Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne, répond aux questions d’Alexandre Le Mer.
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00:00 - Europe 1, il est 6h41. - Les français continuent d'épargner en masse
00:04 6 000 milliards d'euros. Voilà le montant du patrimoine financier des ménages au premier trimestre selon la Banque de France.
00:10 Une épargne qui non seulement résiste mais grandit malgré la baisse du pouvoir d'achat.
00:14 - Votre invité sur Europe 1 ce matin Alexandre Lemercier, l'économiste Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Épargne.
00:20 - Bonjour Philippe Crevel.
00:22 - Bonjour. - Les français épargnent de plus en plus. Le patrimoine financier des ménages est encore alourdi de 146 milliards d'euros.
00:29 L'année dernière, comment l'expliquez-vous ?
00:31 - Alors les français sont des épargnants, nous sommes des fourmis, nous avons une véritable tradition en la matière donc ce n'est pas nouveau.
00:39 Simplement depuis en fait la crise sanitaire, depuis l'épidémie de Covid, nous avons encore augmenté notre effort.
00:47 Il y a la peur, il y a la crainte, nous épargnons par précaution, par peur du lendemain, par peur de l'inflation.
00:55 Et puis également il y a des phénomènes structurels qui expliquent pourquoi donc nous épargnons.
01:00 Il y a la retraite, le financement de la retraite, nous pensons que le système de retraite va se dégrader.
01:04 Donc nous mettons de l'argent de côté pour pouvoir maintenir notre pouvoir d'achat quand nous serons donc à la retraite.
01:11 Ce sont ces facteurs qui expliquent pourquoi les français épargnent.
01:14 Alors après c'est vrai que nous épargnons plus que la moyenne européenne.
01:18 Nous sommes en Europe parmi les deux meilleurs pays pour l'épargne, avec l'Allemagne en particulier qui épargne un peu plus que nous.
01:26 Je dirais qu'il y a un phénomène de tradition et puis d'anxiété française que les derniers événements évidemment accentuent.
01:33 Bon c'est une autre exception française.
01:35 Si l'on comprend bien ça signifie aussi Philippe Crevel que beaucoup de français, beaucoup de ménages, conservent une capacité d'épargne.
01:43 Un grand nombre de français épargnent, à peu près 70%, 7 français sur 10 ont la capacité d'épargner, pas forcément des sommes importantes.
01:52 Et donc l'effort d'épargne est essentiellement fait par les 20% les plus riches qui vont donc constituer deux tiers de l'épargne française.
02:02 Mais malgré tout 7 français sur 10 épargnent.
02:05 Il y a 30% qui ne peuvent pas, malheureusement ils aimeraient bien le faire mais ils sont contraints évidemment.
02:11 Soit de puiser dans leur épargne, soit d'être à découvert pour faire face à leurs dépenses du quotidien.
02:17 Oui quels sont les placements phares actuellement ? Le Livret A toujours sans aucun doute ?
02:21 Le Livret A depuis le début de la crise sanitaire est évidemment un placement privilégié.
02:27 L'augmentation de son taux de rémunération qui est passé de 0,5% à 3% de 2022 à 2023.
02:35 Evidemment a entraîné on va dire un boom sur la collecte depuis le 1er janvier 2023.
02:41 C'est 30 milliards d'euros de collecte dont a bénéficié ce produit.
02:46 Il y a également son petit cousin le Livret A de développement durable et solidaire qui a bénéficié de 10 milliards d'euros.
02:52 Donc là c'est vraiment de l'épargne de précaution, c'est liquide, c'est garantie en capital, c'est défiscalisé.
02:58 En France on aime beaucoup les produits défiscalisés.
03:00 De l'épargne de précaution on épargne effectivement et vous l'avez souligné en pensant en cas de coup dur.
03:05 Mais est-ce qu'on n'est pas en train de traverser un coup dur précisément avec cette période inflationniste Philippe Crevel ?
03:10 C'est vrai que ça peut paraître paradoxal de continuer à économiser lorsque au contraire on pourrait puiser dans ses ressources
03:16 pour maintenir ce niveau de vie, maintenir un pouvoir d'achat qui diminue.
03:20 Lors de tous les épisodes inflationnistes, les Français renforcent leur effort d'épargne.
03:25 C'est parce qu'ils ont peur des dépenses de demain et d'après-demain.
03:29 Ils vont se dire "en fait ces dépenses vont coûter plus cher donc il faut que j'ai de l'argent de côté pour pouvoir faire face aux futures dépenses".
03:36 Et puis il y a une anxiété générale, donc c'est pour ça que dans ces cas-là les Français privilégient l'épargne de précaution.
03:43 Et puis il y a également le phénomène d'encaisse, c'est-à-dire que comme le patrimoine diminue avec l'inflation,
03:50 on essaie de le reconstituer en mettant plus d'argent de côté.
03:53 C'est assez implicite, c'est un peu psychologique, mais on s'est constaté par les économistes.
03:57 Psychologique effectivement, parce que même à 3% et c'est notable,
04:01 même avec un livret A à 3%, on reste avec un niveau de rémunération inférieur au taux d'inflation.
04:07 C'est vrai qu'à 3%, l'inflation étant aujourd'hui de 4, elle était de plus de 6% il y a quelques mois,
04:14 c'est vrai qu'on perd de l'argent en valeur réelle, mais c'est mieux que de le laisser sur les comptes courants ou sous son matelas.
04:20 Et d'ailleurs les Français ont vidé un petit peu leurs comptes courants, qui avaient atteint des sommets astronomiques jusqu'en 2022.
04:26 Ils ont réaffecté leur argent sur le livret A, sur le livret développement durable,
04:31 également pour ceux qui en ont la possibilité sur le livret d'épargne populaire qui, lui, est rémunéré à 6%.
04:38 Ça veut dire que là, en revanche, ce produit permet de faire face à l'inflation.
04:43 Voilà, ce LEP, un livret d'épargne populaire dont plus de 10 millions de personnes bénéficient,
04:48 placement réservé aux ménages les plus modestes, toutefois, c'est un placement qui échappe à plus de 8 millions de personnes
04:54 qui sont pourtant éligibles à ce LEP. Pourquoi ça ? Est-ce que c'est un défaut d'information par exemple ?
05:02 Premièrement, parce que souvent les ménages les plus modestes n'ont pas forcément de capacité d'épargne,
05:07 donc ils peuvent ne pas avoir la possibilité, on va dire, matérielle, financière, d'ouvrir un LEP.
05:12 Et c'est vrai qu'il y a parfois un déficit d'informations.
05:16 C'était un produit qui, jusqu'à une date récente, était peu mis en valeur par les banques parce qu'il était coûteux,
05:21 et en plus il était complexe, il fallait prouver chaque année qu'on était éligible à ce produit.
05:26 Ça a été simplifié, c'est maintenant les banques avec le Bercy, avec le ministère des Finances,
05:30 qui vérifient si on a le droit ou pas de conserver son LEP.
05:34 Et c'est vrai que ça a donné des résultats, car aujourd'hui il y a 10,1 millions de Français qui ont un LEP,
05:39 alors qu'on en avait 8 millions en 2021.
05:43 On pense à ce phénomène de déconsommation qui a été observé, qui est observé encore dans la grande distribution en particulier.
05:48 Ce surplus d'épargne, cette épargne massive des Français, ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour l'économie.
05:53 Philippe Crevel ?
05:54 Il ne faut pas opposer épargne et croissance.
05:57 Nous avons besoin d'épargne pour investir, pour financer la transition énergétique.
06:02 L'épargne, le livret A, sert à la construction de logements sociaux.
06:05 Or nous manquons aujourd'hui terriblement de logements.
06:08 Quand on met de l'argent sur un plan d'épargne retraite ou sur un contrat d'assurance vie, on va financer à la fois les déficits publics mais également les entreprises.
06:16 Donc il y a évidemment une utilité de l'épargne.
06:19 C'est vrai qu'à court terme, c'est une renonciation à la consommation et que la consommation est un des moteurs de la croissance.
06:26 Donc c'est vrai qu'il y a un arbitrage.
06:27 Il ne faut pas qu'il y ait d'excès en matière d'épargne, mais il ne faut pas la dénigrer parce que c'est également un facteur important de la construction de la croissance des prochaines années.
06:37 Merci Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Épargne.
06:40 Merci à vous.