Un monde, un regard - Joann Sfar

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On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.

Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023

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00:00 Musique de générique
00:02 Je ne ferai pas le catalogue des œuvres de mon invité, il y en a trop.
00:25 Je ne dirai pas non plus qu'il est un auteur prolifique, il n'aime pas beaucoup l'expression.
00:30 Non. Ce que je peux dire en revanche, peut-être, c'est qu'il fait de la philosophie en dessinant,
00:35 ou du dessin en philosophant.
00:36 Comprenez en tout cas que son œuvre est profonde et qu'elle nous fait réfléchir.
00:41 Son coup de crayon n'a rien de réaliste, mais son trait énergique et tout en méandre
00:45 dit tout de notre réalité, de notre rapport à la vie, à la mort, aux religions,
00:50 des relations entre les peuples, entre les cultures, entre les sexes.
00:53 Il apporte beaucoup au monde avec ses bandes dessinées, ses carnets, ses romans, ses films.
00:58 Il lui donne du piment, du sel, du sarcasme, de la lucidité, de l'ironie aussi sur des
01:03 choses simples que nous vivons tous.
01:05 Que l'on aime ou pas son écriture, son style, son dessin, on est, quoi qu'il arrive,
01:10 percuté, bouleversé, on sort différent de la lecture de ses œuvres.
01:14 Et lui, est-il percuté par nous, par les humains, par la vie ? Sort-il différent de
01:19 la réalité que nous vivons ? Comment sort-il par exemple de cette journée du 7 octobre
01:23 2023 qui marquera un tournant dans l'histoire du monde et qui lui a inspiré une aquarelle
01:28 devenue virale, un "chay" mot hébreu qui signifie "vivant".
01:32 Posons-lui toutes ces questions.
01:34 Bienvenue dans "Un monde à regard".
01:35 Bienvenue à vous, Johann Spahr.
01:36 Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Dôme Tournon.
01:40 Est-ce qu'il y aura pour vous personnellement un avant et un après 7 octobre 2023 ?
01:44 C'est difficile de répondre en une phrase.
01:47 En tout cas, il y a eu un traumatisme mondial dans la communauté juive.
01:51 La certitude qu'au-delà des horreurs séculaires du conflit du Proche-Orient a eu lieu dans
01:58 le sud d'Israël le plus grand massacre de juifs depuis la Deuxième Guerre mondiale
02:03 avec des méthodes qui rappellent les Einsatzgruppen, avec des méthodes exterminatoires.
02:07 Et ça nous sort de l'histoire du Proche-Orient pour nous replonger dans la fragilité du
02:13 destin juif.
02:14 Il est très difficile de garder ça en tête, de faire le deuil de cette histoire tout en
02:20 gardant sa raison quand on envisage les forces en présence au Proche-Orient et la nécessité
02:25 d'être capable de pleurer pour les morts des deux camps.
02:29 Quelle est l'histoire de cette aquarelle qui semble vous venir assez vite lorsque le
02:33 drame a lieu à partir du 7 octobre ? Comment elle vous vient ? Quelle est son histoire
02:39 à cette aquarelle ?
02:40 C'est une étrange coïncidence.
02:41 Pour ma bar mitzvah, quand j'ai eu 13 ans, pour ma communion, j'ai pas pu avoir un
02:46 chai ou une étoile de David parce que mon père trouvait que c'était pas élégant
02:51 et il disait "les nazis nous ont déjà mis une étoile, on va pas la mettre volontairement".
02:55 Et là j'ai fêté mes 52 ans, l'anniversaire s'est fait le 7 octobre, et j'avais dessiné
03:01 le bijou que je voulais commander, le bijou que j'ai pas pu avoir pour ma bar mitzvah,
03:05 je voulais un chai, parce que ça veut dire la vie, ça veut pas dire "nous vaincrons",
03:08 ça veut juste dire la vie.
03:09 Et j'ai fait ce dessin en préparant mon anniversaire et on a appris les nouvelles
03:15 du massacre et j'ai juste écrit "cela veut dire nous vivrons", parce que j'essayais
03:20 de rappeler que, à ma connaissance, l'objectif du peuple juif n'est pas de vaincre quiconque,
03:26 mais c'est juste de survivre.
03:28 Et ce que j'ai constaté c'est que les gens qui veulent pas de juif au Proche-Orient,
03:31 en général n'en veulent pas ailleurs non plus.
03:33 Et voilà, donc je l'ai fait pas de manière idéologique mais de manière, oui, émotionnelle.
03:38 Je précise pour les gens qui nous écoutent qu'il y a une manifestation devant le Sénat,
03:42 ou le bruit qu'il peut y avoir lors de cette interview et je demande pardon au public pour
03:47 ce bruit qui peut être un peu gênant mais on va se concentrer sur vos propos.
03:50 Un jour vous avez dit "il y a une véritable jouissance dans le dessin, même quand il
03:54 s'agit de scènes atroces.
03:56 Par le dessin, sans le faire exprès, j'adoucis.
03:58 Dessiner une chose atroce, c'est la rendre regardable.
04:01 J'utilise le dessin pour démystifier."
04:03 Est-ce que vous les avez déjà dessinées, les scènes du 7 octobre 2023 ?
04:08 Non, ça je n'en suis pas capable, également parce que je ne les ai pas vues.
04:12 En revanche, je suis capable de dessiner les paramédics, les légistes et les gens de
04:18 - on appelle ça la "Rêvera Kadisha", je ne connais pas le mot en français -
04:21 les gens qui se sont occupés des corps, ça je suis capable de dessiner les témoignages.
04:24 Vous l'avez fait ?
04:25 Oui, ça je l'ai fait, j'ai mis en ligne des...
04:27 Parce que parfois, vous savez dès qu'il y a un massacre, tout de suite les gens vont
04:31 dire "c'est pas vrai, vous avez inventé".
04:32 Donc on a tendance à vouloir montrer les photos et les films des massacres.
04:36 Moi j'ai le sentiment que la vérité au sens journalistique ne vient plus par les images
04:40 mais vient par des témoignages recoupés par des médecins, par des enquêteurs, par
04:45 des légistes.
04:46 Et là, le dessin peut avoir un rôle citoyen qui consiste à transmettre un témoignage.
04:50 L'autre chose aussi, c'est que quand le réel est trop choquant pour être regardé, le
04:55 dessin d'abord explique mais également permet de l'emprasser de manière plus intellectuelle
05:00 et moins viscérale.
05:01 Quand dans d'autres de mes ouvrages, dans "Les enfants ne se laissaient pas faire",
05:04 j'ai parlé de la Shoah par balles, dessiner des photos de massacres de la deuxième guerre
05:09 mondiale, c'est les rendre regardables pour un examen journalistique et historique, c'est
05:13 les sortir de l'horreur pulsionnelle de la photographie.
05:17 Vous qui interrogez beaucoup notre rapport à la religion, notamment au travers du "Chat
05:21 du rabbin", qu'est-ce qu'il dirait le "Chat du rabbin" sur ce qui s'est passé ? Qu'est-ce
05:25 qu'il dirait de la religion ? Est-ce qu'il mettrait en cause la religion là aussi ?
05:29 Pas de manière aussi directe.
05:31 Moi je crois que, même si c'est peu audible aujourd'hui, le Maghreb a beaucoup à nous
05:35 enseigner, tout simplement parce que les populations maghrébines, qu'elles soient musulmanes,
05:39 juives ou chrétiennes, n'ont pas choisi de vivre ensemble.
05:42 Et on réussit, il n'y a jamais eu d'âge d'or au Maghreb, ça ne s'est jamais bien
05:45 passé, mais au moins on ne se massacrait pas trop.
05:48 Et dans cette manière de ne pas trop se massacrer, il y a assez peu d'ambition, une façon de
05:53 survivre et une manière de se connaître.
05:55 Or aujourd'hui on voit très bien dans la jeunesse qu'il y a envie de s'impliquer
05:58 sur le Proche-Orient, il y a une envie d'agiter des drapeaux comme si c'était un match de
06:02 football, or pour moi revenir à l'humain c'est également mettre un petit peu de côté
06:07 les compétences de géopoliticiens que personne n'a et que tout le monde agite, et juste
06:11 revenir à quelque chose, le pragmatisme maghrébin ça me plaît beaucoup.
06:15 Par exemple, dans le silence qui a suivi le 7 octobre, les juifs se sont sentis très
06:19 seuls, je vous serais sans doute surpris, mais les premiers qui m'ont écrit ou qui
06:24 m'ont appelé, ce sont des amis maghrébins et des amis iraniens.
06:27 Ils ne m'ont pas du tout appelé pour me demander mon avis sur le Proche-Orient ou
06:30 me parler du détail, parce qu'ils savent très bien qu'on ne sera pas d'accord pour
06:32 des raisons d'affinité.
06:33 Mais en revanche, j'ai eu des coups de fil d'amis maghrébins et d'amis iraniens, tout
06:37 simplement "comment vas-tu ?" Et cette simplicité-là, moi j'y suis très sensible, et il y a une
06:42 tentation dans les événements actuels de nous déchirer et de dire "ah ben voilà,
06:46 le choc orient-occident dont rêvait les Le Pen, on l'a maintenant".
06:50 Moi je pense qu'on a le droit de dire que le futur ressemblera à ce qu'on décide,
06:55 et de toute façon construire l'avenir c'est construire l'avenir avec les gens qui sont
06:59 vivants.
07:00 La seule chose que j'ai à dire sur le Proche-Orient, c'est que les gens qui s'imaginent que les
07:03 8,5 millions d'Israéliens vont disparaître ne sont pas pour la paix, et les gens qui
07:07 s'imaginent que les Palestiniens vont disparaître ne sont pas pour la paix.
07:10 Donc comme personne ne va aller nulle part, un jour, peut-être dans longtemps, parce
07:14 que peut-être qu'on a pris 20 ans de retard, mais un jour il faudra que ces gens se parlent.
07:18 Vous avez perdu des amis aussi ? Ah oui, j'ai perdu des amis à qui je parle
07:21 le plus, c'est des gens qui n'ont aucun lien de près ou de loin avec le Proche-Orient,
07:24 qui ne connaissent rien sur le sujet, et qui depuis leur fauteuil expliquent la vie, ça
07:28 me rend fou.
07:29 Moi j'ai jamais d'opinion, dès que je dis une opinion, je me dis "j'ai eu tort", "on
07:33 pourrait penser l'inverse", etc.
07:35 Quand un conflit est vieux comme celui du Proche-Orient, quand il a 75 ans, il y a du
07:40 vrai dans les deux narratifs.
07:41 Quand j'écoute le narratif palestinien sur le fait que 700 000 personnes ont été exilées
07:46 en 1948, c'est vrai.
07:48 Quand j'écoute le narratif israélien ou juif qui consiste à dire que plus d'un million
07:52 de Juifs ont été foutus dehors du monde arabe entre les années 1920 et les années
07:55 1960, c'est vrai aussi.
07:56 Ces gens-là, aujourd'hui, c'est 65% des citoyens israéliens et c'est 5 millions
08:00 de personnes pour les Palestiniens.
08:01 Tout ça, c'est vrai.
08:02 Donc les imbéciles qui, derrière leur télé, ont des opinions tranchées, moi ça me rend
08:06 fou.
08:07 Et il y en avait parmi vos amis, donc ?
08:08 En tout cas, il y a des gens à qui je ne parle plus, au moins.
08:11 Pour comprendre votre œuvre et qui vous êtes exactement, il faut évoquer vos origines,
08:15 votre enfance, vos cultures.
08:17 Un père juif séfarade d'Algérie, une maman juive ashkénaze d'Ukraine, qui meurt quand
08:22 vous avez 3 ans, mais dont le père, votre grand-père, va être très présent tout
08:26 au long de votre enfance.
08:28 Quand votre mère meurt, elle n'a que 26 ans et on vous dit qu'elle est partie en voyage.
08:31 Un mensonge d'adulte que vous auriez pu mal prendre après coup, mais non.
08:36 Vous les remerciez aujourd'hui parce que vous dites que grâce à ça, vous avez appris,
08:40 et je vous cite, à raconter des histoires et à en faire votre métier.
08:44 C'est très beau et je trouve ça très indulgent aussi.
08:46 Non, en fait, j'ai eu vraiment deux mals de...
08:49 On parle de masculinité toxique.
08:51 J'ai eu deux mals dominants dans mon enfance.
08:53 Mon grand-père, qui était un juif ukrainien dont toute la famille était morte dans la
08:56 Shoah par balles, et donc qui était nihiliste, anti-religieux, alors qu'il avait fait des
09:01 études pour devenir rabbin.
09:02 Et mon père, qui était un avocat né en Algérie, favorable à l'indépendance algérienne.
09:08 Il était dans les soutiens de Ferhat Abbas, il a quitté l'Algérie en 1957, et dès qu'il
09:12 était en France, il s'est mis à combattre juridiquement les néo-nazis.
09:14 C'est un des avocats qui a fait mettre en prison des néo-nazis dans les années 70-80.
09:18 Donc, entre ces deux figures, moi je trouvais pas ma place, enfin c'était difficile.
09:22 Et c'est vrai que quand ma mère est morte, mon père a exigé que personne me le dise.
09:26 Il voulait pas que j'ai du chagrin.
09:28 Et mon grand-père, donc le papa de ma maman, m'a dit la vérité deux ans après.
09:32 Donc j'ai grandi entre ces deux types.
09:33 - Votre mère avait eu un parcours atypique, championne de natation, je crois.
09:38 Deux tubes dans la chanson, notamment sur une composition au piano de votre père.
09:41 Des études de pharmacie, vous dites, une femme solaire, joyeuse, même la plus joyeuse
09:46 de Nice.
09:47 Vous dites que vous n'avez pas de souvenirs d'elle, mais que vous avez en vous un vide
09:52 qu'elle a laissé et que vous comblez avec le dessin.
09:54 Est-ce que ça veut dire que le dessin est aussi apparu par un instinct de survie affective ?
09:59 - Oui, c'est très vrai.
10:00 Ma maman a été élue Mademoiselle Hachetendre quand elle était petite.
10:03 C'est comme Miss France, mais pour les plus jeunes.
10:05 J'ai très peu de souvenirs d'elle.
10:07 Et mon dessin n'est pas un projet esthétique.
10:10 Mon dessin, c'est un projet totémique.
10:12 Georges Steiner dirait que je cherche de réelles présences.
10:14 Et j'ai dessiné depuis tout petit pour faire apparaître des choses qui me manquaient
10:19 ou des choses qui me faisaient plaisir.
10:20 Et peut-être aussi devenir narrateur, c'est être un peu maître de son destin.
10:24 Et je dois dire, j'interviens beaucoup en milieu scolaire et en milieu universitaire.
10:27 Et j'engage la jeunesse à écrire ses propres histoires parce que c'est une façon aussi
10:32 d'échapper à la manipulation, qu'elle soit familiale, qu'elle soit politique.
10:36 Il y a une manière de dire je suis le héros de ma propre histoire.
10:39 Elle n'a pas moins de valeur que celle des autres et je vais tenter de la raconter.
10:42 C'est intéressant parce que j'allais en venir à cette question rituelle dans l'émission.
10:45 À la lueur de celui que vous êtes aujourd'hui, quel conseil donneriez-vous aux petits garçons
10:49 que vous étiez ou aux jeunes hommes en devenir ?
10:51 Je ne suis pas sûr que j'en donnerais parce que je ne crois pas que les vieux soient plus
10:54 intelligents que les petits.
10:55 D'abord, on n'est pas la même personne quand on est grand.
10:58 Non, je lui poserai sans doute des questions parce que je ne sais plus trop qui était
11:02 cette personne.
11:03 Je sais que quand je rencontre des jeunes gens, c'est surtout l'idée de ne pas avoir
11:08 peur.
11:09 L'idée de faire une chose dont on a envie quand on se lève le matin.
11:12 Je suis un élève amoureux de Clément Rosset qui était mon prof de philo et qui disait
11:19 dès qu'on approfondit, on quitte le réel.
11:21 Moi, je crois beaucoup à cette idée.
11:23 Faire un truc qu'on a envie de faire le matin, ça suffit comme projet pour moi.
11:27 C'est pas mal comme conseil.
11:28 Dans le judaïsme, les représentations sont interdites.
11:33 Le dessin est très limité, voire proscrit.
11:35 Votre vie à vous, votre vocation.
11:38 C'est le dessin.
11:39 Il y a une façon d'être allé contre les préceptes bibliques.
11:44 Il y a de la rébellion en vous aussi vis-à-vis de ça ?
11:48 Je ne crois pas qu'on puisse être seulement juif.
11:52 Je crois que moi, je suis aussi bien chrétien que juif que musulman qu'agnostique puisqu'on
11:56 est dans un creuset multiculturel.
11:57 Il est vrai que l'enseignement, qu'il soit juif ou musulman, est iconoclaste et voit
12:02 l'image d'un mauvais œil.
12:03 Alors, on peut l'accepter, mais enfin, ça pose problème.
12:05 Dans le monde chrétien, la querelle iconoclaste a été réglée au début de l'ère chrétienne
12:09 et on est dans un monde de représentation.
12:11 Il y a aussi chez moi l'influence grecque et l'idée de refuser la représentation parce
12:16 que, comme dans la caverne de Platon, c'est ce dont il faut se détourner pour s'investir
12:20 dans la cité.
12:21 C'est une question qui est ouverte chez moi.
12:22 Est-ce que le dessin, c'est une manière de s'évader du réel et donc de tourner le dos
12:26 au monde ? Pour le dire autrement, quand il y a des drames dans le monde, est-ce que j'ai
12:29 raison de dessiner des petits chats ? Peut-être, peut-être pas.
12:32 Il y a Leïla Slimani qui a donné une réponse que je trouve très belle.
12:35 Elle dit "la liberté que donne la littérature, donc la liberté que donne l'invention, peut
12:40 soigner le réel".
12:41 C'est-à-dire quand on fait ce pas de côté en disant "je sais pas si c'est de la tri,
12:44 je sais pas si c'est du rêve, je sais pas, mais je suis libre.
12:47 Je suis libre de faire parler un personnage qui pense l'inverse de moi.
12:50 Je suis libre d'explorer une thèse qui me paraît révoltante".
12:53 Bon, ça va peut-être être utile.
12:55 Ça va peut-être être utile.
12:56 Donc voilà.
12:57 - Et vous parliez de votre père et du fait qu'il avait fait de la politique.
13:00 C'était un grand avocat, mais qui a aussi fait de la politique.
13:02 Qu'est-ce qu'il y a de la politique dans vos intentions de dessinateur ?
13:05 Est-ce que parfois vous dessinez avec des intentions politiques ?
13:08 - Un regard oui, un engagement non.
13:11 Parce que moi, j'ai pas beaucoup d'admiration pour les auteurs qui pensent que leur plume
13:15 a de l'influence.
13:16 Je pense que c'est ridicule.
13:17 Par rapport à Kanye West, on n'a pas beaucoup d'influence.
13:19 Par rapport à Cyril Hanouna non plus.
13:20 Une bande dessinée, ça se vend pas autant.
13:22 En revanche, être sincère, j'allais dire avec soi-même, ne pas avoir d'auto-censure
13:27 et se dire "mon lectorat est assez mûr pour se faire une opinion".
13:29 Ça, c'est peut-être politique.
13:31 Par exemple, on m'a interrogé récemment sur des personnalités politiques françaises.
13:35 Je me sentais pas en mesure de parler de leur politique ou de leur bilan.
13:39 En revanche, parler du personnage, dresser le portrait, dire la gestuelle, moi je suis
13:43 portraitiste, donc ça me dit quelque chose.
13:45 Moi, quand je parle de judaïsme, c'est pas pour faire changer les opinions, c'est parce
13:49 que ça me préoccupe et je crois que mes lecteurs et moi, on a une petite discussion
13:53 qui mérite de se continuer, mais j'ai pas envie de les faire changer d'avis par exemple.
13:56 - J'ai un document à vous montrer, Johan Sfar.
13:58 C'est un document qui nous a été transmis par nos partenaires sur cette émission, les
14:02 Archives Nationales.
14:03 Ne vous inquiétez pas, je vais le déchiffrer.
14:04 - J'ai 52 ans, je vais mettre mes lunettes.
14:05 - Je vous vois mettre vos lunettes, c'est le cas de plein de nos invités, mais je vais
14:08 lire.
14:09 Il s'agit d'une lettre adressée au ministre des Cultes, envoyée par le consistoire des
14:12 Israélites, Doran.
14:13 Elle annonce la nomination du rabbin de Tlemcen, ville algérienne, Moïse Veil.
14:19 Nous sommes alors en décembre 1877, époque où vivent pas loin de 8000 juifs à Tlemcen
14:25 sur 23000 habitants environ.
14:27 Avant l'indépendance de l'Algérie, la communauté juive représentait 130 000 personnes.
14:31 Aujourd'hui, ils sont une poignée, qu'on a du mal à chiffrer.
14:33 En tout cas, ils sont très peu nombreux.
14:35 Est-ce qu'il y a un peu de nostalgie chez vous de cette époque où juifs et musulmans
14:39 pouvaient quand même cohabiter, vivre ensemble ?
14:42 - Enfin moi, l'époque où juifs et musulmans cohabitent, je la vis en France depuis que
14:45 je suis né.
14:46 Moi, je suis un juif maghrébin, la plupart de mes copains sont maghrébins.
14:49 Il est plus question de fraternité que de cohabitation.
14:52 Il est question d'histoire commune.
14:53 Moi, j'ai jamais eu de problème, ni avec les individus, ni avec les religions, ni rien.
14:58 On est juste balottés et broyés par l'histoire.
15:02 Prenons la citoyenneté des juifs d'Algérie, parce que c'est tout de même formidable.
15:05 Ce sont des juifs qui étaient dans le Maghreb depuis l'Antiquité, depuis bien avant les
15:11 invasions arabes.
15:12 Ils sont arrivés avec les Berbères, ils sont arrivés avec l'Empire romain, ils sont arrivés
15:14 ensuite avec l'Empire ottoman.
15:15 En 1870, grâce à Crémieux, on leur donne la nationalité française.
15:20 Bon, ok.
15:21 Ensuite, sous Pétain, on la leur retire.
15:23 Bon, ok.
15:24 Ensuite, après Pétain, on la leur rend.
15:26 D'accord ? Et ensuite, quand il y a la guerre d'Algérie, on les renvoie en métropole comme
15:29 si c'était chez eux.
15:30 Or, aucun d'entre eux ne venait de métropole.
15:32 Et on les a appelés des juifs pieds noirs, ce qui est complètement absurde, puisqu'ils
15:35 venaient...
15:36 Quand on pense à l'inspiratrice des Berbères, la reine Kaena, à ma connaissance, elle s'appelait
15:41 Kohen.
15:42 - Quel est votre rapport à ce pays, à l'Algérie ? Vous y allez de temps en temps ? Vous y êtes
15:46 allé ?
15:47 - Je n'ai jamais mis un seul pied en Algérie, mais j'ai eu la chance de grandir à Nice,
15:50 avec des Algériens de tous bords, qui en parlaient comme s'ils y étaient encore.
15:54 Donc, il me semble que ça ressemble.
15:55 Et moi, je suis l'enfant d'une Algérie qui n'existe plus.
15:59 Et ce n'est pas une nostalgie, c'est un souvenir familial que j'adore partager avec des gens
16:06 de ma génération, qui viennent de familles musulmanes, de familles chrétiennes, qui
16:10 ont aussi ce rapport ambivalent au Maghreb.
16:13 - Vous ne ressentez pas l'envie d'aller en Algérie ?
16:16 - Non.
16:17 - Elle est présente partout dans votre oeuvre ?
16:18 - Non.
16:19 - Et le premier maghrébin dont le tome XII est sorti, c'est cette vie en Algérie ? Vous
16:23 dites les racontards de ma grand-mère qui me parlaient de Sétif, d'Alger, de Constantine.
16:27 Vous dites vous-même que vous vous sentez maghrébin.
16:29 Vous n'avez pas envie d'y aller ?
16:30 - Non, parce que je suis niçois.
16:32 L'endroit où je suis né, où j'ai grandi, c'est Nice.
16:33 L'Algérie, c'est l'histoire de ma grand-mère et de mon père.
16:35 En revanche, j'aimais beaucoup leurs histoires.
16:37 Et j'ai énormément de lecteurs en Algérie, malheureusement moins parmi les autorités,
16:42 mais parmi les vrais êtres humains, j'en ai plein, au Maroc et en Tunisie aussi.
16:47 Moi, quand je dis le Maghreb, pour moi, c'est ici.
16:51 J'ai l'impression, pardon si ça choque des gens, mais j'ai l'impression qu'on est un
16:54 pays en petite majorité maghrébine.
16:58 En tout cas, il est important le Maghreb en France.
16:59 Donc, je n'ai pas besoin de traverser la Méditerranée pour le voir.
17:02 Cependant, si on m'invite un jour, je serais ravi d'y aller.
17:04 Mais ce n'est pas quelque chose d'important à mes yeux.
17:06 Moi, quand je parle d'Algérie, je raconte mes souvenirs des films de Duvivier.
17:10 C'est Pépé le Moko, c'est tout ça.
17:12 C'est les histoires de ma grand-mère.
17:13 Et c'est la ville de Nice.
17:15 C'est la communauté de Juifs d'Algérie qui était à Nice quand j'étais petit.
17:18 – Vous aimeriez qu'elle vous invite, les autorités algériennes, quand même ?
17:20 Vous seriez touché, vous diriez peut-être, vous comptez pour eux ?
17:24 – Non, c'est quelque chose de plus vaste.
17:26 La blessure profonde du monde juif et du monde arabe,
17:30 c'est le départ de tous les Juifs du monde arabe tout au long du XXe siècle.
17:35 C'est d'autant plus absurde que ce sont des cultures qui ont tout pour s'entendre.
17:39 Et la chose que je suis pas le seul à penser d'ailleurs,
17:42 les massacres du 7 octobre, ils ont fait quoi ?
17:44 Ils ont mis un point d'arrêt à la réconciliation d'Israël et de tous ses voisins arabes.
17:49 Parce que qu'est-ce qui était en train de se passer ?
17:51 C'était en train de marcher.
17:52 Avec des ennemis historiques comme l'Arabie saoudite,
17:55 les Israéliens étaient en train de se réconcilier.
17:57 Ça, ça a été insupportable, sans doute, pour l'Iran, pour le Qatar...
18:01 – Et le Hamas.
18:01 – Et le Hamas, qui ont téléguidé ces massacres.
18:04 Mais... parce que moi, j'essaye toujours d'avoir de l'espoir.
18:08 Si on recule un peu, il me semble que la paix était sur le point de se faire dans cette région.
18:13 Et ce que personne ne dit en ce moment dans les télévisions,
18:15 c'est que les relations n'ont pas du tout cessé entre Israël et le monde arabe
18:20 depuis les massacres du 7 octobre.
18:21 Ils continuent à y avoir des...
18:22 Ils se font moins publiquement, mais ils existent toujours.
18:25 Et je crois qu'il y a beaucoup de gens dans le monde arabe
18:28 qui sont très peinés de ces événements,
18:30 et qui ont hâte que la paix puisse venir un jour.
18:32 Et ça, j'en parle parce qu'au niveau individuel,
18:36 et depuis 30 ans que je travaille, je n'ai que des échanges éblouissants
18:39 avec le monde arabe, et aussi avec le monde persan.
18:41 Donc je... je vois pas pourquoi ça n'adviendrait pas un jour.
18:44 Et quand on se raconte... Ça, c'est un mensonge.
18:46 Quand on se raconte que le conflit israélo-arabe date depuis toujours,
18:49 c'est complètement débile, ça date de l'écroulement de l'Empire ottoman.
18:52 Parce que tout simplement, quand l'Empire ottoman s'est écroulé,
18:54 il y a eu la montée des nationalismes arabes,
18:57 et une envie de la part des Juifs d'avoir un pays,
19:00 et ils ont pas attendu 1948 pour aller au Proche-Orient.
19:03 Donc on est en train de vivre les soubresauts de ce qu'il est resté du colonialisme,
19:08 et je fais partie des gens qui pensent pas que ça durera toujours.
19:13 – Vous avez dit un jour "je cherche toujours par ma petite histoire personnelle
19:16 à toucher quelque chose d'universel.
19:17 Si ça ne touche pas tout le monde, je n'y vais pas.
19:19 Mes livres sont faits pour les autres.
19:21 Travailler pour moi-même, ça ne m'intéresse pas,
19:23 je préfère manger des frites", je vous cite.
19:25 Quand vous publiez Young Man,
19:27 qui est le recueil de vos croquis d'étudiants,
19:31 retrouvés d'ailleurs lors de votre déménagement, je crois,
19:33 donc un peu par hasard, vous décidez d'en faire quelque chose.
19:35 Qu'est-ce que vous dites à l'autre ?
19:37 Quel est le message universel de Young Man, par exemple ?
19:39 – Il n'y en a pas !
19:42 Parce que tous les carnets que je publie maintenant,
19:43 j'en ai publié plein, je sais que je m'adresse aux gens,
19:46 je me dis "ça s'adresse à tout le monde,
19:48 je vais parler de mon intimité, mais il faut que ça intéresse les gens".
19:50 Young Man, ce sont les dessins que je faisais quand personne ne voulait me publier,
19:53 donc c'est rageux, c'est morbide, c'est un jeu de mec
19:56 qui n'arrête pas de se mettre en colère contre les rares éditeurs
19:58 qui acceptent de le recevoir, et c'est d'autant plus débile
20:00 que j'étais très joyeux à l'époque.
20:02 Mais ce que je notais, comme les jeunes qui se sentent un peu gothiques,
20:04 je notais que des trucs un peu déprimants, un peu d'art.
20:06 – Oui, mais le fait qu'ils ne soient pas censés être lus,
20:08 est-ce qu'ils sont du coup plus authentiques ?
20:11 Est-ce qu'il y a quelque chose de plus vrai dans ces carnets
20:13 que dans les œuvres où vous savez que vous allez les publier
20:15 et qu'elles sont destinées à un public ?
20:16 Ce n'est pas le cas des carnets.
20:17 – C'est beaucoup plus impudique en tout cas.
20:19 C'est beaucoup plus impudique.
20:20 Ce qu'aujourd'hui, quand je fais des carnets,
20:22 je crois que j'écris jamais mes pensées sombres ou mes pensées noires.
20:25 Je peux être en colère, je peux être scandalisé,
20:27 mais je me mets en forme pour les gens.
20:29 En revanche, dans Young Man, on a accès à la noirceur d'un jeune homme.
20:32 Avec le recul, je trouve ça charmant, parce que je dis "oh c'est mignon",
20:35 mais je pense que sur le moment, je devais être vraiment triste parfois.
20:37 – Mais on a peut-être accès à vous directement,
20:39 plus au travers des carnets que de vos œuvres alors ?
20:41 – Je ne suis plus la même personne.
20:42 Je ne suis vraiment plus la même personne.
20:44 – Vous évoluez comme le chat ?
20:46 – Oui.
20:46 – Vous êtes le chat ?
20:48 – J'étais le chat, je deviens le rabbin,
20:49 mais pas parce que je suis plus sage, mais parce que je suis plus beau.
20:51 – Est-ce que vous êtes un peu ce chat qui évolue,
20:53 qu'on voit évoluer au fil des différents temps ?
20:55 – Il y a les deux.
20:56 Moi, je rêve toujours d'être aussi anarchiste que le chat,
21:00 et en vrai, je suis parfois un père de famille comme le rabbin.
21:03 Ça, ça ressemble à du Molière, le chat c'est ce capin, c'est le valet,
21:06 c'est tout ça, et le rabbin c'est le bon père de famille, comme on dit.
21:10 – Votre façon de fonctionner est intéressante.
21:12 Vous dites que vous n'avez pas de plan,
21:14 quand vous vous lancez dans un album, dans un ouvrage,
21:17 pas de structure, que vous passez d'une case à l'autre sans scénario.
21:20 Vous dites qu'il faut laisser du blanc aussi, pour laisser le lecteur libre,
21:24 et j'ai l'impression que votre œuvre, elle est très libre,
21:26 et que c'est ça qui la caractérise le plus, cette liberté incroyable,
21:30 y compris d'ailleurs de laisser les personnages libres,
21:32 d'évoluer librement, un peu en dehors de vous.
21:35 – C'est très difficile d'écrire une histoire,
21:36 parce que les spectateurs sont de plus en plus mûrs.
21:38 Donc pour les cueillir, pour les surprendre,
21:40 il ne faut pas qu'ils arrivent à prévoir ce qui va se passer.
21:42 Donc mon petit secret, c'est de réfléchir à l'histoire le plus longtemps possible,
21:46 mais ça peut être un an, là, le dernier chat du rabbin
21:48 qui s'appelle "La traversée de la mer noire",
21:49 ça fait dix ans que j'y réfléchis et que je ressente des documents,
21:52 et une fois qu'on a une vague idée de l'histoire,
21:54 on se dit "tiens, je pourrais me lever à table et la raconter à l'oral".
21:57 Et bien là, il faut l'écrire d'un coup,
21:59 parce que là, les personnages vont faire des petites surprises,
22:01 vont faire des choses qu'on n'attend pas,
22:02 mais en revanche, dire une structure avant,
22:05 c'est s'exposer à ne pas surprendre son lectorat, moi je crois.
22:08 – Je crois que le cinéma aussi, le montage,
22:09 vous a un peu changé, enfin a changé votre façon de travailler.
22:13 Maintenant, vous pouvez écrire les cases
22:14 et les mettre dans un certain ordre à la toute fin,
22:16 une fois que vous avez tout écrit, un peu comme un film au montage,
22:18 on peut faire un peu ce qu'on veut.
22:19 – Le montage, ça m'a beaucoup appris,
22:21 et alors ça la fout mal pour un juif, mais Louis Ferdinand Céline aussi.
22:24 Louis Ferdinand Céline, il avait une technique d'écriture
22:26 que je trouve formidable, il écrivait sur des feuilles vierges,
22:29 et il mettait les chapitres avec des pinces à linge,
22:32 et ensuite, on voit dans ses réécritures,
22:34 il pouvait changer l'ordre des pages, il pouvait retirer un chapitre,
22:37 ça c'est du montage de cinéma.
22:38 Et au cinéma, la première fois où j'ai vu des gens de cinéma,
22:42 j'ai eu la chance de voir travailler Claude Chabrol,
22:44 le montage se faisait encore avec de la colle et du film.
22:47 Et ça, ça voulait dire que quand on coupait, ça voulait vraiment dire quelque chose.
22:49 Aujourd'hui, c'est tellement facile de monter,
22:51 que les choses ont moins d'importance.
22:52 Mais le montage de cinéma a changé ma manière d'écrire les bandes dessinées,
22:55 ça c'est sûr.
22:55 – Ça a été un vrai tournant.
22:56 [Musique]
23:00 J'ai des photos à vous proposer, Johann Sfar,
23:01 c'est un rituel en outre dans cette émission, on aime bien les rituels.
23:04 Première photo, c'est Catherine Meurisse,
23:05 dessinatrice, autrice de bandes dessinées,
23:08 élue en 2020 à l'Académie des Beaux-Arts,
23:10 une première dans l'histoire.
23:11 Je vous la montre parce que je sais que la question des femmes dans la BD vous touche.
23:14 En 2016, vous avez demandé à être retirée de la liste des nommées
23:17 au Grand Prix du Festival d'Angoulême
23:19 parce qu'aucune dessinatrice ne figurait sur la liste.
23:22 Enfin, je crois, vous allez peut-être me le confirmer.
23:24 Le monde de la BD a du mal, ou a eu du mal à s'ouvrir aux femmes ?
23:27 – Oui, oui, pour une raison historique.
23:32 Après-guerre, les stocks de papiers...
23:33 Alors, pendant la Deuxième Guerre mondiale,
23:35 les bandes dessinées américaines étaient interdites par le gouvernement Pétain.
23:39 Après-guerre, figurez-vous que les communistes, les gaullistes et les cathos
23:43 se sont mis d'accord pour faire... pour perpétuer cet interdit,
23:46 pour pouvoir promouvoir une bande dessinée française.
23:48 Ils avaient des stocks de papiers, cette bande dessinée française,
23:50 ça a été "Pif Gadget" d'un côté et le revue "Catho" de l'autre.
23:53 Et ben dans ces revues, il n'y avait pas de femmes.
23:55 Les personnages étaient tous masculins, ça a donné...
23:57 En Belgique, c'était la même chose, et ça a cherché un lectorat masculin.
24:01 Et ce lectorat, c'est devenu les dessinateurs de bandes dessinées.
24:03 Au même moment, au Japon, se développait une bande dessinée
24:06 dont les auteurs étaient autant des femmes que des hommes,
24:07 les personnages autant des femmes que des hommes,
24:09 ce qui fait qu'au Japon, il y a des femmes autrices depuis toujours.
24:11 - J'ai une deuxième photo, j'avais envie de vous parler du 100e anniversaire de Disney.
24:14 Alors Disney, c'est un peu aux antipodes de votre univers,
24:17 de vos dessins, des dessins animés qui sont à l'épreuve ces dernières années
24:21 de ce qu'on appelle le "wokisme", cette tendance wokiste.
24:23 La firme de Mickey se retrouve ces dernières années
24:26 au cœur d'une guerre culturelle américaine,
24:29 et on commence à écrire ou à réécrire des œuvres en fonction des minorités.
24:33 Est-ce que l'idée vous rebute, vous effraie ou vous séduit ?
24:37 Est-ce que vous pourriez faire cela avec vos propres œuvres ?
24:40 - Moi, je voudrais qu'on ait du temps pour parler de ces sujets,
24:42 pour pas les caricaturer.
24:43 Je vous parle d'un scandale récent, parce que tout le monde a menti, sciemment ou pas.
24:47 Il y a quelques mois, on vous a dit "c'est scandaleux,
24:49 tout le monde veut réécrire l'œuvre de Roald Dahl, on censure Roald Dahl".
24:53 Sauf qu'en y regardant de plus près, c'est la famille de Roald Dahl
24:55 qui a décidé de réécrire pour des raisons commerciales,
24:57 parce qu'il y a certains clichés racistes ou sexistes qui passent plus aujourd'hui.
25:00 Donc il faut être assez attentif.
25:02 Disney, je trouve qu'ils s'en sortent pas si mal,
25:04 c'est-à-dire qu'ils ne modifient pas leurs dessins animés,
25:06 si on les voit sur Disney+, mais par contre, ça ouvre avec un carton.
25:09 "Attention, dans ce dessin animé, il y a des clichés qui n'iraient plus aujourd'hui".
25:13 Ce qui n'est pas tout à fait faux, je regrette les corbeaux qui ont l'air noirs dans Dumbo,
25:16 les indiens dans Peter Pan, franchement, il y a moyen de faire mieux.
25:20 - Donc vous n'êtes pas complètement contre l'idée de modifier un petit peu l'œuvre ?
25:23 - Moi, non, je suis pour prendre conscience de la société dans laquelle on vit.
25:28 On est aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, dans une société multiculturelle,
25:31 et je pense que c'est bien que tout public soit capable d'apprécier une œuvre ou de la recevoir.
25:37 Et peut-être la chose la plus intéressante,
25:39 ce serait de garder les œuvres historiques telles qu'elles sont,
25:41 mais en les contextualisant, c'est-à-dire en disant
25:44 "Oui, Tintin au Congo, c'est pas l'œuvre la plus progressiste qu'on puisse imaginer".
25:47 En revanche, être capable de produire aujourd'hui des œuvres nouvelles.
25:50 Un exemple qui me tient à cœur,
25:52 mon auteur préféré d'enfance, c'est Tolkien.
25:54 Moi, j'aime Tolkien au-delà de tout.
25:56 Bon, quand on ouvre Tolkien, on peut se le raconter comme on veut,
25:58 tous les héros sont blancs, c'est bon, machin.
26:00 Mais tant mieux, c'est des super romans !
26:02 Mais qu'on invente aujourd'hui de nouveaux romans
26:04 avec des héros de chevalerie issus d'autres peuples, d'autres histoires, d'autres mystiques.
26:09 J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes, Johanns Farr.
26:11 Nous sommes entourés de quatre statues qui représentent chacune une vertu.
26:15 Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
26:19 Est-ce qu'il y a une de ces vertus qui vous inspirerait, peut-être ?
26:23 Un personnage, une œuvre, ou qui vous caractérise, vous ?
26:27 Moi, je suis fils d'avocat, alors l'éloquence, ça me plaît beaucoup.
26:30 Je croyais que vous alliez dire la justice.
26:31 Oh non !
26:32 Si il est avocat, il ne croit pas en la justice.
26:34 On parle d'un avocat, quand même !
26:36 Les médecins, ça...
26:38 J'arrête avec Céline, mais cette super phrase dans "Le voyage au bout de la nuit",
26:41 il y a deux médecins en train d'opérer, et il y en a un qui dit
26:43 "Et vous, cher collègue, vous y croyez, en la médecine ?"
26:45 Bon, mon père, avocat à Nice, qu'est-ce que vous voulez, c'est la même chose.
26:47 Non, moi, je ne crois pas beaucoup à la vérité,
26:50 donc il me semble que l'éloquence, c'est pas mal.
26:52 La manière dont vous voyez une personne
26:54 être capable de vous vendre des salades avec un truc
26:56 et de vous vendre l'inverse le lendemain, ça me fascine.
26:58 Ouais, mentir sur la marchandise...
27:00 Moi, les avocats, j'adore.
27:01 Merci, Johannes Farr, d'avoir été notre invité
27:03 dans "Un monde à regard".
27:04 Merci à vous de nous avoir suivis, comme chaque semaine,
27:07 émission que vous pouvez retrouver, je vous le rappelle, en podcast.
27:10 N'hésitez pas. À très bientôt. Merci à vous.
27:12 (Générique)
27:15 ---

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