Quatre jurés du prix Victor Rossel expliquent pourquoi ils ont aimé les cinq livres finalistes

  • l’année dernière
Ce fut une soirée de délibération difficile pour les neuf jurés du prix Victor Rossel. D’abord, il y avait près de cent livres à examiner, la production était abondante cette année. Ensuite, il y avait beaucoup de bons livres à départager. Difficile mais, n’ayez crainte, s’il y a eu des controverses et des débats, tout s’est passé dans la meilleure des ambiances, dans le respect des avis de chacun, dans l’honnêteté et dans l’indépendance la plus totale. C’est que, comme l’a dit une des jurées, « on a parfois l’impression qu’on n’a pas lu le même livre ».
Vous savez comment cela se passe : le jury élimine, gratte, ôte pour ne rester qu’avec la crème de la crème. Et là encore, il a fallu argumenter, débattre, parfois accepter que le titre qu’on défend ne recueille pas la majorité. Mais c’est bien pour cela que les jurés sont neuf : Michel Lambert, Jean-Luc Outers, Ariane Le Fort, Thomas Gunzig, Caroline De Mulder, Hedwige Jeanmart, tous précédents lauréats du prix Rossel, plus le signataire de ces lignes, responsable des Livres du Soir, plus deux libraires : Julie Fraiture, de Livre aux trésors à Liège, et Xavier De Ridder de Bleu d’encre à Uccle.
Des arguments sont lancés : « Un regard sensible sur notre humanité » ; « J’ai relu certains passages qui me bouleversent » ; « Cela m’est tombé des mains » ; « J’ai beaucoup aimé le sujet, l’enquête, ce qui m’agace c’est que l’auteur se mette en scène » ; « L’écriture en vers donne du rythme au récit, elle n’est pas gratuite » ; « Tous les thèmes en vogue y sont repris, pitié ! », « Des nouvelles jouissives » ; « Un objet curieux » ; « C’est un livre qui s’enlise » ; « On sent le plaisir de raconter »… Au fur et à mesure des discussions, cinq livres se sont, parfois difficilement, imposés.
Transcription
00:00 Je vous parle du roman d'Antoine Hauters "Le plus court chemin" paru aux éditions
00:14 Verdier. Dans ce roman, Antoine Hauters remonte le fil des souvenirs et revient dans son village
00:20 d'enfance, là où il a grandi, mais aussi là où il a découvert les mots et l'écriture.
00:27 C'est un plein de petits fragments. Il va nous emmener avec lui dans son enfance,
00:38 mais vraiment dans tout ce qu'il a formé en tant qu'écrivain et en tant qu'auteur.
00:43 On alterne des souvenirs très précis et des réflexions sur l'écriture qui sont,
00:49 à mon sens, très fortes et très puissantes. C'est un roman qui est dans le dépouillement.
00:56 On retrouve tout le talent et toute la finesse d'Antoine Hauters. Il s'est élagué de plein
01:03 de choses et ça en fait un texte très percutant. Ce côté autobiographique et très personnel,
01:11 en fait, on arrive à toucher à l'universel. C'est ce qui en fait un texte très fort.
01:16 "Baisse ton sourire" de Christophe Levaux. Alors, c'est un livre sombre, violent, mais
01:26 écrit avec un style absolument extraordinaire. On suit la descente aux enfers d'un couple,
01:35 en tout cas un couple vu par les yeux d'un homme qui va s'avérer violent. Mais la manière
01:43 dont tout ça est écrit, la mécanique de l'installation progressive de la violence
01:48 et d'écrit, c'est vraiment extrêmement intelligent et surtout, c'est une écriture
01:55 qui est singulière, charnelle, drôle, sombre. Il y a un imaginaire lexical et à la fois
02:05 de situation. C'est un livre qu'on n'oublie pas, qu'on ne lâche pas, qu'on lit d'une
02:13 traite et presque sur une seule respiration. Un livre absolument fou.
02:19 C'est "Rouge esterne" d'Isabelle Wehry, "Au diable vos vers". Alors ça, c'est un roman
02:24 à l'imagination débridante. C'est une dame âgée, l'ancêtre, la vieille, qui
02:32 arrive dans un tout petit village d'Andalousie et qui rencontre des personnages qui s'appellent
02:39 le chat et puis le chien. Il y a aussi une girafe, ou plutôt une fille-girafe. Il y
02:47 a des tas de Chinois qui viennent voir des hypnotiseurs, des magiciens qui viennent assister
02:59 à des choses extraordinaires, mises en place par le chat d'ailleurs. Il y a des recherches
03:05 de crimes, il y a des déguisements en cheval. Il y a de tout pour pouvoir permettre aux
03:14 lecteurs de rêver, de s'imaginer dans ce désert espagnol, andalou, où se sont tournés
03:20 plein de films, où il y a encore des vieux villages westerns où peut-être se sont installés
03:27 Clint Eastwood dans le temps et d'autres stars du moment. Et voilà un bouquin qui
03:33 vraiment fait appel à l'imagination. Isabelle Ury nous a habitués à ça. On est dans une
03:40 version complètement déjantée du roman. Ses aventures picaresques, drôles, mais aussi
03:48 profondes parce qu'on parle beaucoup de féminisme, d'écologie, etc. Mais en sous-main, comme
03:53 ça, presque sans vouloir le dire, nous plaisent beaucoup. Et c'est un bouquin qui m'a vraiment
03:58 beaucoup bouleversé, fait rire et ému. Je vais vous parler de Jacques Richard, La
04:06 course. Jacques Richard, c'est un bel écrivain. Celui-ci, ce que j'aime beaucoup dans ce
04:11 livre, c'est vraiment l'atmosphère des années 50. Une atmosphère un peu Jacques
04:16 Braylien, on va dire. Et tous ces personnages, ils ne sont pas nombreux, ils sont quatre.
04:23 Ces personnages sont à la fois étriqués et très grands. Et c'est intéressant parce
04:28 qu'on s'attache terriblement à eux tout en n'ayant aucun jugement moral sur leur
04:33 manière de fonctionner dans un sens, dans l'autre. Je ne raconterai pas ce qui s'y
04:37 passe, mais j'adore la maturité du regard de Jacques Richard. J'adore la manière dont
04:42 il exprime les rapports de force de ses personnages, la manière dont on sent qu'il pourrait se
04:48 passer des choses que les personnages n'ignorent pas, mais qu'ils ne vont jamais dire à voix
04:54 haute. Alors, je vais vous parler du texte Relation d'Alexis Alvarez, qui est une histoire
05:04 toute simple en apparence, c'est à dire l'histoire d'une rupture. On est dans l'esprit d'un
05:11 protagoniste qui s'est fait quitter et qui va raconter les souvenirs qu'il a de l'être
05:18 aimé. C'est absolument merveilleux. C'est un bijou finement ouvragé. C'est drôle,
05:26 c'est tragique, c'est intelligent. C'est une collection d'images déchirantes qui
05:32 m'a vraiment retourné le cœur. C'est un livre absolument merveilleux.
05:39 Le soir, repensons notre quotidien.

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