Israël: l'interview de Samuel Sandler sur BFMTV en intégralité

  • l’année dernière
Le fils et les petit-fils de Samuel Sandler ont été victimes de l'attentat commis par le terroriste Mohamed Merah, en 2012, à Toulouse. Samuel Sandler était l'invité de BFMTV ce mardi matin et réagit aux attaques du Hamas contre Israël. 
Transcript
00:00 J'accueille ce matin Samuel Sandler, bonjour.
00:02 – Bonjour.
00:03 – Votre nom est associé à l'attentat commis par Mohamed Merah
00:07 le 19 mars 2012 à Toulouse contre l'école Osara Tora.
00:12 Ce jour-là, le terroriste, un peu avant 8h du matin,
00:16 va tuer 4 personnes.
00:19 Jonathan Sandler, votre fils âgé de 30 ans,
00:21 Gabriel Sandler, 3 ans,
00:24 Arie Sandler, 6 ans.
00:29 Vous avez toujours tenu à témoigner depuis ces 11 années
00:35 qui vous séparent de cette horreur
00:38 et j'aimerais savoir tout simplement ce que vous avez ressenti
00:41 samedi matin lorsque vous avez découvert ce qui s'est passé en Israël.
00:47 – Alors d'abord une crainte,
00:49 parce que vous avez cité mes deux petits-fils
00:52 et le jour de l'attentat, il y avait aussi ma petite-fille,
00:55 Yora, qui avait un an, donc qui était encore dans l'appartement,
00:59 qui maintenant vit avec sa maman à Jérusalem.
01:02 Donc j'ai pensé déjà à elle et à ma fille.
01:06 Ma fille qui a quitté Montrouge
01:07 parce que le jour de l'attentat de Charlie Hebdo,
01:11 il y a une dame policière qui s'appelait Clarisse Jean-Philippe
01:14 qui s'est fait abattre à Montrouge
01:16 et l'objectif était d'attaquer une école juive déjà.
01:21 Et ce jour-là, ma fille a entendu les coups de feu,
01:23 elle m'a dit "papa, je pars".
01:25 Donc ma fille est partie avec ses enfants également à Jérusalem.
01:28 Donc la crainte naturellement c'était malheureusement
01:31 qu'eux aussi soient des victimes de la même barbarie.
01:35 – Vous avez entendu, comme nous,
01:38 que des familles ont été tuées, des enfants.
01:42 – Oui.
01:44 – Comme vos enfants, vos petits-enfants.
01:47 – Oui, c'est insoutenable et incompréhensible.
01:53 J'ai jamais compris d'ailleurs ce qui s'était vraiment…
01:57 Je n'ai jamais accepté, je n'ai jamais accepté.
01:59 Je ne comprends pas qu'on puisse tirer comme ça sur des enfants de 3 ans.
02:03 Je me permets de rappeler que le même assassin de Toulouse
02:06 avait tué auparavant des soldats français.
02:10 – Vous avez évidemment été marqué à vie par la tragédie de Toulouse
02:19 et vous voyez que finalement l'horreur se répète.
02:23 – C'est sans fin.
02:25 Ce que je crains, j'ai toujours…
02:27 Plusieurs fois quand on m'avait posé la question
02:29 "Est-ce que vous pensez que c'est fini ?"
02:30 j'ai toujours dit, je craignais que ce soit jamais fini.
02:33 Je crois qu'on en a la preuve.
02:35 Mais je ne sais pas comment ça va se terminer.
02:38 Et j'ai très peur pour les otages.
02:41 Je ne prononce jamais le nom de l'assassin de mes enfants
02:44 parce que prononcer son nom,
02:48 c'est que je crois qu'il y a un peu d'humanité,
02:51 ce que j'ai toujours refusé de croire.
02:54 Et je crois que c'est pareil actuellement
02:55 pour ceux qui détiennent les otages,
02:56 ils n'ont aucune humanité,
02:57 ils ne font pas partie du genre humain.
03:00 – Carrément ?
03:01 – Carrément.
03:02 Pour ça, je ne prononce jamais le nom de l'assassin.
03:04 – Malgré le procès qui était censé apporter des réponses
03:10 en ce qui vous concerne ?
03:13 – Le procès n'a rien apporté au point de vue réponses,
03:15 si ce n'est que j'étais informé sur plusieurs récits
03:23 de ce qui s'était passé ce matin-là à Toulouse.
03:25 Et à la fin, c'est les spécialistes de l'armement
03:29 qui ont précisé que l'assassin était venu
03:31 avec une mitrailleuse automatique, un Wouzi.
03:34 Il a d'abord abattu mon petit-fils Arrier
03:36 et mon fils Jonathan est allé au-devant
03:38 pour faire cesser le tir.
03:40 L'arme s'est enrayée.
03:42 L'assassin a repris un compte.
03:43 Autrement dit, d'une certaine manière,
03:46 mon fils a sauvé l'école d'un drame.
03:49 Et personne n'en parle.
03:51 Personne.
03:52 Personne n'a aucune reconnaissance à son égard.
03:58 – Que diriez-vous de l'antisémitisme en France ?
04:05 – C'est un peu complexe à vous répondre
04:08 parce que ma famille, mes cousins,
04:12 ma grand-mère a été déportée.
04:14 Mon oncle et ma tante.
04:15 Donc déjà, nous vivons en 1943 la déportation
04:19 d'une partie de ma famille.
04:21 Et ensuite, maintenant, les différents assassinats.
04:25 Pour ma part, en fait, ce que j'ai vécu depuis 2012,
04:30 l'État a toujours été à nos côtés.
04:33 Toujours.
04:35 – Mais est-ce que ça s'aggrave ?
04:36 Est-ce que vous pensez qu'il y a un antisémitisme toujours présent ?
04:41 – Je crois qu'il a différentes caractéristiques
04:44 puisque à l'époque, en 1943, c'était la propagande nazie.
04:50 Mon cousin Germain a été arrêté à l'école au Havre et déporté.
04:55 Mais actuellement, maintenant, c'est différent.
04:58 C'est un amalgame entre l'antisionisme et l'antisémitisme.
05:04 Et ça, c'est politique.
05:07 Et puis, je crois que les gens, ils parlent comme ça d'antisionisme
05:11 sans même savoir ce que c'est.
05:13 Sinon, sous-entendu que c'est vraiment l'antisémitisme, sous couvert.
05:20 – Ce qui s'est passé samedi, pour certains lieux en tout cas,
05:25 peut-être même la plupart, s'apparente à un massacre, en fait.
05:29 Que ce soit dans la fameuse fête de musique électronique,
05:34 que ce soit dans ce kibbutz dont nous découvrons ce matin l'ampleur du bilan,
05:41 puisque 100 corps ont été retrouvés dans ce kibbutz de 1 200 habitants à Béhéry,
05:47 à quelques kilomètres seulement de la bande de Gaza.
05:53 Et nous avons, je crois, des témoignages de personnes
05:58 qui ont voulu s'exprimer après cette horreur.
06:04 Et évidemment, nous avons décidé de ne pas vous montrer l'intégralité des images,
06:09 mais je crois qu'on comprend à quel point ce kibbutz a été victime d'atrocité.
06:18 Écoutez bien.
06:19 – Lorsque nous nous sommes cachés dans l'abri,
06:22 nous n'avions aucune idée de ce qui se passait à l'extérieur.
06:25 Nous entendions des voix en arabe.
06:26 Nous les entendions dire "Dieu est le plus grand, abattez les juifs".
06:30 Ensuite, ils ont essayé d'ouvrir la porte de l'abri en soulevant la poignée,
06:34 car il n'y avait pas de serrure.
06:36 Mon mari et les trois garçons n'ont tout simplement pas lâché
06:39 la poignée de la porte pendant 15 heures.
06:42 – L'endroit où je vis, le Béhéry, ne sera plus jamais le même,
06:46 car le kibbutz s'est détruit.
06:48 Physiquement, il peut être reconstruit,
06:50 mais notre communauté, qui compte moins de 1 200 personnes,
06:54 a subi des dizaines de morts et des dizaines d'enlèvements.
06:57 Ce sont des chiffres qu'une personne normale, moi y compris,
07:00 ne peut absolument pas imaginer.
07:04 – Vous parliez de la Shoah,
07:07 vous parliez évidemment de Toulouse, de Mohamed Merah,
07:11 et maintenant ça, ça ne s'arrêtera jamais ?
07:14 – Je crains, je ne vois pas de solution, je crois que ça ne s'arrêtera jamais.
07:18 Souvenez-vous, ce qui s'est passé dans ce kibbutz,
07:20 c'est ce qui s'est passé aussi à Paris.
07:26 J'ai un truc de mémoire sur la salle du Bataclan,
07:30 exactement la même chose, on tire, on tire, on tire.
07:33 Ces gens ne veulent que tuer, c'est tout, rien d'autre.
07:37 Et en particulier les…
07:40 – Et vous disiez que vous ne vouliez jamais prononcer
07:43 le nom de l'assassin de votre fils et de vos petits-enfants,
07:47 vous disiez aussi qu'au fond, le procès n'avait pas apporté de réponse,
07:52 que ce ne sont pas des êtres humains, finalement, c'est ça votre…
07:56 j'allais dire, ce qui vous aide à continuer à vivre,
07:59 c'est de vous dire ça, c'est de vous dire,
08:00 "ok, moi je suis un être humain, ce ne sont pas des êtres humains ?"
08:05 – Oui, en partie, j'ai jamais accepté, j'ai jamais accepté,
08:10 mais je veux dire, ce n'est pas un raisonnement,
08:11 c'est ce que je ressens au fond de moi-même,
08:13 je n'ai jamais accepté ce qui s'était passé à Toulouse,
08:17 et ça m'aide à vivre, et quand je me fais interroger,
08:22 au moins j'ai la possibilité de faire vivre mes enfants,
08:26 parce que je peux prononcer leur nom,
08:27 jamais plus je ne verrai leur nom sur mon téléphone,
08:31 jamais je ne verrai le nom de Jonathan à Rio ou Gabriel,
08:34 donc à chacun d'entre vous, ça me permet de les faire revivre,
08:38 ça m'aide beaucoup, mais je ne peux pas accepter,
08:42 donc je ne comprends pas, je ne comprends pas
08:44 comment on a pu tirer sur mon fils Gabriel qui avait 3 ans.
08:48 – On sait qu'il y a 4 victimes françaises, au moins, malheureusement,
08:55 et puis des centaines de victimes israéliennes,
08:58 et d'autres nationalités, parce qu'on le sait,
09:01 beaucoup de ressortissants étrangers ont été touchés,
09:04 qu'est-ce que vous diriez aujourd'hui aux familles de ces victimes ?
09:10 – Écoutez, il n'y a pas de consolation,
09:13 simplement d'essayer de continuer à vivre et surtout rappeler la mémoire,
09:18 on souffre beaucoup de la peur de l'oubli,
09:21 je crois que c'est ce qu'il y a de plus dur,
09:23 c'est la peur de l'oubli de manière…
09:24 là on parle beaucoup de ces familles, dans un an on les aura oubliées.
09:28 – Vous pensez qu'on a oublié ce qui est arrivé à votre famille ?
09:33 – Je le ressens, je le ressens, oui.
09:35 – Comment vous le ressentez, pourquoi ?
09:38 – Parce qu'ensuite, d'abord c'est le temps qui passe,
09:41 et malheureusement il y aura d'autres attentats,
09:43 et chaque attentat efface un peu les précédents.
09:47 Alors malheureusement Toulouse a une particularité,
09:50 c'est que c'est le premier, donc c'est toujours la référence,
09:53 mais sans ça les autres attentats, on les oublie au fur et à mesure du temps.
09:57 – Je peux juste dire, M. Sandberg, moi j'ai couvert pour BFM TV,
09:59 j'étais devant Ozar Atorain, j'ai passé la semaine à Toulouse,
10:03 j'ai aussi couvert le procès du frère du terroriste,
10:06 mais je vais faire comme vous, je ne vais pas nommer…
10:09 et pour y revenir souvent à Toulouse,
10:12 on n'oublie pas vos enfants, petits-enfants,
10:14 Toulouse a été largement marqué par ça,
10:17 et chaque mois de mars, Toulouse se souvient,
10:22 il y a des dizaines, des centaines de milliers de personnes,
10:24 et je peux vous dire vraiment que les noms de vos enfants,
10:27 petits-enfants ne sont pas oubliés à Toulouse, c'est déjà quelque chose.
10:30 – Je vous remercie, mais j'ai dit ce que moi je ressentais,
10:35 ce que je ressens au fond de moi,
10:39 moi c'est la peur de l'oubli, c'est terrible.
10:41 – Vous nous disiez que votre fille avait choisi de partir vivre en Israël.
10:45 – Oui, parce qu'elle avait peur ce jour-là, le jour de l'attentat,
10:47 elle a entendu les coups de feu, et maintenant elle n'est pas…
10:51 "Papa, je pars".
10:52 – Qu'est-ce qu'elle vous a dit ces derniers jours ?
10:54 – On est très soucieux parce qu'on a nos petits-enfants,
10:58 donc déjà mon épouse craint beaucoup parce que…
11:02 il y a des filles de 5 et 8 ans, aller dans les abris,
11:08 comment vont-elles survivre après ?
11:11 Ce n'est pas évident pour des enfants de se retrouver dans des abris,
11:14 qu'est-ce qui se passe ?
11:15 Probablement ils entendent, ils entendent des avions,
11:17 ils entendent beaucoup de choses également,
11:19 donc on est très soucieux du ressenti,
11:25 et ensuite comment ils vont survivre.
11:29 – Ce qui tranche dans ce que vous dites,
11:32 c'est qu'à la fois j'entends ce que vous dites,
11:35 et je sens au fond de vous quelque chose de très dur,
11:39 et en même temps il y a une grande douceur dans la façon dont vous parlez.
11:43 La paix, vous l'avez trouvée ou pas ?
11:47 – Non, je n'ai pas trouvé la paix,
11:49 je n'ai pas trouvé la paix parce que mes enfants me manquent,
11:53 et je ne comprends pas pourquoi ils ne sont plus auprès de nous.
11:57 – Merci beaucoup Samuel Sandler,
12:00 je vous remercie d'être venu, je sais que c'est toujours difficile
12:03 pour vous de vous exprimer sur le drame que vous avez vécu,
12:09 et le drame, le mot est presque faible parce que c'est une horreur,
12:13 mais votre témoignage aujourd'hui,
12:15 évidemment compte beaucoup dans cette tragédie aussi que vit Israël.

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