"Les Français ne sont pas flemmards" Bruno Palier, politiste et co-auteur d'un ouvrage sur le travail

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Transcript
00:00 *Générique*
00:04 Bonsoir à toutes et à tous, que sait-on du travail ?
00:07 Nous tentons ce soir de répondre à cette question avec notre invité, bonsoir Bruno Pallier.
00:11 Bonsoir.
00:12 Politiste, directeur de recherche CNRS au Centre d'études européennes et de politique comparée à Sciences Po,
00:18 que sait-on du travail ? C'est le titre de l'ouvrage signé par un collectif de 60 chercheurs que vous pilotez,
00:24 publié aux presses de Sciences Po en collaboration avec Le Monde.
00:27 Qu'est-ce qui a motivé ce projet ? Parce que je vous ai entendu dire, la raison d'être de ce livre, c'est qu'on parle enfin du travail.
00:33 Écoutez, pendant très longtemps, quand on parlait de ces questions, on parlait plutôt d'emploi et plutôt de chômage,
00:40 sans rentrer dans le détail des conditions de travail, des contrats de travail, des difficultés, des risques psychosociaux,
00:47 de l'organisation du travail. Voilà, des thèmes qui étaient un peu passés sous le boisseau,
00:51 au nom de la préservation des emplois, aussi bien du côté des employeurs, des salariés que des politiques publiques.
00:57 Voilà, avec la baisse du chômage, avec les évolutions démographiques, on a une taille de la population active qui se réduit,
01:04 on a de plus en plus de métiers en tension et du coup, on commence à regarder les rémunérations, les conditions de travail
01:09 et on voit quelque part que les salariés relèvent la tête. On peut dire que ça, c'est la tendance un peu structurelle.
01:16 Il y en a une plus récente, c'est au cours de la mobilisation sur la réforme des retraites.
01:21 Très clairement, les Français ont dit "il est hors de question pour moi de devoir travailler dans ces conditions".
01:27 Alors, l'ouvrage est divisé en plusieurs grands chapitres, conditions de travail, santé au travail et sens du travail,
01:32 situation dégradée, les effets de la digitalisation sur le travail, les défis des inégalités et des discriminations
01:38 et au cœur des métiers essentiels, un déficit de reconnaissance. Je voudrais qu'on parle spécifiquement de cette partie.
01:44 Vous parlez des métiers du nettoyage, du vieillissement, des assistantes maternelles.
01:48 Je le fais au féminin parce que ce sont des professions où il y a beaucoup de femmes et des professions invisibilisées souvent.
01:53 Donc pourquoi on utilise cette terminologie d'essentiel ?
01:56 Parce que ce sont les personnes qui, pendant le Covid, sont apparues comme tout à fait essentielles,
02:00 puisque ce sont les personnes qui ont dû sortir de chez elles pour aller travailler à l'hôpital, dans le secteur de la santé,
02:06 dans le secteur du nettoyage, dans le secteur de la sécurité, dans le secteur de l'énergie, de l'eau, dans l'agriculture aussi,
02:12 mais aussi beaucoup dans le secteur des aides à domicile, du soutien aux autres, de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, des personnes handicapées, etc.
02:21 Il y a eu une mise en lumière avec le Covid, mais pourtant...
02:24 Il y a eu une mise en lumière, on les a applaudies à 20h et pourtant, bien que ce soit 30% des emplois,
02:31 on s'aperçoit que ce sont des emplois où on va trouver une concentration de précarité, de contrats à durée déterminée, de temps partiel subi,
02:39 c'est-à-dire que les gens voudraient pouvoir travailler plus longtemps.
02:42 Sur ce temps partiel, il faut savoir que pour beaucoup de ces métiers,
02:44 elles ne sont rémunérées que quand elles font leur tâche, mais pas pour se rendre d'un domicile à un autre,
02:49 pas pour, on parle des assistantes maternelles pour nettoyer la maison, faire les courses, préparer à manger pour les enfants, faire les comptes, tout ça, ce n'est pas rémunéré.
02:56 Et donc, en fait, on s'aperçoit que souvent dans ces métiers, ce que l'on croit être du temps partiel,
03:00 c'est de la rémunération partielle pour un temps plein consacré à ces activités.
03:05 Vous le disiez, c'est des emplois principalement féminins.
03:09 C'est des emplois qui sont en fait très souvent dévalorisés dans notre société,
03:13 puisqu'on considère qu'il n'y a pas forcément beaucoup de qualifications nécessaires et qui, pourtant, sont au cœur de la survie de notre société.
03:22 C'est le soin aux autres. Elles ont été essentielles pendant le Covid.
03:25 Elles ne sont pas reconnues ni dans les rémunérations, ni dans les débats.
03:29 Et c'est pourquoi on a voulu consacrer beaucoup de chapitres sur les essentiels.
03:32 Depuis le Covid, notamment, notre rapport au travail a changé.
03:37 Je crois qu'il a changé à différents titres depuis le Covid.
03:41 D'abord, il y a eu la découverte qu'on pouvait travailler à distance.
03:45 C'était déjà un petit peu le cas, mais ça s'est fortement accéléré.
03:48 Vous savez, ça a posé une question après le Covid, du retour à l'entreprise.
03:53 Ça a posé des questions pour les managers, pour les RH, de savoir réorganiser tout ça,
03:56 mais pour les salariés aussi de demander de pouvoir disposer de son temps,
04:01 de pouvoir organiser soi-même son temps.
04:03 Donc ça, c'est le rapport au temps de travail, de l'organisation du travail,
04:07 d'essentiel-présentiel, mais aussi l'organisation du temps.
04:09 C'est une des premières choses.
04:10 La deuxième, c'est le rapport au sens du travail.
04:13 Il y a eu un moment de prise de distance, soit parce qu'on était à distance,
04:17 soit parce qu'on s'est arrêté de travailler, soit parce qu'on était essentiel.
04:19 On s'est dit, tiens, je suis essentiel. Ils le comprennent enfin.
04:23 Et ça pose la question de savoir quelles sont les finalités de ma fonction
04:27 dans l'entreprise, dans le service, mais aussi les finalités de l'ensemble de mon service
04:31 ou de mon entreprise.
04:32 Donc la question du sens du travail, c'est reposer à nouveaux frais.
04:36 - Comment vous définiriez le rapport des Français ?
04:39 Et alors, il y en a des millions de Français au travail.
04:41 - Alors évidemment, on ne peut pas le décrire. - Bien sûr, ce n'est pas un monolithe.
04:44 - Mais il y a quand même des caractéristiques que l'on peut retracer
04:47 à partir d'études d'opinion, etc.
04:49 Et c'est ce que fait Dominique Médin et Maël Hésique-Bijud dans leur chapitre.
04:53 Et ce qu'elles montrent, c'est qu'il y a un fort attachement au travail des Français.
04:56 Ça, c'est le paradoxe par rapport à ce qu'on a pu dire.
04:59 Les Français ne veulent pas travailler.
05:00 C'est pour ça qu'ils font, qu'ils s'opposent à la réforme des retraitements.
05:02 Il y a un fort attachement.
05:04 Le travail est important pour les Français.
05:07 Ils participent beaucoup de la construction de leur identité, de ce qu'ils font.
05:10 Et il y a aussi une déception par rapport au travail, c'est-à-dire que vis-à-vis de toutes ces attentes,
05:15 on s'aperçoit qu'on a de moins en moins le temps.
05:18 Vous savez qu'il y a un autre ouvrage, et on ne parle pas là, mais sur le travail pressé,
05:23 un rapport au temps à la hâte qui fait qu'on n'a plus le temps de se donner à fond dans son travail.
05:29 Et pour le résumer en une formule, beaucoup de gens disent
05:32 « je n'ai pas le temps, je n'ai pas les moyens de faire bien mon travail ».
05:35 Et c'est cette déception-là qui, à la fois, signifie tout l'attachement
05:38 et le fait de se sentir pressurisé, de ne pas avoir les moyens.
05:42 Typiquement, une infirmière dans l'hôpital, mais on peut penser à beaucoup d'autres professions.
05:48 Elle va être difficile cette question, parce qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps
05:50 et qu'il fait plusieurs centaines de pages, votre ouvrage Que sait-on du travail.
05:53 Mais qu'est-ce que vous aimeriez qu'on en retienne ?
05:56 Moi, je pense qu'on en retient d'abord que les Français ne sont pas flémards,
05:59 mais qu'ils espèrent qu'il y ait une meilleure organisation du travail et plus de reconnaissance.
06:04 La deuxième chose, c'est que le bien-être au travail est un facteur de productivité.
06:08 La troisième chose, c'est que pour que le bien-être au travail se développe,
06:12 il est essentiel que l'on concilie la vie familiale et la vie professionnelle,
06:16 que l'on organise le travail, pas seulement en fonction des contraintes du service,
06:20 mais aussi de ses contraintes personnelles et surtout que l'on écoute les salariés,
06:24 qu'ils puissent participer à la définition de ses propres tâches,
06:27 mais aussi participer à la réflexion sur les objectifs du service de la démocratie en entreprise.
06:33 Sous une forme ou sur une autre, c'est un des messages majeurs de l'attente des salariés,
06:38 non pas pour mettre le bazar, non pas pour bloquer la production,
06:41 au contraire pour se sentir investi, reconnu et donc participer d'une productivité qualitative.
06:47 De la démocratie en entreprise. Merci beaucoup Bruno Pallier,
06:50 politiste, directeur de recherche CNRS au Centre d'études européennes à Sciences Po.
06:54 Je rappelle le titre de cet ouvrage, 60 chercheurs dont vous faites partie.
06:58 Que sait-on du travail au presse de Sciences Po et avec le monde ?
07:01 Merci d'avoir été notre invité ECO ce soir.
07:03 Merci beaucoup.
07:04 [Musique]

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