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Conférence RSE et finance: les cinq failles de la finance responsable

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00:00 [Musique]
00:06 Je suis très heureuse de recevoir maintenant Michael Berrevy. Bonjour Michael.
00:09 Bonjour.
00:10 Michael, vous êtes responsable du Dioceasi Institute et l'auteur également de cet ouvrage que je vais vous montrer,
00:17 "Investir pour nos valeurs, les cinq failles de la finance responsable".
00:22 Alors on va essayer de le faire pas trop flou.
00:25 Exactement.
00:27 Voilà. Qui est assez récent quant à ce que vous avez publié ça.
00:32 Il est sorti l'an dernier.
00:34 Une réaction peut-être tout d'abord sur les débats qu'on vient d'entendre.
00:39 Une réaction. En réalité, ils étaient extrêmement riches ces débats.
00:43 Et ce qu'il y avait d'intéressant, c'est que à travers chacune des prises de parole,
00:48 en fait, on retrouvait progressivement chacune des cinq failles à paraître,
00:53 puisqu'il a été question d'entreprise, il a été question du rôle de l'épargnant,
00:58 il a été question des sociétés de gestion et ce rôle, pour le moment, de donneur de leçons.
01:02 Il a été également question de la donnée extra-financière et toutes les questions qui se posent autour.
01:08 Et évidemment, la définition même de la finance responsable et la communication.
01:13 Alors évidemment, lorsque j'ai écouté ce qui a été dit, il y avait plein de remarques.
01:18 Néanmoins, s'il y en a une sur laquelle j'aimerais dire un mot,
01:23 ça concernait vraiment l'introduction concernant la RSE.
01:27 Parce que finalement, tout part de la RSE et tout part de cette question, quel est le rôle de l'entreprise.
01:34 Je pense qu'on peut aller bien au-delà lorsqu'on évoque la RSE.
01:38 Il a été question d'une RSE qui devient populaire à partir des années 2000.
01:42 Je pense qu'en réalité, on peut remonter à au moins 100 ans.
01:46 Lorsqu'on relie les discours des grands patrons des industries du début du XXe siècle...
01:52 - C'est paternaliste, c'est la grande époque du paternalisme de l'entreprise.
01:55 - Exactement. On relie ces discours-là. Alors évidemment, la question n'était pas liée à l'environnement.
02:00 En revanche, la question sociale et ce rôle d'éclaireur, d'avant-gardiste, de l'entreprise.
02:06 Oui, on doit faire des profits pour ne pas mourir,
02:10 mais à la condition de prendre en considération les autres parties crenantes.
02:14 - Vous faites référence à tout ce mouvement d'avant la guerre de 1914, de l'entreprise sociale,
02:17 de la dimension sociale de l'entreprise, de la création... - C'est exactement ça.
02:21 - J'ai introuvé cette agence, enfin, toutes ces réflexions. - C'est exactement ça.
02:24 Ça a été les prémices de la RSE. Et malheureusement, 1929, grande crise financière.
02:31 Il y a eu un hiver de la RSE. On a oublié.
02:34 Et puis progressivement, après la Seconde Guerre mondiale,
02:36 beaucoup d'entreprises ont été réhabilitées aussi par le référendum de guerre.
02:39 Et de nouveau, il y a la théorie des parties prenantes qui commence à être formalisée.
02:43 Pourquoi cet hiver, on vous l'explique, on arrive à l'expliquer,
02:48 pourquoi est-ce que ça a été mal, à part l'aspect financier terriblement,
02:52 - le plan de vie de la crise ? - Oui, mais c'est ça la réalité.
02:54 On n'avait plus les moyens de penser autre chose.
02:57 Les entreprises n'étaient absolument plus audibles lorsqu'il était question
03:02 de prendre en considération le salarié, les clients, les parties prenantes,
03:06 dès lors qu'on était en pleine crise financière, la grande crise des années 1930.
03:11 Donc évidemment, c'est devenu inaudible. Et puis après, c'est revenu.
03:15 Ce qui fait très peur, et l'histoire donne toujours des leçons,
03:18 c'est que si du jour au lendemain, à la faveur d'une grande crise économique et financière,
03:23 tout ça a été mis de côté, est-ce qu'on ne pourrait pas redouter
03:28 qu'à nouveau, à la faveur d'une crise dont on parle, qu'on attend peut-être,
03:33 qu'on peut redouter, ces sujets-là soient de nouveau mis de côté,
03:39 voire mis sous le tapis ?
03:41 Je pense que c'est un risque. De façon structurelle, la société,
03:44 il y a une prise de conscience. C'est-à-dire que s'il y a 100 ans,
03:47 il y avait des vraies attentes d'un point de vue social, sur la protection sociale,
03:51 sur la santé, sur la prévention, sur les retraites, etc.
03:55 L'État provident s'est emparé du sujet, a légiféré, etc.
03:58 Aujourd'hui, les attentes sont d'ordre climatique, biodiversité, etc.
04:02 Ce changement, il est réel, il est structurel, quels que soient
04:05 aujourd'hui les agents politiques, entreprises financières, etc.
04:09 Il y a cette prise de conscience. Néanmoins, le risque de devoir
04:13 faire une pause, il est réel. Et alors, là, je m'éloigne
04:17 de la sphère de l'entreprise et je me dirige vers les marchés financiers.
04:21 2022, crise d'inflation, crise énergétique liée à un événement géopolitique,
04:30 la guerre, l'invasion russe en Ukraine.
04:33 Toutes les classes d'actifs ont été négatives en 2022, toutes, c'est historique.
04:38 Une catégorie d'investissement a performé, même très bien performé,
04:43 ce sont les entreprises, les actions liées à l'énergie fossile.
04:47 Et c'est à ce moment-là où on voit...
04:48 Et la défense, même, non ? Même pas ?
04:49 Et alors, il y a aussi un regrinde d'intérêt pour la défense, c'est sûr.
04:52 Mais sur les marchés, à l'incentive en 2022, c'est vrai que le secteur
04:55 de l'énergie a caracolé en tête, avec des performances nettement positives.
05:00 Et évidemment, ceux qui étaient sous-exposés, voire absents de ce secteur-là,
05:06 l'ont payé.
05:08 Après, attention entre la sensibilité court-termiste et l'horizon long terme,
05:13 celui sur lequel souhaite se positionner la finance responsable et encore plus
05:17 la finance à impact, puisqu'il y a ces évolutions structurelles.
05:22 Attention juste à la trajectoire et à ne pas faire de fausses promesses,
05:26 d'où la responsabilité et d'où cette nécessité, ce bouquin sur les 5 failles.
05:33 L'idée de la faille, pour moi, c'était l'idée de dire qu'à partir au moins
05:38 d'une des incohérences qui pourraient y avoir aux yeux de l'épargnant
05:42 ou de l'investisseur, l'une des 5 failles pourrait provoquer, entraîner
05:47 le sentiment que la finance responsable, finalement, est totalement irresponsable.
05:51 Donc, attention à ne pas survendre aussi cette finance responsable-là.
05:54 Je reviens juste sur la rupture de 2022. Il y a eu, en plus, un certain nombre
06:00 de grands fonds qui ont annoncé, alors on évoquait les difficultés américaines,
06:04 mais il y a un certain nombre de grands fonds qui ont peut-être un peu revu
06:08 à la baisse les ambitions qui avaient été affichées. Est-ce qu'il y a un lien ou pas du tout ?
06:15 Vendre la promesse d'une finance...
06:21 Aujourd'hui, le consensus sur les fonds responsables, le consensus de place,
06:25 c'est de dire que finalement, un fonds responsable qui est performant
06:28 sera capable de faire mieux qu'un fonds qui ne l'est pas, et inversement.
06:33 Maintenant, vendre la finance responsable dans un contexte de taux bas,
06:37 c'était extrêmement facile. Les marchés Ice On a été extrêmement intéressants,
06:42 rentables sur la dernière décennie. Ça, c'était vraiment structurel,
06:46 lié à l'environnement économique. Deuxième élément, ce qui s'est passé
06:49 pendant la crise sanitaire, à savoir, pas tous, mais certains ont un peu arboré
06:54 la finance verte en disant "Regardez, c'est formidable, tous mes fonds
06:57 socialement responsables ont des performances qui caracolaient en tête".
07:01 C'est vrai, mais c'était vrai en raison de biais sectoriels propres
07:05 à la notation EIG des entreprises, qui avaient tendance à bien noter
07:08 le secteur de la technologie, d'ailleurs on peut discuter de ce sujet-là,
07:12 et de la santé. Coup de chance, pendant la crise sanitaire,
07:15 le secteur de la technologie a été très peu impacté par les mesures
07:19 de distanciation physique, et la santé, évidemment, on était en pleine
07:23 crise sanitaire. Donc, les performances de 2020, ce n'est pas lié à l'EIG,
07:29 c'est un biais sectoriel qui est une conséquence de la méthode d'analyse
07:33 des entreprises. Donc, voilà, attention, concernant les grands fonds,
07:38 chacun a sa stratégie. Il est clair que lorsqu'on est leader de son secteur
07:43 d'activité, et qu'on annonce au marché que l'avenir, c'est la finance verte,
07:47 n'oublions pas que c'est un marché qui est coté, avec des acheteurs
07:50 d'un côté, des vendeurs de l'autre. S'il y a un regain d'intérêt
07:53 de l'ensemble des investisseurs du monde branché, le prix augmente,
07:58 la performance augmente, il y a un intérêt à se positionner en amont.
08:02 Donc, il y a plusieurs niveaux de lecture sur ces performances.
08:05 Revenons un peu sur les failles, et j'ai plutôt envie de vous demander
08:09 de zoomer sur la faille qui, aujourd'hui, vous inquièterait le plus.
08:14 Vaste... C'est difficile, question, je suis d'accord.
08:18 Pas qui m'inquièterait, non, pas qui m'inquièterait. En revanche,
08:21 celle qui, je pense, nécessite un vrai travail de notre part.
08:25 Évidemment, c'est la première, celle qui concerne la définition.
08:29 Aujourd'hui, il y a plein d'actions qui sont menées, des institutions,
08:33 etc., pour essayer de clarifier les choses. Il y a des standards
08:36 de reporting extra-financiers qui vont être imposés aux entreprises.
08:40 On l'a évoqué, c'est servé en Europe, l'IFRS. Il y a cette opposition
08:45 entre la vision de la matérialité financière très anglo-saxonne
08:48 ou la double matérialité européenne.
08:50 On l'a évoqué, compliquée.
08:52 Très compliquée, très compliquée face à un pragmatisme anglo-saxon
08:57 que l'on connaît et que l'on sait redoutable. Je pense que l'idée
09:02 qui est louable de résumer la finance responsable avec un label,
09:09 en disant, voilà, c'est une vision binaire, c'est responsable,
09:12 ça ne l'est pas. En fait, c'est beaucoup trop réducteur.
09:15 Et l'idée même de dire la finance responsable, c'est réducteur.
09:19 Parce que, par définition, ce qui est responsable est une matière
09:23 totalement subjective. En réalité, ce qui est responsable pour moi,
09:26 ne l'est pas pour mon voisin, et l'est encore moins pour l'investisseur
09:29 qui se situe à l'autre côté de la pêche.
09:31 C'est culturel. Il y a déjà une dimension culturelle, géographique,
09:35 personnelle. Et puis ce que vous dites aussi, c'est qu'il y a une échelle.
09:39 C'est 50 nuances de verre, de toute façon.
09:42 Bien sûr. Sur ces histoires de label, même si je comprends
09:48 l'intérêt de simplification, je pense qu'au contraire,
09:51 il faudrait responsabiliser l'épargnant. Et de la même façon
09:55 qu'on a une carte d'identité financière avec des reportings,
09:58 il faudrait concevoir une carte d'identité extra-financière.
10:01 Non, on ne sera pas vers de toutes les cases.
10:04 En revanche, selon les piliers d'analyse, selon la granularité,
10:08 selon les convictions de chacun, laissons libre l'épargnant,
10:12 l'investisseur, de choisir les supports de placement
10:14 ou la philosophie de gestion qui lui correspondent.
10:17 Je suis beaucoup plus sensible à cette responsabilisation-là
10:19 de l'épargnant, plutôt que cette volonté de simplifier
10:22 pour mieux flécher l'épargne. Je ne crois pas en une vision unique,
10:27 surtout en ce moment.
10:30 En guise de conclusion peut-être, est-ce qu'on peut revenir
10:33 sur cette contradiction qui est quand même le cœur du sujet,
10:37 cette contradiction entre la recherche de rendement,
10:42 qui est tout de même toujours essentielle pour la finance,
10:46 et cette quête de sens. Est-ce que concrètement,
10:50 il va falloir accepter une baisse de rendement pour améliorer
10:53 la quête de sens ? Pour être plus responsable,
10:57 est-ce qu'on doit accepter de se prendre 5 points dans la figure ?
11:01 Je pense très sincèrement que l'investisseur responsable
11:07 doit, s'il souhaite effectivement investir avec certains critères,
11:14 doit être extrêmement ferme sur sa conviction.
11:18 Je ne pense pas qu'on puisse convaincre en disant
11:20 « Regardez la performance ». Bien sûr, il y aura la notion
11:23 de performance, mais il sera essentiel de comparer
11:26 des choses comparables. Donc oui, ça a été dit un peu auparavant,
11:29 si le champ des possibles est restreint, la théorie financière
11:33 nous enseigne que c'est plus concentré, c'est plus risqué,
11:36 c'est plus volatile, et il y a des risques de pertes en capital
11:39 plus élevés. Après, tout l'enjeu, c'est les convictions
11:42 qu'on a sur du long terme, et finalement, sur une appréciation
11:45 du risque à venir, du risque de controverse, mais du risque
11:48 plus lointain, et du rendement à terme. Je pense qu'il faut
11:53 être extrêmement clair. Donc, opposer rendement et quête de sens,
11:58 en réalité, je pense juste qu'il faut être extrêmement clair,
12:04 ferme avec ses convictions, prendre du recul aussi,
12:08 et d'être prêt à en payer le prix. Voilà, le prix de ses convictions,
12:12 le prix de sa valeur. Donc, vous savez, dans cette opposition
12:16 entre théorie des parties prenantes et Milton Friedman,
12:20 qui a été également évoqué, Milton Friedman disait
12:23 le but du jeu, le rôle de l'entreprise, c'est d'optimiser
12:27 le rendement, les dividendes, mais, et il y a souvent ce "mais"
12:31 qui est oublié à la fin de l'article, à condition de respecter
12:34 les règles du jeu. Et la grande question aujourd'hui
12:37 sera de dire, est-ce qu'on laisse toujours la main aux entreprises,
12:43 aux sociétés de gestion, pour prendre de l'avance et de rester
12:46 dans cette soft law ? Ou bien, à un moment donné,
12:50 il sera nécessaire de légiférer, de changer les règles du jeu,
12:53 de mettre... - Quelles règles du jeu ?
12:54 Et à la limite, quelles sont mes règles du jeu ?
12:56 - Alors, soit ce sont les nôtres, auquel cas, et il faut les assumer
13:00 sur du long terme, soit on se dit que notre projet de société,
13:04 et bien, demain, c'est plus de carbone, etc. Et là, dans ce cas,
13:07 on change les règles du jeu, mais pour tout le monde.
13:09 Pour tout le monde. Et là, on revient dans un monde concurrentiel.
13:11 Et ça, c'est une vraie décision. En ce moment, on est en train de...
13:15 On a mis en place les actions pour anticiper les risques.
13:21 Est-ce qu'on va en rester là et on va juste travailler sur un langage commun
13:25 avec des normes de standardisation ? Ou bien, est-ce qu'on va basculer
13:29 vers changer les règles et, progressivement, d'être plus pénalisants
13:34 envers les entreprises qui émettent trop de carbone ou qui n'ont pas
13:36 de stratégie de traitement des déchets ou je ne sais quoi ?
13:41 Mais dans ce cas-là, on bascule dans un nouveau monde,
13:43 un nouveau paradigme. Et là, il y aurait de nouveau
13:46 une convergence parfaite, parfaitement alignée entre les intérêts
13:49 des actionnaires, mais également des épargnants.
13:53 Merci beaucoup, Michael Berébi.
13:55 [Musique]

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