Un monde, un regard - Vincent Elbaz

  • l’année dernière
On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.

Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023

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Transcript
00:00 *Musique*
00:22 Notre invité n'a plus l'âge d'être considéré comme un jeune premier au cinéma
00:26 et pourtant tout le monde le voit encore avec son sourire enjôleur de trentenaires
00:31 dans les randonneurs où la vérité sigement.
00:33 Notre invité n'a pas encore l'âge d'être considéré comme un monument du cinéma français
00:38 et pourtant, là aussi, ils sont rares ceux qui peuvent se vanter d'avoir joué
00:43 dans le mythique Péril Jeune de Cédric Lapiche à jamais gravé
00:47 dans l'esprit et le cœur de plusieurs millions de français.
00:50 Ni jeune premier, ni monument et surtout pas démodé.
00:54 Même pour la nouvelle génération, il arrive à incarner des personnages de référence
00:58 dont on répète les répliques ou dont on imite les gimmicks.
01:01 Comme Éric Pérez dans BRI, la série de Jérémy Guèze.
01:04 Car notre invité, oui, fait partie des acteurs qui acceptent le transfert du grand au petit écran.
01:10 L'alternance entre cinéma, plateforme et bonne vieille télé.
01:14 Et ce n'est pas si fréquent.
01:15 Qu'est-ce qui le guide dans ses choix ?
01:18 Qu'est-ce qui le porte ?
01:19 Il aime jouer ? Alors il joue, c'est peut-être aussi simple que cela.
01:22 Posons-lui toutes ces questions.
01:24 Bienvenue dans Un Monde d'un Regard et bienvenue à vous, Vincent Elbaz.
01:26 Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat, au Dôme Tournon,
01:30 dans ce décor magnifique.
01:31 Qu'est-ce qui vous guide dans vos choix de rôle ?
01:34 Est-ce que c'est un feeling avec un réalisateur ?
01:36 Est-ce que c'est un scénario ?
01:37 C'est une question complexe, c'est une alchimie ?
01:40 C'est tout ça, tout ça à la fois, oui.
01:42 Une histoire, un scénario, un rôle.
01:45 Et la proposition de départ qui est toujours la même.
01:49 Jouer, jouer. Il y a quelque chose de ludique
01:52 auquel j'ai du mal à résister dans cette proposition.
01:55 Et vous aimez tout jouer ?
01:56 Ça peut être le dragueur des randonneurs,
01:58 comme le voyou dans BRI.
02:02 Ou est-ce qu'avec l'âge, vous commencez à vous interroger davantage
02:05 sur vos choix de rôle ?
02:07 Et est-ce que vous interdisez des rôles, peut-être ?
02:09 J'aime tout jouer, mais pas n'importe quoi.
02:12 Avec l'âge, ça évolue ou pas du tout ?
02:17 C'est les propositions qui évoluent.
02:20 Ce sont les scénarios qu'on me propose.
02:23 Oui, dernièrement, effectivement, ce rôle secondaire
02:27 dans une série sur la brigade de répression et d'intervention.
02:31 On me proposait ce malfrat gitan,
02:35 que c'est une communauté que je ne connais pas,
02:38 c'est un monde que je ne connaissais pas.
02:39 Ça m'intéressait de l'explorer, de l'explorer à fond.
02:44 Il y a une curiosité pour d'autres univers,
02:47 d'autres rôles que vous n'avez pas encore joués ?
02:49 Il y a cette motivation-là ?
02:51 Oui, il y a plein d'univers que j'aimerais explorer.
02:54 Le monde politique, par exemple,
02:56 c'est un univers qui m'est complètement étranger.
02:59 Je n'ai jamais à ma connaissance rencontré d'hommes politiques.
03:04 C'est un monde très à part pour moi.
03:11 C'est assez fascinant.
03:14 Les rouages du pouvoir, l'exercice du pouvoir, c'est assez intéressant.
03:20 Qu'est-ce qui vous fascine dans cet univers ?
03:23 C'est cette phrase d'un essayiste, d'un philosophe,
03:26 qui s'appelle Jean-Claude Milner,
03:30 et qui avait écrit un bouquin qui s'appelle
03:33 "La politique des êtres parlants", je crois.
03:36 Il disait dans ce bouquin, il me semble que c'est dans ce bouquin,
03:39 "La politique, c'est l'école des émotions,
03:42 et le couple, c'est l'école de la politique."
03:45 Cette phrase m'avait frappé sur les deux plans,
03:48 c'est-à-dire à la fois le rapport amoureux,
03:51 comme école de la politique.
03:54 On ne ferait pas le lien naturel.
03:56 Non, non. Cette phrase revient souvent dans mes lectures de scénarios.
04:00 Je ne sais pas, quand j'aborde le rapport de couple.
04:06 La politique, oui, comme école des émotions.
04:10 C'est-à-dire cette confrontation au réel,
04:13 ou à la réalité, aux événements qui dépercutent.
04:17 Ou ne serait-ce que la campagne électorale, par exemple.
04:21 C'est...
04:23 Avec des vrais rôles à jouer, et presque du mensonge à formuler.
04:26 On est quand même dans des promesses dont on sait que parfois on ne tient pas.
04:29 Oui, ça c'est le rôle.
04:32 Mais la rencontre avec le réel, c'est-à-dire quand on se cogne,
04:37 quand on se cogne à la réalité,
04:40 ce moment où on se percute,
04:43 c'est ça l'école des émotions. Je crois, je l'interprète comme ça.
04:46 Quand les politiques sont percutés par...
04:50 Quand ils se cognent dans quelque chose qui les...
04:53 Alors ça peut être évidemment des choses tragiques,
04:57 comme les attentats.
04:59 Je pensais, par exemple, à la période du Covid,
05:03 quand le discours très libéral,
05:06 un peu l'économie libérale de Macron,
05:08 se transforme en un discours hyper social, par exemple.
05:12 J'écoutais, comme tout le monde à la télé le soir...
05:15 - Ses interventions ? - Les interventions,
05:18 le nombre de morts du Covid,
05:20 enfin ce truc un peu mortifère parfois, mais les interventions.
05:23 Et j'ai été étonné de voir à quel point il y avait un changement de...
05:28 Je m'étais dit, tiens, c'est peut-être ça aussi,
05:31 les émotions traversées qui permettent de se transformer, de s'adapter.
05:36 - Je parlais de ces acteurs qui acceptent de jouer dans les séries,
05:39 après avoir fait du cinéma.
05:41 En préparant cette émission, je me suis rendu compte
05:43 qu'ils n'étaient pas si nombreux que ça.
05:45 Est-ce que vous, quand vous franchissez le pas,
05:47 votre entourage vous dit, attention, n'y va pas,
05:49 les plateformes, la télévision, c'est pas pour toi,
05:51 est-ce qu'il y a eu ce genre de frein ?
05:53 Ou est-ce que ça y est, la frontière,
05:55 c'est plus poreuse entre séries et cinéma ?
05:58 C'est presque chic, même, de jouer dans des séries maintenant.
06:01 C'est différent, le regard est différent ?
06:04 - Maintenant, les producteurs appellent les agents pour des films,
06:10 et on leur répond, il peut pas, il est pris par sa série !
06:14 - C'est pas honteux de le dire.
06:16 - Sa série, il peut plus. - Et c'est plus honteux de le dire.
06:19 - C'est plus honteux de le dire, mais ça devient problématique,
06:22 parce que ça prend du temps, une série.
06:25 - Les emplois du temps se télescopent.
06:27 - Oui, mais il y a une richesse d'écriture dans les séries,
06:30 un peu romanesque, le côté roman, nouvelle,
06:34 avec les suites, quoi.
06:38 Il y a une richesse d'écriture, je trouve, dans certaines grandes séries.
06:42 - C'est un détail que j'ai envie de creuser avec vous.
06:44 Qu'est-ce qui change pour l'acteur, pour son jeu d'acteur,
06:46 d'être dans une série ou dans un film ?
06:48 - Moi, j'ai pas encore fait The Wire ou Les Sopranos,
06:51 ce genre de choses.
06:53 C'est ce que j'appelle les grandes séries qui portent un regard
06:58 sur l'humain, la société, presque philosophique.
07:03 - Et dans le jeu d'acteur ?
07:05 - J'ai pas eu accès à ça encore, mais par contre, j'ai trouvé,
07:09 dans BRI ou dans des séries françaises que je regarde,
07:14 le Bureau des légendes ou sur Arte, certaines très bonnes séries,
07:20 les Papillons noirs, récemment.
07:25 Enfin, il y a une richesse d'écriture qui est proche du roman, je trouve.
07:29 Je ressens la même chose quand je lis un roman face à une très bonne série.
07:34 - Mais au-delà de ça, la cadence, le rythme, on dit que c'est toujours quand même...
07:37 - Ah, à tourner, vous voulez dire ?
07:38 - Oui, à tourner, pour un acteur...
07:40 - Oui, à tourner, ça n'a rien à voir.
07:41 - C'est vrai ?
07:42 - Oui, c'est pas...
07:43 Ah bah, la série, moi, ça m'a appris une chose,
07:45 c'est l'amour des plateaux de cinéma.
07:47 - Pourquoi ?
07:48 - Parce que le plateau d'une série, c'est super, mais enfin, c'est...
07:54 Disons qu'un metteur en scène ou un showrunner de série,
07:59 il peut pas arriver sur le plateau le matin en disant, finalement,
08:02 ce décor, je vais pas le filmer comme ça, on va faire un peu autrement.
08:06 Si on pouvait repeindre cette porte en rose, parce que...
08:09 Non, ça, c'est pas possible.
08:10 Sur un film d'auteur, je pense que c'est possible.
08:14 C'est possible d'arriver le matin et d'avoir, même si on est très préparé,
08:18 d'avoir une sorte d'inspiration nouvelle qui réoriente la séquence ou la scène.
08:23 - Alors que sur la série, il faut être éduquace.
08:25 - Sur une série, c'est plus compliqué, oui.
08:26 - Mais vous diriez que ça obéit même à des logiques un peu marketing,
08:29 qu'il faut être un peu spectaculaire dans son jeu,
08:31 plus que dans le cinéma où on va chercher la subtilité,
08:33 quand on est acteur ou pas ?
08:35 - C'est juste que la façon de fabriquer une série
08:37 et de l'écrire et de la produire, je suis pas producteur,
08:40 je pense que les producteurs de séries se heurtent aux diffuseurs.
08:46 Plus le process avance et plus les demandes peuvent être du côté du mainstream,
08:52 de quelque chose de plus...
08:54 - Consensuel.
08:55 - De plus consensuel, etc.
08:57 Je pense qu'ils sont...
08:59 Le cinéma d'auteur, c'est pas ça.
09:01 Le cinéma d'auteur, c'est un scénario, un producteur, un metteur en scène,
09:04 un auteur qui écrit, et ensuite, une fois qu'il y a le scénario,
09:07 ils vont trouver l'argent.
09:09 Y a pas ce temps long d'attendre des green light, des feux verts
09:14 pour telle écriture, puis tel épisode.
09:17 - Et quand on est acteur, est-ce qu'on doit être toujours dans la séduction ?
09:20 Est-ce qu'on doit toujours essayer de provoquer le coup de coeur
09:23 chez un réalisateur, un producteur ?
09:25 Ou est-ce que quand on a votre notoriété, on cherche plus à faire ça ?
09:29 On est comme on est et on nous prend comme on est ?
09:31 Ou est-ce que c'est compliqué d'être dans cette position d'acteur
09:34 où on doit donner envie, on doit provoquer le désir ?
09:37 - Je vais pas montrer forcément mes... comment dire...
09:44 mes faces les plus... - Intimes ?
09:49 - Non, mais les plus... qui pourraient poser problème sur un plateau.
09:53 Je vais plutôt montrer...
09:55 C'est pour ça que je crois pas tellement au casting, par exemple.
09:58 - Ah bon ?
09:59 - Non, parce que qu'est-ce qu'on peut savoir de la vérité de quelqu'un
10:03 pendant un casting ?
10:05 Un casting, c'est vouloir le job.
10:08 Donc bon, quand je veux le job, je fais le casting,
10:10 je le fais le mieux possible et je montre tout,
10:14 les meilleures facettes de mon jeu ou de moi.
10:18 - Ça vous arrive encore, les journalistes ?
10:20 - Ça m'est... ça m'est pas arrivé depuis un moment,
10:22 mais je veux dire, ça m'était arrivé, ça m'est arrivé.
10:25 Et on montre pas forcément...
10:28 C'est difficile de montrer qui on est vraiment au casting.
10:32 Moi, j'ai jamais considéré qu'il fallait plaire à tout prix,
10:36 mais par contre, surprendre,
10:40 aller chercher en soi des ressources qui surprennent...
10:45 Enfin, se surprendre soi-même,
10:48 se laisser aller dans un processus qu'on maîtrise pas forcément
10:51 et qui surprennent l'œil du metteur en scène sur le plateau
10:54 ou son partenaire ou sa partenaire
10:57 et qui surprennent aussi des choix qui surprennent le spectateur.
11:00 - Ça peut provoquer la petite lumière dans le regard.
11:02 - Oui, moi, ça...
11:04 Si c'est ça, être dans...
11:07 essayer de séduire le public, oui, peut-être,
11:10 du côté de la surprise.
11:12 - Vous, vous l'avez déclenché, le coup de cœur, plusieurs fois,
11:14 avec Cédric Lapiche qui vous offre votre premier rôle au cinéma,
11:17 avec John Malkovich aussi qui vous a dirigé au théâtre, deux fois, je crois.
11:20 La belle aventure humaine, vous l'avez aussi vécue avec La Vérité, si je mens.
11:24 Ce sont même les producteurs du Péril Jeune
11:26 qui vous proposent de faire partie du casting.
11:28 Vous dites oui pour le 1 de La Vérité, si je mens,
11:30 non pour le 2, mais ils reviennent à la charge pour le 3.
11:33 Ils insistent, ils vous veulent vraiment,
11:35 un peu comme pour... Enfin, c'est ce que j'ai ressenti en lisant tout cela,
11:38 un peu comme pour reconstituer une sorte de famille
11:41 et vous céder parce que vous êtes touché,
11:43 c'est ce que j'ai lu dans vos interviews,
11:45 c'est qu'à la fin, vous dites, bon, s'ils me veulent vraiment,
11:47 c'est que quand même, peut-être, ils m'aiment bien.
11:49 C'est aussi ça, quand même, le monde du cinéma,
11:51 il y a quand même une affaire d'amitié, voire de famille ?
11:53 - Alors, oui. - Oui.
11:55 - Et non. - Ah.
11:57 Oui, Farid et Aïssa, on avait un lien très fort,
12:00 parce que ce sont des producteurs du Péril Jeune.
12:02 J'avais pas besoin du 2.
12:04 - Ouais. - Donc je l'ai pas fait, en fait.
12:07 J'avais pas besoin du 2, j'en voulais pas.
12:10 J'en voulais pas et je leur avais dit,
12:12 je me souviens même le soir de l'avant-première du 1.
12:15 On va faire une suite et tout, je dis, ouais, ça sera sans moi, les gars.
12:19 - Pourquoi ? - Je sais pas pourquoi,
12:21 j'avais sûrement une angoisse à l'idée de...
12:24 - D'être enfermé. - D'être enfermé dans un truc de...
12:27 de Juif séfarad, je sais pas, de Dov, de...
12:30 Au final, je pense que ça aura rien changé,
12:33 que je le fasse ou pas, au fond, mais bon, je l'ai pas fait.
12:36 Et j'ai tout fait pour pas le faire.
12:40 C'est-à-dire...
12:42 Dire non, demander beaucoup d'argent pour pas le faire.
12:46 Au final, ils disent oui, enfin bon...
12:49 Ça s'est transformé en une sorte de rendez-vous
12:52 où on s'est vus tous les trois et où ils sont devenus...
12:55 Où ils m'ont regardé en disant "mais t'es complètement con, quoi,
12:58 pourquoi tu nous dis non, quoi ?"
13:00 Mais on est resté... Finalement, on est resté liés.
13:03 Et l'E3, j'en avais besoin.
13:07 - À quel niveau ?
13:09 - Je sortais d'une série qui s'appelle "No Limits",
13:12 produite par Besson.
13:14 Et ça faisait 3 ans que je faisais plus de cinéma, donc...
13:18 - Fallait réintégrer le monde du cinéma ?
13:21 - J'avais besoin d'un film comme ça, grand public, populaire.
13:28 - Vous avez l'air d'aimer les films de bandes, quand même,
13:31 de bandes de copains, de groupes.
13:33 C'est un hasard ?
13:35 Ou c'est aussi parce qu'il y a un côté sympa de se fondre dans le groupe ?
13:39 Il y a quelque chose que vous allez chercher dans ce groupe ?
13:42 La vérité, si je mens ?
13:44 - J'ai besoin de l'autre. - Les randonneurs, tout ça ?
13:46 - Oui, c'est vrai, mais j'ai débuté dans les films de groupe.
13:49 - Vos gros cartons, c'est ça ?
13:52 C'est le super copain d'une super bande de copains qu'on a tous envie d'avoir ?
13:56 - Oui, j'ai trouvé ma place facilement dans les bandes, peut-être.
14:01 Il y a l'esprit de troupe, je pense que je dois avoir un esprit de partage,
14:06 comme ça j'aime bien partager, j'ai pas de problème à partager le générique.
14:11 - Et l'affiche ? - L'affiche.
14:13 Ou de pas être sur l'affiche, ou d'y être, ça n'a pas beaucoup d'importance pour moi.
14:18 - Vous n'avez pas d'ego, finalement ?
14:21 - Si, j'en ai, mais je le mets entre actions et coupés.
14:26 Entre actions et coupés, je laisse libre cours à toutes mes impulsions de jeu,
14:36 et je prends la place qu'il m'est donnée, pas plus, mais je l'essaie de la remplir.
14:42 Et puis surtout, je prends une liberté.
14:45 Si ça ne me plaît pas, on coupe, on refait autre chose,
14:48 mais je m'autorise toutes les libertés possibles.
14:51 - De tenter des choses ? - Oui, mais c'est vrai que les films de groupe,
14:55 c'était chouette, c'était super, j'ai pas de problème avec ça.
14:59 Au départ, je me voyais faire du théâtre, moi pas tellement de cinéma.
15:03 Donc c'était l'esprit de troupe, l'esprit de groupe.
15:07 Et puis j'ai besoin de l'autre pour jouer.
15:12 - Ça vous a pénalisé dans votre carrière de ne pas forcément vouloir être tout en haut de l'affiche
15:17 et d'accepter cette place qu'on vous donne, pas plus ?
15:20 - Je vais pas prendre un scénario pas bon parce qu'il y a le rôle principal.
15:24 - Bien sûr. - Ça, ça me...
15:27 C'est d'ailleurs... Je pense que c'est dommageable pour un acteur
15:33 de faire trop de rôles principaux dans des films pas bons.
15:36 - J'ai une archive à vous proposer, Vincent Elbaz,
15:39 vous allez la découvrir en même temps que le public, et je vais la lire pour ceux qui nous écoutent.
15:42 C'est une archive délivrée par nos partenaires, les Archives Nationales.
15:46 Il s'agit d'un mot collé à la porte d'une salle de la Sorbonne
15:49 pendant le mouvement étudiant de mai 68.
15:51 "Avis aux flics" est-il écrit.
15:53 Cette salle a été utilisée par le mouvement étudiant-travailleur.
15:56 Votre arrivée est inutile, vous n'y trouverez rien d'intéressant pour votre appétit fasciste.
16:00 Vous n'êtes que des pantins, ridicules, incapables d'une réflexion,
16:04 intelligentes, imbéciles, révolutionnaires, mens-vôtres.
16:07 Cela à l'enfant d'Aix, 68 ans.
16:09 Je crois que votre mère a occupé la Sorbonne même.
16:12 - Oui.
16:13 - Qu'elle a jeté des pavés sur les CRS.
16:16 Est-ce que ça dit quelque chose de vous ?
16:19 Qu'est-ce que ça a forgé dans l'adulte que vous êtes devenu, cet esprit 68 ans,
16:23 dans lequel vous avez été quand même un peu élevé ?
16:26 - Oui, oui, oui, très extrême gauche, quoi.
16:32 Quand j'avais 18-20 ans, je dirais que j'étais très, très, très extrême gauche.
16:40 - D'accord.
16:41 - Mais alors moi, à 18-20 ans, l'extrême gauche, si vous voulez,
16:46 ce n'est plus la même que celle de ma mère, trotskiste, léniniste des années 60.
16:51 Je n'ai pas adhéré à aucun mouvement, je n'ai pas été du proactif,
16:56 mais en tant qu'acteur, à l'époque, enfin, jeune acteur,
17:00 enfin, qui prenait des cours de théâtre, j'allais souvent voir le théâtre de l'opprimé.
17:05 C'était une compagnie de théâtre qui venait du Brésil ou d'Argentine, je crois,
17:09 qui jouait à l'époque dans les favelas, etc.
17:13 et qui avait donné un spectacle sur Khaled Kelkal.
17:17 - Ah oui.
17:18 - Et pour moi, à l'époque, Khaled Kelkal, c'était le GIA, l'islamisme et l'extrême gauche.
17:30 Je voyais Khaled Kelkal comme un révolutionnaire religieux, politique et religieux,
17:39 mais du côté religieux, du côté spirituel.
17:42 Et donc, je voyais dans l'islamisme un mouvement qui s'apparentait pour moi
17:50 au mouvement trotskiste-léniniste que j'avais en fantasme,
17:55 du côté, effectivement, de ma mère avec 68 ans.
17:59 Et donc, j'avais été saisi par ce spectacle où il y avait un acteur qui jouait Khaled Kelkal.
18:04 - Impliqué dans les attentats de 95, un terroriste.
18:06 - Oui, oui, oui, qui est un terroriste qui avait fait des attentats de 95
18:09 dans le RER B à Saint-Michel, qui avait tué beaucoup de monde.
18:15 Et donc, j'avais envie de jouer ça.
18:18 Et donc, je m'étais procuré le texte, l'intégralité du...
18:26 finalement, des interviews de Khaled Kelkal.
18:30 Et en lisant l'intégralité, j'avais été heurté parce que dans le spectacle,
18:38 il n'avait pas retranscrit...
18:41 Je suis tombé sur le texte intégral, je suis tombé sur Khaled Kelkal qui parle des juifs.
18:47 - Ah.
18:49 - Et là, ça a été un choc pour moi parce que j'étais très...
18:55 Je voyais ce mouvement comme un mouvement révolutionnaire
18:58 qui voulait de manière spirituelle utiliser la religion à des fins politiques.
19:04 Je voyais pas de mal à ça, cette utilisation politique du religieux.
19:09 J'avais 18 ans, j'étais très anti-système, etc.
19:15 Et alors, la haine des juifs dans les témoignages,
19:20 Khaled Kelkal m'avait complètement déstabilisé parce que je m'attendais pas à ça.
19:25 Je comprenais même pas ça.
19:28 Je comprenais pas quel rapport il y avait entre...
19:32 - Un idéal révolutionnaire.
19:34 - Entre un idéal révolutionnaire et fonder un système capitaliste,
19:38 quitte à faire des attentats, etc., comme la bande Abadère l'avait fait, etc.
19:44 - La haine des juifs.
19:46 - La haine des juifs.
19:47 - Et c'est là que ça vous...
19:48 - Et ça, ça m'a complètement réveillé.
19:50 C'est-à-dire que je suis passé de l'extrême gauche à...
19:53 Ça m'a complètement ouvert les yeux sur l'extrême gauche et sur ce...
19:59 Oui, d'un coup, finalement, les gens que j'aimais me haïssaient, en fait.
20:09 Il n'y avait pas, évidemment, que ma fascination pour Khaled Kelkal,
20:12 mais il y avait aussi celle pour les leaders d'extrême gauche, les mouvements.
20:17 Et ça, ça m'a réveillé ma conscience.
20:21 - Est-ce que ça veut dire que le comédien que vous étiez et que vous êtes...
20:23 - Ah ben, j'ai pas fait le spectacle.
20:25 - Voilà. Et ne pourrait toujours pas jouer ce rôle.
20:27 - Ah non. Ah si, je pourrais jouer un terroriste.
20:29 Non, mais alors ça, c'est un autre problème.
20:31 Je pourrais jouer un pédophile, un terroriste.
20:33 Tout ce que vous voulez, j'ai pas de morale là-dessus.
20:36 Rien à secouer.
20:38 Si je dois incarner l'inhumanité, pas un extraterrestre, mais l'inhumanité,
20:47 c'est-à-dire quelqu'un qui est un être humain qui se comporte de manière inhumaine,
20:51 j'ai aucun problème pour le faire.
20:53 Mais mes positions à l'époque ont changé politiquement à ce moment-là.
21:01 C'est-à-dire c'est cette rencontre avec l'antisémitisme de l'extrême gauche
21:05 qui m'a un peu ouvert les yeux.
21:09 - Moi, j'ai des photos en attendant.
21:14 Notamment celle-ci, je sais pas si vous le connaissez,
21:16 il s'appelle Kabyleim, c'est un tiktoker italien qui est devenu une star dans le monde entier
21:21 grâce à des vidéos drôles.
21:23 Peut-être que vous n'êtes pas sur TikTok, mais les enfants le sont, justement.
21:26 - Pas mes enfants, mais...
21:28 - On va en parler, parce qu'en 2022, dans le monde, les enfants de 4 à 18 ans
21:32 ont passé en moyenne 1h47 par jour sur TikTok,
21:35 plus de 4 heures par jour au total devant des écrans.
21:38 C'est un peu la question, vous qui avez 4 enfants,
21:40 qu'est-ce que vous leur dites sur les écrans ? Est-ce que vous mettez des limites ?
21:43 - Je suis de plus en plus inquiet, effectivement, pour mes enfants.
21:50 Je vais essayer de donner le bon exemple, déjà.
21:53 Je vais essayer.
21:55 Parce que moi-même, je suis en relation organique avec mon portable,
22:00 donc si vous voulez, c'est comme tout le monde.
22:03 - Oui, ce que vous vouliez dire, on l'est un peu tous.
22:05 - Bah oui, c'est-à-dire que je...
22:08 J'essaye de... Je suis dans la croyance qu'il faut dominer cette...
22:13 - Cette addiction ?
22:15 On peut parler d'addiction ?
22:17 - L'addiction, c'est encore un terme un peu light
22:20 pour décrire ce qui nous arrive, là, je trouve.
22:26 Donc je vais essayer de donner le bon exemple, concrètement, en fait.
22:33 Je vais proposer... Je propose d'acheter des CD
22:38 pour éviter l'utilisation de l'intelligence artificielle
22:43 dans la sélection automatique de ce qui est censé nous plaire en musique.
22:49 C'est-à-dire qu'on fait plus aucun effort de recherche.
22:54 - Et d'ouverture.
22:56 - Oui, il n'y a plus aucun effort qui est fait pour aller chercher des trucs.
23:00 Tout vient à nous de manière très...
23:07 - Artificielle.
23:09 - Oui, artificielle, et ce sont des désirs qui deviennent artificiels.
23:12 C'est même l'absence de désir, en fait.
23:14 Donc je vois, par exemple...
23:17 Oui, j'ai peur de découvrir une absence de désir chez mes enfants, par exemple.
23:21 Ça, c'est une angoisse, c'est l'absence de désir,
23:25 d'imaginaire, de curiosité sur le monde et tout ça.
23:28 Ça, c'est vraiment un truc qui...
23:31 - Qui vous inquiète.
23:33 - Oui, la façon dont les téléphones répondent à nos demandes...
23:37 - Immédiates.
23:38 - Immédiates, sans forcément réfléchir beaucoup.
23:41 Ça m'angoisse vachement pour mes enfants.
23:46 Donc bon, je ne sais pas quoi faire.
23:49 Je suis un peu démuni.
23:51 - Lutter à notre échelle.
23:52 - Je me renseigne, je suis en train de lire un bouquin là-dessus,
23:55 pour savoir quoi faire.
23:56 - J'ai une deuxième photo.
23:58 Il s'agit de l'affiche du film "Anatomie", d'une chute,
24:01 Palme d'or à Cannes.
24:03 "Je fais un blocage", ce sont les mots d'Elisabeth Borne,
24:07 qui a refusé d'aller voir ce film, la première ministre.
24:10 - Pourquoi ?
24:11 - Parce que la réalisatrice, Justine Trier,
24:13 a critiqué la politique gouvernementale,
24:15 notamment avec le monde artistique.
24:20 Quel regard vous portez sur ce boycott ?
24:22 Est-ce que ça veut dire que les réalisateurs ont le droit
24:25 de traiter de politique dans leurs films, mais pas d'en parler ?
24:28 Comment vous voyez ça ?
24:31 - Je pense qu'on en a rien à foutre, non ?
24:33 C'est-à-dire que ce discours a été prononcé,
24:36 mais au fond, tout le monde s'en branle, non ?
24:38 J'ai l'impression.
24:40 Moi, ça ne m'a pas percuté.
24:42 Oui, elle a...
24:44 Je ne sais pas, moi, ce qui m'intéresse, c'est son film, en fait.
24:47 Son film, quoi.
24:49 Son discours à Cannes ne m'a pas du tout empêché,
24:52 enfin, coupé du désir de voir ce film...
24:55 - Le film "Le Désir", encore, vous en parlez beaucoup.
24:57 - Oui, qui a l'air extraordinaire, ce film.
24:59 J'ai très envie de le voir. Je pense qu'il joue encore.
25:02 - J'ai une dernière question, qui est en lien avec le lieu
25:04 dans lequel nous nous trouvons, Vincent Hébaz.
25:06 Nous sommes entourés de quatre statues,
25:08 qui représentent chacune une vertu.
25:10 Vous avez la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
25:14 Laquelle de ces vertus vous caractérise le plus,
25:17 ou vous parle le plus ?
25:19 - Me caractérise, non, mais je choisirais le courage,
25:22 qui n'est pas là.
25:23 - Oui, mais vous avez le droit d'en choisir une autre, le courage.
25:25 - Le courage de...
25:27 Ça ne me caractérise pas,
25:32 mais j'admire cette vertu-là.
25:35 Oui, d'avoir le courage du discernement.
25:38 C'est ça, en fait, je choisirais ça.
25:41 Malheureusement, je...
25:43 - Elles ne sont pas là, mais on les garde.
25:45 - La prudence, non. La justice, bon, oui, évidemment.
25:47 Le sentiment de justice.
25:49 - Le courage et le discernement, c'est intéressant.
25:51 - Il y a plein d'idéologies qui se sont cachées
25:53 derrière l'idéal de justice,
25:56 et qui n'ont pas fait une vertu.
26:00 L'éloquence, j'admire l'éloquence.
26:04 Ça, j'admire Edouard Baer,
26:07 des gens comme ça, vous savez,
26:09 qui sont des...
26:11 Capables d'écrire en direct,
26:14 d'écrire de manière cérébrale,
26:17 de créer de l'écriture,
26:19 en direct, comme ça, par des improvisations.
26:22 - On va retenir courage et discernement.
26:24 Ce sont vos mots et vos vertus à vous.
26:26 Merci, merci beaucoup.
26:28 Vincent Elbal va être notre invité ici,
26:30 dans ce Dôme Tournon.
26:31 Merci à vous de nous avoir suivis, comme chaque semaine.
26:33 Et puis on se retrouve très très bientôt sur Public Sénat,
26:35 émission à retrouver en podcast.
26:37 N'oubliez pas. À bientôt. Merci.
26:39 (indicatif musical)
26:42 ♪ ♪ ♪

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