Rentrée littéraire janvier 2024 - le Cherche Midi

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Transcription
00:00 Bonjour à toutes, bonjour à tous. Nous sommes les éditions du Cherche Midi et nous sommes ravis
00:07 de vous retrouver pour cette présentation de rentrée littéraire assez riche puisque nous
00:12 avons cinq titres au programme, trois titres venus de l'étranger et deux romans français. Avec moi,
00:19 pour vous le présenter, Marie Mizando qui est directrice éditoriale et Emmanuel de la Comté
00:25 Dugain qui est éditrice et qui dirige la collection "Passe-Muraille". Cette collection,
00:31 nous sommes très contents puisqu'elle a été remarquée en cette rentrée avec le titre de
00:36 "Charlie Roquin, les maîtres de Beyreuth" qui est donc sur la deuxième liste de l'interallié.
00:40 C'est Emmanuel d'ailleurs qui va commencer avec un titre dans la collection "Passe-Muraille" de
00:46 Témur Bableni, "Le soleil, la lune et les champs de blé". Bonjour à tous, alors effectivement voilà
00:53 le livre qui est un bon livre bien copieux. Tout a commencé en fait quand j'ai reçu 30 pages à peu
01:05 près de ce texte qui est un texte géorgien, donc 30 pages qui étaient traduites et j'ai lu ces 30
01:12 pages et je me suis engagée pour le publier aussitôt donc c'était pourtant une toute petite
01:16 portion du texte. Mais tout de suite ce qui saute aux yeux c'est l'incroyable imagination du texte
01:20 qui nous entraîne immédiatement et c'est un texte qui a été un best-seller en géorgie, qui a été
01:28 adapté en Russie, qui va faire l'objet de nombreuses traductions. Et pour cause c'est vrai que c'est un
01:35 roman qui est vraiment rempli de rebondissements, de suspens, de renversements, de dépaysements.
01:45 Alors l'histoire se déroule des années 1960 à nos jours et surtout dans l'ex-URSS qu'on va
01:53 parcourir de long en large et en travers. Le personnage principal, Joudé Androni Kachvili,
01:59 est le fils d'un cordonnier de la banlieue de Tbilisi qui est donc la capitale de la Géorgie.
02:06 Et il vit dans un quartier très pauvre à tel point que quand le roman commence on voit qu'il
02:12 est obligé de voler des pantalons qui sèchent aux fenêtres d'appartement pour pouvoir s'habiller.
02:18 Et son meilleur ami Aïm lui demande d'aller cacher des sacs qui seraient recherchés par le KGB
02:25 dans un pigeonnier. Donc il s'exécute, non sans bien sûr avoir la curiosité de regarder ce qu'il y a dans ses sacs.
02:31 Et il s'agit de cassettes vidéo sur lesquelles on filme des billets, des milliers et des milliers
02:36 de billets qu'on brûle aussitôt. Donc ça commence d'une manière très étrange. Et à partir de là,
02:42 le personnage se retrouve entraîné, c'est vraiment le mot, un peu comme dans les romans picaresques,
02:47 dans un tas d'aventures qui vont l'emmener très loin de cet endroit où il vit, avec des meurtres
02:53 qu'on va lui mettre sur le dos, qui font qu'il va se retrouver dans des prisons, mais alors à
02:57 l'autre bout de l'ex-URSS. Alors on est entraîné avec lui dans des mines d'or en Asie centrale,
03:04 où il va se retrouver à faire un trafic d'or avec un médecin, on va le suivre en pleine nature,
03:08 parfois dans ces vastes forêts qu'on peut imaginer, où il va se retrouver avec des tueurs,
03:15 on va le retrouver sur le bord de la mer Noire, dans un hôpital psychiatrique. C'est vraiment un
03:20 incroyable voyage. Moi j'ai été saisie par l'imagination de Temur Babluani, qui est un réalisateur,
03:27 qui a été primé comme réalisateur, je crois qu'il a eu un ours d'argent pour un de ses films.
03:33 C'est donc un périple qui dure plusieurs années et qui est tenu par un suspense parce que pendant
03:39 toutes ces années, son père attend son retour dans son quartier, et son amour d'enfance qui ne cesse
03:46 de l'attendre. Tout ça est porté par une écriture extrêmement fluide, très simple, cinématographique,
03:52 donc vraiment il n'y a pas une exigence dans la forme, on est tout de suite pris dedans.
03:56 Vous verrez à mon avis, alors oui, dernier point très important, c'est un texte qui a la vertu de
04:01 révéler la réalité de ce que pouvait vivre le peuple dans l'ex-URSS, derrière la façade du
04:06 bien-être soviétique qui était affichée. Donc on a vraiment l'impression d'entrer dans ce pays
04:14 en profondeur, et à mon avis ça peut être un coup de cœur pour beaucoup de lecteurs,
04:19 parce que c'est un roman vraiment impressionnant je trouve.
04:24 Le prochain titre qu'on vous présente c'est "Soupape" qui est un titre dans la collection
04:31 "Vice caché", un clin d'œil à Thomas Pynchon que vous aurez peut-être repéré et qui fait suite à
04:37 la collection "L'eau 49", c'est sa petite sœur dans laquelle Richard Powers avait été publié.
04:42 "Vice caché" c'est la continuité avec "L'eau 49", la collection qu'on dirige avec Arnaud
04:52 Marcheur et Claro, le traducteur que vous connaissez tous je pense. Là je vous présente
04:58 un texte d'Hélène de Witte, c'est un nom qui vous parle peut-être parce qu'Hélène de Witte avait
05:02 fait un petit chef-d'œuvre il y a quelques années publié chez Robert Lafond qui s'appelait "Le
05:06 dernier samouraï". C'était un livre absolument génial, je vois des hochements de tête, si on l'a
05:12 lu on s'en souvient. Donc là le texte que je vous présente s'appelle "Soupape" et on suit les
05:19 pérégrinations de Joe. Joe c'est un homme, un représentant de commerce, un américain qui galère
05:26 un peu, qui essaie toujours d'avoir de nouvelles idées mais généralement ça marche pas très bien.
05:31 Et au moment où on le rencontre dans ce livre, il essaie non sans mal devant des encyclopédies et
05:39 ça marche absolument pas, il galère et galère et ce Joe en question passe beaucoup de temps aussi à
05:43 réfléchir à des idées qui vont lui changer la vie, des idées merveilleuses et il passe aussi beaucoup
05:48 de temps à fantasmer. Donc il a pas mal de fantasmes sexuels, il se passe beaucoup de choses
05:55 dans sa tête à Joe. Et puis un jour il pense avoir un éclair de génie, il y a la tempête Katrina qui
06:03 s'avère aux Etats-Unis et là il se dit "ah je vais aller les aider, je vais aller vendre des aspirateurs".
06:08 Donc il passe un contrat avec Electrolux, il arrive sauf qu'il y a déjà un représentant qui était
06:12 plus rapide que lui et qui a vendu des aspirateurs à tout le monde, à toute la Floride et donc il se
06:17 retrouve sans rien, il a perdu beaucoup d'argent et il galère et galère. Ce livre est très très
06:22 très drôle, il y a une espèce de galerie de personnages un peu, on se croirait dans un... ça fait
06:26 penser beaucoup aux films des frères Cohen par exemple pour l'ambiance. Et donc Joe, il vit dans
06:32 un trailer, vous savez ces caravanes où on a des parcs de trailers aux Etats-Unis et donc je vous
06:37 disais il passe beaucoup de temps, il a beaucoup de fantasmes, il regarde beaucoup de porno etc.
06:42 Et puis un jour, il cogite beaucoup dans son trailer et il a comme un moment,
06:50 comme une révélation suite à une espèce de fantasme qu'il a eu, un fantasme sexuel. Et donc
06:56 cet après-midi en question, un de ses fantasmes qui va se transformer en idée
07:02 en idée entrepreneurial et donc cette révélation en fait c'est qu'il pense avoir trouvé la
07:10 solution pour éradiquer le problème de harcèlement sexuel dans les entreprises et
07:17 donc pour amener plus de productivité dans les entreprises américaines. Alors vous allez me dire
07:21 qu'est ce que c'est que cette idée ? Il faut se dire qu'il a un cerveau bien bien bien foutrac. Et
07:27 donc son idée c'est de créer des soupapes. Le titre du livre donc les soupapes, ça va être le nom
07:33 de sa boîte aussi, Soupapes et compagnie. Donc il va... des soupapes en fait ce sont des femmes et
07:40 donc son idée c'est... il invente un système qui va permettre donc aux cadres, aux hommes,
07:49 parce qu'on s'intéresse qu'aux hommes dans la partie, en tout cas dans la première partie du
07:53 livre, il va donc en garantissant l'anonymat et la protection, c'est à dire qu'il n'y a pas de...
08:00 un système dans les toilettes des hommes et des femmes où certains employés vont passer un
08:07 contrat et les hommes vont pouvoir aller avoir des rapports sexuels en fait pendant... sur le
08:12 temps de travail qui leur permet d'être plus productif, plus créatif, puisqu'ils sont plus
08:17 du tout frustrés en fait. Dès qu'ils ont envie de... pardon mais de baiser, ils y vont et voilà.
08:23 Et en garantissant donc ça veut dire que les jeunes candidates qui... enfin ou les jeunes
08:28 ou les vieilles, enfin il n'y a pas de... il n'y a pas de... voilà, elles ont elles aussi des
08:33 contrats plutôt avantageux, ça reste anonyme etc. Il se trouve que ce projet va cartonner et que
08:39 les entreprises qui vont se lancer avec ce concept de soupape vont augmenter leur productivité à
08:48 tel point que ça va devenir énorme et qu'il va y avoir le FBI qui va mettre son nez là dedans,
08:52 etc. C'est complètement délirant comme roman, vous l'aurez compris. C'est à la fois... alors lui,
08:58 il est aux anges forcément Joe parce qu'enfin c'est plus le loser, ça devient... il va gagner
09:03 beaucoup beaucoup d'argent, il y croit donc énormément et puis il va vendre son système
09:06 à plein plein plein d'entreprises. Alors tout ça bien évidemment, je vous raconte ça, c'est très
09:12 compliqué à pitcher comme histoire, mais ce qu'on a adoré avec ce texte en fait c'est le côté bien
09:19 évidemment subversif, très très très caustique parce qu'il y a beaucoup d'humour mais c'est
09:24 l'humour on est au troisième degré parce que quand vous lisez le texte vous dites "mais non
09:27 c'est pas possible, c'est pas possible" et si vous continuez et vous êtes mort de rire parce que
09:30 ça va vraiment au delà de tout ce que... au delà de l'imaginaire même et donc c'est très très drôle,
09:37 on flirte souvent très très souvent avec l'absurde. Qu'est ce qu'on a aimé aussi c'est le portrait de
09:45 cette Amérique, le côté le rêve américain, l'entrepreneuriat, jusqu'où les gens sont prêts
09:51 à aller pour réussir, pour avoir cet accomplissement et puis aussi c'est... il y a tout ce côté absurde
10:00 il y a vraiment des moments, des passages de lecture qui sont vraiment tout simplement
10:04 jouissifs parce qu'on se marre du début à la fin et c'est un livre qu'on a envie de conseiller à
10:08 tout le monde parce que ça sort vraiment de l'ordinaire. Autre point bien évidemment c'est
10:13 les dérives aussi, donc on s'attaque aussi aux côtés conservateurs des Etats-Unis,
10:20 au libéralisme à outrance et puis les dérives capitalistiques et surtout le mythe de l'entrepreneuriat.
10:28 Donc c'est vraiment un texte qui est assez court, qui est traduit par Anne Lebeau et on est très
10:34 très content de l'avoir donc dans cette collection "Vise cachée" qui pour le coup l'apporte son nom avec ce roman.
10:40 Et le prochain titre là c'est une découverte, c'est une nouvelle voie venue de l'Amérique du Sud,
10:49 de la littérature sud-américaine, c'est "Margarita Garcia Robaillot" qui est déjà assez reconnue mais
10:55 c'est le premier texte qui va paraître en France.
11:00 La Encomendia, donc sans transition aucune, je crois que c'est le quatrième roman de Margarita,
11:07 jamais publié en France, c'est une jeune femme Margarita, elle a 43 ans je crois, elle est
11:15 colombienne, elle vit à Buenos Aires donc en Argentine. Peut-être que son nom vous parle
11:20 parce qu'elle a publié dans beaucoup de magazines, de blogs, aussi bien en
11:29 langue anglaise. Elle écrit beaucoup, elle fait des poèmes, elle a écrit beaucoup de nouvelles
11:34 et donc là la Encomendia c'est son troisième roman et le premier qui est publié en France,
11:41 troisième ou quatrième, excusez-moi je sais plus mais vous verrez ça dans les arguments.
11:44 C'est une histoire, alors c'est un texte qui est assez court, je crois qu'il fait 200 pages,
11:50 où on suit une jeune femme qui n'est jamais nommée dans le roman, donc c'est la narratrice,
11:57 enfin la protagoniste principale, on sait qu'elle est originaire de Colombie, donc comme
12:05 l'auteur, elle vit à Buenos Aires, elle travaille pour une boîte de pub, donc elle est rédactrice,
12:10 en fait elle écrit des textes et elle tente d'obtenir une bourse pour venir écrire en Europe.
12:16 On ne connaît rien de sa famille, on sait qu'elle parle pas à sa mère, les seuls contacts qu'elle
12:22 a avec sa vie en Colombie c'est à travers sa sœur, elles font beaucoup de visioconférences,
12:27 elles échangent très peu, au final ce qu'elles échangent c'est assez plat, assez creux et ce
12:34 qui se passe, on la voit, on la suit dans son appartement à Buenos Aires, dans un quartier
12:38 un peu d'affaires où tout est en métal et en verre, tout est assez aseptisé. Et donc ce qui
12:46 se passe, alors oui, le titre, les "encomiendas", on a gardé le titre en espagnol parce que c'est
12:51 un titre qui n'est, par exemple en Espagne, en castillan, c'est un mot qui n'est pas utilisé.
12:55 "Encomiendas" en fait c'est le nom qu'on donne aux paquets qu'on envoie par la poste, c'est quelque
13:01 chose de très familial, quand vous avez l'un de votre famille, un proche qui vit à l'étranger,
13:06 on envoie ces paquets qui souvent sont remplis de nourriture, de dessins, de photos, c'est pour
13:12 garder les liens avec la famille. Elle, elle reçoit, elle a l'habitude de recevoir des paquets
13:18 envoyés par sa soeur et à chaque fois elle est un peu énervée parce que les photos sont tachées
13:25 par la bouffe, par les saucissons, tout arrive un peu gâté et ça l'énerve que sa soeur continue
13:29 d'envoyer des paquets avec des dessins des gamins dont elle se fout complètement etc.
13:34 Et donc le livre commence comme ça, il y a une espèce d'ambiance comme ça qu'elle arrive à créer
13:39 qui est assez étrange, il ne se passe pas grand chose et tout au début il y a un paquet énorme,
13:45 c'est même une caisse en bois très grande, très haute, scellée, qui débarque, le portier l'a
13:52 laissée devant chez elle et puis voilà elle l'ouvre pas et puis un jour elle arrive chez elle et il y a
13:57 sa mère qu'elle a dans son appart, qui est là comme si elle avait toujours été là, qui est en train de
14:00 repasser et il y a la présence de cette mère donc elles échangent normalement, elles mangent ensemble,
14:06 voilà il y a la vie de cette femme qu'on suit dans son quotidien avec cette espèce d'apparition
14:11 donc on sait pas si elle le rêve ou si la mère est vraiment là. Donc toute une ambiance, c'est
14:18 pas vraiment l'histoire en fait, l'histoire elle est bien en soi, je vais arrêter de raconter là
14:24 parce que je veux pas spoiler le bouquin, mais c'est un roman qui est vraiment intéressant,
14:28 il y a une espèce d'inquiétude qui plane, on sait pas très bien pourquoi, c'est pas du tout
14:34 glauque, il se passe rien de grave ou de mal, enfin rien lui arriver de terrible, mais elle
14:42 arrive avec vraiment une économie de mots, de moyens, à faire passer un style qui est vraiment
14:46 très très beau, très impressionnant, très très puissant, on sent que c'est une jeune femme qui
14:54 écrit de la poésie, et elle explore les fêlures personnelles, en tout cas grâce à l'histoire de
15:00 cette jeune femme, les peurs, les liens familiaux, les non-dits, et elle arrive à faire passer
15:07 l'ordinaire, le quotidien limite au rang de l'art, quoi, c'est assez... enfin il faut lire,
15:14 il faut lire, je crois que vous avez des épreuves, enfin non c'est même le livre fini, et donc elle
15:20 a un style vraiment unique, une voix très puissante, nous on est assez fiers d'avoir signé
15:26 "Au chercheminé" parce qu'il y avait pas mal d'éditeurs qui étaient intéressés, et surtout c'est une
15:30 auteure qui compte, elle est publiée partout en Amérique latine, elle vient d'être publiée en
15:35 Angleterre, là les allemands viennent d'acheter les droits, c'est un style très minimaliste, alors
15:40 on peut y voir forcément des références, plein de références à les latinos, donc on pense aux
15:46 nouvelles de Cortázar, mais l'autre jour un de nos représ qui l'a lu disait que ça lui faisait
15:51 penser à Pérec, dans le style en fait, donc il y a quelque chose un peu de ça, d'inventaire,
15:56 de très minimaliste et qui fonctionne, parce que de chacune de ses phrases on a en très peu de mots
16:03 une espèce d'élégance naturelle, et c'est un très joli, en tout cas première traduction
16:09 en français, mais donc ce troisième roman. On passe aux deux romans français, et le premier
16:15 c'est celui d'Emmanuel Pirotte qui vient pour son cinquième texte au Cherchemidi, et donc on la
16:20 suit depuis 2015 avec "Today we live". Donc Emmanuel, oui ça fait déjà pas mal de temps qu'on l'a
16:30 publié au Cherchemidi, alors Emmanuel, vous qui la connaissez peut-être, Emmanuel est belge,
16:35 il est en Belgique, ce qu'on aime beaucoup avec Emmanuel, c'est que, et ça c'est assez rare
16:40 souvent chez les écrivains français, enfin il y en a quelques-uns mais pas tant que ça, c'est qu'elle
16:44 a une habilité et un talent pour passer d'un genre à un autre, vraiment de façon très très très agile
16:52 et facile. Elle a brillé par ses romans historiques, on avait publié "Louer les hommes" il y a quelques
16:57 années, qui avait été porté par les libraires, elle a fait de la biographie fictive avec celle
17:04 de Marlowe, elle a fait du roman d'anticipation, bref. Et là, elle arrive avec encore quelque chose
17:11 complètement inédit parce qu'elle avait jamais, elle s'était jamais essayé à ce style. Elle
17:16 nous raconte la vie, enfin oui, elle nous raconte la vie d'une vieille femme qui s'appelle Dominique
17:22 Biron, qui a 81 ans, qui vit en Belgique et qui vient d'apprendre qu'elle était atteinte d'Alzheimer.
17:27 Attention, je vois, c'est pas le truc. Et cette femme, alors c'est pas du tout un roman triste,
17:34 je blague mais c'est justement au contraire, c'est un roman qui est très, qui est plein de
17:38 vie. Cette femme s'aperçoit qu'elle a Alzheimer, elle supporte pas l'idée et elle va décider de
17:43 se suicider. Donc dès le début du livre, la première page, elle dit "voilà, dans trois jours,
17:48 je mets fin à mes jours et c'est terminé". Et donc elle va faire, cette Dominique Biron,
17:51 une espèce de bilan, d'état des lieux, d'inventaire de sa vie. Une vie plutôt plate,
17:59 une vie un peu de bourgeoise de province, sans beaucoup d'émotion et on sent qu'elle
18:06 regrette un peu d'avoir, pas avoir été à la hauteur de cette vie et qu'elle a envie de transmettre
18:12 à sa petite fille, une jeune femme de 20 ans, qui fait du théâtre, avec qui elle est très proche,
18:16 l'envie justement d'aimer la vie et de ne pas passer à côté de sa vie. Et donc elle fait,
18:23 elle revient, elle parle de son mariage, de ses enfants, qu'elle supporte absolument pas. C'est
18:30 très, très caustique, très, très drôle et on retrouve toute la force de l'écriture d'Emmanuel,
18:36 parce qu'il y a des passages où on rit à voix haute sur un thème qui n'est pas forcément drôle,
18:44 mais c'est un livre qui est plutôt rafraîchissant, très enlevé et puis surtout qui, sous ses atours
18:53 de divertissement et de comédie, pose des questions. Enfin voilà, elle parle clairement
18:59 du libre arbitre, qu'est-ce qu'on fait de tout ça, des questions aussi sur l'état de notre monde,
19:06 l'écologie, ça se passe juste après le Covid, donc voilà. Un texte à coup de poing, je dirais,
19:12 qu'on a tous beaucoup apprécié dans l'équipe. Et puis un premier roman, le premier roman de
19:20 Lolita Sen, "Un été chez Jida". Oui, alors Lolita Sen, c'est la première auteure que j'ai publiée
19:27 quand j'ai commencé dans l'édition, c'était il y a une bonne dizaine d'années. Son premier texte,
19:31 c'était un récit où elle racontait comment elle était tombée dans la cocaïne et elle avait eu
19:35 énormément de presse parce que je pense que ça correspondait, disons, à un essor particulier
19:41 de cette drogue dans cette génération qui était peut-être un peu dans le mal-être. Et là,
19:48 Lolita m'a proposé un roman qui en fait est une autofiction et on le sent tout de suite quand on
19:55 le lit parce qu'il y a des accents de vérité dans son écriture qui sont très frappants. Et en fait,
20:02 elle retient presque, je sais pas comment vous dire, mais quand on lit son stylo, on a l'impression
20:06 qu'elle retient un peu son souffle en écrivant et nous, on retient un peu notre souffle avec elle.
20:11 On sent que c'est vraiment un texte qui vient du ventre, qu'elle avait besoin d'écrire et ce qui
20:15 fait que c'est une lecture qui est très forte pour le lecteur. En fait, Lolita raconte à travers le
20:22 personnage d'Esther la famille Kabil, d'où elle est issue, famille maternelle, qu'elle retrouve tous
20:29 les étés, enfant, chez sa grand-mère dans un petit pavillon du sud de la France. Pavillon donc très
20:34 modeste. Et dès qu'elle ferme la porte de ce pavillon, on se retrouve totalement en Kabili.
20:39 Alors il y a les oncles, les tantes, les cousins, les cousines, les voisins qui passent, il y a
20:43 toujours énormément de monde, on se dispute, on rit, on danse. Évidemment, on fait la cuisine de
20:50 là-bas, on met du henné. Il y a toutes ces traditions aussi, comme mettre du sel sur le seuil de la porte
20:56 pour éloigner le mauvais oeil. Donc voilà, on est vraiment entre guillemets au bled.
21:00 Et au milieu de toute cette animation, de tous ces gens, en fait sa mère, ils étaient donc neuf enfants,
21:09 sa grand-mère Jida, on était chez Jida, Jida ça veut dire grand-mère en fait. Jida a eu neuf enfants,
21:15 donc dont la mère d'Esther alias Lolita, et il y a un oncle qui s'appelle Ziri qui aime un peu trop les enfants.
21:21 Donc en fait, très vite dans le texte, elle raconte qu'à dix ans, cet oncle lui demande de monter à l'étage
21:25 où les enfants normalement n'ont pas le droit d'aller, il abuse d'elle. Et Lolita... Pardon, Esther, Esther ne dit rien.
21:34 Elle ne dit rien mais Jida sait. Elle en est persuadée parce que sinon pourquoi elle est la seule des petites filles
21:40 à dormir avec sa grand-mère le soir alors qu'en plus elle aime pas ça, et pourquoi est-ce que sa grand-mère
21:45 ne l'aime pas, ne lui parle pas ? Donc dans son regard de petite fille, elle comprend que sa grand-mère observe
21:52 et qu'elle sait tout. Un jour, il y a une des petites cousines qui dénonce cet oncle en disant que voilà,
21:59 il a fait des attouchements sur elle, c'est le branle-bat de combat dans la famille, l'oncle fait un peu de prison,
22:04 voilà, puis plus rien. Il revient dans la famille comme si rien ne s'était passé. Une fois adulte, plus grande,
22:10 Esther porte plainte à son tour. Elle est persuadée que ça va être un tremblement d'air, sauf que les jours passent,
22:19 les semaines passent, les années passent, et qu'il ne se passe absolument rien au sein de la famille.
22:24 Sa propre mère lui dit "Écoute, ça va, tu vas pas encore remuer le passé ?"
22:28 Et puis surtout, elle s'aperçoit que cet oncle continue de voir tout le monde, il est hébergé chez les uns et chez les autres,
22:34 alors que c'est plutôt elle qui est mise au banc de la famille et à qui on ne parle plus.
22:39 Alors, ce roman, bien sûr ça parle d'un inceste, mais en fait ça parle surtout d'une famille,
22:47 une famille cabile qui a immigré en France et qui est passée par les camps de réfugiés dans les années 60,
22:55 après la guerre d'Algérie. Une famille qui a très peur du regard que les Français peuvent porter sur eux,
23:04 donc qui vit comme ça toujours un petit peu dans la peur. Et une famille surtout dont l'héritage est à la fois,
23:12 la culture est à la fois très riche et en même temps porteur d'une grande violence envers les femmes,
23:20 alors même, et c'est un des grands paradoxes que ce texte montre, alors même que les femmes continuent d'entretenir cette violence
23:28 et d'une certaine façon de la permettre, de la laisser avoir lieu.
23:34 Moi ce que j'ai trouvé vraiment fort dans ce texte, c'est qu'au-delà de l'histoire d'un inceste,
23:41 c'est vraiment déjà l'histoire d'une jeune femme qui doit essayer de faire entendre sa voix,
23:46 et c'est très difficile, et surtout comment cette jeune femme essaie de se réapproprier son héritage,
23:59 d'essayer de trouver sa place là-dedans, sachant qu'en plus son père lui est d'une culture bourgeoise française très différente.
24:06 Et voilà, vous verrez, je pense que quand on commence ce texte, on le lit d'une traite,
24:12 on a déjà des retours très émus de représentants, et voilà, c'est un texte je trouve dans l'atmosphère assez poétique,
24:23 elle a une façon de parler de sa culture, de sa famille qui est très poétique, et il reste vraiment en tête.
24:29 Voilà.
24:31 Merci, bonne lecture.

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