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Réunis du 6 au 7 novembre à Séville, les pays membres de l’Agence spatiale européenne ont enfin trouvé un accord pour le futur de l’Europe spatiale. Un rendez-vous important pour un continent en crise, privé temporairement de lanceur et sans capacité autonome d’exploration humaine. Jean-Marc Astorg, directeur de la stratégie du CNES revient sur les enjeux de cet événement.

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00:00 Cette semaine se tenait le sommet du spatial à Séville.
00:07 Un sommet qui réunit la Commission européenne et l'agence spatiale européenne, tous les
00:12 ministres des États membres de l'agence spatiale européenne.
00:14 Un sommet à haut risque car l'Europe spatiale est en crise, privée temporairement de lanceurs
00:20 et sans capacité autonome d'exploration humaine.
00:23 Pour répondre à l'appel de l'actualité, Jean-Marc Astor, directeur de la stratégie
00:29 au CNES est en plateau avec nous.
00:31 Bonjour Jean-Marc Astor.
00:32 Bonjour.
00:33 Bienvenue sur le plateau de Smart Space.
00:34 Alors Joseph H.
00:35 Barreur, le directeur général de l'ESA, a parlé d'un sommet historique.
00:39 Vous en convenez ? Oui, c'est un sommet historique mais je voudrais,
00:43 si vous me le permettez, revenir sur ce que vous avez dit, une Europe spatiale en crise.
00:48 En fait, c'est l'Europe des lanceurs qui est dans une crise aiguë.
00:51 Et alors les lanceurs sont importants, ce n'est pas moi qui vais vous dire le contraire.
00:55 Mais l'Europe spatiale, en dehors des lanceurs, va très bien.
00:58 J'en veux pour preuve les photos d'Euclide qui sont arrivées ce matin.
01:02 Euclide, c'est une mission européenne qui vient d'être lancée, qui observe la matière
01:06 noire.
01:07 Ses photos sont extraordinaires.
01:08 Des exemples comme Euclide, il y en a beaucoup.
01:09 Donc on a une crise des lanceurs.
01:10 Mais bon, Euclide n'est pas parti avec un lanceur européen.
01:13 Et c'est bien pour ça que c'est si important de parler d'une Europe peut-être spatiale.
01:16 C'est vrai, mais Zeus a été lancé par Ariane 5.
01:19 Donc en Europe, dans l'Europe spatiale, il y a les lanceurs et il y a le reste.
01:23 On est là pour parler des lanceurs.
01:24 Les lanceurs sont dans une crise importante dont on connaît les causes.
01:28 Le retard d'Ariane 6, l'arrêt de l'exploitation de Soyouz en Guyane qui nous a privé d'une
01:33 solution de secours qu'on avait prévu en cas de retard d'Ariane 6 et puis des problèmes
01:37 techniques de Vega.
01:39 Donc le sommet de Séville s'est tenu dans ce contexte d'une crise importante.
01:44 Il est historique parce qu'on a pu trouver, c'est vrai qu'on trouve toujours des solutions
01:49 au niveau européen, on a pu trouver une solution pour financer Ariane 6.
01:52 C'était le sujet principal.
01:54 Pérenniser le financement d'Ariane 6.
01:56 Pour la France, en tout cas, c'était le sujet principal.
01:58 Il est peut-être nécessaire d'expliquer pourquoi effectivement c'était important.
02:02 En fait, on parle bien du soutien à l'exploitation d'Ariane 6.
02:06 Le développement est assuré, le développement d'Ariane 6 est assuré, même s'il y a des
02:10 retards aujourd'hui.
02:11 En tout cas, les travaux sont financés.
02:12 Pourtant, on a travaillé une demande de rallonge pour finir le développement d'Ariane 6 ces
02:16 derniers temps.
02:17 Ça n'a pas été traité dans le cadre de ce sommet.
02:20 Les 15 premiers lancements d'Ariane 6 sont aussi soutenus financièrement par les Etats,
02:25 par un dispositif particulier qui s'appelle la transition.
02:28 Et là, on parle de soutien financier au-delà des 15 premiers.
02:31 En fait, très précisément du 16e jusqu'au 42e.
02:34 Et en fait, il fallait décider d'un soutien accru, contrairement à ce qui avait été
02:38 décidé en 2014.
02:39 Je ne sais pas si vous vous en rappelez, mais en 2014, il avait été indiqué qu'Ariane
02:44 6 n'aurait pas de soutien à l'exploitation, contrairement à Ariane 5.
02:48 En réalité, le marché a changé.
02:50 Les prix du marché ont été divisés par deux depuis 2014.
02:53 C'est quand même très important.
02:55 L'inflation est passée par là.
02:57 Et puis, il ne faut pas être naïf, tous les pays dans le monde soutiennent leurs lanceurs.
03:01 Les Etats-Unis, les premiers, avec des dispositifs qui sont variables d'un pays à l'autre.
03:05 Aux Etats-Unis, c'est plutôt par des prix institutionnels qui sont deux fois les prix
03:10 du marché.
03:11 Donc, l'Europe ne peut pas être le seul continent qui ne soutient pas ses lanceurs.
03:16 Donc, on a trouvé ce soutien à un niveau très important.
03:19 Les pays qui sont participants, les pays contributeurs, la France, l'Italie et l'Allemagne,
03:24 se sont mis d'accord pour que plus d'argent aille vers Ariane 6.
03:28 Oui, et une somme considérable.
03:29 On parle de 340 millions d'euros par an.
03:31 La somme définitive dépendra des audits qui sont réalisés.
03:36 Il y aura une transparence totale sur les coûts dans l'ensemble de la chaîne industrielle.
03:40 C'est une somme très importante.
03:42 Ce qui montre bien la solidarité européenne vis-à-vis d'Ariane 6, qui est le seul lanceur
03:47 qui nous permettra, quand on aura réalisé le premier lancement et la montée en cadence,
03:51 de lancer nos missions.
03:53 Et ça, ça a pu être possible parce qu'effectivement, tout le monde a reconnu qu'on a d'abord besoin
03:59 de lanceurs institutionnels.
04:00 Et c'est la première motivation.
04:02 Pourquoi est-ce que les États européens financent des lanceurs ? Ce n'est pas pour
04:05 être sur le marché commercial.
04:06 En tout cas, ce n'est pas la raison première.
04:08 C'est pour disposer d'une autonomie, d'accès à l'espace et lancer nos missions.
04:12 Et ensuite, pour augmenter la cadence, pour réduire la charge des coûts fixes, on commercialise
04:19 le lanceur.
04:20 Et ce raisonnement-là, il est toujours vrai aujourd'hui, comme il était vrai pour Ariane
04:24 1.
04:25 Ariane 1, au départ, a été développée, financée à 100% par les États pour lancer
04:29 nos propres satellites, parce que les Américains ne voulaient pas lancer nos satellites de
04:32 télécom.
04:33 C'est le même raisonnement aujourd'hui.
04:35 Donc, on va payer en plus pour permettre de réaliser nos missions institutionnelles et
04:40 de mettre Ariane 6 sur le marché.
04:42 Et il y a une contrepartie à cet accord ?
04:44 Alors, la contrepartie, évidemment, c'est que l'industrie devra faire aussi un effort
04:50 financier.
04:51 En réalité, le soutien de 340 millions d'euros par an ne correspond pas exactement aux augmentations
04:59 de prix.
05:00 Il y a un effort nécessaire par les industriels.
05:03 Tu dis 11% d'engagement de baisse des coûts ?
05:05 En moyenne, oui, mais c'est très variable d'un industriel à l'autre.
05:08 Et ce que je voudrais aussi dire, c'est que si on est dans cette situation-là aujourd'hui,
05:11 c'est aussi compte tenu de l'organisation des lanceurs européens au sein de l'ESA.
05:17 Vous savez que ce qui prévaut, c'est le retour géographique.
05:20 Alors, le retour géographique, il fait qu'un industriel qui a été choisi au début du
05:24 développement d'Ariane 6 est quasiment assuré de garder, pendant toute la phase d'exploitation,
05:30 sa position.
05:31 Et on a très concrètement des industriels qui ont augmenté leur prix de 60%.
05:36 Et en fait, on a très peu d'actions pour négocier avec eux, puisqu'ils sont garantis
05:41 d'avoir la production de leurs produits.
05:43 Donc, c'est bien ça qu'il faut changer.
05:44 Et la contrepartie que vous mentionnez, c'est le changement de ce système qui est aujourd'hui
05:50 clairement à réformer complètement, du sol au plafond, pour le futur, en faisant sorte
05:56 que les agences achètent des services de lancement et donc ne développent plus des
06:01 lanceurs avec des règles de retour géographique et avec des contributions des États qui soient
06:06 calculées une fois qu'on a des propositions industrielles.
06:09 Donc là, concrètement, on retrouve finalement ce besoin qui a été aussi porté par l'Allemagne.
06:13 Mais j'entends que vous partagez cet avis de rouvrir la concurrence sur les lanceurs.
06:18 Et c'est la promesse qui ressort de ce sommet.
06:21 D'ici 10 ans, d'ici la fin de l'exploitation d'Ariane 6, on ouvrira la concurrence.
06:25 Mais totalement.
06:26 Mais ce n'est pas d'ici 10 ans, c'est demain.
06:28 C'est demain.
06:29 C'est-à-dire que dès l'année prochaine, un challenge sera organisé par l'Agence
06:34 internationale européenne pour sélectionner deux ou trois nouveaux ou anciens, d'ailleurs,
06:40 tout le monde pourra concourir, opérateurs de lanceurs pour servir des missions de l'ESA
06:47 dans le futur, plutôt à la fin de la décennie.
06:50 Et les gagnants bénéficieront de budgets qui seront décidés à la conférence ministérielle
06:56 de 2025.
06:57 Donc c'est demain.
06:58 C'est l'ouverture de la compétition dès demain, effectivement, pour sortir de ce carcan
07:04 du retour géographique qui est clairement anticompétitif pour les lanceurs.
07:09 Donc c'est historique aussi parce que la façon dont on a développé les lanceurs
07:13 jusqu'à présent avec des lanceurs développés par l'ESA, c'est terminé, c'est le passé.
07:19 Et maintenant, on va voir des lanceurs qui vont être développés par les industriels
07:23 et l'ESA, l'Union européenne, les agences nationales seront en position de client d'ancrage
07:29 pour acheter des services de lancement et non plus en spécificateur de développement.
07:32 Est-ce que c'est la fin de la cohésion européenne ?
07:34 Pas du tout, je ne pense pas.
07:36 En fait, c'est une autre façon de développer les lanceurs.
07:39 Et quelquefois, on présente les choses en disant on va avoir une compétition entre
07:43 des lanceurs allemands, des lanceurs français, etc.
07:46 Évidemment, l'empreinte de ces futurs compétiteurs sera beaucoup plus nationale que ça ne l'est
07:52 aujourd'hui.
07:53 Aujourd'hui, REN6 est développé, produit par 13 pays.
07:56 Et REN5, c'était une vingtaine de pays.
07:59 Donc demain, on aura des consortiums industriels qui vont se créer.
08:03 Peut-être que l'empreinte sera 80% dans un pays, en Allemagne, en France, en Italie,
08:08 etc.
08:09 Mais je crois que c'est à l'intérêt de personne d'avoir des lanceurs purement nationaux
08:14 parce que le marché est européen.
08:15 Et si on raisonne déjà au niveau du marché européen par rapport au marché américain,
08:19 on est dans un facteur 10.
08:20 Mais alors si on se repliait sur des marchés nationaux, ça ne pourrait pas marcher.
08:24 Et la Belgique n'achèterait pas un lanceur uniquement produit en France ou en Allemagne.
08:28 Donc il faudra laisser l'industrie choisir les meilleures solutions sans contraintes
08:34 de retour géographique qui viennent du haut.
08:36 Et c'est la compétitivité qui permettra de construire ces consortiums industriels.
08:40 Un dernier mot avant de conclure.
08:41 Sujet très important, la question du vol habité.
08:43 Et là aussi, il y a une avancée, il y a une prise de position de l'Agence spatiale européenne.
08:47 Enfin, j'ai envie de dire, parce que le sujet est sur toutes les bouches depuis, à un moment,
08:52 on attendait que l'Agence spatiale européenne fasse un pas en avant.
08:55 Un appel d'offre ? Une promesse d'appel d'offre ?
08:58 Alors, on va être très clair, c'est une avancée timide.
09:01 Vous savez que la question a été posée par le président de la République en février 2022 à Toulouse.
09:09 L'Europe doit-elle se lancer dans le vol habité dans un contexte où les Etats-Unis, évidemment,
09:15 sont revenus sur le sujet, la Russie, l'Inde, la Chine ?
09:20 Il y a eu tout un travail qui a été fait par l'Agence européenne, un groupe d'experts de haut niveau
09:26 qui a remis rapport en disant que l'Europe devrait se doter de l'ambition d'aller de manière autonome sur la Lune,
09:32 d'avoir une base lunaire. C'est extrêmement ambitieux.
09:36 La réalité, c'est qu'aujourd'hui, dans le contexte actuel, les Etats membres n'ont pas souhaité relever directement cette ambition-là.
09:45 Et on a pris plutôt une approche raisonnable, pas à pas.
09:49 Et une première étape sera le développement d'un cargo qui pourra être réutilisé pour du vol habité.
09:55 Et il y aura un appel d'achat de services, là aussi. C'est la même chose que pour les lanceurs, c'est symétrique.
10:01 Ce ne sera pas un système développé par les A, mais les A vont acheter la capacité de mettre une tonne, une tonne cinq de cargo à la station spatiale.
10:10 Et ça permettra de booster la compétition entre différents acteurs.
10:14 Acteurs qui ont déjà commencé. On a Suzy qui a été dévoilée, en tout cas la première étape de Suzy, le projet de cargo d'Ariane Group.
10:20 On a des acteurs comme les Exploration Company qui ont des technologies qui avancent très vite et qui intéressent déjà l'international.
10:28 Donc c'est une avancée timide comparée à l'avancée qu'a déjà pris le secteur privé.
10:32 Ce sera la conclusion.
10:33 Non, c'est justement pour supporter le système privé, ces initiatives privées que cet achat de services va être réalisé.
10:41 Et dernière chose, c'est exactement ce qu'ont fait les Américains parce qu'ils ont commencé par développer une capsule Dragon avant de la faire évoluer vers du vol habité.
10:50 Merci beaucoup Jean-Marc Astorg d'avoir pris le temps de venir réagir à cette actualité avec nous sur le plateau de Smart Space.
10:58 On enchaîne quant à nous avec le talk sur Bsmart.

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