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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, je vous salue.
00:07 Bonjour Guillaume, je vous salue également.
00:10 Bonjour à tous.
00:11 Vous poursuivez l'examen du texte sur l'immigration.
00:13 Oui, j'accompagne le Sénat qui depuis lundi débat du projet de loi sur l'immigration
00:18 et l'intégration.
00:19 Nous avons déjà parlé ici de l'aide médicale d'État que les sénateurs ont décidé
00:23 de limiter à une aide médicale d'urgence.
00:25 Ce matin, c'est l'article 3 qui nous intéresse, celui qui réorganise la régularisation des
00:31 travailleurs sans papier.
00:32 Bonjour Emeline Zoukbede.
00:34 Bonjour.
00:35 Vous êtes sociologue, chercheuse post-doctorante au CNRS.
00:38 L'idée du gouvernement était de faciliter la régularisation des travailleurs dans les
00:43 métiers où le recrutement est difficile.
00:45 Est-ce que ce n'est pas plus ou moins la caractéristique de tous les emplois des
00:49 travailleurs sans papier ?
00:50 Oui, en effet.
00:52 Ce qu'il me semble déjà de souligner, c'est que dans le projet d'article tel
00:56 qu'il a été proposé, c'est vraiment de souligner les termes métiers en tension
01:01 et secteur en tension.
01:02 Il existe des listes de métiers en tension depuis à peu près 2006-2007 qui permettent
01:08 justement, comme se propose cet article 3, de régulariser, enfin en tout cas de permettre
01:14 à des étrangers d'occuper des emplois dans des métiers où il y avait des difficultés
01:17 de recrutement.
01:18 Ce qu'on se rend compte, c'est que cette liste de métiers en tension, si elle correspond
01:22 à des secteurs en tension, qui vont être là encore l'agriculture, le bâtiment,
01:25 la restauration, les métiers correspondent plutôt, pour leur plupart, à des métiers
01:31 qualifiés dans ces secteurs en tension.
01:33 Et cette liste de métiers en tension, il y en a différentes, elle concerne particulièrement
01:38 les personnes non ressortissantes de l'Union européenne.
01:42 Et donc, tel que c'est posé, cela voudrait dire que les travailleurs sans papier qui
01:46 sont des non-ressortissants de l'Union européenne peuvent prétendre à des métiers dans des
01:50 secteurs en tension, mais qui sont qualifiés.
01:52 Or, ce que montraient les mobilisations de travailleurs sans papier soutenus par différents
01:56 syndicats, c'est bien qu'ils travaillent dans des secteurs en tension, et là encore,
02:01 on va retrouver l'hôtellerie, la restauration, le bâtiment, l'agriculture, mais à des
02:06 postes peu qualifiés qui vont être plongeurs pour la restauration, manœuvres sur les chantiers,
02:11 agents d'entretien pour le nettoyage, etc.
02:13 Vous voulez dire qu'il n'y avait pas d'adéquation entre ce projet d'article 3 et la réalité
02:19 du travail et de l'emploi des immigrés en situation irrégulière ?
02:22 Le Beauvau estimait entre 7 à 8 000 travailleurs par an concernés par cette mesure.
02:27 Juste un point, quel droit ouvre la régularisation ? Est-ce que ça permet d'obtenir des prestations
02:33 sociales, la possibilité de faire venir sa famille en France ?
02:36 Oui, juste pour une précision, c'est plutôt le flou qu'entoure l'article sur le métier
02:41 en tension.
02:42 La régularisation, effectivement, c'est l'acquisition de droits.
02:47 C'est l'acquisition de droits notamment par le fait que quand le travailleur est régularisé,
02:52 son travail est aussi en situation régulière et donc il lui accorde un certain nombre de
02:56 droits au travail.
02:57 Le chômage, pour lequel il cotise déjà, la retraite, etc. mais qu'il pourront percevoir.
03:01 Ensuite, il me semble que la régularisation c'est aussi une question de droits sociaux
03:04 et d'acquis sociaux.
03:05 Et c'est aussi pour aller plus loin, le droit à une vie décente au travail, ce qui
03:10 le rappelle est un des objectifs de développement durable de l'ONU, et donc aussi le droit
03:14 à être un sujet de droit.
03:15 Et c'est ce que posait l'article 3 en fait, en inscrivant juridiquement dans la loi une
03:19 régularisation par le travail permettant aux personnes d'être des sujets de droit.
03:23 Mais alors cet article 3, on l'a entendu dans le journal, n'a pas été adopté par
03:27 le Sénat.
03:28 A la place, les sénateurs en ont adopté un autre.
03:30 D'abord, il faut noter dans cette nouvelle rédaction d'un article qui s'appelle le
03:34 4 bis, que la décision reste aux mains des préfets.
03:37 Alors, quel est l'objectif ?
03:38 C'est rester dans une logique de cas par cas, éviter tout recours de masse ?
03:41 C'est ce qui a été dit.
03:44 Et effectivement, rester dans la logique du pouvoir discrétionnaire des préfets
03:49 permettrait justement de pouvoir dire à certaines personnes, de faire en sorte que certaines
03:54 personnes ne voient pas leur situation régularisée.
03:56 En l'état, quand il était posé l'article 3, en inscrivant justement la régulation
04:02 dans la loi, c'était de dire que cette régularisation pouvait être un droit opposable.
04:08 C'est-à-dire qu'elle pouvait être attaquée devant les tribunaux.
04:11 On pouvait recourir devant les tribunaux pour dire "la régularisation m'a été
04:15 refusée, je fais un recours pour une réétude du dossier".
04:19 En conservant en fait la régularisation comme une mesure d'exception aux mains des préfets,
04:23 on recourt encore une fois de plus à leur pouvoir discrétionnaire.
04:26 Et c'est donc aux préfets de décider, selon des critères d'appréciation, si le dossier
04:31 rentre dans ce qu'ils estiment acceptable.
04:34 Et ce qui est intéressant c'est que de nouveaux critères d'appréciation ont été
04:37 ajoutés à la loi.
04:39 Non seulement, je cite, les préfets devront vérifier non seulement la réalité et la
04:44 nature des activités professionnelles de l'étranger, bon ça c'est classique,
04:47 mais aussi son insertion sociale et familiale, son respect de l'ordre public, son intégration
04:51 à la société française, son adhésion au mode de vie et aux valeurs de la communauté
04:55 nationale et son absence de condamnation pénale.
04:58 Vous qui avez assisté dans le cadre de vos recherches à ces réunions en préfecture
05:02 où on examine des demandes de régularisation par le travail, est-ce que vous jugez ces
05:06 mesures techniquement faisables ?
05:08 Alors je les ai citées extrêmement difficiles d'application et d'appréciation.
05:13 Si on voit à peu près ce que pourrait donner en fait, ce qui constituerait un moyen de
05:21 vérification pour les condamnations pénales ou le respect de l'ordre public,
05:24 Oui un extrait de casier judiciaire.
05:25 Exactement.
05:26 On a du mal à imaginer quels documents il faudrait fournir.
05:29 Et là encore, ça deviendrait à la charge des personnes qui demandent leur titre de
05:33 séjour, quels documents on devrait fournir pour prouver qu'on est inséré socialement,
05:37 qu'on a un mode de vie qui correspond.
05:40 Et voilà, ça interroge.
05:41 Et il me semble que ce sont des vraies questions de fond qu'il ne faut pas laisser passer
05:47 telles quelles et qui notamment empruntent un terrain glissant dans la mesure où elles
05:54 demandent à définir des modes de vie qui par définition sont pluriels, sont riches,
06:00 etc.
06:01 Et vous l'avez dit, ça sera a priori aux travailleurs sans papier qui feront la demande
06:05 de produire ces papiers.
06:07 Ça va aller vraiment vers une inflation de ce que vous appelez dans vos travaux la
06:10 course à la production de papier.
06:11 Pour des gens qui sont sans papier, on leur demande, et c'est le cas de la circulaire
06:15 Valls de 2012, de produire une masse incroyable de papier.
06:17 Oui, c'est le cas.
06:19 Pour revenir sur la circulaire Valls, effectivement, pour demander une admission exceptionnelle
06:23 au séjour, et donc on parle de régularisation, il faut présenter des preuves de présence
06:27 du séjour en France, peu importe le motif de la demande.
06:30 Ces preuves de séjour sont hiérarchisées en trois catégories.
06:33 Les preuves certaines qui émanent des administrations de l'État, donc les avis d'imposition,
06:37 les documents d'hôpitaux publics, il y a ensuite les preuves à valeur probante réelles
06:42 qui vont émaner d'entreprises privées, comme les bulletins de Saterre, et puis des
06:47 preuves à valeur probante limitées qui vont être là sous les documents personnels,
06:51 comme les attestations d'hébergement.
06:52 Et donc, en fait, de moi ce que j'ai étudié, dans la manière d'apprécier les dossiers
06:55 de demande de régularisation du séjour par le travail, on va avoir ce que dit la circulaire
07:00 Valls, c'est un espèce de faisceau d'indices qui doit importer l'intime conviction des
07:05 préfets sur le caractère fondé de la demande.
07:08 Et en fait, qu'est-ce qui se passe ? C'est que finalement, on va, pour que ce soit un
07:12 peu imagé, étaler des tonnes de papier, mais c'est vraiment assez impressionnant,
07:17 et voir un peu la cohérence de ces papiers, quel schéma dans 100 000 décennies, pour
07:21 juger si cette personne est digne à la régularisation.
07:26 Et ce que je voudrais ajouter, c'est que cette demande de papier, elle balise aussi
07:29 des parts courantes.
07:30 Par exemple, si la circulaire Valls dit qu'il faut deux preuves certaines par an, certaines
07:34 préfectures demandent une preuve certaine par semestre.
07:36 Ce qui veut dire qu'il faut déclarer les impôts quand il faut, mais aussi l'aide
07:39 médicale d'Etat quand il faut.
07:40 - On arrive à avoir un contrat de travail, un bulletin de paix, quand on n'a pas de titre
07:43 de séjour valable ?
07:44 - Oui, on arrive, et c'est toute la contradiction et le paradoxe justement de la circulaire Valls,
07:51 qui permet la régulation des travailleurs sans papier.
07:53 - Merci beaucoup, merci Emeline Zoukbedé pour toutes ces précisions.
07:57 Je rappelle que vous êtes sociologue, post-doctorante au CNRS.
08:00 Merci d'être venue ce matin.
08:01 - Merci.
08:02 - Et merci Marguerite Caton.

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