Crépol : l'analyse d'Alain Bauer après la mort de Thomas

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Aujourd'hui dans "Punchline", Laurence Ferrari reçoit Alain Bauer pour analyser la situation en France après la mort de Thomas à Crépol.
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Transcript
00:00 On va parler, Arnaud Bauer, maintenant, si vous le permettez, de ce qui se passe dans notre pays en France et des fractures qui sont béantes.
00:07 On est plus d'une dizaine de jours après la sastinade du jeune Thomas et on a vu les forces politiques se déchirer,
00:14 se renvoyer à la figure des accusations d'instrumentalisation politique, que ce soit à gauche ou à droite.
00:19 On a aussi entendu la mère de Romain Surizer, d'où est partie une partie de ceux qui ont attaqué ce soir-là.
00:26 Marie-Hélène Thauraval, qui a dit son "ralbol" devant cette situation et qui dit que la famille de Thomas ne comprend pas
00:33 que le caractère raciste de l'agression n'ait pas été retenu. On fait le point avec Michael Dos Santos et je vous passe la parole.
00:38 À ce stade de l'enquête, le procureur de la République n'a pas retenu le mobile raciste pour l'attaque à Crépole.
00:45 Pourtant, les familles des victimes, dont celle de Thomas, en semblent convaincues.
00:49 Une révélation faite hier par la mère de Romain Surizer.
00:53 Il y avait deux points qui ont été manifestés par les familles, par les victimes.
00:57 Ils espèrent une justice forte par rapport à cet assassinat.
01:00 Et la deuxième chose, c'est qu'ils ne comprennent pas que le caractère raciste n'ait pas été retenu.
01:05 Dix jours après les faits, Marie-Hélène Thauraval s'est également exprimée sur les agresseurs présumés.
01:10 La mère de Romain Surizer regrette que leurs identités soient restées secrètes.
01:14 Les prénoms ont circulé sur les réseaux avant d'être confirmés par les autorités.
01:18 Pourquoi on n'a pas cette notion de transparence dès le départ ?
01:21 Ne pas communiquer les prénoms plus tôt était indécent.
01:24 Des suspects en grande partie originaire de l'un des quartiers sensibles de sa ville, celui de la Monnaie.
01:30 Un lieu où, selon la mère, une poignée d'individus a décidé de polluer la vie des habitants.
01:35 Ce quartier accueille 4500 personnes. On en a une centaine qui pose des difficultés.
01:40 Il y a des irréductibles avec lesquels il y a une imperméabilité complète,
01:44 malgré les actions pour essayer de les remettre dans le droit chemin.
01:47 Un constat partagé par le secrétaire national du syndicat SGP Police.
01:52 C'est effectivement un noyau de la voyoucratie locale qui essaie de mettre la main sur un territoire,
01:58 en faisant régner la violence, la peur.
02:01 C'est le caillassage, vous recevez des machines à laver, des boules de pétanque.
02:04 Et c'est vraiment à chaque fois une foule hostile.
02:06 Pour remettre de l'ordre dans son quartier, la mère de Romain Surizer réclame une réponse pénale forte
02:11 contre les agresseurs présumés de Crépole. La fin de la culture de l'excuse.
02:16 Alain Bauer, vous êtes l'invité d'Europe 1 et de CNews.
02:19 Est-ce que pour vous, il y aura un avant et un après Crépole ?
02:21 Est-ce qu'il y a deux France qui désormais sont face à face ?
02:24 Je ne crois pas qu'il y ait deux France qui sont face à face.
02:26 Quand on dit qu'il y a 100 irréductibles sur 4500 habitants,
02:29 il y en a 4500 qui, eux, sont otages des 100 premiers.
02:33 Il ne faut pas sous-estimer cette création d'un espace de relégation, de ségrégation qui fait sécession.
02:40 Une partie importante des habitants sont eux-mêmes apeurés par leurs propres enfants
02:45 qui les tiennent en otage, pour des tas de raisons sur lesquelles on peut tout envoyer,
02:49 le social, l'éducatif. Beaucoup des parents ne sont pas démissionnaires,
02:52 ils ont été licenciés par leurs enfants, notamment des familles ou plutôt des foyers monoparentaux.
02:57 La famille, en général, ne peut pas être monoparentale, mais les foyers monoparentaux, ça existe.
03:01 Bref, une série de situations où on a beaucoup rénové le bâti, c'est le cas à Romain Surizer,
03:06 mais on ne s'est jamais occupé des habitants. On s'est donné bonne conscience en disant
03:10 on va faire un immeuble plus vert, plus bleu, plus jaune,
03:13 mais personne ne s'occupait de ce qui se passait à l'intérieur,
03:16 notamment en ne réutilisant particulièrement les mères de famille
03:19 pour reprendre le contrôle des espaces. Voilà, ça c'est le premier élément.
03:23 Le deuxième élément, c'est un tropisme post-colonial français,
03:26 ce que j'appelle le remords colonial. C'est-à-dire que tout le monde a intégré
03:29 qu'il y avait eu un racisme colonial, une sous-estimation des gens que nous avions colonisés,
03:34 nous étions en situation de dominants, ils étaient les dominés.
03:37 Tout ça est exact, c'est l'histoire, mais on ne va pas passer 3000 ans
03:41 à s'excuser du passé en n'essayant pas de reconstruire le futur,
03:45 qui est donc le fait de travailler avec ceux qui, pour des raisons démographiques,
03:48 pour des raisons économiques, pour des raisons sociales,
03:50 on est allé chercher pour les faire travailler en France,
03:53 des immigrés à durée déterminée, entièrement masculins,
03:56 cohabitant massivement dans des petits logements
03:59 et travaillant dans des industries lourdes et difficiles.
04:02 Mais on n'a fait aucun effort pour les intégrer du tout, puisqu'ils allaient repartir.
04:05 Puis tout d'un coup, en 74-76, on a fait le regroupement familial
04:09 et nous n'avons pas plus fait d'efforts pour les réintégrer,
04:12 alors même que les femmes et les enfants venaient sur le territoire.
04:16 Et du coup, nous avons ce remords en disant
04:18 qu'on doit compenser par une sorte d'autorisation à la violence,
04:22 à la délinquance, à une certaine porte d'autorité, le mal qu'on leur a fait.
04:26 Et c'est vraiment une culture qui s'est beaucoup répandue en France depuis...
04:29 - Mais vous pensez qu'elle est encore actuelle ? - Elle est massivement là.
04:31 - Vous pensez que les Français qui se sont confrontés à cette délinquance pensent ça ?
04:34 - Oui, il y a beaucoup de Français d'autorité, oui.
04:37 Les autorités n'assument pas leur rôle d'autorité.
04:39 Je parle vraiment là du remords colonial institutionnel.
04:43 Par contre, je pense que les habitants, eux,
04:45 y compris les habitants issus de l'immigration, français ou pas,
04:49 ils ont une situation de complication par rapport à leurs propres enfants et petits-enfants,
04:54 dont ils ne comprennent pas pourquoi ils respectent une forme d'ordre
04:57 qui leur paraît à eux comme naturelle,
04:59 mais où les institutions ne les aident pas,
05:01 puisque au lieu d'intervenir, elles se retirent.
05:05 Et troisièmement, il y a un problème que nous n'arrivons pas à comprendre,
05:08 c'est la reproduction du racisme subi en racisme exprimé.
05:12 C'est la même chose en matière de violence.
05:14 - C'est ce que dit la mère de Roman Surigat ?
05:16 - Oui, bien sûr, beaucoup de gens qui sont violents,
05:18 vous expliquent qu'ils sont violents parce qu'ils ont été victimes de la violence
05:21 et ils la reproduisent.
05:22 Je pense qu'un certain nombre de victimes du racisme
05:24 ou qui pensent avoir été victimes de racisme,
05:26 ou que leurs parents l'ont été,
05:27 reproduisent désormais un racisme inversé
05:29 et que nous n'assumons pas le fait que le racisme,
05:32 c'est mal quel qu'il soit.
05:34 Le racisme contre les Noirs, contre les Jaunes,
05:37 contre les Bleus, contre les Verts, contre les Beurs,
05:40 contre qui on veut,
05:41 et contre les Blancs, quand ils s'expriment en tant que tels,
05:44 et ils s'expriment parfois en tant que tels.
05:47 Et donc cette incapacité à rééquilibrer les choses
05:50 est un des problèmes qui est là,
05:52 et que les citoyens, français ou pas,
05:55 de souche, je dirais moi de racine,
05:57 parce que les souches, c'est plutôt des arbres morts,
05:59 ou originaires d'immigration, ne comprennent pas plus.
06:03 Et il faut regrouper cette capacité à rétablir l'autorité et l'ordre,
06:07 d'abord dans les familles, ensuite dans l'éducation,
06:09 et enfin dans les institutions,
06:11 en disant les choses telles qu'elles sont.
06:13 Le fait de le dire,
06:14 c'est pas devenir raciste ou xénophobe ou autoritaire,
06:18 c'est rétablir l'ordre,
06:19 et l'ordre c'est le cœur même de ce qui fait vie en société.
06:22 Alain Bauer-Saugreffe, là-dessus aussi,
06:24 les mouvements d'ultra-droite
06:26 qui ont manifesté à Romain Seurisère et à Rennes,
06:28 ce qui a donné lieu évidemment à une grande polémique à gauche.
06:33 Il faut redouter ces mouvements d'ultra-droite ?
06:35 Ils sont dangereux ?
06:36 D'abord, ils s'expriment et ils font ce que tout le monde craint qu'ils fassent,
06:42 parce que l'idée générale, la peur générale,
06:44 qui s'exprime mesavoche, tout petitement,
06:48 c'est d'avoir un Nahel à l'envers,
06:49 c'est-à-dire une révolte, non pas décidée...
06:52 Nahel, le jeune qui est mort à Nanterre.
06:54 Le jeune qui avait été tué à Nanterre.
06:55 Ce n'est pas une révolte des jeunes décidées contre l'État central, etc.
07:00 C'est l'inverse, c'est-à-dire une exaspération
07:02 des populations qui en ont marre de la violence.
07:05 Et quand je dis des populations,
07:07 elles ne sont pas spécifiquement blanches.
07:09 Elles sont victimes de la violence qu'elles en ont marre de subir
07:13 en bas de chez elles ou quand il y a ce genre d'événements.
07:16 Et donc l'idée générale, c'est d'essayer d'éviter à tout prix un Nahel à l'envers.
07:21 Or, pour faire cela, ou pour éviter cela,
07:24 il y a à la fois le fait de ne pas croire que ça va arriver,
07:27 faire comme si ça n'allait pas arriver,
07:29 et puis penser tout d'un coup, de manière extrêmement brutale, à la française,
07:32 passer d'un extrême à l'autre.
07:34 Il ne se passe rien, oulala, c'est la fin du monde,
07:37 et l'égroupement d'ultra-droite, d'extrême-droite,
07:39 de droite extrêmement radicalisée,
07:41 en mélangeant d'ailleurs tout, ce qu'est la droite politique,
07:44 ce qu'est la droite extrême-politique,
07:47 et ce que sont des mouvements violents, effectivement,
07:50 les nazions, certains antisémites, d'autres anti-arabes.
07:55 Et donc ces phénomènes-là sont des phénomènes qu'il faut savoir maîtriser.
07:58 Or, le retrait de l'État, son retrait,
08:01 pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure,
08:03 car l'un va avec l'autre,
08:04 c'est parce que l'État s'est retiré de sa fonction d'autorité
08:07 dans un pays où il a créé la nation,
08:09 alors que tous les autres pays du monde,
08:11 ce sont des nations qui ont créé leur État.
08:13 En France, c'est l'État qui a créé sa nation.
08:15 Il a donc une mission centrale, une mission essentielle,
08:18 qui est le maintien d'un ordre,
08:20 c'est-à-dire d'une égalité de traitement,
08:22 d'une capacité à garantir la liberté d'expression,
08:24 la liberté de venir, la liberté pour les femmes,
08:26 de choisir, bref, toute une série d'éléments
08:29 qui sont constitutifs d'un certain nombre de valeurs de la République,
08:32 parce que tout le monde parle des valeurs de la République,
08:34 personne ne les définit, la laïcité en fait partie,
08:36 qui n'est pas une neutralité, mais une dynamique.
08:39 Dès lors que l'État a décidé d'être neutre,
08:41 il s'est neutralisé.
08:43 Ce qu'on lui demande aujourd'hui,
08:44 c'est de redevenir ce qu'il était.
08:46 La promesse républicaine, c'est un État présent et acteur,
08:50 et pas un État spectateur et qui fait des commentaires.
08:52 Est-ce que ça passe par des actions comme celles
08:54 que le préfet de police vient de prendre,
08:56 c'est-à-dire interdire un rassemblement d'extrême droite
08:58 prévu devant la Sorbonne ?
09:00 C'est très bien d'interdire un rassemblement d'extrême droite,
09:02 mais on interdit des manifestations qui ont lieu de manière assez régulière,
09:05 car il faut qu'il y ait une cohérence entre l'interdiction,
09:07 la réalité de l'interdiction,
09:09 le fait qu'il n'y ait donc pas de manifestation,
09:11 et le fait que le système judiciaire soit convaincu
09:14 par les arguments du préfet de police,
09:16 eu égard à un autre élément,
09:18 qui est notre propre liberté de manifester quand on n'est pas content,
09:20 notamment contre le gouvernement.
09:22 Donc moins que d'interdire des manifestations
09:24 qui sont des conséquences,
09:26 peut-être faudrait-il mieux s'occuper des causes.
09:28 Les causes qui sont multiples, comme on l'a évoqué.
09:30 Non, mais qui sont essentiellement l'augmentation de la violence
09:33 comme un élément régulateur de la vie,
09:35 en lieu et place de l'ordre,
09:37 parce qu'on ne fait plus confiance aux institutions.
09:39 On agresse les élus locaux,
09:41 on agresse les instituteurs quand on ne les tue pas,
09:43 on agresse tous les représentants
09:45 de quelque autorité que ce soit, de quelque uniforme que ce soit,
09:47 de quelque tenue que ce soit,
09:49 des postiers en passant par les électriciens,
09:51 ou les gaziers, les infirmiers.
09:53 La situation dans les urgences
09:55 nécessite aujourd'hui quasiment d'avoir un quart de CRS devant,
09:57 parce que la violence est devenue
09:59 l'élément normal de régulation de la vie,
10:02 parce que nous avons modifié nos règles,
10:05 nous ne les appliquons plus,
10:07 et quand on ne les applique plus,
10:09 nous ne sanctionnons plus le non-application des règles.
10:11 C'est un problème global,
10:13 de la manière dont nous voulons que notre société soit régulée,
10:15 et donc d'application de la loi.
10:17 Aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon,
10:19 on négocie les peines, mais on applique la loi.
10:21 En France, on négocie la loi et on n'applique pas les peines.
10:23 L'analyse d'Alain Bauer.
10:25 Merci beaucoup d'être venu ce soir dans Punchline,
10:27 sur CNews et sur Europe 1.
10:29 Je rappelle le titre de votre livre,
10:31 aux éditions Fayard, au commencement,
10:33 était "La guerre", nouvelle édition augmentée.
10:35 Merci à vous. Dans un instant sur Europe 1,
10:37 Hélène Zellani pour l'information,
10:39 et à vous sur nos deux antennes. À demain.
10:41 Europe 1, 18h-19h, Punchline, Laurence Féra.

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