Chaque année, ce sont près de 20 000 personnes qui traversent illégalement la Manche dans le but de rejoindre le Royaume-Uni. Et l'année 2024 ne sera pas une exception, annonçant d'ores et déjà des chiffres records. À Calais, des migrants tentent cette traversée de tous les dangers, aux mains de passeurs peu scrupuleux. Qui porte la responsabilité des naufrages de migrants sur le chemin de l'exil ? Pour en discuter, Jean-Pierre Gratien reçoit le journaliste et réalisateur Julien Goudichaud, le directeur de l'Observatoire de l'Immigration et de la Démographie, Nicolas Pouvreau-Monti, et la journaliste du Monde, Julia Pascual. LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5 Suivez-nous sur les réseaux ! Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPThreads : https://www.threads.net/@lcp_anInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_anNewsletter : https://lcp.fr/newsletterRetrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/#LCP #documentaire #debat
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NewsTranscription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous dans Débat doc.
00:00:18Depuis la France, 20 000 personnes en moyenne
00:00:21parviennent à traverser la Manche pour rejoindre la Grande-Bretagne.
00:00:25Cette traversée, nous allons nous aussi la réaliser
00:00:28grâce au documentaire exclusif qui va suivre
00:00:30« Calais d'Ouvre, l'exil sans fin ».
00:00:32A Calais, son réalisateur, le journaliste Julien Goudichaud,
00:00:36a longuement enquêté, puis embarqué avec ceux qui risquent leur vie
00:00:39pour rallier illégalement l'Angleterre.
00:00:42Une traversée de tous les dangers,
00:00:44entièrement aux mains de passeurs peu scrupuleux.
00:00:47Je vous laisse découvrir ce film,
00:00:49puis Julien Goudichaud sera avec nous sur ce plateau,
00:00:52en compagnie du directeur de l'Observatoire de l'Immigration
00:00:55et de la démographie, Nicolas Pouvremontier,
00:00:58et de la journaliste Julia Pasquale.
00:01:00Avec eux, nous nous demanderons qui porte la responsabilité
00:01:04des naufrages de migrants sur le chemin de l'exil.
00:01:07Bon doc.
00:01:08Musique d'ambiance
00:01:10...
00:01:15-"Il y a sept ans, j'ai vu les tout premiers bateaux d'exilés
00:01:19quitter les plages des Hauts-de-France
00:01:21pour rejoindre l'Angleterre sur de minuscules embarcations.
00:01:26J'ai vu le phénomène exploser, les bateaux grandir
00:01:30et les départs clandestins se multiplier, en plein jour.
00:01:35Depuis, j'enquête sur cette frontière qui vaut de l'or aujourd'hui.
00:01:39La traversée est devenue un business entre les mains des trafiquants.
00:01:43...
00:01:54Comment s'organisent ces voyages ?
00:01:57Et qu'est-ce qui pousse ces dizaines de milliers d'hommes,
00:02:00de femmes et d'enfants à traverser coûte que coûte ?
00:02:03...
00:02:14...
00:02:25Sur la plage de Boulogne-sur-Mer,
00:02:27au milieu de l'insouciance de l'été...
00:02:32Une cinquantaine de personnes sont regroupées,
00:02:34toutes habillées, les pieds dans l'eau.
00:02:37Elles semblent attendre quelque chose.
00:02:44Des exilés que des policiers tentent de ramener sur le rivage.
00:02:48...
00:02:58Quand, soudain, un zodiac arrive.
00:03:02Avec à son bord des hommes qui finissent de le gonfler.
00:03:05...
00:03:10Sur la plage, avec moi,
00:03:11Olivier, de l'association Osmos 62.
00:03:15C'est une nouvelle méthode employée par les passeurs.
00:03:18On le voit de l'autre côté, là-bas.
00:03:20Il y a le zodiac qui est là-bas, avec 3 ou 4 personnes à bord.
00:03:24Il demande aux groupes d'aller dans l'eau, de se préparer.
00:03:27Comme ça, les policiers ne peuvent plus intervenir.
00:03:30Le bateau va venir les chercher quand ils auront démarré.
00:03:33...
00:03:37Pour les exilés les moins riches,
00:03:39les passeurs proposent se traverser sans gilet de sauvetage
00:03:42et avec plus de personnes à bord.
00:03:44Au lieu d'embarquer sur la plage, le rendez-vous est donné dans l'eau,
00:03:48là où la police a pour consigne de ne pas intervenir
00:03:50pour éviter les noyades.
00:03:52On appelle ça le taxi-boat.
00:03:54C'est la formule low-cost.
00:03:55Moins cher, mais encore plus risqué.
00:03:58...
00:04:06On vient d'arriver, on voulait juste se baigner.
00:04:09On se rend compte de la misère des gens.
00:04:11On entend les informations,
00:04:13mais on pensait pas vivre ça en direct.
00:04:15C'est dangereux pour eux, ils peuvent se noyer.
00:04:18On sait pas s'ils savent nager ou quoi.
00:04:20Oui, c'est un peu compliqué de voir ça.
00:04:22...
00:04:24Pour monter à bord, c'est la loi du plus fort,
00:04:27ou du plus riche.
00:04:28...
00:04:32Quand il n'y a pas assez de place,
00:04:34ceux qui ont le moins payé sont rejetés.
00:04:36...
00:04:41C'est inimaginable,
00:04:43tomber le bateau à plus de 50.
00:04:46Je suis née ici et je n'ai jamais vu ça.
00:04:49...
00:04:52La scène se passe juste à côté d'un cours de voile
00:04:55pour des enfants en vacances.
00:04:56...
00:04:59Les bras m'entombent, quoi.
00:05:01Là, il y a des femmes enceintes, des enfants.
00:05:04Mais qu'est-ce qu'on fait, quoi ?
00:05:06Pourquoi ? Pourquoi on en arrive là ?
00:05:08Pourquoi ces gens prennent tant de risques
00:05:10pour aller en Angleterre, en plus ?
00:05:12On va de nouveau vivre un nouveau drame.
00:05:15On va vivre un drame.
00:05:16...
00:05:18Le bateau s'en va enfin,
00:05:20en abandonnant une demi-douzaine de personnes.
00:05:22...
00:05:30Bon, putain, elle est toute mouillée.
00:05:33C'est pas vrai. C'est vrai ?
00:05:36...
00:05:39Attends.
00:05:40Vous voulez que je porte le sac ?
00:05:42Non ?
00:05:43OK.
00:05:45Fatima vient du Soudan.
00:05:47Ses deux autres enfants partent seuls en 5 et 7 ans.
00:05:51...
00:05:54Là, derrière.
00:05:55Là.
00:05:56Cette dame ne veut pas partir
00:05:58parce que ses deux enfants ont réussi à monter sur le bateau
00:06:01et pas elle. Elle a été jetée par les autres
00:06:04parce qu'il y avait trop de monde sur le bateau.
00:06:06Donc, cette dame ne veut pas quitter la plage
00:06:09sans savoir ce que ses enfants deviennent.
00:06:11...
00:06:22Les membres de l'association distribuent eau,
00:06:25nourriture et vêtements secs aux exilés.
00:06:27...
00:06:31Il me faut la deuxième chaussure, loulou.
00:06:33Deuxième chaussure, comme ça.
00:06:35Attends, attends, attends.
00:06:37Voilà.
00:06:38Ils ont donné toute leur économie dans ce voyage
00:06:41et là, pour l'instant, ils viennent d'échouer.
00:06:43Donc, ils sont vraiment, vraiment à bout de force.
00:06:46Et donc, juste par tendre un biscuit,
00:06:48tendre un gobelet de thé, ça les réconforte.
00:06:52Et puis, on arrive à décrocher un petit sourire,
00:06:55mais ils sont exténués.
00:06:57Privés de ses enfants, Fatima s'écroule.
00:07:01...
00:07:05Dani décide
00:07:06d'accompagner la mère de famille au secours catholique,
00:07:09un centre d'accueil situé à 40 km de là.
00:07:12...
00:07:18Il y a bien sûr le train qu'elle peut attendre,
00:07:20mais qu'il faut qu'elle paye normalement,
00:07:22qu'elle peut attendre à la gare de Calais,
00:07:25faire 3 à 4 km à pied avec son petit bout.
00:07:28Le but de l'assaut, c'est d'aider les gens.
00:07:32On n'a pas du tout de voiture pour l'assaut.
00:07:35Au même titre que la boisson, la nourriture qu'on offre à ces personnes.
00:07:40C'est les bénévoles qui achètent tout et qui mettent le carburant eux-mêmes.
00:07:45Il y a tellement de manquements au niveau des institutions et de l'Etat
00:07:49que je pense que c'est aux citoyens lambda,
00:07:52s'il a envie d'aider un peu et de tendre la main.
00:07:54...
00:07:59Le lendemain, Fatima a pu monter dans un nouveau bateau
00:08:02et rejoindre ses enfants en Angleterre.
00:08:05...
00:08:10Dany et Olivier, eux, sont toujours sur le qui-vive.
00:08:14...
00:08:15Il y a deux départs.
00:08:17Il y a un bateau qui stagne le long de la côte,
00:08:19il y en a un qui essaie de partir, mais le policier se rapproche.
00:08:23Il court, il court, les gendarmes, on regarde.
00:08:26...
00:08:28Quand ils constatent un départ de bateau,
00:08:30ils préviennent le creuse-grinée,
00:08:32qui assure la surveillance et les sauvetages en mer.
00:08:35Non, non, en fait, il y en a trois.
00:08:37Il y en a un qui est très au large.
00:08:40Là, on n'en voit plus que deux. Au début, on en voit... Voilà.
00:08:45Il y en a trois au total,
00:08:46il en reste deux à la pointe aux oies et le troisième est vraiment au large.
00:08:50...
00:08:56Maintenant, ils vont être accompagnés.
00:08:58S'il leur arrivait quelque chose en pleine mer,
00:09:00une panne de moteur, une avarie ou quoi que ce soit,
00:09:04là, on voit, il y a l'abeille qui approche
00:09:06et qui, en fait, va accompagner les zodiaques
00:09:09jusque dans les eaux anglaises.
00:09:12Voilà, et de l'autre côté, ils seront interceptés
00:09:15ou accueillis par nos amis anglais, quoi.
00:09:18Nous, on nous reproche souvent aux assauts de dire
00:09:21que c'est de leur faute s'ils traversent,
00:09:23c'est eux qui mettent en danger.
00:09:25Pas du tout, on fait d'abord de la prévention,
00:09:27on sait que c'est dangereux, on leur explique.
00:09:29C'est leur but ultime et leur espoir d'une vie meilleure.
00:09:34Rien ne les dissuade de passer même le danger.
00:09:36Ils le savent, quand on parle de la police, de la mer,
00:09:40de l'avion qui les détecte, rien ne les arrête.
00:09:47Sur la plage, les policiers ont interpellé trois personnes.
00:09:51Il s'agit peut-être des petites mains des passeurs,
00:09:55ceux qui oeuvrent à la mise à l'eau du bateau.
00:09:59Dans le jargon, on appelle ça le staff.
00:10:02Ce sont souvent des exilés recrutés dans les camps.
00:10:07L'un d'eux a accepté de nous expliquer son rôle.
00:10:11Un rasé kurd-iranien.
00:10:18Quand je suis arrivé en France,
00:10:20j'ai payé un passeur qui devait m'envoyer en Angleterre,
00:10:23mais il m'a volé tout mon argent.
00:10:27C'est pour cette raison que je me suis mis à travailler
00:10:30pour un autre passeur.
00:10:32En échange, il a promis de m'envoyer en Angleterre.
00:10:36Après avoir envoyé dix bateaux,
00:10:38il pourra faire la traversée à son tour,
00:10:40si le passeur tient parole.
00:10:44En attendant, dès que la mer est calme et qu'un départ est possible,
00:10:48le chef de réseau appelle la rase.
00:10:54Nous devons amener les passagers par petits groupes
00:10:56sur le lieu d'embarquement.
00:10:58Nous leur demandons de rester calmes,
00:11:00et s'ils n'obéissent pas, nous les menaçons.
00:11:02Ensuite, je dois m'arranger avec le livreur
00:11:05pour fixer l'heure et le lieu de livraison du bateau.
00:11:13Ce qui est le plus difficile à gérer, c'est le stress,
00:11:16quand tu montes un bateau rapidement.
00:11:19La police peut arriver à tout moment,
00:11:21et tu peux faire des erreurs.
00:11:26Quand une patrouilleuse est en danger,
00:11:28elle est obligée de faire des erreurs.
00:11:31Quand une patrouille surprend la Seine,
00:11:33elle transperce le zodiaque à coups de couteau
00:11:36pour qu'il ne puisse plus servir.
00:11:47Il y a des plages où il faut plus de six personnes
00:11:50pour assurer la sécurité et surveiller les environs.
00:11:53Quand le montage du bateau est fini,
00:11:55ce sont les voyageurs eux-mêmes qui le mettent à l'eau.
00:11:58Ensuite, je rentre à mon tour dans l'eau
00:12:01et je dois attacher le moteur et le mettre en route.
00:12:19On parle toujours violemment aux passagers.
00:12:22Il arrive même qu'on doive les frapper.
00:12:29Vous vous demandez
00:12:30si vous n'avez pas fait monter trop de monde dans le bateau,
00:12:33qu'il pourrait alors se casser et perdre des passagers en pleine mer.
00:12:40Les hommes debout sont ceux qui décident qui peut monter
00:12:43ou qui va rester en France.
00:12:59En règle générale,
00:13:00celui qui est chassé fera partie de la traversée suivante.
00:13:07Quand c'est fini, nous envoyons le bateau en mer.
00:13:10Je confie la conduite du bateau à quelqu'un qui n'a pas d'argent
00:13:14mais qui sait manœuvrer.
00:13:15Et il part.
00:13:16Il est en train d'envoyer le bateau en mer.
00:13:19Il est en train d'envoyer le bateau en mer.
00:13:22Il est en train d'envoyer le bateau en mer.
00:13:24Il est en train d'envoyer le bateau en mer.
00:13:27Avec un bateau de 4 ou 5 mètres,
00:13:29un passeur fait presque 70 000 euros.
00:13:35Ceux qui comment à Aras sont tout en bas de l'échelle
00:13:38ne gagnent que quelques centaines d'euros
00:13:41par bateau envoyé.
00:13:44Ou bien une place à bord
00:13:45un jour sans payer.
00:13:48que quelques centaines d'euros par bateau envoyé ou bien une place à bord un jour sans payer
00:13:55les passeurs ne se déplacent jamais sur les lieux d'embarquement
00:14:02ils sont en france en allemagne en belgique aux pays bas ou même en iran
00:14:10ils sont installés et contrôlent tout depuis chez eux
00:14:17ce sont les petites mains qui se font arrêter par la police
00:14:30pour organiser ce trafic ce passeur a des hommes de confiance sur place
00:14:34là aussi j'ai pu échanger avec l'un d'entre eux
00:14:39nous l'appellerons shervin il est kurde iranien et il travaille pour l'un des principaux passeurs
00:14:47du nord pas de calais après deux ans de discussion il a accepté que j'enregistre
00:14:53sa voix mais pas son image nous avons donc reconstitué l'interview
00:14:58la majorité des trafiquants est armé ils possèdent des revolvers des kalachnikovs
00:15:08si un passeur vole le passager d'un autre cela déclenche une guerre beaucoup de personnes ont
00:15:14perdu la vie il y a parfois des affrontements des fusillades tu dois te jeter par terre
00:15:21et ce sont les kurdes qui sont les plus forts partout à calais comme à dunkerque
00:15:27ils ne laissent personne d'autre venir travailler moi j'étais dans une mauvaise situation je
00:15:36devais envoyer de l'argent à ma famille c'est pour ça que j'ai commencé ce travail
00:15:43son rôle consiste à recruter des passagers il leur met à disposition une tente et de la
00:15:48nourriture le jour du départ il confie les exilés aux petites mains qui les emmènent
00:15:54sur les plages et les mène dans un bateau le prix de la traversée dépend de la nationalité
00:16:00les albanais payent entre 3 et 4000 euros les turcs 3000 3500 2500 euros c'est pareil
00:16:10pour les indiens les pakistanais les afghans les iraniens et les kurdes eux payent entre
00:16:171100 et 1500 euros les autres voyageurs payent approximativement les mêmes sommes
00:16:23pour le pilote du bateau le passage est gratuit on lui demande juste une preuve
00:16:34pour montrer qu'il sait piloter une vidéo ou quelque chose
00:16:37plus le nombre de personnes dans la jungle augmente plus les prix montent si le nombre
00:16:45de voyageurs diminue les prix baissent chervin lui touche 100 à 200 euros par passager monté à bord
00:16:55certains passeurs sont fous ils ne font pas payer cher mais ils augmentent le nombre de
00:17:01personnes dans les bateaux et en cas de naufrage si une seule personne perd la vie tout le monde
00:17:08quitte la zone quand tu envoies beaucoup de voyageurs tu gagnes leur confiance si tu ne
00:17:18surcharges pas les bateaux si tu respectes les gens ils t'appellent toi lorsqu'ils arrivent
00:17:25en grande bretagne par exemple ils conseillent à leurs amis en italie en iran ou ailleurs de
00:17:30m'appeler en leur disant que je suis un bon passeur et en leur donnant mon numéro de téléphone
00:17:36tout le monde voyage grâce à nous les passeurs si nous n'étions pas là personne ne pourrait voyager
00:17:46chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes franchissent la manche pour rejoindre
00:17:57l'angleterre pendant plus d'un an j'ai négocié avec des passeurs avec qui j'avais réussi à
00:18:05nouer des contacts et un jour l'un d'eux a accepté de me laisser monter à bord avec ma caméra
00:18:22j'ai été autorisé à filmer une fois sur la plage
00:18:35nous serons 52 entassés sur un zodiac prévu pour deux fois moins de personnes
00:19:35à peine parti les problèmes commencent
00:20:06on va voir quand il y a de l'eau
00:20:07on va voir quand il y a de l'eau
00:20:08on va voir quand il y a de l'eau
00:20:09on va voir quand il y a de l'eau
00:20:10on va voir quand il y a de l'eau
00:20:11on va voir quand il y a de l'eau
00:20:12on va voir quand il y a de l'eau
00:20:13on va voir quand il y a de l'eau
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00:20:15on va voir quand il y a de l'eau
00:20:16on va voir quand il y a de l'eau
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00:20:18on va voir quand il y a de l'eau
00:20:19on va voir quand il y a de l'eau
00:20:20on va voir quand il y a de l'eau
00:20:21on va voir quand il y a de l'eau
00:20:22on va voir quand il y a de l'eau
00:20:24Nous sommes partis depuis une heure.
00:20:30Le pilote se dirige vers les côtes anglaises
00:20:33à l'aide d'un simple téléphone portable.
00:20:41La moitié,
00:20:42c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:43la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:44la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:45la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:46la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:47la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:48la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:49la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:50la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:51la moitié, c'est-à-dire la ligne 2,
00:20:52c'est-à-dire la ligne de démarcation
00:20:53entre les eaux anglaises et françaises.
00:21:04Au petit matin,
00:21:05Je découvre un peu plus mes compagnons,
00:21:08que des hommes.
00:21:10À l'exception d'une femme et d'un enfant.
00:21:14Ils sont afghans,
00:21:15iraniens,
00:21:16albanais
00:21:17et kurd-irakiens.
00:21:19Ils fuient la misère,
00:21:20la guerre
00:21:21ou encore des dictatures politiques ou religieuses.
00:21:38Dans la Manche, le trafic est l'un des plus importants au monde.
00:21:42Le risque de collision est permanent.
00:21:51Un hélicoptère de la marine française nous a repérés,
00:21:54ce qui crée tout de suite une tension dans le bateau.
00:22:01Si nous appelons au secours trop tôt, nous serons ramenés du côté français.
00:22:13Certains déchirent leurs passeports,
00:22:15par peur d'être renvoyés dans leur pays s'ils sont identifiés.
00:22:22Le pilote du bateau se cache.
00:22:25S'il est reconnu, il risque la prison.
00:22:32Après trois heures de navigation, la mer devient houleuse.
00:22:52Un peu de gaz, c'est bon.
00:22:55Ils sont tous au-dessus du bateau.
00:22:58C'est une vallée.
00:23:21...
00:23:48Au bout de cinq heures,
00:23:50quelques passagers estiment grâce à leur téléphone
00:23:53que nous nous trouvons dans les eaux anglaises.
00:24:00Arsalan, un Iranien de 25 ans, appelle les secours.
00:24:03...
00:24:19La communication est constamment coupée.
00:24:22Il n'y a pas assez de réseau.
00:24:23...
00:24:51...
00:25:02...
00:25:20Quand enfin...
00:25:23...
00:25:34Nous sommes dans les eaux anglaises.
00:25:37Et un bateau britannique vient nous secourir.
00:25:39...
00:25:55Pour les sauveteurs, c'est un moment redouté.
00:25:58Celui où beaucoup d'exilés risquent de tomber et de se noyer.
00:26:01...
00:26:29...
00:26:48Sur le bateau de sauvetage, j'ai dû couper ma caméra.
00:26:54Et nous avons ensuite été séparés à notre arrivée sur le sol anglais.
00:26:58...
00:27:01Mes compagnons de voyage ont été pris en charge par le home office
00:27:05avant d'être relogés dans des petites chambres.
00:27:08...
00:27:11J'ai perdu le contact avec la plupart d'entre eux.
00:27:14A l'exception d'une petite dizaine.
00:27:16...
00:27:18Ironie de l'histoire, j'ai fait le chemin inverse dans le même ferry
00:27:22que nous avons croisé à l'allée.
00:27:24Pour 20 euros.
00:27:25L'embarcation de fortune qui nous a conduits au Royaume-Uni,
00:27:29elle, a rapporté presque 100 000 euros aux passeurs.
00:27:32...
00:27:34Qui sont ces personnes ?
00:27:36À qui profite tout cet argent ?
00:27:39J'ai repris l'enquête.
00:27:41...
00:27:45J'ai réussi à entrer en contact par téléphone
00:27:48avec un des chefs de réseau qui organisait à distance
00:27:51les départs pour l'Angleterre.
00:27:53...
00:27:55Bonjour, monsieur.
00:27:57Il prétend avoir arrêté cette activité depuis au moins un an.
00:28:01Aujourd'hui, il est au Royaume-Uni.
00:28:04...
00:28:06Combien de bateaux avez-vous renvoyés en Angleterre ?
00:28:09Entre 50 et 60.
00:28:12Je les payais à des prix élevés.
00:28:14J'envoyais des gens chercher les bateaux et je les faisais ensuite livrer.
00:28:18...
00:28:20Et en effet, sur toute la côte, dans les dunes,
00:28:22on retrouve les emballages des Zodiacs et de leurs moteurs.
00:28:26Tout est acheté sur Internet, en Chine.
00:28:32Est-ce que vous veniez sur les plages ou sur les camps ?
00:28:36J'ai toujours agi de loin.
00:28:38J'organisais tout par téléphone,
00:28:40j'indiquais à mes gars le lieu où ils devaient livrer le bateau.
00:28:43Je ne voyais jamais les passagers.
00:28:45...
00:28:49Beaucoup d'exilés travaillaient pour moi.
00:28:50J'embauchais les plus actifs,
00:28:52qui étaient originaires de la même région que moi.
00:28:58Comment est-ce que les passagers vous payaient ?
00:29:01L'argent était versé dans mon pays, en Iran.
00:29:03C'était mieux pour moi.
00:29:05Si je comprends bien, l'argent passe de compte à compte à l'étranger,
00:29:09et donc la police ne peut rien saisir.
00:29:12Oui, c'est exact.
00:29:14Et combien est-ce que vous avez gagné ?
00:29:17Je préfère ne pas vous le dire.
00:29:18Je n'aime pas parler de ça.
00:29:21Comment est-ce que les territoires étaient répartis ?
00:29:24Certaines plages sont aux mains des Iraniens,
00:29:27d'autres appartiennent aux Kurdes,
00:29:29et chacun doit respecter son territoire.
00:29:31Sinon, il y a des affrontements.
00:29:35On me contactait pour pouvoir utiliser ma plage.
00:29:38J'acceptais en échange d'une compensation financière.
00:29:43Lorsque tu as trop de voyageurs et que tu es débordé,
00:29:45tu peux les céder à un autre passeur.
00:29:47Et lorsque tu n'as pas suffisamment de voyageurs,
00:29:50tu peux en demander.
00:29:53On avait beaucoup d'échanges.
00:29:57Des bateaux qui viennent de Chine,
00:29:59de l'argent insaisissable qui circule à l'étranger,
00:30:02des plages aux mains de passeurs,
00:30:04et des passagers qu'on échange.
00:30:07Ces traversées sont réservées aux exilés les plus riches,
00:30:10ceux qui peuvent payer plus de 1000 euros.
00:30:12Ceux qui peuvent payer plus de 1000 euros.
00:30:43Les autres, les plus pauvres,
00:30:46croupissent dans des campements de fortune.
00:30:55Les fameuses jungles du Pas-de-Calais,
00:30:57que la police démantèle presque tous les jours.
00:31:01Ces exilés-là essayent aussi de passer en Angleterre,
00:31:04en prenant tous les risques.
00:31:13C'est le cas de Daba.
00:31:15Il est soudanais et il a 28 ans.
00:31:19La première fois que je le vois,
00:31:21c'est au Décathlon de Calais.
00:31:24Ce jour-là, je le remarque au rayon kayak,
00:31:26avec un autre homme.
00:31:28Intrigués,
00:31:30je les filme discrètement avec mon téléphone portable.
00:31:43Ils achètent un kayak.
00:31:45350 euros.
00:31:47Leurs dernières économies.
00:31:55Je comprends qu'ils veulent tenter la traversée en kayak.
00:32:00Une folie.
00:32:03Mais selon eux,
00:32:05des amis auraient déjà réussi ce type de traversée.
00:32:13Avec Daba,
00:32:15il y a son petit frère.
00:32:17Son nom est Anira,
00:32:19qu'il a rencontré dans la jungle.
00:32:21Deux d'entre eux ne savent même pas nager.
00:32:24Je vois bien qu'une mort certaine les attend.
00:32:28À ce moment-là,
00:32:30avec son petit frère,
00:32:32il est temps de partir.
00:32:34Daba,
00:32:36son petit frère,
00:32:38son nom,
00:32:40à ce moment-là,
00:32:42avec une autre journaliste qui m'accompagne,
00:32:44nous faisons tout pour tenter de les dissuader.
00:32:47En vain.
00:32:49Alors nous décidons de les équiper de gilets de sauvetage.
00:33:03Juste à côté,
00:33:05d'autres candidats au départ,
00:33:07avec le même type de kayak.
00:33:09C'est la même chose ici.
00:33:11C'est la même chose ici.
00:33:13C'est la même chose ici.
00:33:15C'est la même chose ici.
00:33:17C'est la même chose ici.
00:33:39Quelques heures plus tard,
00:33:41je les retrouve,
00:33:43soulagés de les savoir vivants.
00:33:46Ils ont chaviré en pleine mer,
00:33:48après plus de trois heures de navigation.
00:33:55Une rame a percé le bateau et on a coulé.
00:33:59Nous avons commencé à nager et on s'est relayés
00:34:02pour tirer les deux qui ne savaient pas nager.
00:34:04Grâce à Dieu,
00:34:06on a atteint le rivage.
00:34:10On nageait et toutes les cinq minutes,
00:34:13on s'arrêtait pour reprendre notre souffle.
00:34:18Combien d'exilés ayant tenté la même traversée sont morts
00:34:21sans que leur disparition ne soit signalée ?
00:34:24Impossible de le savoir.
00:34:26En tout cas,
00:34:28plusieurs kayaks ont été retrouvés échoués sur les plages.
00:34:31Et depuis,
00:34:33Decathlon a décidé de les retirer de la vente à Calais.
00:34:39Il existe un autre moyen qui ne coûte rien,
00:34:42mais tout aussi dangereux pour passer la manche.
00:34:48Daba a décidé de le tenter.
00:34:51Il veut monter clandestinement dans les camions de marchandises
00:34:54qui circulent entre les deux pays.
00:35:09Beaucoup sont repérés par les douaniers,
00:35:11mais quelques-uns parviennent à franchir la frontière.
00:35:16C'est le moment de se battre.
00:35:18Il faut qu'on soit en unis.
00:35:20Il faut que l'on se batte.
00:35:22Il faut qu'on soit en unis.
00:35:24Il faut que l'on se batte.
00:35:26On ne peut plus arrêter.
00:35:28On a bien besoin d'un seul groupe.
00:35:30Et j'ai trouvé un.
00:35:32Je vais m'y mettre.
00:35:34Je vais m'y mettre.
00:35:36Je vais m'y mettre.
00:35:37C'est le cas de Daba, après 200 tentatives selon lui.
00:35:42Il m'a envoyé les images de ses tout premiers instants en Angleterre.
00:35:46Il filme avec son téléphone portable, depuis le toit du camion dans lequel il a réussi à passer.
00:36:01Il vit aujourd'hui dans le centre du Royaume-Uni.
00:36:05Cette terre promise, où un an après ma traversée en zodiaque,
00:36:09mes anciens compagnons de voyage attendent toujours leur statut de réfugiés.
00:36:15Je suis retourné à Londres, pour revoir Arsalan,
00:36:20l'homme qui était au téléphone avec les secours quand nous étions en mer.
00:36:24Comment ça va ?
00:36:34T'as l'air mieux ! C'est bien !
00:36:39Ça fait un an mon frère !
00:36:42Oui, ça fait un an mon frère !
00:36:44Je suis content de te voir !
00:36:47Arsalan loue une petite chambre, au noir, dans un quartier tranquille.
00:36:54Voici ma charmante et petite maison.
00:37:12Anzoula, sa petite amie, est grecque.
00:37:14Il l'a rencontrée en Grèce, pendant son interminable périple depuis l'Iran,
00:37:18et elle l'a rejoint ici.
00:37:23Au Royaume-Uni, les demandeurs d'asile sont nourris et logés gratuitement dans des hôtels.
00:37:28Mais le jeune homme, lui, a préféré se débrouiller seul.
00:37:36Je ne suis pas venu ici pour que les Anglais me donnent de l'argent.
00:37:40Je suis venu ici pour refaire ma vie, et pour payer mes propres impôts.
00:37:45Un mois après son arrivée, Arsalan a trouvé du travail au noir, dans un atelier.
00:37:51C'est l'une des choses que je fais.
00:37:5515 euros de l'heure.
00:37:58Combien d'heures tu travailles par jour ?
00:38:00Normalement, 10 heures. Quelquefois, 13 heures, 14 heures. C'est trop de travail.
00:38:07Parfois, elle me fait du thé. Elle me donne la tasse et...
00:38:14N'est-ce pas ?
00:38:16Il dort tout le temps.
00:38:19Ce n'est peut-être pas la vie dont il avait rêvé, mais pour lui, ça valait le coup.
00:38:28Tu te souviens, dans le bateau, je t'ai demandé si tu referais une traversée.
00:38:32Il m'a dit non. Moi, c'était ma deuxième tentative.
00:38:37J'ai envie de remercier les passeurs, parce que grâce à eux, j'ai fini mon voyage.
00:38:43Je suis là où je voulais être.
00:38:48Mais en même temps, j'ai envie de leur dire, allez vous faire foutre.
00:38:51Ils mentent tout le temps. Ils disent que le bateau est bon, que la traversée sera sans danger, alors que tout était dangereux.
00:38:57Ça ne se passe jamais comme ils le promettent.
00:39:02Arsalan a réussi à se créer une nouvelle vie, mais elle reste en suspens.
00:39:07Il ne sait pas si sa demande d'asile sera acceptée ou non.
00:39:11Une décision qui prend parfois des années, et certains exilés ne supportent plus cette attente interminable.
00:39:19Des amis à moi ont essayé de se suicider.
00:39:25D'autres sont partis à Douvres et ont sauté à l'arrière d'un camion pour retourner en France.
00:39:40Il pourrait être des milliers dans ce cas, d'autant que les règles se durcissent au Royaume-Uni.
00:39:45Même si les travaillistes viennent d'abroger la loi qui prévoyait d'envoyer les demandeurs d'asile au Rwanda,
00:39:51la peur et le ressentiment sont toujours là.
00:39:58J'ai gardé le contact avec de nombreux exilés, comme Massoud, un Iranien qui attend sa régularisation depuis déjà presque 5 ans.
00:40:05Un cauchemar. L'homme est à bout de nerfs.
00:40:09Il a déchiré tous les papiers de sa demande d'asile et veut retraverser la Manche dans l'autre sens.
00:40:40Ils ne m'ont jamais dit de terminer l'interview. Ils ne m'ont jamais donné une lettre.
00:40:45Pas de message, pas de Whatsapp, pas de Gmail. Rien.
00:40:50Juste sortir. Et mon interview continue jusqu'à maintenant.
00:40:57Je vais le faire, je vais le faire, le faire retourner en France.
00:41:01Je ne suis pas en sécurité sur cette putain d'île. Je ne suis pas en sécurité.
00:41:06J'ai besoin d'aide.
00:41:09Je sais Massoud, je sais, je sais, je sais.
00:41:11Je ne suis pas en sécurité.
00:41:14Massoud a finalement renoncé à revenir en France. Et quelques mois plus tard, il a obtenu ses papiers.
00:41:24Je décide de retourner en Angleterre, à Douvres.
00:41:29Cette petite ville portuaire où sont débarqués les exilés qui arrivent dans le pays en small boat.
00:41:35C'est de là que reviendraient ces candidats au retour en France.
00:41:41Et ils sont bien là, sur la plage.
00:41:49Mohamed, 17 ans, est originaire du Sahara occidental.
00:42:06Je suis en train de nettoyer cet endroit pour y dormir.
00:42:13Parce qu'aujourd'hui, je n'ai nulle part où aller.
00:42:23Ici, je serai à l'abri du froid pour l'hiver.
00:42:27L'Angleterre nous a abandonnés.
00:42:35Faites bien passer ce message aux migrants qui sont à Calais.
00:42:40S'ils viennent ici, ils connaîtront juste la souffrance.
00:42:47Là, si j'avais un moteur, je partirais avec ce bateau en France tout de suite.
00:42:53Je rencontre également le Jordanien Salem et son ami Aladine, un Syrien.
00:43:03Il y a six mois, Aladine a décidé de quitter Londres, où il était épargné.
00:43:09Il a décidé de partir en Angleterre.
00:43:12Il a décidé de partir en Angleterre.
00:43:15Il a décidé de partir en Angleterre.
00:43:17Il y a six mois, Aladine a décidé de quitter Londres, où il était hébergé par les autorités.
00:43:25Lui aussi veut retourner en France.
00:43:28Cela fait trois ans qu'il attend ses papiers.
00:43:37Je pensais qu'ici, j'aurais ma propre maison, ma chambre, mon appartement, un travail.
00:43:42Un titre de séjour que j'aurais, une belle vie.
00:43:47Mais rien du tout.
00:43:49Si tu vas à Londres, tu verras beaucoup de SDF qui sont dans la même situation que nous.
00:43:55Mais ils ne peuvent pas repartir dans leur pays parce qu'ils ont fui la guerre.
00:44:02Il faut juste rester et mourir ici. Mais non, je ne veux pas mourir dans ce pays.
00:44:13Il n'y a pas de statistiques officielles comptabilisant les retours.
00:44:17Ils sont des centaines, des milliers peut-être.
00:44:25Le lendemain, une scène improbable se déroule sur la plage des exilés.
00:44:31La police arrête un homme qui tentait de rejoindre la France avec un bateau d'enfants.
00:44:43Quand il est arrivé avec son bateau en plastique, il l'a traîné vers l'eau.
00:44:48Il l'a rempli de nourriture et d'eau et il s'est éloigné.
00:44:54Des gens comme ça, on en voit de plus en plus, c'est certain.
00:44:59Moi, j'ai trois bateaux qui ont disparu. Envolés.
00:45:03Tout ce que je sais, c'est que des personnes qui sont parties sur l'un de mes bateaux ont pu être sauvées.
00:45:08Quelques heures plus tard, je le recroise.
00:45:12Il a été relâché et son bateau lui a été rendu.
00:45:16Ma bac est iranien. Il n'y a plus rien.
00:45:20Il n'y a plus rien.
00:45:23Il n'y a plus rien.
00:45:26Il n'y a plus rien.
00:45:29Il n'y a plus rien.
00:45:32Il n'y a plus rien.
00:45:35Ma bac est iranien. Et lui aussi attend ses papiers depuis des années.
00:45:41Ils m'ont arrêté. Ils pensaient que j'arrivais de France.
00:45:46Ils pensaient que j'étais un nouveau, tout juste arrivé en Angleterre.
00:45:50Mais je ne suis pas un nouveau. Je veux partir. Partir.
00:45:54Je leur ai expliqué, mais ils m'ont arrêté quand même.
00:45:57Parce qu'ils pensaient que je voulais me suicider.
00:46:00Dans ce genre de situation, le suicide serait peut-être le mieux.
00:46:05Mourir ou traverser, je ne sais pas ce qui va se passer.
00:46:14Les exilés de Douvres cherchent un moyen de quitter l'Angleterre.
00:46:19La journée, comme Salem,
00:46:22certains surveillent les parkings où stationnent les poids lourds en transit.
00:46:26Ils cherchent le bon camion.
00:46:29Celui qui va rejoindre le port de Douvres,
00:46:32puis embarquer sur un bateau vers la France.
00:46:36Il va revenir en arrière, ou il va avancer.
00:46:42Il est en train de se garer.
00:46:45C'est sûr, celui-ci va partir vers la France.
00:46:49Parce qu'il vient de Londres.
00:46:56Les gens repèrent des camions.
00:46:59Et ensuite, ils montent dedans, dans la nuit.
00:47:02Ils passent par le haut, pendant que le chauffeur dort.
00:47:06Il faut déchirer la bâche avec un cutter.
00:47:09Et une fois qu'on est à l'intérieur, la recoller.
00:47:19Le camion est en train de partir.
00:47:22Ce soir-là, les exilés de la plage vont tous tenter leur chance.
00:47:44Ça, c'est Eiff. La France.
00:47:46Babak, l'Iranien, est là, lui aussi.
00:48:17Je décide de le suivre.
00:48:21Et quelques heures plus tard...
00:48:29Nous sommes cachés sous une bâche.
00:48:32Isolés, aveugles.
00:48:35Nous suivons la progression du camion vers le port,
00:48:38grâce à nos téléphones,
00:48:40grâce à nos téléphones,
00:48:42grâce à nos téléphones,
00:48:44grâce à nos téléphones,
00:48:46grâce à nos téléphones,
00:48:55Au bout d'une dizaine de minutes,
00:48:57nous arrivons au poste frontière.
00:49:06Ici, des douaniers arrêtent au hasard certains camions,
00:49:10pour vérifier leur cargaison.
00:49:17Le nôtre passe entre les mailles du filet.
00:49:24Et il finit par embarquer dans un ferry en partance pour la France.
00:49:47Après deux heures de navigation dans les sous du bateau,
00:49:50nous approchons de Calais.
00:49:55Et nous débarquons enfin.
00:50:17Je n'ai aucun plan prévu,
00:50:20après ces deux ans et demi de cauchemars.
00:50:23Je dois repartir à zéro.
00:50:26Combien de fois encore ?
00:50:28Quand est-ce que tout cela sera terminé ?
00:50:31Le camion s'arrête sur une aire de repos,
00:50:34au milieu de nulle part.
00:50:36C'est le moment de s'échapper.
00:50:38Babac reprend son errance.
00:50:41Victime de cette migration sans fin,
00:50:44qui emprisonne des milliers d'exilés.
00:50:47Il promet de me donner de ses nouvelles,
00:50:50dans un an.
00:51:08Pour réaliser ce documentaire-choc,
00:51:11le journaliste Julien Goudichaud a donc longuement enquêté,
00:51:14puis embarqué avec ceux qui risquent leur vie
00:51:17pour rallier illégalement l'Angleterre depuis Calais.
00:51:20Une traversée de tous les dangers,
00:51:23et nous venons de le voir entièrement aux mains
00:51:26de passeurs peu scrupuleux.
00:51:28Il est maintenant avec nous, sur ce plateau de Débat Doc,
00:51:31en compagnie de nos autres invités.
00:51:33Bienvenue à vous, Julien Goudichaud.
00:51:34Vous êtes journaliste et documentariste,
00:51:37et c'est donc vous qui avez réalisé ce Calais d'ouvre,
00:51:40l'exil sans fin, que nous venons de voir à l'instant.
00:51:43Ce film était également accompagné d'un livre,
00:51:45intitulé, quant à lui, Les plages de l'embarquement.
00:51:48J'ai passé sept ans avec les migrants et les passeurs
00:51:51dans le nord de la France.
00:51:53Un ouvrage que vous avez co-écrit avec Nicolas Torrent,
00:51:55et publié aux éditions Les Arènes.
00:51:57On va revenir longuement, évidemment, sur votre enquête.
00:52:00Ce formidable reportage que nous venons de voir
00:52:02à l'instant.
00:52:04On va le faire avec vous, Julia Pasquale.
00:52:06Bienvenue.
00:52:08Vous êtes journaliste au quotidien Le Monde,
00:52:10et spécialisée sur les questions de migration.
00:52:12Et puis, enfin, avec nous, Nicolas Pouvron-Monti.
00:52:14Bienvenue à vous.
00:52:16Vous êtes directeur général et cofondateur
00:52:18de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie.
00:52:22J'ai vu, quelque part, que c'est en 2015,
00:52:25et un peu par hasard, que vous êtes allé du côté
00:52:28des plages du Nord-Pas-de-Calais.
00:52:29Et c'est là que vous est venue cette idée
00:52:32de vous intéresser à ce qui s'y passait réellement,
00:52:34il y a 9 ans.
00:52:36Oui, exactement. Je lisais un petit peu
00:52:38ce que je trouvais dans l'actualité,
00:52:40puis j'entendais beaucoup parler du Nord-Pas-de-Calais.
00:52:42Je lisais des choses absolument ahurissantes,
00:52:44de gens qui sautaient sur les camions
00:52:46pour passer une frontière, aller en Angleterre,
00:52:48et j'étais absolument... Je connaissais rien à cette frontière.
00:52:50Donc j'y suis allé un petit peu par hasard,
00:52:52et quand je suis arrivé sur place,
00:52:54j'ai vu des personnes qui avaient mon âge
00:52:56et qui se cachaient pour franchir un grillage
00:52:57et attraper un train au vol,
00:52:59pour s'engouffrer dans un tunnel dans le noir
00:53:01et rallier l'Angleterre.
00:53:03Et je crois que j'étais tout simplement fasciné
00:53:05par ce qui se passait là-bas,
00:53:07parce qu'en fait, c'était à 3h de Paris.
00:53:09Juste à 3h de Paris, il y avait ces choses.
00:53:11Et j'ai vu aussi que vous avez dit
00:53:13« Je savais qu'un jour, les passages maritimes
00:53:15seraient empruntés, et quand j'ai vu
00:53:17le phénomène apparaître, je suis resté. »
00:53:19Autrement dit, c'est un phénomène assez récent.
00:53:21Et c'est là que vous vous êtes dit
00:53:23« Là, je vais m'intéresser aux passages maritimes. »
00:53:25Parce qu'à l'époque, en 2015,
00:53:27il n'existait pas encore ces passages maritimes.
00:53:29Non, non, il n'existait pas.
00:53:31Il n'existait pas ou très peu
00:53:33ou des cas un petit peu marginaux
00:53:35qui n'étaient pas comptabilisés,
00:53:37mais on voit les côtes.
00:53:39Quand on est à Calais, on voit les côtes,
00:53:41on a l'impression qu'elles sont à portée de main.
00:53:43C'est difficile d'imaginer que des gens
00:53:45qui sont partis depuis la Libye,
00:53:47depuis des centaines de kilomètres,
00:53:49ne vont pas un jour avoir l'idée
00:53:51de traverser la mer à Calais
00:53:53alors que l'on voit les côtes de l'autre côté.
00:53:55On voit tous les jours de monter dans des camions
00:53:57ou dans des trains pour arriver en Angleterre.
00:53:59Autrement dit, vous avez rencontré des gens
00:54:01qui ont traversé la Méditerranée depuis la Libye,
00:54:03puis ont traversé la Manche pour rejoindre la Grande-Bretagne.
00:54:05Ils ont fait deux traversées maritimes.
00:54:07Exactement.
00:54:09Qu'est-ce qui vous a le plus frappé dans ce reportage ?
00:54:11Est-ce que c'est cette fameuse embarcation
00:54:13que vous avez réalisée avec ces migrants ?
00:54:16Peut-être ce retour en camion
00:54:18que vous avez effectué avec un des migrants
00:54:20qui avait effectué cette traversée
00:54:22dans le sens inverse précédemment ?
00:54:23Il paraît que vous faites des cauchemars
00:54:25encore de naufrages. C'est vrai ?
00:54:27Je rêve souvent de bateaux.
00:54:29Alors c'est plein de scénarios différents.
00:54:31J'embarque sur un bateau, il chavit,
00:54:33ou alors on doit encore faire une traversée.
00:54:35C'est quelque chose qui ne me quitte pas aujourd'hui,
00:54:37un petit peu moins, mais c'est quelque chose
00:54:39qui ressurgit encore dans mes rêves.
00:54:41Et aujourd'hui, j'ai enquêté cette année sur ces retours.
00:54:43J'ai ouï dire qu'il y avait des retours,
00:54:45donc je suis allé à Douvres,
00:54:47j'ai cherché pendant longtemps,
00:54:49et j'ai trouvé ces personnes qui rentraient
00:54:51et qui envisageaient de traverser la mer
00:54:53avec ces personnes pour témoigner
00:54:55de leur voyage et des filières de passeurs
00:54:57pour atteindre l'Angleterre.
00:54:59Et en bout de cette fin,
00:55:01de ce terrible voyage,
00:55:03et maintenant, on est revenu au point de départ.
00:55:05Et donc c'est un petit peu le serpent
00:55:07qui se mord la queue.
00:55:09Et on a l'impression que cet exil,
00:55:11il est sans fin.
00:55:13Et c'est un peu une spirale.
00:55:15On va voir un extrait
00:55:17durant cette fameuse traversée.
00:55:19On regarde.
00:55:23Nous sommes proches d'un bateau
00:55:25qui s'appelle DFDS.
00:55:37Nous sommes proches,
00:55:39mais il y a trop de vagues
00:55:41et de l'eau vient à l'intérieur du bateau
00:55:43et nous allons tomber.
00:55:4650 personnes, 50 personnes.
00:55:4850 ou 55, je crois.
00:55:50Ok, tu peux envoyer un message?
00:55:53Oui, nous essayons d'appeler vous
00:55:55et nous allons envoyer un message.
00:55:57Ok, merci beaucoup.
00:56:23On a une idée du nombre de victimes
00:56:25qui ont traversé la Manche
00:56:27et qui en sont morts aujourd'hui?
00:56:29On a eu une idée approximative
00:56:31dans la mesure où il y a
00:56:33certainement des morts non identifiées,
00:56:35des corps qui ne sont pas repêchés
00:56:37et donc qui ne sont pas nécessairement
00:56:39comptabilisés par l'Etat.
00:56:41Mais on a aussi une idée
00:56:43du nombre de victimes
00:56:45qui ont traversé la Manche
00:56:47et qui en sont morts aujourd'hui.
00:56:49On a une idée approximative
00:56:51dans la mesure où il y a
00:56:53certainement des morts non identifiées
00:56:55parmi les victimes.
00:56:57En tout cas, on peut d'ores et déjà dire
00:56:59que cette année 2024,
00:57:01qui n'est pas encore terminée,
00:57:03est l'année la plus mortifère
00:57:05pour les personnes qui ont tenté
00:57:07de traverser la Manche
00:57:09avec au moins 50 morts
00:57:11dans le détroit du Pas-de-Calais.
00:57:13Au moins 50 morts,
00:57:15j'avais le chiffre de 40 décès
00:57:17depuis le mois de janvier.
00:57:19Néanmoins, ce n'est pas là
00:57:21qu'il n'y a plus de victimes,
00:57:23il n'y a plus de mortistes,
00:57:25il y a plus de traversés.
00:57:27On parle de la Méditerranée centrale
00:57:29qui est la route la plus mortifère aujourd'hui,
00:57:31mais actuellement,
00:57:33il y a énormément de personnes
00:57:35qui décèdent en tentant
00:57:37de relier les Canaries
00:57:39depuis les côtes sénégalaises
00:57:41ou marocaines, voire mauritaniennes.
00:57:43Il y a aussi des gens
00:57:45qui meurent en essayant
00:57:47de traverser la mer Égée,
00:57:49de relier la Grèce depuis la Turquie.
00:57:51Ce qui est sûr,
00:57:53c'est que là,
00:57:55ce qui se passe dans le détroit du Pas-de-Calais
00:57:57et qui nous saisit,
00:57:59c'est que ça se passe
00:58:01entre deux Etats européens
00:58:03et à quelques centaines de kilomètres
00:58:05de chez nous,
00:58:07en tout cas sur notre sol.
00:58:09Je vais le chiffre
00:58:11qui nous vient de l'Organisation internationale
00:58:13pour les migrations,
00:58:15l'OIEM, autrement dit
00:58:17l'Organisation des Nations unies,
00:58:19de 3 129 morts ou disparus
00:58:21enregistrés l'année dernière
00:58:23à l'OIEM.
00:58:25Est-ce que ce phénomène
00:58:27s'amplifie à prix de l'ampleur
00:58:29ou au contraire,
00:58:31est-ce qu'il s'atténue ?
00:58:33Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?
00:58:35Ce qui est certain,
00:58:37c'est que ce phénomène ne date pas d'hier.
00:58:39Ça fait au moins deux décennies
00:58:41que les côtes nord de la France
00:58:43et les côtes sud de l'Angleterre
00:58:45sont entrées dans une espèce de jour sans fin
00:58:47de la crise migratoire.
00:58:49L'année record sur la période
00:58:51qu'on maîtrise aujourd'hui,
00:58:53on est sur des niveaux historiquement élevés.
00:58:55Et de ce point de vue-là,
00:58:57il y a eu aussi une transformation juridique majeure
00:58:59sur ce passage,
00:59:01ce qui était autrefois une frontière
00:59:03entre deux États membres de l'Union européenne
00:59:05et maintenant une frontière extérieure
00:59:07de l'Union européenne,
00:59:09au même titre que l'est, par exemple,
00:59:11la frontière maritime entre l'Italie et la Tunisie.
00:59:13Néanmoins, c'est un peu contradictoire
00:59:15sur les chiffres,
00:59:17mais là, c'est assez récent,
00:59:19c'est traversé, embarqué.
00:59:21Je parle de Calais-Douvre.
00:59:23Les camions, Eurostar, le train,
00:59:27l'émigration par la mer,
00:59:30ça, on peut considérer que c'est un phénomène
00:59:32bel et bien assez récent
00:59:34et qui prend, lui, de l'ampleur.
00:59:36Oui, tout à fait.
00:59:38Il y a un phénomène d'esquive, de contournement.
00:59:40Il y a eu énormément de moyens policiers
00:59:42qui ont été mis pour sécuriser
00:59:44l'accès au port de Calais,
00:59:46l'accès au tunnel sous la Manche.
00:59:48Et de ce point de vue-là,
00:59:50les traversées maritimes sont finalement
00:59:51en question.
00:59:53Beaucoup de moyens sont mis
00:59:55à la fois par la France et la Grande-Bretagne.
00:59:57Depuis le traité du Touquet de 2003,
00:59:59il revient à la police française
01:00:01de surveiller la frontière britannique.
01:00:03Il est prévu que le contrôle des individus
01:00:05en partance vers le Royaume-Uni
01:00:07s'effectue depuis le pays de départ,
01:00:09en l'occurrence depuis la France.
01:00:11En échange de ça, le Royaume-Uni investit
01:00:13plusieurs dizaines de millions d'euros
01:00:15pour aider la France logistiquement, matériellement,
01:00:17à sécuriser les voies d'accès vers la Grande-Bretagne.
01:00:18Depuis plusieurs années,
01:00:20les tentatives de traversées, de rejoindre l'Angleterre,
01:00:22se déplaçaient à mesure que des barrières,
01:00:24notamment physiques, étaient érigées.
01:00:27Donc, moi, je vais à Calais
01:00:29depuis à peu près la même période,
01:00:31en 2015, on va dire,
01:00:33et on a vu la ville se transformer,
01:00:35les grillages se multiplier,
01:00:37les barbelés les surmonter également.
01:00:40Et donc, après les tentatives
01:00:42de passage par le tunnel sous la Manche,
01:00:44les tentatives par camion,
01:00:46quand tout ceci a été
01:00:48verrouillé, quoi, qu'on ne peut pas vraiment dire...
01:00:50Enfin, il y a encore des gens qui passent,
01:00:52et sans qu'on s'en aperçoive.
01:00:54La différence avec les traversées maritimes,
01:00:56c'est aussi qu'elles se voient.
01:00:58Et donc, on peut dire, aujourd'hui,
01:01:00il y a tant de personnes qui traversent,
01:01:02qui parviennent à rejoindre l'Angleterre.
01:01:04Autrement dit, c'est parce qu'on peut beaucoup moins passer,
01:01:06compte tenu des mesures de sécurité mises en oeuvre,
01:01:08par camion, par train,
01:01:10qu'on choisit de s'embarquer et traverser par la mer.
01:01:12Oui, c'est devenu le moyen le plus évident
01:01:14et peut-être même le plus facile,
01:01:16en dépit de sa dangerosité
01:01:18éminente.
01:01:20Mais ça ne veut pas dire que les gens
01:01:22ne continuent pas de passer par camion.
01:01:24Il n'y a pas si longtemps,
01:01:26on a retrouvé 39 personnes décédées
01:01:28dans un camion frigorifique de nationalité vietnamienne.
01:01:30Il y a des filières qui continuent
01:01:32d'utiliser ce moyen de passage.
01:01:34Et côté méditerranéen,
01:01:36il y a une date marqueur,
01:01:38c'est 2015-2016,
01:01:40concernant ces traversées embarquées
01:01:42du côté de la Méditerranée.
01:01:44Plutôt 2016-2017,
01:01:46où vraiment la Libye est devenue
01:01:48des flux, on va dire, importants.
01:01:50Et puis, aujourd'hui,
01:01:52on est sur des niveaux
01:01:54qui ne retrouvent pas les niveaux records
01:01:56de ces années-là.
01:01:58On va revoir un autre extrait de votre film.
01:02:00Cette fois, il concerne un passeur
01:02:02que vous avez rencontré.
01:02:04Alors, ce n'est pas un chef des passeurs,
01:02:06mais vous allez nous expliquer après.
01:02:08Extrait.
01:02:10Les passeurs ne se déplacent jamais
01:02:12sur les lieux d'embarquement.
01:02:14Ils sont en France, en Allemagne,
01:02:16en Belgique, aux Pays-Bas,
01:02:18ou même en Iran.
01:02:22Ils sont installés
01:02:24et contrôlent tout depuis chez eux.
01:02:27Ce sont les petites mains
01:02:29qui se font arrêter par la police.
01:02:32Alors, son prénom, c'est Haraz.
01:02:34Oui.
01:02:36Ça vous a été facile
01:02:38de pénétrer justement
01:02:40ce milieu des passeurs
01:02:41et d'essayer de comprendre,
01:02:43un temps soit peu,
01:02:45comment tout cela fonctionnait ?
01:02:47Non, extrêmement long.
01:02:49Et ça passe par beaucoup de présences
01:02:51dans la jungle ou aux abords de la jungle.
01:02:53Des rencontres.
01:02:55Et si vous voulez, à chaque fois
01:02:57que vous arrivez à faire quelque chose,
01:02:59filmer un petit truc
01:03:01et que vous leur montrez,
01:03:03vous gagnez une part de leur confiance,
01:03:05beaucoup de ces interviews
01:03:07ont été réalisées après la traversée
01:03:09parce que je leur ai montré les images.
01:03:11C'est extrêmement long.
01:03:13Vous dites que c'est très pyramidal,
01:03:15très hiérarchique, cette organisation.
01:03:17Pouvez-vous nous en dire un peu plus,
01:03:19nous décrire le système
01:03:21que vous avez pu observer ?
01:03:23Depuis des années, ça ne cesse de s'organiser,
01:03:25de mieux en mieux.
01:03:27En l'occurrence, pour cette petite main,
01:03:29Haraz, il s'agit d'un exilé
01:03:31qui est arrivé sur le camp
01:03:33comme tous les autres exilés
01:03:35avec l'envie de voyager,
01:03:37de rejoindre la Grande-Bretagne.
01:03:39Lui aussi voulait rejoindre la Grande-Bretagne.
01:03:41Il voulait être passeur.
01:03:43C'est par la force des choses.
01:03:45Il arrive, il n'a pas d'argent.
01:03:47Au bout de quelques galères,
01:03:49d'un mois, deux mois,
01:03:51être démantelé tous les matins
01:03:53de manger les sandwiches qu'on lui donne
01:03:55et de ne pas avoir d'argent pour pouvoir passer,
01:03:57on lui propose
01:03:59si tu aides à mettre un bateau à l'eau,
01:04:01si tu peux faire scie,
01:04:03si tu peux gonfler le bateau,
01:04:05si tu me files un coup de main,
01:04:07tu pourras partir gratuitement
01:04:09et voyager toi aussi.
01:04:11Quand vous arrivez là-bas
01:04:13et que vous voulez aller en Angleterre,
01:04:15vous n'hésitez pas, vous joignez.
01:04:17Vous nous rappelez l'origine de ces filières,
01:04:19elles sont différentes.
01:04:21Il y a beaucoup de Kurdes,
01:04:23vous en parlez beaucoup dans ce film,
01:04:25il y en a d'autres.
01:04:27Il y en a d'autres, mais la filière principale,
01:04:29les gens qui contrôlent ce business
01:04:31est la communauté kurde irakienne.
01:04:33Les autres personnes,
01:04:35les Albanais, les Afghans
01:04:37ou d'autres communautés
01:04:39travaillent pour les Kurdes irakiens.
01:04:41Tout le monde possède sa plage
01:04:43et les personnes qui font partir les bateaux
01:04:45sont des Kurdes irakiens.
01:04:47Les donneurs d'ordre, eux,
01:04:49ne sont pas présents sur le terrain,
01:04:51ils sont même parfois dans leur pays d'origine.
01:04:53C'est bien ça.
01:04:55Il arrive que certains soient au Kurdistan,
01:04:57exactement, ou en Iran,
01:04:59et contrôlent les filières depuis ces pays-là.
01:05:01Alors, qu'est-ce qu'on sait
01:05:03très exactement de ces réseaux de passeurs ?
01:05:05Est-ce qu'on peut parler de mafia,
01:05:07de mafia organisée ?
01:05:09C'est peut-être plus compliqué que ça ?
01:05:11C'est peut-être plus compliqué
01:05:13que faire des comparaisons
01:05:15avec le trafic de drogue,
01:05:17d'une certaine manière,
01:05:19en tout cas par certains aspects,
01:05:21parce que c'est quelque chose
01:05:23que, quand les enquêteurs travaillent
01:05:25à démanteler un réseau,
01:05:27ils savent qu'aussitôt démantelé,
01:05:29un autre surgira à sa place
01:05:31où ce réseau-là se reconstituera assez facilement.
01:05:33Donc, il y a un peu l'idée
01:05:35de décoper l'océan à la petite cuillère.
01:05:37Et puis, on ne peut pas en parler de mafia,
01:05:39même si c'est des organisations criminelles
01:05:42qui sont de plus en plus structurées.
01:05:45On voit que c'est lié
01:05:47à la filière d'acheminement.
01:05:49On a des bateaux qui sont fabriqués en Chine,
01:05:52qui sont convoyés par conteneurs
01:05:54jusqu'en Turquie,
01:05:57puis qui, après, sont acheminés par la route
01:05:59jusqu'en Allemagne,
01:06:01stockés en Allemagne,
01:06:03et puis, au dernier moment,
01:06:05amenés sur le littoral.
01:06:07C'est un peu schématiquement
01:06:09parce qu'il y a beaucoup de passeurs
01:06:11dont on a vu peut-être
01:06:13une toute petite partie dans votre film,
01:06:15et ceux qui officient du côté
01:06:17de la Tunisie, de la Libye.
01:06:19Il y a des grosses différences.
01:06:21On n'a pas affaire, j'imagine, aux mêmes réseaux ?
01:06:23Non, ce n'est pas exactement les mêmes réseaux.
01:06:25Il y a beaucoup question dans le documentaire
01:06:27des réseaux kurdes,
01:06:29qui sont effectivement très présents
01:06:31parmi les organisations qui gèrent les passeurs
01:06:33sur la côte du Pas-de-Calais.
01:06:35Mais ce qui est vrai, c'est que les passeurs
01:06:37qui sont filmés dans ce documentaire
01:06:39sont pertinents.
01:06:41Il l'est aussi dans les moyens d'action
01:06:43et dans le degré de violence et de mépris
01:06:45pour la vie humaine des réseaux en question.
01:06:47L'un des passeurs qui témoigne dans votre caméra
01:06:49explique l'usage des armes,
01:06:51l'usage des kalachnikovs.
01:06:53On est sur des modes opératoires similaires.
01:06:55De ce point de vue-là,
01:06:57les mafias qui opèrent au sud de la Méditerranée
01:06:59et qui opèrent dans le détroit du Pas-de-Calais
01:07:01ne sont pas exactement les mêmes,
01:07:03mais il est évident qu'il y a un moment
01:07:05où, finalement, tout converge.
01:07:07Si cette question se pose
01:07:09pour la lutte française
01:07:11entre la France et la Grande-Bretagne,
01:07:13c'est d'abord et avant tout
01:07:15parce que les flux ont pu arriver jusque-là auparavant.
01:07:17Et de ce point de vue-là, ça pose beaucoup de questions.
01:07:19Ça pose la question, par exemple,
01:07:21de la libre circulation dans l'espace européen,
01:07:23qui, de fait, est une aubaine pour l'immigration irrégulière
01:07:25et aussi une aubaine pour les réseaux de passeurs.
01:07:27Et ça pose un peu le caractère insoluble
01:07:29de cette situation,
01:07:31tant qu'on ne se décide pas à traiter
01:07:33les grandes questions politiques, structurelles
01:07:35qui amènent aux situations humaines décrites.
01:07:37La question qu'on se pose dans cette émission,
01:07:39elle part entièrement aux passeurs,
01:07:41mais est-ce qu'elle incombe pas beaucoup aux passeurs, néanmoins ?
01:07:43Les passeurs ont évidemment une responsabilité de premier ordre,
01:07:45une responsabilité criminelle, dans bien des cas.
01:07:47Après, de ce point de vue-là,
01:07:49les responsabilités sont mêlées.
01:07:51Quand on voit les sommes en jeu,
01:07:53j'ai vu que Europol estimait
01:07:55entre 6 et 7 milliards d'euros
01:07:59les montants réalisés dans ces opérations
01:08:03du côté des passeurs.
01:08:05C'est quand même considérable.
01:08:07Les traversées, d'ailleurs,
01:08:09sont prises pour chaque origine ethnique, je crois.
01:08:12Ça coûte combien, une traversée ?
01:08:15Les passeurs établissent un montant de traversées
01:08:18en fonction, entre guillemets,
01:08:20du pouvoir d'achat du pays duquel vient l'exilé.
01:08:23Bien souvent, pour les personnes d'origine africaine,
01:08:25on tourne autour des 800 000 euros.
01:08:28Et puis, on va crescendo.
01:08:30Les Kurdes irakiens, autour de 1 200, 1 300.
01:08:32Les Afghans, pareil.
01:08:34Les Iraniens, un petit peu au-dessus.
01:08:36Et puis, le top, c'est les Albanais
01:08:37et les Vietnamiens à qui on facture
01:08:39entre 3, 4, voire 5 000 euros la traversée.
01:08:42Je vous ai coupé tout à l'heure,
01:08:44mais ça illustre l'ampleur du phénomène.
01:08:47Vous confirmez un peu ces chiffres,
01:08:49c'est quantifiable, tout ça ?
01:08:51Oui, c'est quantifiable grâce aux enquêtes policières
01:08:53menées notamment par Europol.
01:08:55Ce qu'on sait de manière très concrète
01:08:57par les services de police qui traitent de ces questions,
01:08:59notamment dans le détroit du Pas-de-Calais,
01:09:01c'est que bien souvent, les passeurs n'ont pas d'argent sur eux.
01:09:03Jamais, quasiment jamais.
01:09:05Ça pose la question des réseaux de financement,
01:09:07des questions similaires à celles qui se posent
01:09:09dans le cadre de bien des trafics internationaux.
01:09:11Je pense que c'est important aussi
01:09:13de noter qu'au fur et à mesure
01:09:15que cette frontière franco-britannique
01:09:17a été sécurisée,
01:09:19les organisations criminelles,
01:09:21les passeurs, les réseaux de passeurs,
01:09:23se sont nourris là-dessus, en fait.
01:09:26C'est-à-dire que plus il a été difficile
01:09:28de passer cette frontière,
01:09:30plus ce sont des organisations criminelles
01:09:32qui ont proposé ce passage
01:09:34et qui ont organisé un business autour.
01:09:35La sécurité de la frontière,
01:09:37ces mécaniques induit le développement
01:09:39de ces passages clandestins,
01:09:41entre guillemets,
01:09:43et nourrit la bête de la criminalité organisée.
01:09:46Ce que vous nous dites dans votre film,
01:09:48c'est que ces personnes embarquent
01:09:50sur des embarcations
01:09:52qui peuvent contenir 30, 40 personnes,
01:09:55mais en réalité, elles en embarquent 70.
01:09:57Autrement dit, elles en embarquent beaucoup plus
01:09:59que ce que peuvent contenir ces fameuses embarcations.
01:10:01Et plus ça va, plus on en embarque, évidemment.
01:10:03C'est la logique
01:10:05commerciale des passeurs, ça.
01:10:07C'est peut-être ça qui est une partie du drame,
01:10:09qui explique une partie du drame
01:10:11qu'on a évoqué tout à l'heure
01:10:13avec ces morts en mer.
01:10:15Alors, bien souvent,
01:10:17ils essaient d'embarquer le double
01:10:19de la capacité d'embarquement d'un bateau.
01:10:21Ce qui explique aussi
01:10:23l'augmentation de ces morts en mer,
01:10:25c'est qu'il y a une adaptation constante
01:10:27en fonction de la sécurisation
01:10:29et de la militarisation de la côte.
01:10:31C'est-à-dire qu'aujourd'hui,
01:10:33on sécurise de plus en plus les plages
01:10:35et les départs vont se faire
01:10:37d'un peu plus loin.
01:10:39Et ça peut aller jusqu'en Normandie, comme ça.
01:10:41On a déjà constaté des départs
01:10:43qui s'approchaient de la Normandie.
01:10:45Ça ne fait qu'augmenter et ça ne s'arrêtera pas.
01:10:47De toute façon, il faut en être sûr,
01:10:49il faut noter que ça ne s'arrêtera pas.
01:10:51Aujourd'hui, les policiers ont pour mission
01:10:53d'arrêter les bateaux sur la plage
01:10:55et de les crever.
01:10:57Donc, il y a des drones aussi dans le ciel
01:10:59qui sont chargés de voir où vont se cacher
01:11:01les exilés dans les forêts
01:11:03avant de partir et prendre la mer.
01:11:05Ils vont partir en bateau 15 km plus loin
01:11:07pour venir les récupérer.
01:11:09Sauf que dans le bateau, on ne met pas
01:11:11le gilet de sauvetage, donc on vient
01:11:13récupérer les gens au bord.
01:11:15Les gens montent dans le canot sans gilet de sauvetage
01:11:17et bien évidemment, il y a des noyés.
01:11:19Il y a une adaptation, il y a une escalade sans cesse.
01:11:21Mais ce que l'on constate,
01:11:23ce n'est pas ces millions d'euros
01:11:25et ce n'est pas ces barbelés
01:11:27qui vont réduire les morts et trouver des solutions.
01:11:29Ce qui frappe aussi dans ce film,
01:11:31c'est cette volonté, quoi qu'il arrive,
01:11:33d'abord, on risque sa vie
01:11:35parce qu'on a un niveau de traversée
01:11:37qui n'atteint pas les niveaux records de 2022,
01:11:39même si on n'est pas très loin.
01:11:41En revanche, on a une mortalité décuplée
01:11:43notamment parce que les embarcations
01:11:45sont surchargées avec parfois
01:11:4780 voire plus de personnes par bateau.
01:11:50Et on a un nouveau phénomène,
01:11:52c'est qu'aujourd'hui, les gens, non seulement,
01:11:54ils meurent parce qu'ils se noient dans la manche,
01:11:56mais ils meurent aussi parce qu'en fait,
01:11:58avant même de gagner le large,
01:12:00ils sont piétinés et ils meurent asphyxiés.
01:12:02On a eu des décès d'enfants,
01:12:03on a eu des morts asphyxiés
01:12:05en essayant cette traversée
01:12:07qui était encore sur les plages,
01:12:09à un niveau où on avait encore pied dans l'eau.
01:12:11Donc là, c'est vraiment...
01:12:13Et ça, on peut le corréler
01:12:15à l'augmentation, évidemment,
01:12:17à l'adaptation dont font preuve
01:12:19les réseaux de passeurs
01:12:21liés à l'action de l'État sur les côtes
01:12:23pour empêcher ces passages.
01:12:25Donc on a des départs plus précipités
01:12:27comme les réseaux de passeurs
01:12:29perdent des bateaux qu'on leur confisque,
01:12:31qu'on leur crève,
01:12:33et puis on a un problème de sécurité.
01:12:35En face, il y a une réponse sécuritaire,
01:12:37évidemment, apportée par les États,
01:12:39vous l'avez évoqué.
01:12:41Quelles réponses sécuritaires
01:12:43ont marqué des points
01:12:45pour lutter contre ces passeurs
01:12:47et limiter un tant soit peu
01:12:49les victimes en mer ?
01:12:51De ce point de vue-là,
01:12:53la crise humanitaire qui est évidente
01:12:55est une surinfection d'une question politique.
01:12:57C'est une question entre deux États
01:12:59qui s'accordent sur la façon
01:13:01d'en gérer leur frontière commune.
01:13:03C'est extrêmement dangereux
01:13:05pour atteindre le Royaume-Uni.
01:13:07Il y a des motivations profondes,
01:13:09mais il y a la perspective
01:13:11de réussir à atteindre le Royaume-Uni.
01:13:13Le Royaume-Uni est très attractif
01:13:15sur le plan migratoire.
01:13:17Pour différentes raisons.
01:13:19La langue anglaise est apprise
01:13:21et pratiquée partout dans le monde.
01:13:23Il y a une forme de dynamisme économique
01:13:25avec un droit du travail relativement souple
01:13:27qui permet plus facilement qu'en France
01:13:29d'embaucher des immigrés en situation irrégulière.
01:13:31Il y en a qui travaillent.
01:13:33Il y a aussi des phénomènes de diaspora.
01:13:35Le Royaume-Uni est déjà un pays très multiculturel
01:13:38avec des communautés issues
01:13:40de différents pays d'origine
01:13:42qu'on retrouve aussi parmi les migrants
01:13:44qui tentent la traversée dans la Manche.
01:13:46Il y a souvent la perspective
01:13:48de rejoindre un cousin, un ami,
01:13:50quelqu'un qui est déjà installé au Royaume-Uni.
01:13:52Il y a cette perspective
01:13:54qui est très dangereuse,
01:13:56mais qui emporte une probabilité de réussite.
01:13:58Un certain nombre de migrants
01:14:00arrivent à atteindre les côtes.
01:14:02De ce point de vue-là,
01:14:04il n'y a pas de solution politique unique.
01:14:06Un cas intéressant me semble être le cas de l'Australie.
01:14:08L'Australie a longtemps été confrontée
01:14:10à des situations tout aussi dramatiques
01:14:12et meurtrières en mer,
01:14:14avec des traversées venues de l'Asie du Sud
01:14:16et de l'Asie du Sud-Est.
01:14:18L'Australie a mis en place une politique
01:14:20qui s'appelait la solution pacifique
01:14:22et qui a posé un principe
01:14:24qui est humanitairement contestable
01:14:26mais qui, politiquement, peut s'entendre.
01:14:28Aucune traversée irrégulière de la frontière australienne
01:14:29ne mène à une installation
01:14:31directe sur le sol australien.
01:14:33Les demandeurs d'asile sont évidemment sauvés.
01:14:35Ils sont ensuite placés
01:14:37dans des centres d'instruction des demandes d'asile,
01:14:39essentiellement en Papouasie
01:14:41et sur le pays de Norue.
01:14:43Il y a eu beaucoup de questions
01:14:45sur ces centres d'instruction.
01:14:47Les conditions humanitaires étaient déplorables.
01:14:49Il y a eu beaucoup de choses à redire.
01:14:51Il n'en demeure pas moins
01:14:53qu'au cours de la décennie qui vient de se passer,
01:14:55il n'y a eu notoirement aucun mort,
01:14:57ou quasiment aucun mort,
01:14:59parce que les migrants,
01:15:01et plus encore, hélas,
01:15:03les organisations criminelles qui les accompagnent,
01:15:05ont un comportement rationnel,
01:15:07y compris au coeur de leur détresse.
01:15:09Il y a le risque immense de la mort.
01:15:11Il y a aussi la chance immense
01:15:13d'atteindre le Royaume-Uni.
01:15:15Une solution politique pour un Etat
01:15:17qui ne souhaite pas accueillir ces flux,
01:15:19ça peut être de fermer la perspective.
01:15:21C'est important de souligner
01:15:23que les gens obéissent à des logiques
01:15:25certainement rationnelles,
01:15:27mais que la migration répond davantage
01:15:29à des logiques qui ne sont pas tant attirées
01:15:31par un endroit,
01:15:33même si ça peut expliquer
01:15:35des choix d'implantation,
01:15:37la présence de famille,
01:15:39la maîtrise d'une langue, etc.,
01:15:41mais ce qui détermine les trajectoires des gens,
01:15:43c'est qu'ils sont poussés en dehors
01:15:45de là où ils sont leur pays,
01:15:47ou un pays de transit, etc.
01:15:49Ce qu'on remarque quand on passe du temps
01:15:51sur le littoral de Calais,
01:15:53c'est que les gens ont souvent suivi
01:15:55des parcours d'errance assez longs en Europe,
01:15:57ont parfois passé plusieurs années
01:15:59en France, qui, en Suède ou en Autriche,
01:16:01ont échoué à obtenir l'asile
01:16:03pour X ou Y raisons,
01:16:05et du fait du règlement européen
01:16:07dit de Dublin,
01:16:09qui fait qu'on demande l'asile
01:16:11dans un pays de l'Union européenne,
01:16:13et si on ne l'obtient pas,
01:16:15en gros, je schématise,
01:16:17on ne peut pas le demander ailleurs,
01:16:19ces gens-là, arrivés au bout de ce procédé,
01:16:21ne pouvant pas redemander l'asile
01:16:23dans un autre pays de l'Union européenne,
01:16:25décident de se tourner vers l'Angleterre.
01:16:27Ils le faisaient déjà
01:16:29parce qu'ils pensaient
01:16:31qu'étant sur une île,
01:16:33on les éloignerait plus difficilement.
01:16:35A fortiori, le Royaume-Uni étant plus dans l'Union européenne,
01:16:37ils se disent qu'ils peuvent échapper
01:16:39à la règle de Dublin
01:16:41et donc redemander l'asile,
01:16:43d'ailleurs, dans leur écrasante majorité,
01:16:45les gens qui traversent demandent
01:16:47l'asile au Royaume-Uni,
01:16:49donc on est vraiment sur une logique
01:16:51qui tient du fait
01:16:53de l'impossibilité pour ces gens
01:16:55d'avoir un avenir
01:16:57sur le continent européen
01:16:59d'avoir un avenir sur le continent européen.
01:17:01Vous voulez répondre ?
01:17:03Vous souhaitez ajouter quelque chose ?
01:17:05C'est sans doute pour répondre en partie
01:17:07ou compléter ce qu'il a dit.
01:17:09Il y a incontestablement des facteurs push
01:17:11qui tiennent d'abord à la situation très critique
01:17:13d'un certain nombre de pays d'origine
01:17:15dont sont issus ces migrants.
01:17:17Il y a quand même un certain nombre
01:17:19de facteurs d'attractivité
01:17:21et de ce point de vue-là,
01:17:23l'Union européenne,
01:17:25notamment avec le pacte sur la migration et l'asile,
01:17:27a mis en place récemment
01:17:29pour accélérer pour certaines nationalités,
01:17:31avance plutôt vers le chemin
01:17:33d'une restriction de l'accès à ces voies d'asile.
01:17:35Il n'en demeure pas moins que cette même Union européenne
01:17:37a reçu, entre 2013 et 2023,
01:17:398 millions de premiers demandeurs d'asile sur son sol,
01:17:41ce qui est absolument inédit.
01:17:43Et de ce point de vue-là,
01:17:45le Royaume-Uni a une forme de protection,
01:17:47je me place d'un point de vue politique,
01:17:49qui a trait à la barrière naturelle
01:17:51et hélas meurtrière de la Manche.
01:17:53L'an dernier, au Royaume-Uni,
01:17:55il y a eu un peu moins de 70 000 demandes d'asile
01:17:57qui ont été déposées.
01:17:59Ce n'est pas les mêmes populations.
01:18:01Par ailleurs, le Royaume-Uni,
01:18:03le même nombre d'habitants.
01:18:05Et par ailleurs, le Royaume-Uni,
01:18:07on peut par exemple se dire
01:18:09que la France a reçu
01:18:11beaucoup moins de demandeurs d'asile
01:18:13si on rapporte le niveau de la demande d'asile
01:18:15au niveau de la population française
01:18:17ou si on se compare par exemple à l'Allemagne,
01:18:19qui est un pays certes plus peuplé,
01:18:21mais qui a reçu de mémoire
01:18:23trois fois plus de demandes d'asile
01:18:25que nous l'an dernier.
01:18:27Et puis, il y a une des choses
01:18:29qui ont fait le passé à Calais,
01:18:31et pardon, je vais être très brève là-dessus,
01:18:33c'est qu'en 2016, si on se rappelle,
01:18:35il y avait 10 000 personnes
01:18:37entassées sur un camp insalubre à Calais,
01:18:39qu'on appelait la Grande Jungle.
01:18:41À l'époque, le gouvernement
01:18:43a décidé de démanteler cette jungle.
01:18:45Et un des moyens d'y parvenir,
01:18:47ça a été de dire aux gens qui s'y trouvaient
01:18:49qu'on ne vous appliquera pas
01:18:51le règlement de Dublin,
01:18:53vous pouvez demander l'asile en France
01:18:55et si vos empreintes ont été enregistrées
01:18:57dans un autre pays de l'Union européenne,
01:18:59on ne vous y renverra pas.
01:19:01Et n'empêche qu'on ne s'est jamais retrouvés
01:19:03avec les mêmes niveaux de présence à Calais depuis.
01:19:05Vous avez rencontré
01:19:07des organisations humanitaires sur place,
01:19:09des représentants de ces organisations.
01:19:11Ils sont là, ils sont sur la plage,
01:19:13ils regardent ce qu'il se passe,
01:19:15ils aident autant que possible
01:19:17ceux qui n'ont pas réussi la traversée
01:19:19à reprendre un peu de chaleur, à s'alimenter.
01:19:21On a vu tout ça dans votre film.
01:19:23Qu'est-ce qu'elles demandent,
01:19:25ces organisations humanitaires aujourd'hui
01:19:27qui oeuvrent sur place ?
01:19:29Qu'est-ce qu'elles demandent,
01:19:31ces organisations humanitaires
01:19:33qui tentaient d'aider les passages par la mer ?
01:19:35Bien sûr, bien sûr.
01:19:37Mais ça ne s'est jamais vu,
01:19:39des organisations humanitaires
01:19:41qui tiennent des rôles de passeurs.
01:19:43Jusqu'à présent, ça ne s'est jamais vu.
01:19:45À Calais, il y a toute forme d'organisation.
01:19:47Il y a les organisations humanitaires
01:19:49qui aident et qui font partie de nos structures.
01:19:51Et puis il y a aussi les habitants de la côte
01:19:53qui, tous les jours, voient des gens marcher
01:19:55en gilet de sauvetage dans leurs rues
01:19:57avec des enfants.
01:19:59Ils sont un petit peu scandalisés
01:20:01et émus de la situation
01:20:03et qui se sont dit, avec un autre voisin,
01:20:05on va essayer de faire un truc.
01:20:07Ce ne sont pas des gens qui roulent sur l'or.
01:20:09C'est un peu l'impression que ça donne.
01:20:11C'est très banalisé, ce que vous avez dit.
01:20:13C'est très banalisé parce qu'on voit des familles
01:20:15se balader sur la plage, etc.
01:20:17Tout ça se passe à la nuit tombante
01:20:19aux yeux des passants, des promeneurs.
01:20:21C'est assez frappant dans votre film.
01:20:23C'est difficile d'en faire prendre conscience
01:20:25avec des mots.
01:20:27Il faut vraiment le voir pour le comprendre.
01:20:29En pleine journée, au milieu de touristes,
01:20:31avec des enfants qui font leur château de sable,
01:20:33qui lisent des livres,
01:20:35et puis un bateau et des gens qui hurlent,
01:20:37se jettent dans l'eau et en 10 minutes, c'est fini.
01:20:39Il y a juste quelques habits qui traînent sur la plage
01:20:41et on reprend le cours de sa vie normale.
01:20:43J'ai vu que certaines organisations humanitaires
01:20:45préconisaient des couloirs sécurisés,
01:20:47en réalité, pour couper l'herbe sous le pied des passeurs.
01:20:51C'est une des solutions avancées
01:20:53par certaines organisations humanitaires.
01:20:55Vous pensez que c'est une bonne solution ?
01:20:57Elle est envisageable, applicable ?
01:20:59Je pense que c'est une bonne solution.
01:21:01La France, par exemple, régulièrement,
01:21:03sans grand succès,
01:21:05essaie de négocier auprès du Royaume-Uni
01:21:07l'instauration de voies légales de migration,
01:21:09notamment et en particulier
01:21:11pour les mineurs non accompagnés,
01:21:13les mineurs isolés,
01:21:15qui ont de la famille au Royaume-Uni.
01:21:17Et ça se fait...
01:21:19C'est epsilon.
01:21:21Donc, effectivement,
01:21:23l'instauration de voies légales
01:21:25pour les gens qui ont des intérêts
01:21:27au sens privé de famille au Royaume-Uni,
01:21:29ça pourrait être une partie de la solution.
01:21:32Qu'en pensez-vous ?
01:21:34Cette solution s'entend dans le cadre d'un accord global
01:21:36qui aurait lieu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
01:21:38En l'occurrence, si on parle du Royaume-Uni...
01:21:40Quand le traité du Touquet a été signé,
01:21:42le Royaume-Uni faisait partie de l'Union européenne,
01:21:44et la France aussi.
01:21:46C'était en 2004, je crois.
01:21:48Et de ce point de vue-là,
01:21:50ça pose la question du degré de priorité
01:21:52que la France met sur ce sujet,
01:21:54parce qu'elle est la première concernée,
01:21:56à l'inverse de nombreux autres pays européens
01:21:57à conclure un accord avec le Royaume-Uni.
01:21:59Et on entend bien par ailleurs
01:22:01que ce n'est pas non plus la priorité du gouvernement britannique,
01:22:03qui est lui-même soumis à la pression légitime,
01:22:06en tout cas qui peut s'entendre,
01:22:08de l'opinion publique sur ce sujet.
01:22:10L'opinion publique qui a notamment fait le vote sur le Brexit,
01:22:13qui s'est décidé largement
01:22:15sur des questions de politique migratoire,
01:22:17avec d'ailleurs d'importantes déceptions à la clé
01:22:19pour ceux qui voyaient dans le Brexit
01:22:21une manière de réduire les flux,
01:22:23puisqu'il n'y a jamais eu autant d'immigration au Royaume-Uni
01:22:25que ces trois dernières années.
01:22:27Donc les partenaires européens
01:22:29n'ont vraiment d'intérêt prioritaire
01:22:31à ce qu'on conclue un accord rapidement.
01:22:33C'est la fin de cette émission, on va finir avec vous.
01:22:35Vous continuez à vous intéresser au sujet.
01:22:37Vous nous préparez quelque chose d'autre peut-être
01:22:39autour de ce sujet,
01:22:41ou vous choisissez de passer à tout autre chose maintenant ?
01:22:43Non, je continue de m'intéresser évidemment à cette thématique.
01:22:45On verra ce qui s'en suit
01:22:47et les enquêtes que je mènerai.
01:22:49Bon, on verra ça peut-être avec vous.
01:22:51Peut-être aurons-nous l'occasion
01:22:53de proposer un nouveau de vos documentaires
01:22:55dans cette émission débadoc.
01:22:57Merci à tous les trois
01:22:59d'avoir participé à cette émission
01:23:01autour de ce film.
01:23:03Vos réactions, ça sera sur hashtag débadoc.
01:23:06Vous pourrez d'ailleurs réagir à ce que seront ces réactions.
01:23:09Merci à Félicité Gavalda,
01:23:11Victoria Bellet, qui m'ont aidée à préparer cette émission.
01:23:14Je vous donne rendez-vous pour un prochain débadoc
01:23:16et ça sera, bien entendu,
01:23:18avec son documentaire et son débat.
01:23:20A très bientôt.
01:23:27Sous-titrage Société Radio-Canada