Pour Matthieu Pigasse, le capitalisme est "à bout de souffle"

  • l’année dernière
L'homme d'affaires Matthieu Pigasse publie "La lumière du chaos" aux Éditions de l'Observatoire. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-19-octobre-2023-4493254

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un banquier d'affaires, dirigeant d'entreprise,
00:04 patron de presse et de différents festivals de musique.
00:08 Il publie aux éditions de l'Observatoire « La lumière du chaos » sous-titré « Pour
00:13 une société du possible, questions et réactions » au 01 45 24 7000 et sur l'application
00:21 France Inter.
00:22 Mathieu Pigasse, bonjour.
00:23 - Bonjour.
00:24 - Et bienvenue sur l'Inter.
00:26 Merci d'être à ce micro.
00:28 On lit beaucoup de choses sur vous dans les pages d'économie des journaux, mais on vous
00:31 entend peu, vous vous exprimez en public.
00:33 Votre livre est étonnant, éclectique, c'est une réflexion philosophique, politique et
00:39 économique sur nos démocraties moribondes, sur le populisme, l'individualisme, l'intelligence
00:45 artificielle, bref, sur toutes les sources de l'angoisse moderne.
00:50 En exergue une citation de Joe Strummer du groupe punk The Clash et une autre de Nietzsche
00:56 « Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante ». C'est
01:02 ça votre conviction, Mathieu Pigasse, dans ce livre ? Il y a un chemin entre le chaos
01:07 et les étoiles ?
01:08 - Absolument, on est dans une situation qui est inquiétante, sombre, c'est ce que j'appelle
01:16 le chaos, mais je suis convaincu qu'effectivement du chaos ou dans le chaos, on peut trouver
01:19 la lumière et qu'il y a à la fois des solutions individuelles, personnelles qui peuvent être
01:25 trouvées et des solutions collectives au chaos qui est le nôtre.
01:28 - Avant les solutions, l'état de chaos, vos mots sont durs, vous allez loin, votre constat
01:34 fait peur, vous écrivez endormi par la cocaïne numérique, plongé dans la douce narcose
01:38 des écrans, hypnotisé par notre narcissisme et ignorant les enseignements de notre histoire,
01:42 nous ne faisons pas attention au décor qui s'écroule autour de nous et vous ajoutez
01:46 le risque est celui d'une nouvelle forme de guerre civile généralisée, née de la
01:50 colère et du ressentiment.
01:51 Vous pensez qu'on va vers une guerre civile généralisée ? Une guerre civile en France
01:55 où qui dépasserait les frontières ?
01:56 - Oui, je fais un constat sombre en effet, mais qui est plein d'espoir.
02:00 Partons du constat, en effet, le constat c'est celui du chaos.
02:03 Ce qui se passe aujourd'hui en Israël, à Gaza, en Ukraine, à Arras, à Bruxelles ou
02:09 plus largement dans les sociétés qui sont les nôtres, je pense évidemment à la société
02:12 française, c'est ce que j'appelle le chaos du monde.
02:15 Je pense qu'on est en train de vivre une situation, une transition qui est inédite,
02:20 à la fois par son ampleur et sa vitesse.
02:22 Vous savez, le chaos c'est quand un système sort d'un état d'équilibre et devient
02:27 instable et que les choses ou les chocs s'auto-amplifient comme dans un cercle vicieux.
02:31 Aujourd'hui, on est confronté à d'une part à une dislocation du monde, on le voit
02:36 tous les jours, et la fin de l'ordre mondial qui prévalait par exemple depuis 1945 et
02:41 une dislocation de la société avec un système économique ou un système capitaliste qui
02:45 est à bout de souffle.
02:46 Au fond, juste pour finir, c'est ce que je dirais ou qualifierais de la fin d'une
02:50 illusion, c'est l'illusion d'une mondialisation heureuse et d'une société apaisée.
02:54 Oui, vous pointez le capitalisme libéral comme l'une des causes de la fracturation
03:00 de la société.
03:01 Capitalisme libéral qui ne profite plus en rien aux populations ne peut pas répondre
03:06 aux plus grands défis de ce siècle, comme le changement climatique et qui conduit à
03:10 l'émergence de méga-entreprises susceptibles de menacer à terme la souveraineté des Etats.
03:15 Le capital c'est le mal, Mathieu Pigasse ? Le libéralisme c'est le mal ?
03:19 Le capitalisme libéral est un système qui effectivement est à bout de souffle.
03:24 Il suffit de regarder autour de soi et de constater que ça conduit à un arrêt de la
03:30 croissance, une explosion des inégalités, un repli sur soi et une perte de sens collectif.
03:37 Et donc on est effectivement dans un système qui est à bout de souffle.
03:41 Le capitalisme c'était la promesse d'un monde meilleur.
03:46 C'était l'idée que demain peut être mieux qu'aujourd'hui pour nous-mêmes et pour nos
03:49 enfants.
03:50 C'était la promesse du bonheur.
03:51 En réalité c'est le triomphe, et on le voit tous les jours, du parti de l'égoïsme.
03:54 C'est la plus grande machine à générer des inégalités jamais inventées.
03:58 Et à nouveau, regardez, on est confronté à quoi dans notre vie de tous les jours ? Des
04:02 risques de déclassement social, des revenus qui sont dévalorisés, déclassés par rapport
04:06 au diplôme, une explosion de la pauvreté et de la précarité.
04:09 Ça vous donne des chiffres.
04:10 Vous dites là où il fallait 20 ans pour doubler son salaire dans les années 70, aujourd'hui
04:14 il faut 140 ans.
04:15 C'est-à-dire une vie, plus d'une vie pour doubler son salaire.
04:18 Plus d'une vie malheureusement.
04:19 Oui malheureusement on ne vit pas encore jusqu'à 140 ans.
04:21 Et puis l'explosion de la pauvreté, c'est vrai, vous dites depuis 15 ans, la pauvreté
04:26 en France a augmenté de 25%.
04:28 Et oui, 10 millions de personnes en France, 10 millions sur 70 millions vivent sous le
04:33 seuil de pauvreté.
04:34 C'est-à-dire sont considérés comme pauvres, vivent avec moins de 1600 euros par mois.
04:39 Une autre façon de le dire c'est qu'il est de plus en plus difficile pour de plus en
04:44 plus de gens de vivre dignement, d'avoir une vie décente.
04:48 Avoir une vie décente c'est quoi ? C'est avoir évidemment un emploi, avoir des revenus
04:51 suffisants, c'est pouvoir s'habiller, pouvoir se loger, pouvoir se nourrir, pouvoir s'éduquer,
04:57 pouvoir se soigner, c'est le fait d'avoir des loisirs.
04:59 Et ça c'est quelque chose qui effectivement a disparu ou s'est effondré.
05:03 Vous dites quelque chose de très juste, il faut 140 ans pour doubler son salaire.
05:06 C'est comme s'il n'y a plus d'espoir possible si vous voulez.
05:09 C'est le fameux "no future" pour reprendre ce que l'on disait tout à l'heure des punks.
05:13 Et je pense que le mal profond, ce qui vraiment est le vice premier et qui sape la solidarité,
05:21 c'est l'explosion des inégalités.
05:23 Et c'est ça qu'il faut corriger.
05:24 Et vous allez nous dire comment vous corriger, mais là je pense qu'il y a quelqu'un peut-être
05:27 qui s'est branché, des auditeurs qui sont branchés sur notre radio qui vous écoutent.
05:31 J'espère qu'il en reste.
05:32 Je vous rassure, je pense qu'il en reste quelques-uns.
05:34 Mais ils écoutent quelqu'un, vous, parler de la critique du libéralisme, de la critique
05:38 du capitalisme, dénoncer les inégalités qui explosent.
05:41 Je pense que c'est François Ruffin qui est à l'antenne, mais non, c'est un ex-banquier
05:45 de chez Lazare, actuel dirigeant de la filiale européenne d'une banque d'affaires américaine.
05:50 Est-ce que vous êtes dans une dissonance cognitive totale, Mathieu Pigasse ?
05:54 Écoutez, c'est précisément parce que, comme vous venez de le dire, je suis un acteur
05:58 du système, que je peux en parler comme je le fais.
06:01 C'est parce que je le connais, je le comprends et je vois tous les jours ces dysfonctionnements
06:07 et ce à quoi il conduit.
06:09 Mais c'est parce que vous êtes aussi au cœur du capitalisme.
06:11 Ce que je veux dire, c'est que vous voulez faire gagner de l'argent à vos clients,
06:13 par exemple.
06:14 Oui, je l'ai dit à nouveau, je suis un acteur du système, je fais plein d'autres choses
06:17 d'ailleurs, j'ai des regards très différents sur le monde et sur la société.
06:21 Oui, c'est ce qui vous rend intéressant, c'est que vous êtes aussi patron de presse,
06:23 patron de festival, et que vous essayez au cœur du système, parce que vous êtes au
06:27 cœur du cœur du système quand même, de dénoncer des choses.
06:31 Oui, je ne profite pas du système, si vous voulez, je ne suis pas un milliardaire, je
06:34 ne suis pas assis sur un tas d'or, je ne suis pas comme Picsou qui plonge dans sa piscine
06:38 remplie de pièces d'or.
06:40 J'essaye de donner du sens à ce que je fais et d'essayer de changer les choses en réalité.
06:46 Vous n'arrangez pas votre cas, en tout cas, quand vous parlez de vos amis les super-riches.
06:50 Vous décrivez la manière dont les entreprises françaises ont distribué leurs profits au
06:53 cours de la dernière décennie. 68% des bénéfices sont allés aux actionnaires, 27% à l'effort
06:59 d'investissement, 5% aux salariés, 5% sous forme de primes.
07:03 En France, les 500 plus grandes fortunes cumulées sont passées à elles seules entre 2010 et
07:08 2022, en un peu plus de 10 ans donc, de 200 milliards à 1000 milliards d'euros.
07:13 Est-ce que ça vous paraît indécent, Mathieu Pigasse ? Est-ce que vous dites « accumuler
07:18 de l'argent c'est immoral » comme le dit Jean-Luc Mélenchon par exemple ? Est-ce
07:21 que vous voulez une France sans milliardaires comme la patronne des Verts ?
07:24 Non, mais ce qui est indécent, c'est les chiffres que vous donnez.
07:28 Ce qui est indécent, c'est de constater que les 60 personnes les plus riches du monde
07:32 aujourd'hui contrôlent la moitié de la fortune mondiale.
07:34 Le problème, ce n'est pas forcément la richesse en soi, c'est l'utilisation qui
07:38 est faite de la richesse.
07:39 Vous parliez tout à l'heure, vous parliez à l'instant des profits des entreprises.
07:43 Le problème ou le mal, ce n'est pas de faire des profits, c'est ce que l'on en fait,
07:48 c'est-à-dire l'utilisation que l'on en fait.
07:49 Ce que l'on voit, c'est qu'effectivement, il y a eu une déformation de l'utilisation
07:54 de ces profits, aux profits pour les actionnaires et au détriment des salariés.
07:58 Et c'est ça qu'il faut corriger.
07:59 Le niveau, je reviens sur ce sujet des inégalités parce qu'il est au cœur pour moi du vice
08:06 du capitalisme exactement.
08:09 Les inégalités, l'hyperconcentration du capital, on vient d'en parler, l'hyperconcentration
08:13 des revenus, ces inégalités, elles ont atteint en réalité, il faut le dire, un niveau qui
08:18 est inexplicable intellectuellement, injustifiable et insoutenable.
08:22 Ma conviction profonde, c'est que si rien ne change, un choc va se produire.
08:26 Alors quel est ce choc ? Je n'en sais rien.
08:27 Il y a un historien américain que je cite dans mon livre "La lumière du chaos" qui
08:33 explique que lorsque les inégalités, il y a un cycle des inégalités à travers l'histoire
08:37 et que lorsque les inégalités atteignent un niveau insupportable, un choc se produit.
08:40 Alors lui, il dit que ces chocs, il y en a quatre, ce qu'il appelle les quatre cavaliers
08:44 de l'apocalypse.
08:45 Ça peut être une révolution, il cite la révolution française, russe, chinoise, etc.
08:49 Ça peut être un effondrement d'une civilisation.
08:51 Ça peut être une révolte, enfin une guerre.
08:55 Il cite les guerres mondiales, bien évidemment, les paniers de la guerre de sécession ou
08:58 une épidémie.
08:59 Et donc je pense qu'on est à ce point de rupture.
09:00 Pour lutter contre les inégalités, il faudrait, dites-vous, une grande réforme fiscale.
09:07 Comment avez-vous apprécié depuis six ans et l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron
09:11 le fait qu'il n'ait pas choisi cette voie-là ? Il a choisi de baisser les impôts, c'était
09:15 ça qu'il voulait faire.
09:16 Baisser les impôts pour les plus riches mais aussi pour les classes moyennes.
09:19 Baisser les impôts, abolir l'ISF pour en faire un IFI.
09:24 La flat tax, etc.
09:26 Pour vous, c'était une erreur de faire ça ?
09:28 Non, mais ce qui a été fait en matière fiscale depuis des années, ça ne relève
09:34 pas de la dernière décennie, c'est au regard de ce dont nous parlons, la situation de la
09:41 société de l'inégalité, ça me paraît dérisoire.
09:43 Et donc je pense qu'il faut aujourd'hui inventer, c'est ça que j'appelle la lumière,
09:47 c'est une nouvelle société, on peut l'appeler comme on veut, une société du possible,
09:51 une société du partage, dans laquelle on redistribue plus en effet, et ça, ça passe
09:55 notamment par une réforme fiscale, et on distribue plus tout court.
09:59 Et il y a des éléments, je les évoque dans le livre, ce que j'appelle les pistes collectives,
10:05 pour le faire, ces éléments, c'est jouer, utiliser plus la dette, faire plus de création
10:10 monétaire et ne pas avoir peur...
10:11 Plus de dette ? On est déjà à 3 000 milliards de dette pour vous, c'est rien ?
10:14 Je m'attendais à cette réaction effarouchée.
10:17 Effectivement, on est à des niveaux de dette très élevés, c'est-à-dire 3 000 milliards
10:20 de dette, je parle de la dette publique française, ce qui doit représenter à peu près 110%
10:23 du PIB, mais en réalité, que voulez-vous faire face à cette dette ? Est-ce qu'on
10:28 doit être prisonnier des politiques d'austérité et rester les bras ballants de manière fataliste
10:34 comme ça ? Ma réponse à moi, c'est non.
10:35 Est-ce qu'il est possible de faire quelque chose ? Ma réponse à moi, c'est oui.
10:38 Alors qu'est-ce qu'il faut faire ? Je vous donne deux pistes, deux exemples.
10:42 Premier exemple, une part très importante de la dette publique française, et alors
10:46 pardon de ce couloir technique que je vais faire, je vous promets qu'il ne sera pas
10:50 long, une partie importante de la dette publique française, de l'ordre d'un tiers, est
10:53 détenue par la Banque Centrale Européenne et la Banque de France.
10:56 Ce que je dis, c'est que cette dette, elle pourrait très facilement être annulée
11:01 sans aucun effet négatif, j'entends, sur économie ou financier.
11:08 Absolument aucun effet.
11:09 La seule chose que vous constateriez, c'est soit une perte de la Banque Centrale, au sens
11:14 comptable du terme, soit des fonds propres négatifs.
11:16 Et alors ? La belle affaire ! La Banque Centrale Européenne, la Banque de France, elle appartient
11:20 à l'Etat, c'est-à-dire à vous et à moi.
11:22 Quelle est l'importance de constater une perte dans les comptes de la Banque Centrale ?
11:25 Rien, zéro.
11:26 Il suffit de faire plus de création monétaire.
11:28 Mais c'est aussi simple que ça, c'est-à-dire qu'on peut prendre l'ardoise des dettes
11:31 et la supprimer, faire ardoise magique et c'est bon.
11:34 Et ensuite imprimer des billets.
11:35 Alors, il faut éviter toute caricature, donc je dis qu'une partie, je ne dis pas ça
11:39 pour vous, naturellement, mais je dis, pour être sérieux sur ces sujets sérieux, qu'une
11:45 partie de la dette publique détenue par la Banque Centrale peut être supprimée.
11:49 Et je pense en effet, et je pense en effet, qu'on peut créer plus de monnaie.
11:53 Pourquoi faire ? Vous allez me dire.
11:55 Pour deux choses.
11:56 D'abord, financer des grands programmes d'investissement, par exemple pour la transition énergétique,
12:00 pour le climat ou pour construire des écoles ou des hôpitaux, d'une part.
12:04 Et pour d'autre part, distribuer un revenu minimum.
12:07 J'aurais à dire une chose, c'est ce qui a été fait pendant la crise du Covid.
12:10 Ça n'a jamais été dit, mais c'est ce qui a été fait.
12:12 Le fameux « quoi qu'il en coûte », les centaines de milliards qui ont été déversés
12:15 sur l'économie française, ils ont été, en réalité, il faut bien le comprendre,
12:20 financés non pas par de la dette, mais par de la création monétaire.
12:23 Et donc ce qui a été fait pendant la crise du Covid peut continuer à être fait aujourd'hui.
12:27 Sauf que chaque année, on rembourse 74 milliards d'intérêts de la dette.
12:32 Oui, une partie de ces intérêts vont à la Banque Centrale, c'est-à-dire à vous-même.
12:35 À nouveau, on pourrait annuler une partie de cette dette sans impact macroéconomique.
12:38 Est-ce qu'il faut taxer davantage les super profits, les très très riches, comme le
12:42 disent certains, ou c'est une fausse bonne idée ?
12:44 Comme répond Bruno Le Maire, par exemple.
12:46 Il y a deux sujets différents.
12:47 Il y a les super profits et les super riches.
12:49 Bon, alors, démarrons par les super profits.
12:50 Je l'ai dit, je pense que le point, c'est pas… il ne faut pas pénaliser le profit,
12:55 il ne faut pas pénaliser le risque.
12:56 Il faut pénaliser la rente, toute ce qui est situation acquise.
12:59 D'ailleurs, c'est vrai des profits comme c'est vrai des plus riches.
13:01 Dans le cas des profits, moi je dis, ce qu'il faut pénaliser, c'est la part excessive
13:07 qui revient aux actionnaires de ces entreprises, c'est-à-dire les super dividendes.
13:10 Et on est en train de s'orienter vers une solution de ce type, qui est d'aller taxer
13:13 les super dividendes, c'est-à-dire un excès de distribution des profits vers les actionnaires
13:17 au détriment des salariés.
13:19 S'agissant des super riches, je fais la même distinction.
13:21 Je pense qu'il faut favoriser toujours la prise de risque lorsque le capital est employé
13:27 pour l'économie productive, pour l'économie nationale, est taxé, et ne pas hésiter à
13:31 taxer fortement le capital immobile.
13:33 Et donc, s'il y a un impôt à créer, ce serait l'IFI, mais l'impôt sur la fortune
13:37 immobile, c'est-à-dire le capital qui est placé dans des six caves ou des produits
13:42 monétaires je ne sais où en dehors de France, et à l'inverse, encourager le placement
13:47 ici en France.
13:48 Vous parlez, Mathieu Pigasse, de crise démocratique, avec des propos qui rappellent ceux de l'historien
13:54 Pierre-Rosan Vallon pendant la réforme des retraites.
13:57 Vous êtes très dur.
13:58 Incompétence, mais aussi irresponsabilité quand au sommet de l'État, on nous promet
14:03 de laver toujours plus blanc.
14:04 Autant de présidents que de promesses non tenues, des discours violents et clivants,
14:09 des postures de monarques d'un temps passé, des chefs de l'État qui semblent jouir
14:13 d'eux-mêmes de leur position et de leur pouvoir.
14:15 C'est la malédiction des rois fainéants qui se poursuit.
14:18 Vous n'êtes pas un peu démago, là ? Ce n'est pas du populisme facile ?
14:22 Non, ce n'est pas du populisme, et surtout, je voudrais dire, il n'y a rien de personnel
14:28 là-dedans.
14:29 C'est un propos général, que je tiens d'ailleurs depuis pas mal d'années, que
14:33 j'avais déjà fait dans mes livres précédents, et qui porte sur les dérives que je vois
14:39 dans l'exercice du pouvoir, c'est-à-dire la jouissance du pouvoir, la jouissance des
14:43 attributs du pouvoir.
14:44 Et au fond, la leçon que j'en tire, c'est qu'il est temps de changer d'attitude.
14:47 Il est temps, je dis ça pour nos dirigeants, il est temps de repenser l'exercice du pouvoir
14:51 et probablement d'être plus modeste et plus simple.
14:55 Mais ça voudrait dire quoi ? Une 6ème République ? Ça voudrait dire casser le trop de pouvoir
15:00 aux chefs de l'État ?
15:01 Il y a à la fois, dans ce que je dis, une dimension personnelle, c'est-à-dire le
15:05 rapport au pouvoir, et donc avoir une attitude beaucoup plus simple et plus modeste.
15:09 Et puis en effet, il y a une dimension plus, disons, institutionnelle.
15:12 Et je pense qu'effectivement, il est temps probablement de faire évoluer nos institutions
15:16 et de mettre, j'allais dire, encore plus de démocratie.
15:19 Ce que j'appelle plus de démocratie, nous sommes évidemment dans une démocratie,
15:22 mais ce que j'appelle plus de démocratie, c'est plus de contrôle démocratique,
15:25 renforcer le pouvoir du Parlement en effet, et donner plus de pouvoir aux citoyens, à
15:29 travers par exemple des référendums ou des initiatives locales.
15:32 On va passer au Standard Inter où nous attend Adrien.
15:35 Adrien, bonjour.
15:36 Oui, allô, bonjour.
15:37 Bonjour Mathieu Pigas.
15:38 Bonjour.
15:39 Vous êtes donc propriétaire des nouvelles éditions indépendantes, qui comprennent
15:45 les Incorruptibles, Radio Nova, et vous êtes actionnaire du Monde et du Happy Toad Post.
15:49 Ma question, elle porte sur la concentration des médias.
15:51 Qu'est-ce qu'on peut faire contre les milliardaires qui collectionnent les médias comme les
15:56 cartes Pokémon et qui après en font des médias d'extrême droite, comme par exemple
16:02 Bolloré avec CNews et Europe 1 ?
16:05 Merci Adrien pour cette question.
16:07 Mathieu Pigas vous répond.
16:08 Oui, ça fait partie, d'abord merci en effet pour cette question, ça fait partie des sujets
16:13 que j'aborde dans mon livre.
16:15 La concentration des médias, qu'il s'agisse de la presse, de la télé ou de la radio,
16:19 entre les mains de quelques milliardaires.
16:21 Ce qu'il faut faire, je vais vous dire, c'est pour moi assez simple, c'est assurer absolument
16:27 l'indépendance des rédactions de ces médias, à nouveau.
16:30 Ce que vous avez fait au Monde.
16:31 Exactement, c'est ce que j'allais vous dire, c'est l'exemple, j'allais dire le contre-exemple,
16:35 mais au sens l'exemple, je dis ça sans arrogance aucune, mais c'est ce que l'on a fait avec
16:39 Xavier Niel et Pierre Berger au Monde.
16:42 On a assuré une indépendance absolue et totale, définitive et pérenne à la rédaction du
16:48 Monde.
16:49 D'ailleurs, le Monde, peu importe qui le détient, on peut aimer ou pas le Monde, mais
16:53 il y a une indépendance totale de sa rédaction par rapport à ses actionnaires.
16:57 Donc si demain la rédaction décide de mettre à sa tête, de voter ou pas pour un dirigeant
17:02 que vous ne cautionnez pas vous, actionnaire, c'est comme ça ?
17:06 Oui, c'est comme ça, c'est-à-dire qu'on a d'une part mis en place une charte d'indépendance
17:10 qui fait que nous ne pouvons pas intervenir.
17:11 Et d'ailleurs, depuis que nous avons pris ensemble le contrôle du journal Le Monde
17:15 en 2010, il n'y a eu aucune polémique, aucun bruit, rien, aucune intervention d'aucune
17:19 sorte.
17:20 En effet, le directeur de la rédaction doit être agréé par la rédaction elle-même,
17:25 l'ensemble des journalistes avec une majorité qualifiée qui est de deux tiers.
17:29 Tout changement d'actionnaire, d'ailleurs, doit être lui-même soumis à l'agrément
17:35 de la rédaction, de ce qu'on appelle le pôle d'indépendance.
17:37 Il y a tout un ensemble de règles qui assurent l'indépendance totale.
17:40 Et c'est pour moi la façon d'éviter, en effet, je reviens sur la question d'Adrien,
17:44 la dérive éditoriale d'un certain nombre de médias.
17:46 - Vous y voyez une dérive éditoriale ?
17:48 - Pour certains médias ?
17:49 - Oui.
17:50 - Oui.
17:51 - Pourquoi une dérive éditoriale ?
17:52 - Ce que j'appelle une dérive éditoriale, c'est le fait pour un média d'avoir une
17:57 ligne éditoriale à un instant donné, de changer de propriétaire, c'est-à-dire d'actionnaire,
18:02 et de voir cette ligne évoluer.
18:03 Je vais vous donner un exemple, parce qu'il faut quand même toujours rappeler les choses
18:06 par leur nom.
18:07 Vous regardez CNews, vous voyez bien l'évolution d'ailleurs récente de CNews.
18:11 Vous regardez, je suis désolé de citer une radio concurrente, mais je ne vais pas la
18:14 citer, une radio dont la couleur fétiche est le bleu.
18:16 Vous voyez bien l'évolution de cette radio.
18:18 - On peut la citer, Europe 1.
18:19 - On peut la citer, Europe 1.
18:20 Et vous regardez un journal du dimanche, qui d'ailleurs doit s'appeler le journal du dimanche,
18:23 et vous voyez l'évolution de sa ligne.
18:24 Et vous voyez au fond comment lorsqu'on ne garantit pas l'indépendance d'un média,
18:28 la ligne éditoriale de ce média peut bouger.
18:30 - Et ça c'est grave démocratiquement pour vous ? Ça pourrait être aussi, on peut décider
18:34 de changer de ligne éditoriale, non ? J'essaie de voir l'avocat du diable.
18:37 On pourrait décider que…
18:38 - Oui, d'ailleurs… - Oui, soyez surpris.
18:41 Mais c'est ainsi.
18:42 On pourrait dire que c'est aussi le sens de l'histoire, qu'il y ait des médias
18:47 pour des gens qui pensent comme cela.
18:50 - Vous avez raison.
18:51 - Et qui ne se retrouvent pas peut-être sur d'autres médias.
18:53 - Vous avez raison.
18:54 - On crée Fox News en France.
18:55 - Oui, on crée Fox News, et que après tout…
18:57 - Ça existe d'ailleurs, Fox News en France.
18:59 - Et après tout, voilà, ainsi va le sens de l'histoire aussi.
19:02 - Oui, ainsi va le sens de l'histoire.
19:03 - Avec une extrême droite qui ne cesse de monter, et au fond il y a des gens qui veulent
19:07 regarder ça.
19:08 - Maintenant, je pose la question…
19:09 - Oui, non, je pense que la clé absolue, c'est le pluralisme.
19:12 On a parlé de l'indépendance.
19:14 Moi, j'y suis farouchement attaché.
19:16 Mais le deuxième principe fondamental en matière de médias, c'est le pluralisme.
19:19 C'est de s'assurer qu'en effet, il peut bien évidemment y avoir des médias de droite
19:23 ou d'extrême droite qui répondent à un besoin, une nécessité, j'en sais rien.
19:27 Mais il doit y avoir en face des médias de gauche et d'extrême gauche.
19:30 Et pour ça, il faut s'assurer, notamment les financements, il faut qu'il y ait des
19:34 gens qui soient là pour soutenir ces médias.
19:37 - Manu, sur la paix d'inter, pour vous, le plus dangereux pour la France en 2027,
19:40 est-ce LFI de Mélenchon ou bien le Rassemblement National de Marine Le Pen ?
19:44 - Écoutez, moi je suis un homme de gauche revendiqué, assumé, vous le savez, depuis
19:51 toujours.
19:52 Le seul commentaire que je ferai, et je ne vais pas entrer dans un débat de politique
19:55 politicienne, c'est que je ne comprends plus, je ne reconnais plus une partie de la gauche
20:02 actuelle, dont cette gauche-là.
20:03 - Jean-Luc Mélenchon, vous avez dit que vous aviez voté pour lui au premier tour.
20:06 - Ma gauche à moi, elle est laïque, universaliste, ouverte et généreuse.
20:12 Et surtout, elle est capable, et d'ailleurs ce n'est pas être capable, c'est un devoir
20:16 de dire les choses, de nommer les choses.
20:18 Et je reviens sur cette polémique lamentable sur comment qualifier le Hamas.
20:26 Et je voudrais juste dire, lorsque l'on viole, lorsqu'on décapite des enfants, lorsqu'on
20:32 mutile, lorsqu'on brûle des gens à vif, lorsqu'on enlève et qu'on prend des otages
20:36 et qu'on massacre des civils, ça s'appelle un acte terroriste.
20:40 Ce sont des actes terroristes.
20:41 Le Hamas est une organisation terroriste.
20:43 Donc je pense qu'il faut condamner sans appel, il ne faut pas chercher à contextualiser
20:47 ou à expliquer.
20:49 Et donc là, j'ai un désaccord profond avec cette gauche-là.
20:55 - Myriam, sur l'application, n'êtes-vous pas un des acteurs du chaos du monde ? Et
21:01 pourquoi l'élite ne s'est-elle jamais intéressée à la question des inégalités ?
21:05 - Là aussi, j'aborde ce point des élites.
21:10 Dans mon livre, est-ce que j'appelle la faillite des élites ? D'ailleurs, les élites politiques,
21:15 bien évidemment, les élites économiques, je veux bien me mettre dedans pour une part,
21:18 les élites médiatiques.
21:19 - C'est pour nous ça ?
21:21 - Ce n'est pas nécessairement pour vous, mais en tout cas pour d'autres.
21:25 Et moi, ce que j'essaye de faire, je l'ai dit, je suis en effet un acteur du système.
21:30 Je ne cherche pas à le cacher, je dis juste que parce que je suis dans ce système, je
21:33 vois comment il fonctionne et qu'on peut le corriger.
21:35 Et donc notre devoir à tous, c'est de voir le chaos en effet.
21:38 Parfois, on est responsable en partie de ce chaos, mais d'essayer d'en dégager la lumière
21:44 et d'essayer de corriger les choses.
21:45 Et corriger les choses, on n'a pas eu le temps d'en parler là, mais c'est à la fois effectivement
21:50 ce que j'ai dit sur la dimension collective, mais aussi ça commence par soi-même, je
21:53 crois.
21:54 La meilleure façon au fond d'être ensemble et de retrouver du sens collectif, c'est d'être
21:58 soi.
21:59 - Mathieu Piguet, sur l'appli d'Inter, bien d'accord avec vous, présentez-vous aux élections
22:02 et essayez de convaincre vos amis.
22:03 Julia, sur l'appli d'Inter, Mathieu Piguet se présente-t-il en politique ? Entre-t-il
22:08 en politique ?
22:09 - Non, question claire, réponse claire.
22:12 Je ne suis pas candidat et je ne suis candidat à rien.
22:15 La seule chose que j'essaye de faire, c'est, fort des expériences qui sont les miennes,
22:20 dans les différentes activités qui sont les miennes, j'essaye de porter et partager des
22:24 idées.
22:25 Et ce livre est une façon pour moi de partager des idées.
22:28 Si certains peuvent les reprendre, tant mieux.
22:29 - Boris Pigasse, le nouveau Macron, mais de gauche.
22:33 Laurence, pourquoi n'êtes-vous pas ministre de l'économie ?
22:35 Ça continue, toujours sur l'appli d'Inter.
22:37 - Non, mais je viens de répondre.
22:39 Je n'ai pas d'ambition politique, je n'ai aucune envie.
22:42 En fait, moi, j'ai choisi un chemin de vie différent, si vous voulez.
22:46 Je fais des choses qui me passionnent et qui sont ma façon à moi de donner du sens.
22:50 Alors ça va en effet de la finance à l'organisation du sauvetage du monde en 2010.
22:56 Je parle du journal avec Pierre Berger et Xavier Niel.
23:00 Ça passe par l'organisation de festivals de rock, on en a parlé.
23:03 C'est ma façon à moi de donner du sens, c'est ce qui me passionne.
23:06 Et c'est comme ça aussi qu'on peut modestement faire changer les choses.
23:08 - Merci d'avoir été à notre micro ce matin.
23:13 La lumière du chaos pour une société du possible est publiée aux éditions de l'Observatoire.
23:18 Merci encore.
23:19 Il est 8h47.

Recommandations