«Je trouve ça très préoccupant que le gouvernement se dise qu’il a la possibilité de passer en 49.3 et que les représentants de la Nation n’ont plus voix au chapitre, ne débattent plus». Lors d’un entretien réalisé en direct sur notre chaîne Youtube ce vendredi 8 décembre, le rédacteur en chef adjoint du service France de Libération, Lilian Alemagna a dressé le bilan de cette année 2023. Dans la vidéo en tête d’article, il décrypte les blocages qui ralentissent la vie politique : «ce ne sont que des jeux de dupes, il n’y a pas une vraie volonté du gouvernement au départ de trouver un accord politique.»
Notre journaliste revient également sur les craintes d’Emmanuel Macron face à la fin de son mandat, «il a peur de ce qu’on appelle la chiraquisation, de devenir un Président qui ne réforme plus et qui regarde de loin la compétition s’organiser pour prendre sa suite.» Lilian Alemagna explique que le président de la République redoute, par ailleurs, de terminer son mandat à l’image de son prédécesseur, François Hollande «un président si impopulaire qu’il ne pourrait plus gouverner et qui aurait des frondeurs dans son propre camp qui l’empêcheraient d’avancer.»
Notre journaliste revient également sur les craintes d’Emmanuel Macron face à la fin de son mandat, «il a peur de ce qu’on appelle la chiraquisation, de devenir un Président qui ne réforme plus et qui regarde de loin la compétition s’organiser pour prendre sa suite.» Lilian Alemagna explique que le président de la République redoute, par ailleurs, de terminer son mandat à l’image de son prédécesseur, François Hollande «un président si impopulaire qu’il ne pourrait plus gouverner et qui aurait des frondeurs dans son propre camp qui l’empêcheraient d’avancer.»
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00:00 Donc ça, je trouve ça très préoccupant qu'on se dise "bon ben, de toute façon,
00:04 j'ai la possibilité de passer en 49.3 et les représentants de la nation qui sont une
00:10 autre n'ont plus voix au chapitre, ne discutent plus, ne débattent plus, ne votent plus".
00:15 Bonjour à tous, bienvenue.
00:17 Aujourd'hui, on est le 8 décembre.
00:18 On s'est dit que c'était le moment de faire le bilan calmement, de se remémorer
00:24 chaque instant de cette année politique.
00:25 Du coup Lilian, qui est le rédacteur en chef adjoint du service France chargé de la politique.
00:30 Pour toi, c'est quoi le mot qui définit l'année politique 2023 en un mot ?
00:38 Immature.
00:39 C'est une année immature de nos responsables politiques parce que nos institutions sont
00:44 faites pour qu'il y ait une majorité absolue, que le président gouverne avec un ou une
00:49 première ministre qui a une majorité à l'Assemblée nationale et là, ce n'est
00:53 pas le cas.
00:54 On pourrait penser que dans une Assemblée nationale où il n'y a pas de majorité,
01:00 on est des groupes politiques qui se parlent, des ministres qui essaient de trouver des
01:05 accords, des compromis.
01:06 Et en fait, on se rend compte, et on le voit encore là avec le projet de la migration
01:11 qui arrive, que ce n'est que des jeux de dupe, qu'il n'y a pas une vraie volonté
01:16 du gouvernement au départ de trouver un accord politique, il n'y a pas aucune volonté
01:20 des oppositions de trouver un compromis ou des compromis avec le gouvernement.
01:26 Les opposants se disent "de toute façon, Emmanuel Macron ne se représentera pas, donc
01:33 pourquoi on va aller l'aider ? On va plutôt penser au coup d'après".
01:36 Donc c'est ce que je disais en début d'émission, c'est qu'on a Emmanuel Macron assez démonétisé
01:43 et des oppositions qui n'ont aucun intérêt à lui faire des cadeaux, et notamment les
01:50 Républicains qui est le parti, on va dire, le plus proche du programme défendu par Emmanuel
01:57 Macron, n'ont aucun intérêt à venir l'aider.
02:03 Donc sur beaucoup de textes, ils arrivent à trouver des accords et des votes parce
02:08 que c'est des textes mineurs, c'est pas des textes qui engagent vraiment l'avenir
02:15 du pays.
02:16 C'est d'abord sur les retraites, puis ensuite sur le budget, là on le voit sur
02:20 l'immigration, à la fin on n'a pas d'accord et de responsables politiques qui, comme
02:27 dans d'autres pays où il y a cette culture-là, se mettent autour d'une table, décident
02:32 d'un programme de coalition en disant "nos idées sont celles-ci, vos idées sont celles-ci,
02:38 on peut s'entendre sur tout ce programme-là et on va gouverner à partir d'une partie
02:45 de notre programme, d'une partie du vôtre, pour ensuite être ensemble au gouvernement
02:51 et à l'Assemblée nationale.
02:52 Et puis que les textes soient tout simplement débattus, c'est ça le fond du problème,
03:00 c'est que là les textes les plus importants sont quasiment pas débattus, ils arrivent
03:06 à un stade où le gouvernement utilise un 49.3 presque dès le début.
03:09 Là, il y a eu certains moments, notamment sur le projet de loi de financement de la
03:13 sécurité sociale, où deux heures de ce qu'on appelle la discussion générale, au
03:20 début où le gouvernement et chaque groupe politique s'expriment une seule fois, et
03:26 puis on a vu Élisabeth Borde monter à la tribune de l'Assemblée nationale, engager
03:31 la responsabilité de son gouvernement au titre de l'article 49.3 de la Constitution,
03:35 et c'est tout.
03:36 Donc on n'a pas discuté du financement des EHPAD, on n'a pas discuté du financement
03:42 de la protection sociale comme on devrait le faire.
03:45 Et ce serait une année que la situation se présenterait, sauf que là on en a pour 5
03:52 ans.
03:53 Pendant 5 ans, on ne va pas discuter, on ne va plus discuter et plus voter sur les articles
03:58 qui concernent le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et c'est un peu
04:04 le cœur de ce qui fait notre quotidien, ce qui fait la politique.
04:09 La politique au départ c'est voter le budget d'une nation, c'est ce qui fonde un peu
04:16 notre démocratie.
04:18 Donc ça je trouve ça très préoccupant qu'on se dise "bon bah j'ai la possibilité de
04:23 passer en 49.3 et les représentants de la nation qui sont les nôtres n'ont plus voix
04:30 au chapitre, ne discutent plus, ne débattent plus, ne votent plus".
04:32 Au sein du camp présidentiel, il y a un homme politique qui, les années précédentes,
04:38 était super présent, qu'on entendait partout et qui là, en tout cas j'ai l'impression,
04:43 on entend beaucoup moins, c'est notre président Emmanuel Macron.
04:45 Il a du mal à trouver sa place Emmanuel Macron, il essaye, il essaye par des initiatives,
04:52 on va dire un peu cavalières sur le plan international au moment de la guerre à Israël
04:57 à Mass, quand il est allé à Tel Aviv pour marquer son soutien à Israël, il a sorti
05:07 de son chapeau une coalition internationale contre le Hamas qui n'était même pas prévue
05:13 par les services du Quai d'Orsay, des affaires étrangères, donc ça a surpris tout le monde
05:19 et ça a fait flop.
05:20 Sur le plan intérieur, il a sorti ce qu'on a appelé les rencontres de Saint-Denis, c'est
05:24 à dire qu'après les émeutes, pour essayer de retrouver du commun, de l'unité.
05:29 Là on parle des émeutes qui se sont déroulées après le décès de Nahel.
05:32 Donc il a réussi à faire venir vraiment de Jordane Bardella du Rassemblement National
05:38 à Manuel Bompard de la France Insoumise, à les rassembler à Saint-Denis, à rester
05:46 avec eux jusqu'à 3h du matin, donc à un peu scénariser cette longue, très longue
05:52 discussion.
05:53 Il les a convoqués une deuxième fois et cette deuxième fois il y a eu Manuel Bompard
05:58 a dit "je n'irai pas participer à cette comédie", Olivier Faure, lui ne voulait
06:02 pas se prêter à ce jeu là.
06:03 Et même Eric Ciotti n'était pas présent alors qu'il réclamait un référendum sur
06:11 l'immigration.
06:12 C'est aussi immature, c'est à dire qu'on a des responsables politiques qui font de
06:16 la petite politique à des moments donnés où on devrait respecter aussi la fonction
06:20 du président de la République, se rassembler, dire non on est d'accord, pas d'accord.
06:25 Donc ça c'est sur la forme et Emmanuel Macron sur le fond il contourne le Parlement, il
06:31 a un problème au Parlement, il n'a pas de prise sur ce qui est en train de se passer
06:35 au Parlement donc il essaie de trouver un autre sénacle pour essayer de piéger ses
06:42 adversaires et de faire ce qu'on appelle dans notre jargon de journaliste politique
06:46 de la popole, à des moments donnés où on attend du président de la République qui
06:51 est une ligne, un cap de vraies propositions qui sont mises sur la table en disant "j'ai
06:57 vu que dans le programme du Parti Socialiste il y avait cette proposition là sur les salaires,
07:02 et ben banco je la reprends, je vais demander à ce que mon gouvernement la défende au
07:06 sein de l'Assemblée Nationale pour essayer de créer des coalitions au sein de l'Assemblée
07:11 Nationale et pas des petits jeux d'appareils en dehors.
07:14 Après une année 2023 où il n'a pas de majorité absolue comme on le disait, où
07:19 la compétition pour l'élection présidentielle de 2027 commence déjà, Emmanuel Macron
07:25 il se sent, est-ce qu'il a peur ? Il a peur de rater sa sortie, ou en tout cas
07:34 ce moment qui est pour un président de laisser une trace dans l'histoire de France.
07:40 Il a deux peurs, il a peur de ce qu'on appelle la chiracisation, c'est-à-dire un peu ce
07:46 qu'on a vécu sous le deuxième mandat chirac entre 2002 et 2007, d'avoir un président
07:53 qui ne réforme plus, qui regarde de loin la compétition s'organiser pour prendre
08:01 sa suite, à l'époque c'était entre Nicolas Sarkozy et Dominique Deville-Pas, et il a
08:06 peur d'autre chose, c'est la hollandisation, c'est-à-dire d'un président si impopulaire
08:11 qu'il ne pourrait plus gouverner, qu'il ne pourrait plus rien faire, où il y aurait
08:15 des frondeurs parmi son propre camp qui l'empêcherait aussi d'avancer.
08:19 C'est pour ça que sur le texte immigration, par exemple, le choix a été fait de maintenir
08:25 unie la majorité et d'éviter d'avoir une aile gauche qui se sépare du cœur du groupe
08:38 majoritaire, donc ça c'est important pour lui.
08:42 Et il voulait en objectif numéro un rester, être reconnu comme le président qui a relancé
08:49 l'économie française, il voulait rester comme le président qui a sorti la France
08:57 du chômage de masse, et donc est arrivé à ce que lui appelle le plein emploi, et c'était
09:03 son objectif.
09:04 Or, après des mois et des années de baisse du chômage, au troisième trimestre, le chômage
09:12 est un petit peu remonté, et les perspectives sont que le taux de chômage va continuer
09:16 à augmenter.
09:17 Donc il a cette crainte qu'on dise qu'il a échoué sur la question économique et sociale
09:24 qui était le cœur du macronisme.
09:28 On a vu évidemment cette notion que cette année à l'Assemblée nationale, il y avait
09:33 une forme, c'était la politique au ralenti, en tant que chef du service politique de libération.
09:40 Comment est-ce que tu te sens pour les quatre années à venir, avant la prochaine édition
09:44 présidentielle ?
09:45 Bonne question.
09:46 Ça va être long, et en même temps ça va être passionnant, parce que ce que je disais
09:51 tout à l'heure, on ne sait pas ce qu'il se passe en politique.
09:53 Il peut y avoir des chocs externes, on ne pensait pas que la guerre allait revenir sur
09:59 le sol européen de cette manière-là, on ne pensait pas que la guerre en Israël allait
10:04 aussi reprendre cette intensité-là.
10:07 Ça a un choc sur notre politique.
10:11 Ce qui s'est passé entre Israël et le Hamas a eu des conséquences sur la gauche, on peut
10:19 le dire.
10:20 Une des conséquences de la guerre, c'est l'éclatement de la Nupes.
10:23 Aujourd'hui, fin 2023, on peut tirer cette conclusion-là.
10:28 Donc, il peut se passer beaucoup de choses.
10:33 L'émergence de groupuscules d'extrême droite radicale.
10:37 Le Front Populaire en 1936, il se matérialise en réaction aux ligues fascistes du Cifle
10:52 Union 34 et de la peur de voir l'Assemblée Nationale envahie par les fascistes.
11:00 Donc, il peut y avoir des faits de société qui ont des conséquences politiques.
11:09 Et 4 ans, c'est très long.
11:10 4 ans, c'est très très long.
11:12 On va vivre une période électorale avec les élections européennes.
11:15 On va vivre une longue période sans élection, parce qu'il n'y aura pas d'élection en
11:20 2025.
11:21 Il y aura une élection municipale en 2026 et une élection présidentielle en 2027.
11:24 Est-ce qu'Emmanuel Macron proposera un référendum à un moment donné ? Est-ce qu'il y aura
11:32 d'autres pays de l'Union Européenne qui décideront de quitter l'Union Européenne ?
11:34 On n'en sait rien.
11:35 Donc, tout ça fait que ça aura des conséquences dans la politique française.
11:39 Et c'est ce qui fait qu'on fait beaucoup d'analyse et on se dit que ça va être long,
11:43 puisque la situation politique a peu de raisons de changer.
11:46 Et tout d'un coup, un événement qu'on n'aurait pas prévu vient transformer la
11:54 situation politique de notre pays.
11:55 Merci.