L'insécurité augmente-t-elle dans nos campagnes?

  • l’année dernière
Après le drame de Crépol, l'idée que la violence augmente dans les zones rurales a émergé, notamment du côté du Rassemblent national. Le nombre d'homicides est pourtant plus élevé dans les villes de 100 à 200.000 habitants. 
Transcript
00:00 Y a-t-il de plus en plus de violence dans nos campagnes ?
00:02 Cette idée-là aussi a émergé, notamment chez Marine Le Pen lundi matin,
00:06 avec ce tweet "Fête de village, mariage, fête d'anniversaire,
00:10 depuis quelques années, des villages ruraux sont victimes de véritables razzias.
00:14 Attaque au couteau, agression d'une brutalité inouïe, trop c'est trop".
00:19 Message décliné aussi par les amis de Marine Le Pen sur les plateaux télé.
00:23 L'insécurité dans les communes rurales explose par rapport à ce que c'était avant.
00:29 Que ça ressemble de plus en plus à la France orange mécanique
00:32 qu'on nous décrit depuis des années, c'est une réalité aussi malheureusement.
00:36 Que cette violence, que cet ensauvagement, que cette délinquance
00:40 par des centres urbains pour aller vers maintenant la périphérie
00:45 et évidemment les communes rurales, c'est une réalité aussi.
00:48 Des propos qui font bondir le président des maires ruraux de France.
00:53 Je trouve franchement que c'est un peu exagéré quand même.
00:55 On a l'impression qu'on se retrouve au Moyen-Âge où des bandes armées
01:01 envahissent les territoires.
01:02 Il ne faut pas exagérer.
01:04 Il y a de la violence, mais il y a de la violence partout dans notre société à l'heure actuelle.
01:09 Ça veut dire que cette violence, elle s'exprime aussi bien
01:12 d'ailleurs chez des adultes que chez des jeunes.
01:14 Donc c'est un village de 500 habitants au Crépol.
01:18 Et quelquefois, il y a effectivement, mais comme souvent dans beaucoup de réunions de jeunes,
01:22 il y a quelques bagarres.
01:24 Par contre là, ça a dépassé ce cadre.
01:27 Mais pour dire qu'il y a vraiment un envahissement,
01:32 une forme de terreur dans la ruralité, il ne faut pas exagérer.
01:37 Y a-t-il plus de violence en ville ou à la campagne ?
01:40 On a épluché les chiffres du SSMSI,
01:43 c'est le service statistique du ministère de l'Intérieur.
01:45 Ceux des homicides notamment, publiés il y a deux mois.
01:48 Que disent ces chiffres, Chloé Giraud ?
01:51 Eh bien, l'année dernière, en 2022, il y a eu 959 homicides en France,
01:57 soit une augmentation de 9% par rapport à l'année précédente.
02:01 Mais que représente cette hausse et dans quelle mesure touche-t-elle les zones rurales ?
02:06 Écoutez la réponse de notre consultant en police-justice, Guillaume Fard.
02:11 Sur ces +9%, c'est davantage lié à des règlements de compte
02:15 sur fonds de trafic de stupéfiants en milieu urbain
02:18 que à des rixes mortels en milieu rural.
02:22 Et quand on va dans le détail, d'ailleurs, il y a eu 959 homicides en 2022,
02:27 il y en avait précisément 1140 en 2008, 15 ans en arrière.
02:30 Donc la tendance globale, elle est plutôt à la baisse.
02:34 Même si, il est vrai qu'en 2020, parce que c'était une année de Covid,
02:38 on avait atteint un point bas avec 823.
02:40 Donc en fait, vous naviguez entre 800 et 1200, on va dire.
02:44 Mais donc, il n'y a pas d'explosion.
02:46 Et si vous résidez dans une commune qui est une commune de moins de 2000 habitants,
02:50 puisque c'est le cas de Crépole,
02:53 votre chance statistique d'être victime d'homicide,
02:56 elle est deux fois moindre que la moyenne nationale.
02:59 Et c'est effectivement ce que dit les chiffres.
03:01 Le nombre moyen d'homicides sur la France entière est de 1,4 pour 100 000 habitants.
03:07 Mais quand on regarde dans le détail, on se rend compte qu'il est plus élevé
03:11 pour les très grandes villes de 100 à 200 000 habitants.
03:14 C'est trois homicides pour 100 000 habitants.
03:17 Dans les grandes villes de 50 à 100 000 habitants, il est de 1,6 pour 100 000 habitants.
03:23 Et en unité urbaine, donc cette fois-ci plutôt dans les zones rurales,
03:27 eh bien, il est de 0,8 pour 100 000 habitants.
03:30 Toujours selon les chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure.
03:36 Et puis, au-delà des homicides, sur tous les indicateurs de l'insécurité en général,
03:40 qu'il s'agisse des coups et blessures volontaires, des cambriolages,
03:44 des tentatives de viol ou encore des viols,
03:46 eh bien, ces habitants des zones rurales de moins de 2 000 habitants,
03:49 ils sont plus préservés que ceux qui habitent dans les centres urbains.
03:53 C'est ce qu'on lit dans le rapport d'Interstat, le service statistique du ministère de l'Intérieur,
03:58 qui a publié en mars dernier une analyse sur la géographie de l'indélinquance.
04:02 Regardez, le nombre d'actes de délinquance enregistrés pour 1 000 habitants
04:06 est systématiquement plus élevé dans les grandes communes que dans les petites.
04:11 Merci beaucoup, Chloé Giraud.
04:13 Jérôme Poirot, certains politiques ont dit
04:16 la violence des villes est en train d'arriver dans les campagnes.
04:19 Est-ce que c'est vrai ?
04:20 C'est vrai et c'est faux.
04:22 Dans tout ce qui a été dit, dans tous les chiffres qui ont été montrés,
04:25 les chiffres du ministère de l'Intérieur sont incontestables.
04:29 Mais il y a un phénomène très important qui est vecteur de violence et de délinquance,
04:33 c'est le trafic de drogue.
04:35 Et le trafic de drogue, maintenant depuis des années,
04:38 inonde aussi les petites villes et même les campagnes.
04:41 Et le trafic de drogue dans les campagnes n'a pas le niveau de violence
04:45 avec les règlements de comptes que l'on connaît à Marseille, par exemple,
04:48 puisque c'est là où c'est le plus spectaculaire,
04:50 mais c'est un facteur d'aggravation des violences.
04:53 Alors, dans ce que vous avez montré à travers ces chiffres,
04:55 si on met de côté les homicides, c'est quand même une forme de violence très particulière,
04:59 et vous l'avez dit, c'est moins de 1 000 homicides par an.
05:02 Mais pour les autres types de violences, évidemment, il y en a moins dans les campagnes.
05:06 Plus on est dans le milieu rural, moins il y en a, pour un tas de raisons.
05:09 D'abord, la densité urbaine est moins forte.
05:11 Et puis, il y a une forme de contrôle social.
05:13 Ça a été très bien exposé dans des témoignages que vous avez recueillis
05:17 toute cette semaine après les événements de Crépol.
05:20 Les gens disaient, on se connaît, c'est une petite région,
05:23 il y a quelques villages, donc les gens circulent, se connaissent.
05:26 Cette forme de contrôle social est une prévention très forte contre la délinquance.
05:30 Mais le point, je pense, le plus important, c'est que justement,
05:34 parce qu'il y a moins de délinquance, moins de violence volontaire dans ces campagnes,
05:39 quand ça se produit, c'est un plus fort retentissement,
05:43 et ça inquiète beaucoup plus les populations.
05:46 On l'a vu encore dans tout ce qui a été dit, et la dame tout à l'heure,
05:49 qui était aux obsèques que vous avez interviewées,
05:51 qui était aux obsèques hier de Thomas, le dit.
05:55 Elle a un fils de 17 ans, ça aurait pu arriver à son fils ou à toute autre personne,
06:00 et on l'a vu dans d'autres témoignages.
06:02 Les parents disent "on ne laisse plus sortir nos enfants".
06:05 Donc le retentissement est considérable,
06:08 et donc on peut comprendre que ça a un impact très important,
06:13 et ça peut potentiellement d'ailleurs avoir aussi des traductions politiques.
06:17 Alors je vois que vos propos font réagir, Vincent, sur ce retentissement des affaires,
06:21 peut-être en milieu rural ?
06:22 Non, non, mais effectivement, c'est important de le souligner
06:24 sur le retentissement et la façon dont les choses sont perçues.
06:27 Un exemple tout simple, on a beaucoup parlé de la situation à Marseille
06:30 et des règlements de compte sur fonds de trafic de stupéfiants.
06:33 On a l'habitude maintenant de lire ça comme si on égrenait une vérité qu'on ne peut pas arrêter.
06:38 Tiens, il y a encore eu un règlement de compte à Marseille,
06:40 et puis on passe à l'information suivante.
06:42 En revanche, quand ça se produit sur un petit village de 500 habitants
06:45 où tout le monde se connaît, ça a beaucoup plus de retentissement.
06:48 Parce qu'il y a deux choses qu'il ne faut pas opposer mais mettre en parallèle,
06:51 c'est l'insécurité avec les chiffres, par exemple sur les homicides,
06:54 qui viennent d'être dévoilés d'une part,
06:56 mais d'autre part, il y a le sentiment d'insécurité,
06:58 qui n'est pas lié aux chiffres mais juste au ressenti des gens.
07:01 Et ça effectivement, c'est quelque chose qui englobe aussi la réalité
07:05 dont on a parlé toute la semaine.
07:07 Alors, puisque dans cette émission, on s'intéresse aux chiffres,
07:09 on s'intéresse aussi aux mots, il faut aussi préciser
07:12 que le mot "violence" y recouvre plusieurs réalités.
07:14 C'est un peu ce que vous disiez tout à l'heure.
07:16 La violence, c'est un mot qui comprend les vols, les coups, les blessures, les homicides, etc.
07:22 Alors, on a interrogé le service statistique du ministère de l'Intérieur.
07:27 La violence dans les campagnes a-t-elle augmenté ces cinq dernières années ou a-t-elle baissé ?
07:33 Eh bien, en fait, ça dépend des indicateurs.
07:36 Écoutez.
07:37 Ce qui baisse, ça va être la délinquance type vol avec arme, vol violent sans arme.
07:44 Ça, c'est en baisse.
07:46 Les vols sans violence également.
07:48 Les vols de véhicules, les vols dans les véhicules,
07:50 même les cambriolages, c'est plutôt en baisse sur plusieurs années.
07:55 Alors que les phénomènes qui sont plutôt en hausse,
07:58 c'est les coups et blessures volontaires, surtout intrafamiliaux, et les violences sexuelles,
08:03 avec des phénomènes sociaux derrière qui traduisent pas que ce qui se passe sur le terrain,
08:08 mais aussi la proportion des gens à se rendre en brigade de gendarmerie ou en commissariat de police.
08:14 Un mot sur ces chiffres, peut-être, Jérôme Poiron ?
08:16 Oui. Ce qui est le plus remarquable, le plus intéressant là et le plus inquiétant,
08:20 c'est l'augmentation des violences volontaires et des violences sexuelles,
08:24 notamment, ça a été dit par votre intervenant, dans le cadre intrafamilial.
08:28 Ça peut être à la fois des violences pures et des violences sexuelles.
08:32 Il faut rappeler d'ailleurs que quels que soient les types de violences,
08:34 ce sont les femmes qui sont les victimes principales de ces violences.
08:39 Avec une difficulté parfois de lecture des chiffres, Vincent,
08:42 puisque le ministère rappelle systématiquement,
08:45 notamment pour les violences sexuelles, qu'on est dans un contexte de libération de la parole.
08:50 Effectivement. Et c'est des chiffres qu'on a l'habitude de commenter.
08:54 Et on le dit, ça augmente d'année en année,
08:57 mais parce que ça s'accompagne de ce mouvement de libération de la parole.
09:00 Et quand on parle de violences intrafamiliales,
09:01 on n'est pas ici sur une rixe qui se produit dans la rue.
09:05 On est sur quelque chose dans un huis clos.
09:07 Et effectivement, c'est au sein de la famille et c'est parfois aussi sur des violences
09:12 qui viennent être révélées aujourd'hui, mais qui peuvent dater d'années,
09:16 voire de décennies en arrière.
09:17 Donc, c'est aussi ce mouvement de libération de la parole qui fait augmenter mécaniquement,
09:21 pourrait dire en partie ces chiffres.

Recommandée