Les invités du grand entretien sont Thierry Jousse, critique de cinéma et réalisateur, Serge Toubiana, journaliste et critique de cinéma, ancien directeur de la Cinémathèque française, Gilles Jacob, ancien président du Festival de Cannes et Agnès Troublé, créatrice de mode et amie de David Lynch.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00Et un grand entretien spécial ce matin avec Marion Lourdes et la rédaction d'Inter,
00:05nous voulions rendre hommage à David Lynch dont on apprenait la disparition hier soir
00:09à l'âge de 78 ans, avec de nombreux invités en studio et au téléphone.
00:15Vos souvenirs, chers auditeurs, réactions, les questions que vous vous posez sur l'œuvre
00:20et la vie de David Lynch au 01.45.24.7000 ou sur l'application de France Inter.
00:28Plusieurs invités avec nous en plateau, Serge Toubiana, Thierry Jouss et Vabé Tham.
00:33Bonjour à tous les trois.
00:34Bonjour.
00:35Bonjour.
00:36Serge Toubiana, critique de cinéma, figure des cahiers du cinéma, vous avez dirigé
00:40la Cinémathèque Française et vous aviez consacré une rétrospective à David Lynch
00:45il y a quelques années.
00:46Thierry Jouss, vous aussi vous êtes passé par les cahiers et vous avez notamment écrit
00:53sur David Lynch dans la collection Maître du cinéma.
00:57Vous nous direz justement en quoi il était un maître.
01:00Eva Béthan, on ne vous présente pas, grande voix mythique d'Inter, vous avez couvert
01:05le cinéma et le Festival de Cannes notamment pendant des années aujourd'hui, maîtresse
01:10de la cérémonie du livre Inter.
01:12Avant de rejoindre nos autres invités en plateau, une première question, la même
01:17que je vous pose à tous les trois.
01:19Un mot, quelques mots, qu'est-ce que David Lynch représentait ? Eva Béthan.
01:25Il représentait une irruption, quelque chose d'unique et aller voir un de ses films c'était
01:32de se dire, on se disait ça va être quelque chose et c'est cette joie-là au moment
01:37où on entre dans la salle, on se dit tout peut arriver et je vais avancer à tâtons.
01:41Il y a des films qui vous disent tout en deux minutes puis après ils vont le développer
01:44et là je ne sais pas.
01:45Et dans ce je ne sais pas, on allait comprendre sans que ça passe par un canal traditionnel
01:52et ça c'est exaltant et emballant pour un spectateur.
01:55Serge Toubiala.
01:56Pour moi, David Lynch, c'était un grand cinéaste, un grand artiste.
02:00Pour moi, c'est un petit peu l'équivalent de Andy Warhol dans le cinéma, c'est-à-dire
02:06un inventeur de formes incroyables, profondément américain et complètement non américain.
02:13C'est-à-dire qu'en Europe, on l'a plus aimé, je crois, qu'en Amérique.
02:16Et on va en parler justement Thierry Jouzes.
02:18Un cinéaste branché sur l'inconscient, comme il n'y en a pas eu énormément.
02:22C'est vraiment quelqu'un qui, je pense, a changé au fond la manière de regarder
02:26les films.
02:27Pour moi, mais pour beaucoup d'autres.
02:29Et ça, c'est extrêmement rare.
02:30Je pense que moi je le comparerais, mais c'est totalement différent à l'influence qu'a
02:34pu avoir Godard.
02:35Mais d'une manière, évidemment, totalement, presque opposée.
02:38Une scène, un film, une image que vous retenez ce matin, Eva Béthan ?
02:43Un film, c'est Mulan Drive, parce que je trouve qu'il réunit tout.
02:48Il est séduisant, presque trop séduisant.
02:51On le sait, il nous dit « je vais t'avoir en étant séduisant », mais il y aura quand
02:55même tout mon cinéma dedans.
02:56Serge Toubira ?
02:57Moi aussi, Mulan Drive, parce que je ne l'ai toujours pas compris.
02:59Très bien.
03:00C'est au moins très honnête Thierry Jouzes.
03:03Moi ce serait peut-être plutôt Blue Velvet, qui est peut-être son deuxième premier film
03:08au milieu des années 80, qui est un film qui reste très sulfureux encore aujourd'hui.
03:12Et nous sommes en ligne avec Gilles Jacob, bonjour Président !
03:16Bonjour !
03:17Bonjour !
03:18Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu'on a vu, ce mot qui revenait dans tous les articles,
03:22dans tous les papiers, au lendemain de cette mort de David Lynch ? Pourquoi c'était
03:25un cinéaste culte ?
03:27C'est un cinéaste culte parce que…
03:31Vous en parlez encore au présent ?
03:36Oui, ah ben oui, quand même ! C'est-à-dire que Lynch a compris très tôt que le sens
03:43n'a aucune importance au cinéma, la seule chose qui compte c'est la sensation.
03:48D'où ces cauchemars réveillés, ce cinéma déroutant mais délicieux, qui touche aussi
03:55bien le grand public que les esthètes.
03:57Ce qu'il faut dire aussi, je crois, c'est que Lynch a été produit financièrement
04:04par des Européens, des Anglais pour Elephant Man, Dino De Laurentiis pour Dune, Alain Sartre
04:11pour Une Histoire Vraie et surtout Mulholland Drive dont on parlait, Bouygues pour trois
04:16films dont C'est l'Or et Loula qui a eu la Palme d'Or car il a été très défendu
04:23par Cannes et soutenu par Pierre Rissian, dénicheur de talent comme Lynch et Edwin
04:29Campion.
04:30Justement Gilles Jacob, vous étiez président du festival de Cannes, il a remporté la
04:34Palme d'Or et hier, dans un message posté sur X, vous lui rendiez hommage en écrivant
04:40que sa mort, je vous cite « portait un coup très rude au futur du cinéma moderne ».
04:46Qu'est-ce que vous vouliez dire par là Gilles Jacob ?
04:48Je veux dire par là que non seulement il était d'un modernisme précédent en avance
04:54sur ses collègues cinéastes, mais qu'en fait il avait un tel sens du cinéma y compris
05:01de la bande-son, de la musique et de tout ce que ça comporte parce qu'il avait fait
05:05tous les métiers, il savait tout faire et c'est quelqu'un qui était d'une simplicité,
05:10d'une gentillesse et d'une drôlerie.
05:13Il roulait dans la rue dans Paris, il voyait un taxi, il regardait le numéro du taxi,
05:19il disait « ah ben c'est une bonne soirée parce que les chiffres sont bons, c'est
05:23comme ça ».
05:24Serge Toubiana, on peut rebondir sur ce que disait Gilles Jacob, effectivement il a été
05:29produit largement en Europe, David Lynch, il a été récompensé, césarisé plusieurs
05:35fois, Palme d'Or etc.
05:37Finalement son Oscar il l'a eu beaucoup plus tard, est-ce qu'il n'était pas prophète
05:41dans son pays en quelque sorte ?
05:42Je suis totalement d'accord avec ce que dit Gilles Jacob, c'est-à-dire que pour nous
05:49il incarnait l'Amérique, une Amérique, une Amérique profonde, une Amérique pas du tout
05:55convenue, l'envers de l'Amérique, mais il avait besoin de l'Europe et de la France
06:00en particulier pour la financer, c'est-à-dire que les studios américains ne lui faisaient
06:04pas confiance tout simplement.
06:05Comme beaucoup de cinéastes américains, il trouvait en France, à Cannes et en Europe,
06:10à Venise aussi d'ailleurs, il a eu un million d'euros pour sa carrière je crois, il trouvait
06:16les moyens de financer ses films.
06:18C'est très paradoxal mais ce n'est pas étonnant.
06:20Encore une question Gilles Jacob, vous avez parlé de l'œil de lynx de Lynch, l'expression
06:25est très belle, il a été président du jury à Cannes, qu'est-ce qu'il représentait
06:31pour l'ensemble du monde du cinéma ?
06:34Comment est-ce qu'on le regardait ? C'est très frappant de voir comme Steven Spielberg,
06:39Francis Ford Coppola, lui ont rendu hommage si tôt qu'on a appris sa disparition alors
06:44qu'on a l'impression qu'il est à mille lieux de leur propre type de création.
06:50Oui, il était à mille lieux d'eux, mais en même temps ces gens-là reconnaissaient
06:55son immense talent, le fait que c'était une sorte de phare.
06:59Quand Spielberg l'a pris pour jouer John Ford dans son film autobiographique The Fableman,
07:05c'est une toute petite scène à la fin du film, c'est magnifique, il est à la fois
07:09Lynch, John Ford et tout le cinéma américain.
07:12Avec son énorme cigare.
07:13Exactement.
07:14Non, c'est quelqu'un qui vraiment, non seulement a marqué, mais est un exemple.
07:22Moi je le compare à Kafka, ça peut être différent, mais c'est un peu ce même genre
07:29de phare.
07:30Eva Bettencourt, vous disiez oui à la comparaison avec Kafka, vous parlez ?
07:35Oui, parce que lui, au moment où il fait I Had A Head, son premier film, il dit qu'une
07:39de ses références c'est Kafka.
07:41Et effectivement, il y a de ça dans sa manière de vous faire arriver à des vérités profondes
07:49par ses moyens lui, qui ne sont pas celui de la narration conventionnelle, qui sont
07:53un sens aussi de l'humour, de l'absurde, de la noirceur du monde, mais aussi de montrer
07:59plein de choses contradictoires.
08:00Et de filmer parfois l'inconscient, les rêves, c'est très étonnant, c'est filmer
08:05ce qu'on ne voit pas.
08:06Vous aviez une anecdote Eva, avec David Lynch justement.
08:09C'était en 2001, au moment de Mulholland Drive à Cannes, donc je l'interviewe à
08:17Cannes, et puis je sais très bien, tout le monde sait qu'il veut garder le secret
08:22des films.
08:23Mais à un moment donné, dans la conversation, je lui dis « est-ce que vous êtes déjà
08:27allé voir un psy ? ».
08:29Et il me dit « oui, je suis allé, et j'ai demandé au psy, si je viens vous voir, est-ce
08:35que ça changera ma manière de faire des films ? ». Et il m'a répondu « oui »,
08:39et je lui ai dit « au revoir monsieur ».
08:41De même qu'il ne voulait pas, il voulait, par exemple, je suis profondément d'accord
08:47avec lui, certaines fois dans les making-of, on vous raconte comment une scène qui pour
08:51vous est une scène traumatique, est faite avec des gadgets, ça tue la scène.
08:55Et il dit « il ne faut pas dire le secret ». Dans Air Under Air, même, comment s'appelle-t-il,
08:59Kubrick, qui adorait ce film, voulait savoir comment il avait fait avec le fameux bébé.
09:04Et il dit « jamais je ne dirai comment a été fabriqué ce bébé, vous allez tuer
09:08le film ».
09:09Un magicien ne dévoile jamais ses secrets.
09:10Vous pensez que vous voulez savoir, mais vous serez très déçus si je vous le dis.
09:13Thierry Jouzes, vous parliez de l'inconscient, évabétant aussi, et c'est vrai que ça
09:17donne des films qui sont parfois difficiles, parfois hermétiques, comme on le disait tout
09:21à l'heure, personne n'a complètement compris Mulholland Drive, personne n'a vraiment
09:25la clé du film, malgré tout, c'est effectivement une clé avec une boîte, et malgré tout,
09:33on arrive à l'apprécier.
09:34Parce qu'il y a une séduction, quand même, il faut le dire, son cinéma a quelque chose
09:38de très séducteur, sensoriellement parlant, la musique, le son, tout participe à la couleur,
09:45tout participe à une forme d'enchantement, donc ça c'est quand même très important
09:49parce que ce n'est pas un cinéaste obscur qui travaille dans son coin et qui fait des
09:54films complètement opaques, c'est quand même quelqu'un qui, même s'il n'a pas été
09:57effectivement aimé par Hollywood, travaille quand même avec un système dans lequel il
10:01y a de l'argent, dans lequel il faut quand même séduire le spectateur.
10:04Donc ça, ça fait partie de son univers, et il le savait très bien, et il n'y a aucun
10:08cynisme chez lui, en revanche, il y a un sens plastique, un sens de la narration, un humour
10:14aussi qu'on n'a pas assez souligné, qui est quand même très présent chez lui, et
10:17qui l'avait lui-même.
10:18Un humour !
10:19Moi je trouve qu'il y a beaucoup d'humour chez David Leitch !
10:21Vous avez tous l'air d'accord !
10:22Lui-même était quelqu'un...
10:23On l'a connu, on l'a rencontré, moi j'ai eu la chance.
10:26Un humour british je dirais !
10:27Oui c'est vrai !
10:28Une élégance, on parle aussi de l'homme, l'homme était d'une élégance, d'une courtoisie
10:33incroyable.
10:34On a tous été frappés par sa gentillesse, moi j'ai passé une grande, presque une journée
10:41avec Nicolas Saada il y a 25 ans, chez lui, dans sa maison, j'espère qu'elle n'a pas
10:47brûlée, à côté de Griffith Park à Los Angeles.
10:50Parce qu'il a été évacué d'ailleurs, à cause de l'incendie qui ravage Los Angeles
10:54cette nuit, qu'il a si bien filmé.
10:56Et il avait des problèmes un peu de respiration, des problèmes respiratoires, mais il nous
11:01avait reçus...
11:02Il avait à la fois son atelier de peintre, son auditorium de musique, c'était un malade
11:09du son, de la musique, et son lieu de travail, c'était un indépendant à Hollywood.
11:18Et cette indépendance, il l'a conçue, il l'a construite, beaucoup grâce à nous.
11:24Et justement, on voulait entendre un artiste réalisateur lui-même, bonjour Cédric Lapiche !
11:31Bonjour !
11:32Merci infiniment d'être avec nous ce matin sur Inter, je rappelle votre dernier film
11:36encore, vous êtes membre de la Cinetech, vous avez mis en avant plusieurs des films
11:41de David Leitch.
11:42Qu'est-ce qu'il a apporté pour vous, et dans le cinéma en général, le cinéma américain,
11:48dont on a entendu qu'il lui était familier et étranger en même temps ?
11:53Oui, je pense que c'est une sorte de point limite quand on parle de cinéma américain
11:58ou d'Hollywood.
11:59Il y a le côté commercial, il y a le côté industriel d'Hollywood, mais il y a aussi
12:03le côté artistique, et lui, il représente ça, il représente le côté art, avec un
12:08grand A.
12:09C'est une sorte de pionnier, c'est quelqu'un qui ouvre des voies, beaucoup de choses ont
12:14été dites, et je suis d'accord avec tout ce qui a été dit sur lui, sur le fait que
12:16vraiment c'est quelqu'un comme Kubrick, comme Hitchcock, ou comme Godard, qui invente
12:22des nouveaux langages, des nouvelles façons de faire du cinéma.
12:26Et surtout, parce que ça peut, j'en en parlais, quand il a fait Twin Peaks, il a réinventé
12:33la notion de série, et il a aussi ouvert une brèche sur le fait qu'on peut faire
12:38de la série ou faire de la télé, et que ce ne soit pas de la télé, que ce soit aussi
12:42de l'art.
12:43Ce qui est intéressant et embêtant, c'est effectivement ses séries, et puis c'est aussi
12:45ses acteurs, il a réussi à dénicher, à trouver les bons acteurs pour incarner les
12:50personnages, Kyle MacLalan, Laura Dern, Isabella Rossellini.
12:53Mais je dirais que beaucoup de cinéastes, si on est un bon cinéaste, on sait trouver
12:56les acteurs qu'il vous faut.
12:58Mais il se les attache pour plusieurs films.
13:00Oui, et Laura Dern notamment, qui accompagne toute sa vie de cinéma.
13:04Ce qui est frappant quand on voit Twin Peaks, ça date de 1990, c'est l'année où il a
13:09la palme d'or pour Sailor et Lula, il avait fait quelques années auparavant The Elephant
13:15Man.
13:16Il est au top, et il fait là une série, vous regardez des séries qui sont arrivées
13:21après, même des grandes séries, et bien il n'a en rien été dépassé.
13:27C'est-à-dire qu'il a ouvert une voie d'inventivité de la série de créateurs, d'artistes.
13:32Que la série pouvait être un ouvrage artistique, et ça c'est formidable.
13:36D'ailleurs, on le voit toujours comme quelqu'un de jeune, même son look, sa manière d'être,
13:42il avait un côté d'être dans le présent et dans la modernité.
13:45Et avec un regard riant, il y a un chef-d'œuvre qui a énormément compté pour moi, et je
13:51le dis parce que ça fait partie de mon éducation à l'humanisme, c'est Elephant Man, justement.
13:56J'aimerais qu'on en écoute un extrait, un moment très fort où Elephant Man est poursuivi
14:01par la foule dans le métro.
14:02« Je ne suis pas un éléphant, je ne suis pas un animal, je suis un être humain.
14:23» Cette dimension-là, à Serge Toubiana, elle est très importante aussi dans le cinéma
14:27de David Lynch.
14:29C'était aussi quelqu'un d'engagé qui osait, formellement, tourner en noir et blanc,
14:35ce qui est quand même assez ahurissant, mais surtout aussi s'emparer d'histoire pour
14:40faire bouger les choses.
14:41Oui.
14:42Là, je n'ai pas revu Elephant Man depuis, je ne sais pas, 45 ans, je ne sais pas, mais
14:48ça nous a marqués.
14:49Ça nous a marqués, c'est resté dans notre mémoire, dans notre conscience et dans notre
14:56mémoire de façon indélébile.
14:58Alors que c'est un film en noir et blanc, c'est un film expérimental.
15:02Et cette dimension expérimentale, elle fait partie de l'œuvre de Lynch, c'est-à-dire
15:10qu'il aimait expérimenter et, comme l'a dit Eva, ce côté sériel me fait penser
15:16à Warhol, moi.
15:17C'est pour ça que je trouve que c'est un artiste moderne.
15:20Il a aimé la série, il nous a fait aimer la série bien avant le culte des séries
15:27contemporains, bien avant.
15:28Et ces séries, Twin Peaks, je n'ai toujours pas compris encore beaucoup de choses dans
15:34son œuvre.
15:35Non, parce que c'est vrai, c'est une œuvre…
15:36Nous sommes quelques-uns.
15:37Non, mais c'est ça qui nous passionne, c'est-à-dire qu'on se dit « mais c'est tellement américain
15:41et en même temps, c'est moderne ». Formellement, ça nous parle beaucoup, ça nous parle beaucoup.
15:46On aime bien ce qui est expérimental, on aime bien le cinéma d'auteur.
15:49C'est ça ce paradoxe.
15:50Et c'est vrai que quand j'ai appris sa mort hier par vous, par un SMS de vous m'invitant
15:55ce matin, j'étais d'une tristesse absolue.
15:58Il n'était absolument pas prévu qu'il meure.
16:01Il avait 70 ans.
16:02On n'était pas prêts.
16:03On n'était pas prêts, on n'est pas prêts encore.
16:04Et je pense qu'on a maintenant devant nous un chantier énorme, individuellement, intimement.
16:09C'est tout revoir.
16:11Thierry Jousses, en fait, il avait quand même arrêté de faire du cinéma et des séries
16:15depuis dix ans ?
16:16Pas tout à fait quand même, parce qu'il ne faut pas oublier cette troisième saison
16:19de Twin Peaks en 2017 qui s'appelle « Twin Peaks The Return » et qui est d'ailleurs
16:24ce que lui-même concevait comme une sorte de long film de 18 heures.
16:27Et on en parle encore comme d'un cinéaste, alors qu'il était devenu peintre, sculpteur.
16:30Il est toujours été cinéaste, c'est quand même là où il s'est exprimé le plus pleinement.
16:34Le reste, ça fait partie de son univers aussi.
16:36Mais ce que je voudrais redire, notamment sur Twin Peaks, mais peut-être que ça vaut
16:40pour l'ensemble de son cinéma, c'est qu'au fond c'est plus qu'une œuvre, c'est un monde
16:43qu'il nous laisse.
16:44C'est-à-dire qu'on parle d'un monde lynchien, c'est presque, c'est pas encore passé, c'est
16:49pas comme kafkaïen ou hitchcockien, mais ça va venir, c'est évident.
16:53Donc c'est un monde et ce monde, il va avoir un impact, pas seulement il a eu un impact
16:57sur les spectateurs qui l'ont vu, mais il aura un impact, à mon avis, sur les spectateurs
17:01à venir.
17:02Alors justement, il y a de très nombreux auditeurs, spectateurs qui font part de leur
17:06réaction à la disparition de David Lynch, comme si c'était quelque chose de comparable
17:11à un deuil familial, perdre quelqu'un qui vous a profondément marqué, pour reprendre
17:15vos mots Serge Toubiana, c'était un cinéma addictif, pulsionnel, obsédant, tout ce qu'il
17:22fallait pour devenir le spectateur absolu.
17:25Gauthier dit que ce cinéaste l'a vraiment dérangé, mais qu'est-ce qu'il a aimé être
17:30dérangé par ce cinéaste ? Jacqueline dit qu'elle a vu absolument tous les films de
17:36Lynch et elle aussi parle de la manière dont il l'a bouleversé.
17:40Qu'est-ce que vous, Cédric Clapiche, vous souhaitez garder de lui ? Quelle image, quel
17:46film, quelle sensation est-ce que vous avez en tête lorsque vous pensez à David Lynch ?
17:53Moi je suis assez d'accord avec Toubiana sur le fait que je ne comprends pas et c'est
17:56ça que j'aime bien.
17:57Et j'ai adoré « Lost Highway » parce qu'il nous emmène quelque part et on ne sait pas
18:03où on va et c'est ça qui est beau, c'est-à-dire qu'on va vraiment dans un inconnu et je pense
18:09que peut-être le film le plus fort, c'est le premier que j'ai vu, c'est « Eurythmics »,
18:12qui est son premier film, où en fait pour moi c'est la mise en image d'un cauchemar
18:17et je crois que je ne connais pas d'autres films qui approchent d'aussi près l'inconscient
18:22dans ce que ça a de plus malaisant, dans ce que ça a de plus particulier et incompréhensible
18:27justement.
18:28Et c'est vrai que la vision d'Erythmics reste gravée, comme un bon souvenir, c'est
18:34ça, c'est un bon souvenir d'un cauchemar.
18:36Serge Toubiana, ce qui est intéressant c'est que c'est un cinéma très référencé,
18:39par exemple dans « Sailor et Loula » on retrouve des éléments du magicien d'Oz,
18:42dans plusieurs films on retrouve du Hitchcock aussi et en même temps il est devenu aussi
18:46une référence.
18:47Mais en même temps, on en parlait avec Thierry avant d'entrer dans le studio, ce n'est
18:51pas un cinéaste cinéphile, c'est marrant, ce n'est pas un cinéphile, il vient de
18:56la peinture, il vient de la musique, il vient de l'expérimentation, il vient de la série,
19:00ce n'est pas un cinéphile, ça ne l'intéresse pas d'être un cinéphile, il est au-delà
19:04et il a dépassé cela.
19:05Et moi je voudrais vous dire une chose très intime, il venait souvent à Paris, sans
19:10crier gare, et il fréquentait un lieu, que j'ai eu la chance de fréquenter aussi,
19:15un atelier extraordinaire dans le 14ème arrondissement de Paris, rue du Montparnasse, chez ITEM,
19:21et il adorait des lithographies, où il y a des immenses pierres qui permettent de
19:26créer des œuvres d'art, qui datent de Matisse, qui datent de Picasso, qui datent du début
19:32du 20ème siècle, il était là comme dans une église, et il était là humblement,
19:39timidement, et il faisait son œuvre d'artiste, moi je l'ai beaucoup vu là aussi, et c'était
19:44bouleversant, ce grand cinéaste, ce grand artiste américain venait chez nous, rue
19:48du Montparnasse, il habitait dans un petit hôtel, pour fréquenter ce lieu, et travailler
19:53lui-même ses lithos, sur ces vieilles pierres, qui dataient du début du 20ème, vous voyez.
19:59Bonjour Agnès B, bonjour, merci infiniment de nous rejoindre et de rendre hommage à
20:06David Lynch, dont vous étiez l'ami, vous êtes collectionneuse, créatrice de mode,
20:12David Lynch, on a dit que c'était styliste et galeriste, vous imaginez comme nous, qu'il
20:19y a une silhouette qu'on a tous en tête, qui est une silhouette, celle d'un homme
20:25extrêmement élégant, qu'est-ce que vous ressentez aujourd'hui, après la disparition
20:29de votre ami ? J'ai du mal d'entendre ça, parce que je
20:31l'ai habillé, il m'a écrit un mail, il n'y a pas très longtemps, ça fait 25 ans
20:36que vous m'habillez, il m'avait écrit ça, il y a une dizaine d'années, il n'a porté
20:40que des vêtements, la chemise blanche, la fameuse plus belle chemise, comme elle s'appelle
20:45chez nous, avec sa cravate noire, la veste, mais c'était un très bel homme, on ne le
20:50dit pas assez, avec ses cheveux drus et blancs, il était très beau, et puis moi aussi je
20:57l'ai vu chez ITEM et puis je l'ai vu aussi à la Fondation Quartier avec sa fille Loula,
21:03quand la Fondation l'a exposée en 2007 je crois.
21:07Et il a fait des photos, il a été également exposé à Paris Photo, il y a aussi la voix
21:14de David Lynch que j'aimerais qu'on entende, écoutez, ça c'est assez extraordinaire.
21:19Je porte des lunettes de soleil, parce que je vois le futur, et il est très clair, il
21:31est illuminé, vous acquiescez tous ces revêtements ?
21:34Il peut y avoir des choses très dures, très glauques dans ces films, mais c'est pas un
21:38être amer ou cynique, pas du tout, et il y a une honnêteté profonde, il ne fait pas
21:44le malin, c'est pas juste entre guillemets quelqu'un qui sait expérimenter, qui sait
21:49faire, il y a une honnêteté profonde et on n'a pas besoin, je suis d'accord avec Cédric
21:53Lapiche, d'avoir compris, à la limite j'aime le fait que je ne comprends pas tout, l'avantage
21:58maintenant d'avoir les films, on peut les revoir en replay où il y a eu les DVD auparavant,
22:01on peut revoir 50 fois « Mulan Drive » quand on n'a pas compris, mais on s'en fiche d'avoir
22:06quand même pas compris, puisqu'au fond on comprend.
22:08Et puis on peut lire les cahiers du cinéma aussi, pour décortiquer ça, on peut également
22:12lire le travail qu'a fait Gilles Jacob, pour le coup comme cinéphile, et notamment dans
22:18son livre « À nos amours » qui a été publié aux éditions Kalman-Levy.
22:22Merci Cédric Lapiche, merci Agnès Bey d'avoir été avec nous sur Inter ce matin, Serge
22:27Diana, Thierry Joux, Sébastien Bétan, merci et très bonne journée.