Pourquoi le glyphosate n'est-il toujours pas interdit ? C'est la question lancinante adressée par les victimes de l'utilisation de cet herbicide aux responsables politiques alors que la Commission européenne vient de prolonger son autorisation pour dix ans. Euronews fait le point en France.
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00:00 Le glyphosate, un herbicide très efficace pour se débarrasser des mauvaises herbes,
00:06 a été mis sur le marché en 1974.
00:09 A l'époque, on ne soupçonnait pas ses effets sur la santé.
00:12 -Ca aurait dû mourir.
00:16 -Il disait que c'était le premier désherbant 100% biodégradable.
00:20 C'est pour ça qu'on l'avait choisi.
00:23 -L'Union européenne vient de renouveler son autorisation pour 10 ans.
00:26 -Pourquoi autant de débat, autant d'enjeux autour de ce pesticide,
00:30 qu'il est le plus utilisé au monde ? C'est ce que je vous raconte dans "Witness".
00:33 -L'OMS a classé en 2015 le glyphosate comme un cancérogène probable pour les humains.
00:46 -On est venu jusqu'à Quiberon pour rencontrer Ludovic.
00:49 Il a 52 ans, il était paysagiste.
00:52 Et le glyphosate a littéralement détruit sa vie.
00:56 -Je suis Ludovic Mauger.
00:59 J'étais paysagiste.
01:02 Je suis atteint d'un cancer que j'ai attrapé avec les pesticides en travaillant.
01:10 Mon garçon, je lui ai appris à nager sur cette plage-là.
01:19 C'est des souvenirs qui remontent.
01:24 C'est émouvant.
01:27 -Depuis 2020, la vie de Ludovic est devenue un combat au quotidien.
01:36 Il a passé 6 mois en réanimation et a dû traverser 12 chimiothérapies successives.
01:43 -Ma maladie a été très compliquée à trouver.
01:48 C'est un lymphome en plus qui est très rare.
01:51 Il y a eu 6 mois ou 7 mois d'errance médicale.
01:56 -Comment vous travaillez avec le glyphosate ?
02:02 -Il y a 20 ans, on en trouvait un peu partout.
02:08 Il n'y avait pas de dérogation comme il faut avoir.
02:13 On travaillait avec un pulvérisateur sur le dos.
02:18 On le faisait manuellement, sans masque, sans gants, sans rien du tout.
02:25 -Rondup, Gallop, Clipper et autres herbicides à base de glyphosate
02:33 sont à l'époque considérés comme inoffensifs sous réserve de précautions d'usage.
02:39 -Les désherbants sont tellement puissants,
02:45 que ça attaque le joint des pulvérisateurs.
02:48 Ça donne des fuites.
02:50 On a souvent le dos qui est trempé.
02:54 Quand je suis tombée malade, je n'ai pas fait le lien avec le glyphosate.
03:02 Jusqu'à un moment donné, les prises de sang se sont avérées
03:06 que j'avais le sang empoisonné de glyphosate.
03:09 Mon indemnisation est très dérisoire.
03:12 Monsanto me verse 300 euros par mois pour mon indemnisation pour ma maladie.
03:19 J'ai quand même perdu la tête.
03:22 J'ai été un moment sans reconnaître ma femme, mes enfants.
03:26 C'est émouvant.
03:28 C'est très dur.
03:30 -Ludovic n'a plus la force de poursuivre Monsanto.
03:36 Néanmoins, de nombreux procès sont remportés à travers le monde
03:40 par le gouvernement allemand de Bayer, qui a acheté Monsanto en 2018.
03:44 -On a un rendez-vous avec Maître Laforgue.
03:51 C'est un avocat spécialisé dans ces questions.
03:54 C'est le premier à faire le lien entre la pathologie de ses clients
03:58 et l'utilisation des herbicides ou des pesticides.
04:01 C'est lui qui a gagné le premier procès contre Monsanto.
04:06 -On est confrontés à un vrai lobby des pesticides
04:09 pour essayer de cacher la dangerosité des pesticides
04:12 pour qu'ils continuent à être utilisés par les exploitants agricoles
04:16 et leurs salariés.
04:18 Ce lobby intervient à tous niveaux.
04:20 Il intervient d'abord au niveau européen,
04:23 au moment de l'approbation des substances actives.
04:26 Les études qui ont été prises en compte pour ce renouvellement
04:30 d'approbation ne sont pas probantes.
04:32 Et surtout, les études qui auraient dû être prises en compte,
04:36 qui montraient la dangerosité de cette substance active,
04:40 ont été écartées, pour de mauvaises raisons,
04:43 par les autorités européennes.
04:45 -Nous avons contacté Bayer et les lobbies pro-pesticides.
04:49 Aucun ne nous a accordé d'interview.
04:51 2/3 des citoyens européens réclament l'interdiction totale
04:55 des pesticides comme le glyphosate, d'après un récent sondage.
04:59 C'est l'ONG et ses centaines de citoyens qui se font entendre
05:02 dans la rue.
05:03 C'est le cas de Joao, chercheur en agribusiness.
05:06 ...
05:28 -Au Parlement européen, nous avons rencontré un eurodéputé
05:31 du parti d'extrême droite français, le Rassemblement national.
05:34 Son parti est en faveur du renouvellement,
05:37 mais pour une durée limitée à 5 ans.
05:39 Il reconnaît en effet la nocivité du glyphosate.
05:42 -Est-ce qu'il est possible de faire primer sur la santé publique
05:47 des intérêts économiques ? C'est ça, la vraie question.
05:50 -Non, pour moi, c'est pas exactement comme ça
05:53 que le problème se pose.
05:55 C'est pas que des intérêts économiques,
05:57 c'est un problème de sécurité alimentaire aussi.
06:00 Il faut que nous produisions suffisamment de céréales,
06:03 en particulier, pour nourrir la population.
06:06 Et c'est ça, la problématique du glyphosate, en fait.
06:09 -Pourquoi vous pensez qu'il y a ce décalage
06:11 d'écarter certaines études au niveau de la Commission européenne ?
06:14 -Alors, écoutez, moi, je ne soupçonne pas sur ce dossier,
06:19 parce que j'ai pas de preuves pour le faire,
06:21 qu'il y aurait une collusion entre la Commission
06:24 et puis les grands laboratoires.
06:26 -On n'a pas de preuves ? -Non.
06:28 -On a une forte suspicion quand même,
06:30 puisqu'il y a quand même beaucoup de lobbying.
06:32 -C'est ça, c'est ce qu'on connaît tous.
06:34 Les vrais responsables, ce sont pour moi
06:36 les responsables de la politique agricole commune,
06:39 qui, pendant des années, ont poussé à une agriculture industrielle.
06:43 -Après 15 ans de lutte, Bayer doit pourtant affronter
06:48 l'ouverture d'un nouveau procès pour malformation de l'embryon,
06:51 cette fois.
06:53 -Ici, à quelques kilomètres de Vienne,
06:55 Sabine et Théo, une mère et son fils,
06:57 ont remporté une grande victoire.
06:59 Pour la première fois en France,
07:01 ils ont fait reconnaître la nocivité du glyphosate
07:04 sur les bébés des femmes enceintes.
07:06 -Bonjour. -Bonjour.
07:11 Là, on est dans la carrière d'équitation,
07:15 ce qui était à l'époque la carrière d'équitation,
07:18 où on montait à cheval,
07:20 et sur laquelle j'ai passé un des herbans à base de glyphosate,
07:23 chose que je faisais régulièrement à l'époque,
07:26 mais là, il se trouve que je l'ai fait au tout début de ma grossesse,
07:30 quand Théo était encore tout petit,
07:32 c'était le premier mois de grossesse.
07:35 -A l'époque, Sabine ne se doutait pas
07:38 à quoi elle exposait son corps.
07:40 -Ce qui est indiqué, c'est un pictogramme
07:46 comme quoi c'est dangereux pour les organismes aquatiques.
07:49 La plupart des malformations se font
07:51 pendant le premier mois de grossesse,
07:53 alors que la future maman ne sait pas qu'elle est enceinte.
07:57 On ne peut pas prendre de précautions.
08:00 -Le jeune homme reçoit une indemnité mensuelle
08:26 de environ 1 000 euros, le Fonds français
08:28 d'indemnisation des victimes des pesticides,
08:30 ayant reconnu le lien entre ces malformations,
08:32 de l'œsophage, de la trachée et du larynx,
08:34 et l'utilisation du glyphosate par sa mère.
08:37 Aujourd'hui encore, il ne peut respirer
08:40 que grâce à une trachéotomie.
08:42 -Pour moi, personne ne savait.
08:46 Je venais de m'apercevoir du truc,
08:48 et je me suis dit qu'il fallait alerter tout le monde
08:50 pour qu'il y ait des études faites.
08:52 -Et aujourd'hui, tu penses que nos centres savent ?
08:54 -Aujourd'hui, je ne vous cache pas que...
08:57 Les Monsanto Papers, je ne voudrais pas dire de bêtises,
09:00 je crois que c'est 2017.
09:02 On a découvert de fausses études indépendantes
09:05 qui étaient bien sûr en faveur du glyphosate,
09:08 des mails internes où ils reconnaissaient
09:10 qu'ils avaient testé le glyphosate seul,
09:13 mais pas la formulation, par exemple.
09:16 Et que le produit avait été autorisé
09:19 sur la base d'informations qui étaient,
09:22 pour le moins, partielles, on va dire.
09:27 -Volontairement partielles ?
09:29 -Volontairement partielles, clairement.
09:31 -Le produit en lui-même,
09:33 on est d'accord, mais c'est surtout la bêtise
09:35 qu'il y a autour de comment c'est géré
09:37 qui est bien plus révoltante que le produit en lui-même.
09:41 Je trouve ça trop bien de tomber avant de m'interdire.
09:44 Je vais à la maison.
09:49 ...