Un Mr Bricolage va être construit à Carnac. Je ne suis pas du coin, et je ne me sens pas vraiment concerné. Sauf que durant le chantier, 38 menhirs millénaires ont été détruits. Et là, ça m’intéresse ! La polémique a enflé, certains ont parlé de destruction volontaire, d’autres ont accusé les archéologues, ou le maire, ou encore le propriétaire. Et il y en a même pour dire que tout ça n’a jamais existé, et qu’il n’y a jamais eu de menhirs ! Une enquête se déroule en ce moment même, suite à une plainte contre X déposée par l’association Koun Breizh devant le parquet de Lorient, et j'avais envie de faire un topo à ce sujet. Qui pipote qui ? On fait le point !
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00:00 Mes chers camarades, bien le bonjour ! Un "Monsieur Bricolage" va être construit
00:04 à Carnac.
00:05 Peut-être que vous avez suivi cette info, je ne suis pas du coin, je ne me sens pas
00:09 hyper concerné par cette info, sauf que durant le chantier, on a 38 ménhirs millénaires
00:14 qui ont été détruits et ça, ça m'intéresse.
00:16 La polémique a enflé, certains ont parlé de destruction volontaire, d'autres ont
00:20 accusé les archéologues ou le maire ou encore le propriétaire.
00:23 Il y en a même pour dire que tout ça n'a jamais existé et qu'il n'y a jamais eu
00:27 de ménhirs.
00:28 Il y a une enquête qui se déroule en ce moment même suite à une plainte contre X
00:31 disposée par l'association Kuntbretz devant le parquet de Lorient et moi j'avais envie
00:36 de faire un petit peu un topo là-dessus.
00:39 Qui pipote qui ? On fait le point.
00:42 Vous connaissez sans doute ces célèbres alignements de mégalithes qu'on peut voir
00:45 vers Carnac, par exemple au Ménèque ou à Quermario.
00:49 En fait, les mégalithes vont pousser comme des champignons dans toute la région et pas
00:53 que sur certains terrains qui sont visitables.
00:56 En casse des patrimoines, Carnac, clairement c'est à part parce que c'est cerné de
01:00 monuments historiques et de zones classées ou inscrites au patrimoine.
01:03 En plus c'est au centre d'un site remarquable sans compter tous les endroits où on soupçonne
01:08 de futures découvertes.
01:09 Donc clairement, si t'as un projet immobilier là-bas, je te souhaite bon courage.
01:13 En tout cas, c'est ce qui s'est passé dans la zone de Montauban lors de travaux
01:18 en 2009.
01:19 A priori, il n'y a rien dans le coin, les zones classées, les monuments historiques,
01:23 les présomptions archéologiques sont éloignées mais au cas où, le permis de construire est
01:27 envoyé à la DRAC, la Direction Régionale des Affaires Culturelles.
01:31 La DRAC a plusieurs services rien que pour ça, par exemple l'UDAP ou Unité Départementale
01:36 de l'Architecture et du Patrimoine qui va gérer les permis de construire, il y a aussi
01:41 l'INRAP, l'Institut National de Recherche Archéologique Préventive qui va se charger
01:46 des fouilles et enfin on a le SRA ou Service Régional de l'Archéologie qui va éditer
01:52 la classe des patrimoines qui répertorie tout ça et qu'on regarde depuis tout à
01:56 l'heure.
01:57 Ces différents services vont communiquer entre eux, sur le terrain l'INRAP va faire
02:01 un diagnostic archéologique, c'est à dire une mini fouille, une petite fouillette quoi,
02:06 puis ils vont envoyer leur rapport à la DRAC.
02:08 Elle, elle va décider quoi faire et demander à l'INRAP de faire une autre fouille,
02:12 une vraie fouille cette fois si elle en a juste que c'est nécessaire.
02:15 Maintenant on va revenir à 2009-2010 dans la zone de Montauban.
02:18 Alors là l'INRAP a une belle surprise, il y a bien des ménhirs sur place, ils datent
02:22 de 5480-5320 avant notre ère et donc c'est très ancien pour la région.
02:27 A cette nouvelle certains vont se demander au delà du terrain inspecté si on ne peut
02:32 pas inspecter tous les terrains aux environs pour être sûr qu'ils ne soient pas concernés.
02:36 En 2014 justement dans la même zone on a un propriétaire qui veut faire construire
02:40 un super-U, c'est la parcelle dont tous les journaux ont parlé dernièrement.
02:44 Alors du coup on va appeler la DRAC, en mars 2015 l'INRAP fait son diagnostic et sur
02:49 11 000 m² de terrain, y'a rien.
02:52 Mais sur 2000 m² on retrouve deux étranges clôtures, c'est des murets de pierres sèches
02:59 qui vont intégrer des gros blocs dressés de 50 cm à 1 mètre de haut.
03:04 On a un paysan qui a probablement réutilisé un alignement de mégalithes en bouchant les
03:09 intervalles entre chaque ménhir, il a fait son petit mur tranquillou-billou à l'ancienne.
03:13 Dans l'un des deux murets, les blocs ont visiblement été déplacés, ce qui leur
03:17 fait perdre leur valeur archéologique.
03:19 Mais dans le second muret, l'alignement est intact, il n'a pas été déplacé.
03:23 Du coup en juillet 2015 la DRAC va prescrire une fouille approfondie.
03:27 D'ailleurs la zone figure bien comme un site patrimonial remarquable dans l'atlas
03:32 des patrimoines.
03:33 On va donc appeler ça la décision de juillet.
03:36 On va donner des petits noms aux événements.
03:38 Sauf qu'entre le diagnostic de mars et la commande de fouille de juillet, le code du
03:41 patrimoine a changé.
03:43 A partir d'avril, seuls les chantiers prévus dans une ZPPA, une zone de présomption de
03:50 prescription archéologique, devront envoyer leur permis de construire à la DRAC.
03:55 Bizarrement, notre parcelle, en zone remarquable selon l'atlas, n'est pas incluse dans
04:01 la ZPPA.
04:02 Moi j'appelle ça la décision d'avril.
04:04 Donc selon la carte qu'on regarde, on peut croire qu'elle est protégée ou qu'elle
04:09 n'est pas protégée.
04:10 Mais nous, on s'en fout, vu que le permis a déjà été envoyé, le terrain a déjà
04:15 été diagnostiqué, on ne voit pas le rapport.
04:18 Mais voilà pour des tas de raisons le projet de Super U va tomber à l'eau.
04:22 En 2022, nouveau projet.
04:24 Et ce nouveau projet, c'est un monsieur bricolage.
04:27 Donc nouveau plan, nouveau chantier, nouveau permis de construire.
04:31 Et là vous devinez un peu ce qui s'est passé.
04:33 Quelle décision on va respecter ? Celle de juillet ou celle d'avril ? Faut-il fouiller
04:38 la parcelle ou pas ?
04:40 Est-ce qu'on est dans la zone remarquable ou pas dans cette zone de prescription ?
04:44 Apparemment, il y a eu un petit doute à un moment.
04:47 Mais la parcelle est incluse pour un dossier qui sera adressé à l'UNESCO fin 2023.
04:52 Le but c'est de faire reconnaître Karnak comme un patrimoine mondial de l'humanité.
04:56 Donc on dirait que la décision à long terme, c'est bien de la considérer comme une partie
05:00 d'un ensemble qui dans sa globalité a de la valeur.
05:03 Mais la décision à court terme est assez incompatible.
05:06 Pas de fouilles avant travaux et résultat, le permis de construire est validé le 26
05:11 août 2022 et en 2023, à l'angle de la rue Gallo-Romaine, les engins ne font pas
05:16 de finesse.
05:17 Les deux murets sont rasés, y compris l'alignement qui était probablement ancien.
05:22 Donc ça fait mal aux fesses.
05:23 Le vendredi 2 juin 2023, on a donc Christian Obelz de l'association Sites et Monuments
05:29 qui va révéler que le chantier a provoqué la destruction de 38 ménhirs.
05:33 Et là, ça va lancer un scandale de ouf.
05:36 La presse, les réseaux sociaux, les politiciens s'en mêlent.
05:40 Comme le dit Benoît Guérin dans West France, on a tous les ingrédients qu'il faut.
05:44 Histoire, patrimoine, enracinement versus matérialisme de la société de consommation.
05:49 La plupart des journaux utilisent des photos assez sensationnelles de très grands et de
05:54 très beaux ménhirs, qui sont en fait assez éloignés de nos blocs de pierre de 50 cm
05:59 à 1 mètre de haut, entourés de ronces et de déchets.
06:02 Donc l'émotion va monter d'un cran.
06:04 Certains harcèlent et menacent le maire de Carnac, placé sous protection policière.
06:08 Bizarrement, d'autres vont expliquer qu'il n'y a jamais eu de ménhirs.
06:13 Et pour ça, ils vont s'appuyer sur des fausses photos de presse.
06:16 Comme quoi, faut faire gaffe avec les images trompeuses qu'on peut voir circuler.
06:20 Derrière certaines images, on a certaines personnes qui s'inventent tout un délire.
06:25 Genre Illuminati versus M.
06:27 Bricolage, le choc des Titans 3.
06:29 Déjà que les deux premiers n'étaient pas terribles.
06:31 Bref, si c'est pas les reptiliens, c'est qui les vrais coupables ?
06:35 Est-ce le propriétaire ? Il se trouve qu'il a fait les démarches, il a demandé son permis
06:40 en mairie, il a patienté de 2014 à 2023 et en fonction de la décision d'avril, il
06:44 a agi de façon apparemment légale.
06:47 Est-ce la mairie le coupable ? Elle aussi affirme avoir respecté la loi.
06:51 D'ailleurs, dans son communiqué, elle dément la rumeur et précise qu'elle a bien envoyé
06:56 le permis à la DRAC les deux fois, en 2014 et en 2022.
07:00 Alors est-ce la DRAC le coupable ? Dans son communiqué de presse, elle confirme la version
07:05 de la mairie.
07:06 Oui, elle a bien eu tous les papiers en 2022.
07:08 Et d'après la décision d'avril, comme on n'est pas dans une ZPPA, elle n'a pas
07:14 demandé de fouille.
07:15 Parce qu'en consultant le rapport de 2014, il leur a semblé que ça n'en valait pas
07:19 vraiment la peine.
07:20 Du coup, je cite le rapport de l'INRAP, ils posent un constat contradictoire.
07:24 D'un côté, ils sont venus fouiller le sol et ils n'ont rien trouvé, le diagnostic
07:28 est donc négatif. De l'autre, la découverte d'un possible alignement hors sol pas du
07:33 tout prévu au programme donne un diagnostic qui est positif.
07:37 La DRAC va donc conclure que ces vestiges ont un caractère encore incertain et, dans
07:42 tous les cas, non majeur. Pour eux, l'atteinte à un site ayant une valeur archéologique
07:47 n'est pas établie, bref, on est dans une zone grise. Et cette zone grise, eh bien,
07:52 personne n'a trop envie d'y mettre le doigt.
07:55 En fait, l'expression "incertain mais non majeur" nous rappelle deux choses
08:00 qui ne sont pas faciles à avaler. D'abord, incertain. Tous ces atlas, toutes ces cartes,
08:06 ces zones, ces dossiers, ces services qui discutent entre eux travaillent toujours dans
08:09 l'incertitude. C'est presque toujours le cas en science historique et particulièrement
08:15 en archéologie. On va soupçonner qu'il y a des vestiges, on a des présomptions,
08:20 on fait des diagnostics, mais le travail est titanesque. Donc on ne peut pas tout savoir.
08:25 Toute cette mise en place est absolument hallucinante, parce qu'il faut préserver des milliers
08:29 et des milliers d'objets, chaque année, mais vite et sans empêcher les gens de vivre.
08:34 Il ne faut pas empêcher les villes de se développer et les personnes de circuler. L'immense
08:38 majorité du temps, ça fonctionne et rien que pour ce boulot remarquable qui marche
08:43 10 000 fois par an, on ne va pas tout jeter à la poubelle pour un accident, qui est dramatique
08:47 mais isolé.
08:49 Deuxième terme, c'est non-majeur. Et ça, ça nous rappelle une autre réalité encore
08:54 plus douloureuse, il y a un ménire. Et il y a la valeur archéologique de ce ménire,
08:59 sa valeur patrimoniale. En fait, des ménires comme des châteaux, comme des tessons de
09:04 poterie gallo-romaine, il y en a des milliers et des milliers. Le boulot de la draque, c'est
09:10 de gérer tout ça. Et parfois ça passe par sauver un vestige, le restaurer, voire l'exposer
09:15 dans un musée. Et parfois ça passe par couler une dalle de béton dessus.
09:19 Alors on ne va pas jusqu'à détruire l'objet, mais oui, on peut le rejeter, on peut décider
09:24 de l'ignorer. Et ce choix là, qui fait partie du boulot, je ne me sentirais pas de
09:30 le faire à leur place, et je pense que vous non plus. Encore une fois, on ne va pas condamner,
09:35 menacer, harceler pour ce qui visiblement, je pense, a été un accident.
09:39 Mais il y a quand même un point où là, ok, je me sens de donner mon avis, et ça
09:45 n'a rien à voir avec le dossier judiciaire qui est en cours. C'est à la fois négatif
09:49 et positif. D'une part, quelle qu'ait été la décision, et imaginons qu'en effet
09:53 tout ça est légal et que ce n'était pas vraiment un alignement à valeur archéologique,
09:57 etc. Au delà du légal, il y a aussi la valeur que les gens mettent sur les choses. Et sans
10:01 doute que là, ça a un peu pêché en termes de communication. On aurait pu mieux avertir
10:06 les résidents, pourquoi pas même peut-être déplacer ces menhirs qui apparemment ont
10:11 été détruits. Soit on aurait pu les mettre ailleurs, soit on aurait pu les offrir aux
10:14 habitants, ou encore une autre solution. C'est facile à dire, parce que déplacer, stocker
10:20 ces trucs là, qui pèsent des tonnes, ça coûte quand même du temps et de l'argent.
10:23 Mais apparemment, dans la logique du dossier UNESCO 2023, tout l'aspect global de tout
10:28 ce qui est en jeu sur place, ça aurait pu être mieux géré. De toute façon, on l'a
10:32 clairement vu, quand vous laissez les médias faire votre com à votre place, souvent c'est
10:37 la cata. Maintenant, d'autre part, et ça c'est plus positif, ça relance quand même
10:41 tout ça un peu le débat sur la démocratisation du patrimoine. Des particuliers et des associations
10:46 ne veulent pas être de simples consommateurs, ils veulent s'engager pour protéger le
10:50 patrimoine à leur niveau. Et ça c'est franchement cool. Après, il y aura toujours
10:54 des limites. La décision de restaurer ou d'enfouir, il faut être expert pour la
10:59 prendre. Ni vous ni moi, je pense, on est qualifié pour le faire.
11:02 Ce qui est sûr, c'est que dans ces affaires là, l'émotion a sa place, mais chacun
11:07 a ses goûts. Avec un budget limité, on ne pourra jamais satisfaire tout le monde.
11:13 Démocratiser le patrimoine, c'est plutôt sélectionner et entretenir des pièces qu'on
11:17 a choisi et qu'on va offrir à la vue de tous.
11:21 Ça c'est la vie, le sol de la France déborde de trésors, mais aussi de déchets du passé,
11:26 il faut bien quelqu'un pour faire le tri. Et ça, les journaux en parlent moins. On
11:30 peut espérer que cette enquête va améliorer les choses et qu'on gagnera en transparence
11:34 là dedans. Et puis on espère aussi que le dossier pour l'UNESCO puisse avancer.
11:38 On souhaite un bon courage à tous ceux qui travaillent à faire connaître ce patrimoine,
11:43 un bon courage aux habitants, aux associations, mais aussi aux officiels, aux experts qui
11:48 bossent tous pour ça. C'est sûr que si l'UNESCO reconnaît leur travail, Karnak
11:53 redeviendra malgré cet accident un sujet de cohésion plutôt que de dissension.
11:57 Et c'est tout ce qu'on souhaite.
11:59 Merci à Bastien Verdier, Jean de Boissézon et Hélène Pollet pour l'écriture de cet
12:03 épisode. Si ça vous a plu, n'oubliez pas de vous abonner à la chaîne, de me suivre
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