande Armée, et les arsenaux de Boulogne
03:08 construisent environ 1000 bâtiments pour organiser un giga débarquement.
03:12 Finalement, seuls les amiraux de la Royal Navy peuvent s'y opposer, en bloquant les
03:17 ports de Brest et de Toulon.
03:19 Les français changent alors deux tactiques, ils vont s'allier aux escadres espagnoles
03:23 et partir vers les Antilles pour y déclencher la guerre.
03:26 Avec leurs colonies menacées, les anglais seront bien obligés de les poursuivre.
03:30 Et là, on rebroussera chemin par surprise, et en fait, on attaquera directement le seul
03:36 anglais.
03:37 Il suffira alors de contrôler la Manche, 24 petites heures, et le tout est joué.
03:41 Alors, pas du tout, si c'est un petit génie sur terre, Napoléon, il est pas hyper bon
03:46 niveau tactique sur les mers.
03:47 En fait, faudrait plusieurs jours pour débarquer, et si les anglais déboulent en plein dans
03:52 les manoeuvres, imaginez un peu le carnage, les milliers de morts coulées et noyées
03:57 pour rien.
03:58 En plus, rien ne se passe comme prévu, le plan est bien lancé en janvier 1805, sauf
04:03 que le blocus de Brest tient bon, et au sud, à Toulon, on parvient à s'échapper mais
04:08 pas de chance, les renforts espagnols ne sont pas prêts.
04:11 Pour finir, l'amiral Nelson course la flotte française, et quand ses derniers rebroussent
04:16 chemin en secret, et bien ils tombent sur toute une flotte britannique.
04:20 L'amirauté de Londres avait tout prévu, et la Royal Navy, massée au Cap Finistère,
04:26 barre la route.
04:27 Le vice-amiral Villeneuve, qui dirige l'expédition, est donc obligé de fuir loin, loin au sud,
04:33 jusqu'à Cadix.
04:34 Sauf que Nelson, qui ne lâche rien, le poursuit coûte que coûte.
04:38 Il le rejoint, et il attaque Trafalgar le 21 octobre 1805.
04:43 Sa tactique est agressive, c'est ce qu'on appelle la Nelson's Touch.
04:48 Hors de question de faire la guerre à l'ancienne avec les deux flottes qui se font face en
04:52 ligne, chaque navire canonnant son adversaire le plus proche.
04:56 Non, Nelson préfère créer deux colonnes qui foncent comme des flèches et suiant tous
05:01 les tirs ennemis, ça passe ou ça casse.
05:04 Et cette fois-ci, ça passe.
05:07 La ligne franco-espagnole est coupée en trois morceaux, c'est la débandade et parmi
05:12 les marins français et espagnols, qui ne se sont jamais entraînés ensemble, on dénombre
05:17 3000 morts et autant de blessés.
05:19 Nelson, à bord du HMS Victory, triomphe, mais il a pris une balle dans le dos.
05:25 Il meurt en disant "Dieu merci, j'ai fait mon devoir".
05:29 Et de fait, Trafalgar sauve définitivement les îles britanniques de toute menace d'invasion.
05:34 On est en octobre et comme on a dit, en décembre ça sera Austerlitz.
05:39 Donc c'est assez vrai qu'à partir de 1805 ou plutôt 1806, y'a pas le choix,
05:45 les français se battent sur terre et les anglais sur mer.
05:48 D'ailleurs dans le film, Jack Aubrey n'affronte pas un vaisseau de la marine française, mais
05:53 un corsaire.
05:54 Et ça, c'est très vraisemblable.
05:56 En effet, la marine royale de Louis XVI, la "royale" comme on dit, était capable
06:01 de rivaliser avec la flotte anglaise.
06:03 Mais la révolution française qui est passée par là a épuré ses rangs.
06:08 Les trois quarts des officiers, qui étaient des royalistes convaincus, ont dû donner
06:12 leur place à des gens proches de l'idéologie révolutionnaire, mais franchement moins
06:16 doués.
06:17 Les flottes qui sont confinées dans les ports, le moral au plus bas, sont en plus frappées
06:22 à Aboukir puis Trafalgar.
06:24 C'est tellement la misère que la France préfère alors embaucher des corsaires pour
06:28 faire le boulot.
06:29 Attention, les corsaires ne sont pas des pirates.
06:32 Avec leur lettre de marque, ils ont l'autorisation d'attaquer et de capturer les navires ennemis,
06:38 militaires ou marchands.
06:39 Leur butin est alors divisé en quatre.
06:42 Pour l'état, pour l'armateur, pour le capitaine et pour les marins.
06:47 Les navires corsaires sont plus petits, rapides et maniables.
06:51 Ils peuvent éviter les blocus.
06:53 Ils infestent l'océan Indien, les Caraïbes et même la Manche, juste sous le nez de la
06:58 Navy.
06:59 Du coup, en à peine 7 ans, de 1793 à 1800, les Britanniques perdent 3639 navires.
07:07 C'est plus d'un navire par jour.
07:08 C'est une véritable saignée économique anglaise, avec un gros avantage, elle ne coûte
07:14 quasi rien et rapporte un max d'argent à l'état français.
07:17 Alors certes, la quairont du film n'a pas réellement existé.
07:22 Mais la confiance, si.
07:24 Et la confiance, c'est le navire de Surcouf, le roi des corsaires, probablement le marin
07:29 français le plus connu du monde.
07:31 Je pose ça là, un jour ça serait bien qu'on fasse un épisode spécial sur lui tellement
07:36 il est badass quand même.
07:37 Mais pour le moment, on va continuer sur Master and Commander.
07:40 Parce que ok, le film colle assez bien avec le contexte des guerres napoléoniennes.
07:45 Mais est-ce que c'est aussi un bon film sur le monde de la marine à voile ? Est-ce
07:49 qu'on voit quelque chose qui ressemble vraiment au quotidien des marins de cette époque ?
07:53 Il y a 176 hommes à bord du HMS Surprise, dont des gens de couleur, des adolescents
07:59 et même des enfants, dont certains sont carrément officiers.
08:02 Alors est-ce que ça c'est du délire ? Et bien pas du tout ! Dans la Navy, des enfants
08:07 étaient traités comme des égaux, ils travaillaient, ils souffraient et mouraient comme des adultes.
08:12 On les appelle les aspirants.
08:14 Ils ont 13, voire à peine 11 ans, et veulent un jour devenir officiers comme leur papa
08:19 la plupart du temps.
08:20 Certains pères n'hésitent pas à placer leur fiston encore plus tôt, dès 6 ou 7
08:25 ans à peine.
08:26 Le capitaine devient alors leur père de substitution, il leur donne des cours de mathématiques
08:31 et de navigation.
08:32 Dans le film, le docteur Maturin leur enseigne aussi la biologie et la théorie de l'évolution.
08:37 Mais comment des gamins comme ça pouvaient se faire respecter par des vieux loups de
08:41 mer ? Et bien là encore, le film nous donne la bonne réponse historique, grâce à une
08:46 hiérarchisation extrême du navire.
08:49 D'abord, il y a l'état-major, c'est le capitaine, son second, les lieutenants
08:55 et les aspirants.
08:56 Ensuite, il y a la mestrance, des marins spécialisés et expérimentés qui appliquent directement
09:02 les ordres.
09:03 Le maître d'équipage, le maître canonnier, le maître voilier, le maître charpentier,
09:08 le maître pilote pour la navigation et enfin le maître calpha qui gère l'étanchéité
09:12 de la coque.
09:13 Un cran en dessous viennent les hommes de bord.
09:15 Les timoniers tiennent la barre, les gabiers s'occupent des gréments donc de tout ce
09:19 qui est cordage, mât et voile et il y a aussi les matelots et les jeunes mousses.
09:24 Mais c'est pas fini, comme dans le film, un navire peut parfois embarquer des fusillés,
09:29 qui sont des soldats et non des marins.
09:31 Ils ont leurs propres organisations avec leurs officiers à eux et se chargent des combats,
09:36 abordages et débarquements.
09:37 Le reste du temps, ils font du maintien de l'ordre.
09:40 Et il faut encore ajouter les différents métiers de service qui ne sont pas forcément
09:44 liés à la mer ou au combat, comme le chirurgien, le tonnelier, le cuisinier, les valets de
09:49 l'état-major, etc.
09:51 Pour rendre tout ça à l'écran, les acteurs se sont entraînés au maniement des armes
09:54 et des canons et pendant tout le tournage, chacun gardait une couleur de t-shirt selon
09:59 son grade, sans compter un bar privé rien que pour eux et des matchs de rugby, équipage
10:04 de l'Acheron versus l'équipage de la Surprise pour bien renforcer l'esprit d'équipe.
10:10 Et qu'en est-il des minorités ?
10:11 Alors dans le film, on voit des Africains à bord.
10:14 Mais attention, à l'époque, c'était loin d'être tous des volontaires.
10:18 Le chiffre exact fait encore débat mais on peut estimer qu'environ 20% des marins de
10:23 la Royal Navy étaient des gens kidnappés dans les ports, des enrôlés de force, voire
10:28 des esclaves.
10:29 1 sur 5, c'est donc pas exceptionnel, surtout quand les choses se passent mal.
10:33 Mais heureusement, lorsque les capitaines ont une bonne réputation, on a tous les volontaires
10:37 qu'il faut.
10:38 Mais ça n'empêche que la diversité règne à bord.
10:40 Un navire de guerre de la Navy compte en moyenne 47% d'Anglais, 29% d'Irlandais, 8% d'Écossais,
10:48 3% de Galois, 5% d'Américains et 7% de gens venus du reste de l'Empire et du monde.
10:54 D'Asie, d'Inde, d'Afrique et même parfois de France.
10:59 Et si le film n'a pas de personnages féminins, c'est en revanche le cas des roumans.
11:03 Normal, côté français, on a de nombreuses permissions et la présence de femmes à bord
11:08 est strictement interdite.
11:09 Mais les Anglais, qui ont beaucoup moins d'occasion de rentrer à terre, sont plus coulants avec
11:14 cette règle.
11:15 Par exemple, à Aboukir, le HMS Goliath compte une femme tuée, plusieurs femmes blessées
11:21 et une femme a même accouché à bord en plein milieu de la bataille.
11:24 Ses épouses de matelots ou d'officiers, ou parfois femmes se travestissant pour travailler
11:29 en mer, combattent et participent à la vie du navire.
11:32 Si vous êtes heureux pour elles, perso, je dirais plutôt qu'elles n'ont pas vraiment
11:36 eu de chance vu les conditions de vie à bord.
11:38 On va causer un peu régime et hygiène, vous allez très vite comprendre.
11:42 Chaque journée est découpée en 6 quarts de 4 heures.
11:46 On mesure le temps à l'aide d'un sablier.
11:48 Toutes les demi-heures, et bien sûr à chaque quart, on note la vitesse et la direction
11:53 du navire et on sonne une cloche.
11:55 C'est le roulement des équipes.
11:57 Du coup, personne ne dort plus de 4 heures d'affilée, mais le repos est équitable
12:02 et chacun est frais et dispo.
12:03 Au pire, un matelot peut piquer un petit roupillon en service, on lui pardonne.
12:08 Au contraire, si un officier fait ça, il aura une lourde sanction.
12:13 Sa journée à lui est divisée en 3 veilles de 7 heures.
12:16 S'il a une bonne nuit de sommeil, en revanche, il travaille beaucoup plus longtemps d'affilée
12:20 et il n'a pas le droit à l'erreur.
12:22 C'est une vie difficile.
12:24 Un confort, manque d'air, d'espace et de lumière, mais surtout puanteur permanente.
12:30 A fond de cales, les eaux de mer croupissent et font pourrir les cadavres des rats.
12:35 Les larves de moustiques et de mouches pullulent dans ce charnier et je vous laisse imaginer
12:40 l'ambiance.
12:41 L'hygiène basique permet de lutter contre la propagation des maladies.
12:44 Chacun a son hamac personnel qu'il ne partage pas.
12:47 Au matin, on les emmène au soleil sur le pont, on ouvre en grand pour aérer, on se
12:52 rince la bouche à l'eau et au vinaigre.
12:54 Et puis c'est l'activité permanente.
12:56 Toute la journée, on lave, on s'entraîne, on manœuvre, on range et répare.
13:02 Et ça se voit à l'écran.
13:03 Normal, vu que pendant qu'on les filmait, les acteurs naviguaient et dirigeaient réellement
13:08 le bateau.
13:09 Seul le dimanche vient rompre ce rythme.
13:12 Le vaisseau est nettoyé de fond en comble, les hommes, lavés, rasés, habillés en
13:17 propre sont inspectés avant que le chaplain ou le capitaine assurent un service religieux
13:22 ou lisent des articles de guerre.
13:24 Et la fête dans tout ça.
13:26 Nous on veut des gars qui boivent du rhum, qui chantent tous ensemble, comme dans Assassin's
13:30 Creed Black Flag.
13:31 Alors ça, vous oubliez, on travaille en silence, parce que les ordres doivent être entendus
13:36 de tous.
13:37 La détente n'a lieu que le soir et ça aussi, le film le montre super bien.
13:42 Les matelots jouent, lisent, cousent leurs habits et entonnent des chants populaires.
13:47 Le plus commun est Spanish Ladies, justement chantée dans le film.
13:52 Certains capitaines payent même de leur poche des musiciens de bord.
13:55 Et surtout, on sert le grog, un mélange de rhum, d'eau et de jus de citron, qui réchauffe
14:01 le coeur et l'ambiance, qui fortifie et surtout qui préserve du scorbut.
14:05 En effet, l'alimentation à bord est un vrai enjeu.
14:09 On embarque 3 mois de vivres, d'eau, de vinaigre et d'eau de vie.
14:13 On se nourrit beaucoup de biscuits et de porridge et pour avoir des produits frais, on embarque
14:18 des animaux vivants comme des volailles du film qui donnent des oeufs.
14:22 Avec le temps, la Navy fournit de plus en plus de calories aux hommes, mais le manque
14:26 de vitamines reste un problème.
14:28 La preuve avec le fameux scorbut, qui affaiblit, provoque des saignements, rouvre les anciennes
14:34 plaies cicatrisées et fait tomber les dents et les cheveux.
14:37 D'où l'idée du docteur écossais James Lind de distribuer des agrumes orange et citron.
14:42 Maintenant, vous comprenez le grog au citron.
14:45 Tout ça au point que l'alcool est un droit essentiel du marin, qui a une dose le matin
14:50 et une dose le soir.
14:52 Il faut vraiment faire une grosse boulette pour en être privé, et c'est d'ailleurs
14:56 l'une des punitions les plus graves à bord.
14:58 Il faut dire que la maladie est la pire ennemie de la Navy.
15:01 Deux exemples.
15:02 De 1776 à 1780, en 4 ans, elle perd environ 1200 hommes au combat et 18 000 de maladie.
15:11 Encore en 1804, alors qu'on a arrangé l'alimentation, 10% des marins sont malades, au point de devoir
15:18 abandonner leur service cette année.
15:20 Heureusement, côté combat, on fait d'excellents progrès.
15:23 En 1805, le statut du chirurgien, jusque là déconsidéré, est ramené presque à
15:28 l'égal du médecin.
15:29 Une chance pour tous les blessés et les amputés de guerre, car ces hommes savent
15:34 lutter contre les infections.
15:35 C'est leur mission de garder tout le monde en vie, si possible.
15:39 Du coup, il faut tenir tout ce monde là d'une main de fer, surtout que la mort et le danger
15:44 sont partout, et on craint beaucoup la désertion qui est très forte.
15:48 Mais ça, on va en reparler très bientôt.
15:50 Du coup, il y a deux méthodes.
15:53 Discipline et punition, mais aussi superstition.
15:57 Comme dans le film, un matelot qui manque de respect à un officier est mis en chemise
16:01 et fouetté durement.
16:02 Bien sûr, tout dépend aussi du capitaine.
16:04 Si certains imposent leur autorité par la violence, un Nelson n'utilise quasiment
16:10 jamais le fouet.
16:11 Mais les sentences de mort ne sont pas si rares en cas de rébellion, d'espionnage
16:15 et autres trahisons.
16:16 Mais aussi si on embarque une substance inflammable à bord sans en avoir reçu l'ordre.
16:22 En France, Napoléon promet même l'échafaud au capitaine s'il a fui un combat sans avoir
16:27 une excellente excuse, type infériorité numérique évidente.
16:31 Résultat, les français se battent comme des diables.
16:34 Ils ont parfois plus peur de leur propre camp que de l'ennemi.
16:38 Heureusement, il y a aussi de vieilles croyances pour se rassurer.
16:40 Et il ne faut pas trop juger les marins superstitieux.
16:43 Dans une existence très rude, presque infernale, où les dangers de la mer et la mort semblent
16:49 frappés au hasard, c'est une façon de recréer un ordre et une compréhension des
16:54 choses.
16:55 Et ça, on en voit deux cas dans le film.
16:56 Et en plus, le scénariste s'est amusé.
16:58 Parce que les superstitions marchent.
17:01 Par exemple, un Jonas, comme dans la Bible, c'est un homme qui a désobéi à Dieu.
17:06 Lorsqu'il monte sur un bateau, une tempête éclate.
17:09 C'est une menace pour tous et donc il faut le jeter par-dessus bord.
17:12 Et bien à un moment dans le film, la surprise a droit à une suite de coups du sort.
17:18 L'équipage se croit maudit et va donc désigner un Jonas, le poussant au suicide.
17:23 C'est un drame évidemment, sauf qu'à peine ces funérailles terminées, et bien
17:27 tout va mieux.
17:28 A l'inverse du Jonas, l'albatros, ce grand oiseau blanc, est respecté par les
17:32 marins.
17:33 On n'en tue jamais sous peine de s'attirer le malheur.
17:36 Pas de chance, dans le film, un fusier qui ne connait rien aux traditions maritimes veut
17:40 en tuer un, le rate et blesse le chirurgien de bord.
17:44 Sans soignants, isolé, le navire n'a plus aucune chance et doit arrêter son voyage.
17:49 Je vous épargne toutes les autres traditions, ne jamais siffler, ne surtout jamais jamais
17:55 amener des bananes à bord.
17:57 Bref, passons plutôt aux meilleurs moyens de survivre, se battre bien entendu.
18:01 On a vu que la tactique traditionnelle fait se battre les navires de front.
18:05 Mais ce type de bataille est rarement décisif.
18:08 Comme on l'a vu au XVIIIe siècle, les britanniques passent donc à une tactique plus agressive.
18:13 Le moment le plus intense est l'abordage lorsque le combat devient une boucherie chaotique.
18:18 Seul le combattant le plus en forme, entraîné et expérimenté s'en sortira.
18:23 On se prépare donc à toutes les éventualités, dès qu'on aperçoit un navire ennemi, on
18:29 sonne le branle-bas de combat.
18:30 C'est à dire qu'on abaisse les branles, qui sont en fait les hamacs.
18:34 Le passage est donc dégagé, chacun est à son poste en quelques minutes et le chirurgien
18:40 prépare ses outils.
18:41 Mine de rien, les tirs de canon sont très rapides, jusqu'à trois en seulement cinq
18:46 minutes.
18:47 Et on ne parle pas de canonner une grande forteresse, non, toute cette puissance de feu est hyper
18:51 concentrée dans un tout petit espace.
18:53 Les français visent souvent les mâts pour immobiliser l'ennemi.
18:57 A Trafalgar et à Bouquiers, les anglais préfèrent tirer direct sur la coque pour multiplier
19:03 le nombre de morts très rapidement.
19:04 Comme dans le film, les boulets rebondissent et font éclater les bois en milliers d'échardes
19:09 qui fauchent les marins comme des balles.
19:11 Grenades et balles de mousquet pleuvent de tous les côtés et l'abordage physique ajoute
19:16 encore des coups d'épée et de hache.
19:18 C'est un vrai bain de sang que le chirurgien absorbe d'ailleurs en jetant des tas de
19:22 sable sur le sol tout en opérant et en putant très vite et sans anesthésie.
19:27 Pendant tout ce carnage, les officiers, même les enfants, doivent rester impassibles et
19:33 exemplaires pour maintenir une certaine cohérence.
19:35 Petit secret, rien que pour la bataille finale, il a fallu près de quatre semaines de tournage.
19:40 Le combat est rempli de fumée, de sang, de fureur.
19:42 C'est sans doute une représentation historique très réaliste, à savoir un enfer sur mer.
19:47 Jusque là, c'est un carton plein, vous allez me dire, ça colle plutôt bien à la
19:51 réalité.
19:52 Mais on peut soulever un dernier point.
19:54 Derrière le capitaine Jack Lachance, les navires Acheron et HMS Surprise, est-ce qu'il
19:58 y a de vrais noms, de vraies anecdotes qui ont inspiré le scénario ?
20:01 On a parlé des déserteurs de la Navy, mais où vont-ils ? Eh bien, ils s'enroulent
20:06 à bord de navires états-uniens.
20:08 Du coup, les navires militaires britanniques arrêtent au hasard tous les bateaux marchands
20:12 américains et les fouillent de fond en comble à la recherche des traîtres.
20:15 Face à une telle agression contre les droits des marins et les lois du commerce, les USA
20:20 finissent par déclarer la guerre en 1812.
20:23 C'est la guerre anglo-américaine, qui a donc lieu à la même époque que les guerres
20:27 napoléoniennes.
20:28 Elle dure moins de 3 ans, mais c'est du sérieux.
20:31 Les anglais incendient la nouvelle capitale de Washington, mais les américains font construire
20:36 6 super-frégates.
20:37 C'est l'architecte naval américain Joshua Humphrey qui met au point ces navires très
20:42 bien armés, résistants et rapides, capables de détruire n'importe quelle frégate standard,
20:48 mais aussi de fuir rapidement les lourds vaisseaux de ligne.
20:51 Les Etats-Unis font donc cesser l'agression britannique en remportant de nombreuses victoires
20:56 grâce à ces super-frégates, notamment le USS Constitution, qu'on surnomme le « vieux
21:02 côte de fer ».
21:03 En effet, il a la réputation d'être invincible.
21:06 Les boulets rebondissent sur sa coque en 3 couches de bois, dont une partie faite en
21:10 chêne Quercus virginiana, un bois particulièrement résistant et rare qu'on trouve seulement
21:16 en Amérique.
21:17 Indemne, il écrase tous ses ennemis sous sa puissance de feu supérieur.
21:21 Et ça déconne pas, puisqu'encore aujourd'hui, l'USS Constitution est officiellement en
21:26 service dans l'US Navy, qui d'ailleurs possède encore de vastes forêts de chêne
21:30 Quercus.
21:31 Dans les romans d'O'Brien, le HMS Surprise traque l'USS Norfolk, qui est inspiré
21:36 de l'USS Constitution, mais impossible de faire un film d'Hollywood où les Américains
21:41 sont les méchants, évidemment.
21:42 On remplace donc le Norfolk par l'Acheron, un corsaire français, mais bien fabriqué
21:48 à Boston.
21:49 D'ailleurs, dans une scène, le capitaine Jack examine sa maquette et remarque tout
21:53 ce qu'on vient de dire.
21:54 Sa coque invulnérable, sa vitesse, etc.
21:57 C'est du copier-coller du réel.
22:00 Et pour le HMS Surprise, la 20th Century Fox a acheté le HMS Rose, une réplique à
22:06 l'identique de 1970 du vrai navire HMS Rose de l'époque.
22:10 A partir d'archives de l'amirauté, une armée d'artisans et de spécialistes
22:14 l'ont transformée en Surprise, une vraie corvette capturée par les Britanniques en
22:19 1796.
22:20 La Rose est devenue une surprise, et le studio, pour garder un réalisme maximum, n'hésite
22:26 pas à tourner sur mer, y compris dans des endroits très dangereux.
22:30 Comme par exemple au Cap Horn, à la pointe sud de l'Amérique, où les courants et
22:34 mauvais temps sont légendaires.
22:36 James Cook, dans son voyage de 48 000 kilomètres, l'avait franchi en 1769 à bord du HMS
22:42 Endeavour.
22:43 Coup de bol, au moment du tournage, une réplique de l'Endeavour répète l'exploit, il n'y
22:47 a qu'à y embarquer une caméra pour capter des images hallucinantes.
22:51 Mais pour créer Jack O'Bray, l'auteur ne s'est pas inspiré de James Cook, mais
22:56 d'un autre marin britannique célèbre, Thomas Cochrane.
22:59 Ce petit aristocrate écossais était inscrit dès ses 5 ans dans les cadres de la Navy.
23:04 En y entrant à 17 ans, il était donc déjà officiellement aspirant.
23:08 Pour une fois, le piston tombe bien, il a un leadership et un talent remarquables, mais
23:14 aussi un caractère de cochon, car il a beaucoup de mal avec sa hiérarchie.
23:19 En 1801, on lui confie donc un très modeste brique de combat, le HMS Speedy.
23:24 C'est censé être une punition, sauf qu'avec son mini-Speedy, Cochrane endommage
23:29 ou coule 53 navires en à peine un an.
23:32 À peine 14 canons et 54 hommes, et pourtant, il n'hésite pas à s'attaquer aux gros
23:37 morceaux comme l'espagnol El Gamo de 32 canons et 319 hommes.
23:42 Comme dans le film, toutes les russes sont bonnes.
23:45 Hisser un faux pavillon, se déguiser en navire de commerce et même échapper de nuit
23:49 aux ennemis.
23:50 Et pour ça, il fixe un feu de signalisation sur un radeau à la dérive, éteint son propre
23:55 feu et part.
23:57 Dans le noir, l'adversaire poursuit donc le radeau.
23:59 Cochrane devient tellement une légende que la France s'acharne et finit par le capturer.
24:04 Mais pour ça, il aura fallu trois lourds vaisseaux de ligne.
24:07 Libéré par échange de prisonniers, il continue sa carrière avec un courage et un sale caractère
24:13 intact.
24:14 Dites-vous bien qu'il saoule tellement ses supérieurs qu'on lui confie le HMS Arab
24:18 en 1804.
24:19 Mais c'est une ruine qui navigue comme une botte de foin.
24:22 Et avec ce foin, il capture quand même 4 navires espagnols, alors en 1806, on lui confie
24:28 le HMS Impérieuse, qui fait tant de ravages que les français le surnomment le loup des
24:33 mers.
24:34 En 1809, à la bataille de l'île d'Aix, il désobéit à son amiral hésitant et se
24:39 jette seul à l'assaut des français.
24:41 Il lance des brûlots, des navires en feu chargés d'explosifs, ce qui crée la panique
24:46 et va continuer encore la poursuite des survivants.
24:48 Après cette victoire, il devient un héros si populaire qu'on est bien obligé de le
24:52 faire chevalier grande croix de l'ordre du bain.
24:55 Mais en politique, la roue de la gloire tourne vite.
24:59 Cucrane est entraîné dans une magouille, accusé, ruiné, radié de la navy et jeté
25:05 en prison.
25:06 A sa libération, il quitte le pays et commande tour à tour les flottes nationales du Chili,
25:11 du Brésil et de la Grèce.
25:13 Mine de rien, il participe directement à l'indépendance du Chili, du Pérou et du
25:17 Brésil, même s'il galère beaucoup plus face à l'Empire Ottoman.
25:22 Enfin, pardonné en 1832, il réintègre la Royal Navy en tant que contre-amiral.
25:27 Mort en 1860, il est enterré avec les honneurs à l'abbaye de Westminster.
25:32 Pas mal comme source d'inspiration pour Jack Lachance.
25:34 Et comme dans les romans, Master and Commander devait en fait lancer toute une franchise
25:39 de films.
25:40 Surtout qu'il le prouve, on peut faire un film hyper réaliste mais divertissant, avec
25:45 du succès vu qu'il récolte quand même 10 nominations aux Oscars.
25:48 Mais pas de chance, avec une promotion désastreuse, il ne peut pas rivaliser avec Le Seigneur
25:53 des Anneaux et Pirates des Caraïbes qui sont sortis la même année.
25:56 Du coup, il est pile rentable, il devient même culte, mais il n'aura pas de suite.
26:01 Pour vous consoler, vous pouvez toujours aller faire un petit tour du côté de la mini-série
26:04 de la BBC, Hand Blower.
26:06 C'est 8 épisodes d'environ 1h30.
26:08 Franchement, vous avez de quoi vous régaler.
26:10 J'espère que ça vous plaira, tout comme cet épisode vous a plu, on l'espère.
26:14 Merci de l'avoir regardé, merci beaucoup à Christophe Caporelli qui l'a super bien
26:18 écrit.
26:19 Vous pouvez le retrouver dans son nouveau podcast Odyssia 2.0.
26:22 La première saison parle de la guerre du Pacifique, ou plutôt de toutes les guerres
26:26 pour le Pacifique, des lointaines origines du conflit au 19ème, à sa conclusion en
26:30 1945.
26:31 Vous verrez, c'est passionnant ! N'hésitez pas à ajouter les petits likes, des commentaires
26:35 sous la vidéo, ça nous fait toujours plaisir.
26:37 A très bientôt sur Nota Bene !