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Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote

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Transcription
00:00 Bonsoir à tous, ravi de vous retrouver pour Face à Mathieu Bocote, avec Mathieu Bocote bien sûr.
00:04 Bonsoir Mathieu.
00:05 Bonsoir.
00:05 Mais que faites-vous à côté d'Arthur de Vatrigan ?
00:08 Normalement vous êtes face à face.
00:09 Oui, c'est une soirée particulière.
00:11 Exceptionnellement, nous avons en première partie deux auteurs.
00:14 Alors j'ai rapatrié Arthur et je l'ai placé à côté de moi.
00:17 Arthur de Vatrigan, bonsoir.
00:18 Ça va, c'est pas trop...
00:20 Je me sens un peu frêle là.
00:21 Un peu ?
00:22 Bon, on commence l'émission et on est heureux de retrouver Vincent Piednoir et Humbert Rambeau.
00:27 Bonsoir à tous les deux, vous avez écrit l'ouverture de la chasse et vous l'avez dit, c'est une émission un peu particulière.
00:32 Puisqu'en seconde partie, vous avez un nouvel invité, Romaric Sangar pour la dernière avant-garde.
00:38 Pourquoi avoir invité ce samedi soir Vincent Piednoir et Humbert Rambeau ?
00:44 Alors nous venons de terminer, nous terminons une année un peu folle où les tensions, les conflits se sont accumulés.
00:50 Et peut-être était-ce le bienvenu, puisque nous sommes la veille de la veille de Noël,
00:54 de consacrer une émission à une part plus lumineuse du monde, une part plus positive, comme dirait un moderne.
00:59 Et puisque ce très beau livre, l'ouverture de la chasse, nous invite à renouer avec un certain univers de tradition,
01:03 c'était l'occasion d'inviter nos deux auteurs. Messieurs, bonsoir.
01:07 Bonsoir Mathieu.
01:08 Alors, Humbert Rambeau d'abord, première question.
01:10 L'ouverture de la chasse se présente comme une défense de cette...
01:14 Non seulement de la chasse comme pratique, de la chasse comme technique de régulation du monde animal,
01:18 mais se présente comme défense d'un art de vivre.
01:21 Mais défense d'un art de vivre attaqué. Qu'est-ce qui est attaqué dans la chasse aujourd'hui ?
01:26 Le malheur pour la chasse aujourd'hui, c'est qu'elle est attaquée sur sa légitimité.
01:30 Et en fait, quand on regarde aux yeux, entre guillemets, des modernes et des progressistes,
01:34 elles ne cochent aucune case.
01:37 On sent que dans la continuité historique, dans la continuité patrimoniale,
01:41 on est enraciné et les chasseurs et la chasse constituent une identité.
01:45 Avec tout ça, évidemment, on n'est pas dans le sens de l'histoire.
01:49 Et donc, ce n'est pas compliqué, mais nous, on se défend, on se bat et on dit
01:53 « oui, aujourd'hui, la chasse a toute sa légitimité parce qu'on ne vient pas de nulle part
01:57 et on sait parfaitement où on va. » Ce que, aujourd'hui, nos adversaires nous contestent.
02:02 Alors, Vincent Villeneuve, vous nous dites « dans le même état d'esprit, c'est une tradition, c'est un enracinement ».
02:06 Pourrions-nous dire que sans la chasse, l'identité française serait incomplète ?
02:11 Pour nous, oui. Pour nous, oui.
02:14 C'est un peu ce qu'Himbert a expliqué là, c'est que la chasse en France,
02:19 elle vient à la fois de la campagne, elle vient d'une histoire spécifique,
02:23 l'Ancien Régime, la Révolution.
02:26 Aujourd'hui, elle coche différentes cases, on va dire, de l'histoire française, de son évolution.
02:32 Elle est toujours là, elle est toujours présente.
02:35 Elle est attaquée, certes, mais elle a toujours cette place que nous,
02:40 on veut continuer à lui accorder et qu'on espère pouvoir lui accorder pendant longtemps.
02:45 Et donc, voilà, oui, absolument.
02:47 Alors, la chasse nous conduit, nous pose un rapport particulier au monde du vivant.
02:51 À tout le moins, c'est ce que je comprends dans votre univers.
02:53 Donc, l'être humain est lui-même animal, l'être humain peut être lui-même chassé,
02:58 mais peut être aussi chasseur.
03:00 Or, notre époque, et on reviendra un peu plus tard dans l'entretien sur la question du rapport au vivant,
03:04 mais notre époque aujourd'hui semble refuser la chasse au long de l'vision presque hygiénique.
03:09 C'est-à-dire, le monde devrait rompre toute forme de rapport entre l'homme, le monde animal, et ainsi de suite.
03:13 Humbert Rambeau, est-ce qu'on peut dire qu'il y a une tentative, à travers l'éradication de la chasse souhaitée par plusieurs,
03:18 en fait, d'effacement, d'installation d'un rapport hygiénique entre l'homme et la nature?
03:22 Oui, c'est-à-dire qu'aux yeux de, entre guillemets, nos adversaires,
03:26 nos adversaires voient la chasse comme quelque chose de nauséabond et d'orance.
03:33 Ils ne veulent pas admettre que, d'abord, je n'aime pas, on reviendra peut-être le terme de vivant,
03:38 il y a la vie et il y a la mort.
03:40 Donc, la chasse, dans la nature, il n'y a pas de bourreau, il n'y a pas de victime, il n'y a pas de bien, il n'y a pas de mal.
03:48 La nature, elle est telle qu'elle est. Il y a des proies et des prédateurs.
03:51 Et toute la chaîne naturelle, ce n'est que ça, du lombric au tigre.
03:57 Et donc, nous, on s'inscrit là-dedans, on est simplement, c'est une sublimation de l'acte naturel, la chasse.
04:03 C'est-à-dire, bon, aujourd'hui, elle est codifiée, elle est extrêmement réglementée,
04:07 mais ce n'est que la sublimation.
04:09 Et aujourd'hui, si vous voulez, la chasse est peut-être le dernier lien intime avec la nature.
04:16 Nous, on ne veut pas changer la nature.
04:18 On l'accepte telle qu'elle est, on essaie de la comprendre, on a plein de choses à apprendre.
04:21 Alors que certains de nos adversaires, une partie des écologistes, veulent, lui, changer la nature.
04:27 Ça, on ne le veut pas. On l'accepte telle qu'elle est.
04:29 Et surtout pas la changer. Surtout pas. On sait où ça amène, les apprentis sorciers.
04:32 Et nous reviendrons d'ailleurs sur les écologistes, les vegans et tout celle de l'univers.
04:36 - Et avant de basculer vers là, Vincent Piednoir, une question presque biographique.
04:40 Certains sont chasseurs de pères en fils, c'est-à-dire c'est une tradition.
04:43 Certains s'y convertissent.
04:45 Ça devient une activité qui n'était pas présente à l'origine de leur existence.
04:48 Ils s'y rallient. Dans la... Quelles des deux traditions êtes-vous?
04:51 - Alors, moi, c'est très clairement l'héritage.
04:53 Humbert, c'est la même chose.
04:55 Nous avons d'ailleurs dédicacé, dédié le livre à nos pères respectifs,
04:59 qui nous ont mis sur la voie.
05:01 C'est l'expression qu'on a utilisée, qui est une expression proprement synergétique.
05:04 Vous pouvez y revenir aussi, il y a beaucoup de mots qui viennent du monde de la chasse
05:07 et qui se sont insérés dans le langage courant, tombés dans le panneau.
05:11 Beaucoup d'expressions, hein.
05:13 "Tomber dans le panneau", "prendre les devants", etc., etc.
05:16 Et oui, pour répondre à vos questions, oui, on est tous les deux...
05:19 On est tous les deux descendants de chasseurs, on va dire ça comme ça.
05:23 - Et vous connaissez des convertis?
05:25 - Moi, j'en connais pas directement. Indirectement, oui.
05:28 - Qu'est-ce qui fait que l'homme se convertit à la chasse?
05:31 - C'est-à-dire que moi, j'avais amené deux amis et qui...
05:35 Alors, ils en ont un peu bavé physiquement, parce qu'on les a bien fait crapauter,
05:39 et ils ont été emballés par ça.
05:42 J'ai un ami qui est devenu fauconnier, parce qu'il m'a dit
05:45 "J'ai eu une véritable révélation, c'était exceptionnel."
05:49 Et puis un ami qui s'est converti à la chasse à tir, et sans aucune difficulté.
05:53 Voilà. Et puis après, je l'ai amené, et voilà.
05:56 Après, c'était un long d'apprentissage.
05:58 - Arthur de Matrigan.
05:59 Votre idée de départ, la construction de votre livre,
06:02 est faite sur une idée qui est étonnante et à la fois courageuse,
06:05 pour défendre la chasse. Donc vous dites que la chasse, évidemment, est légitime,
06:08 mais vous dites aussi qu'elle est intrinsèquement inutile.
06:11 Comment expliquez-vous ce paradoxe?
06:13 - En fait, on est parti de la question suivante.
06:16 Elle est attaquée de toutes parts.
06:19 Comment on peut... Pourquoi est-ce qu'on chasse encore aujourd'hui?
06:23 On s'est posé tout simplement cette question-là.
06:25 On a fait le tri des arguments que les chasseurs opposent aux non-chasseurs
06:29 ou aux gens qui attaquent la chasse, et on en a trouvé quelques-uns.
06:32 On chasse pour se nourrir? Non.
06:34 Puisque maintenant, la nourriture, elle est plus...
06:37 de loin plus exclusivement, disons, liée à la chasse,
06:41 la nourriture carnée, on va dire.
06:43 On chasse pour réguler des animaux? Non.
06:45 Parce qu'il y a plein d'espèces qu'on ne régule pas du tout.
06:48 Et si on va dans cette logique-là et qu'on chasse,
06:51 on n'aura plus besoin des chasseurs quand on n'aura plus besoin de réguler.
06:54 On chasse pour entretenir des écosystèmes, etc., etc.,
06:57 des espaces naturels? Non.
06:59 Parce que d'autres pourraient très bien le faire.
07:01 Ce n'est pas spécifiquement la légitimité de la chasse qui est là en jeu.
07:05 Et on chasserait aussi pour être une sorte de sentinelle sanitaire
07:10 par rapport aux zoonoses, etc.
07:12 Quand on dit intrinsèquement, ça ne veut pas dire qu'elle est inutile,
07:15 mais ça veut dire que nous, on s'est posé la question
07:17 du principe, de la raison première qui fait qu'on chasse.
07:19 Et nous, si on chasse, c'est par passion.
07:21 Et on revient à la question que vous posiez, Mathieu, tout à l'heure sur l'identité.
07:24 C'est notre identité, c'est notre ADN, c'est tout ce qu'on veut de cet ordre-là.
07:28 C'est vraiment un aspect, la chasse, quand on regarde dans l'histoire de l'humanité,
07:33 elle existe depuis l'aube de l'humanité,
07:35 et c'est un pan entier, notre civilisation.
07:40 Entier. Entier.
07:42 C'est-à-dire, simplement, l'acte de chasse,
07:45 et ensuite, ça a été, finalement, j'allais dire, des Romains, des Grecs,
07:52 jusqu'à aujourd'hui, il y a une grande continuité,
07:55 après l'être venu au départ nourricière,
07:58 et puis après être venu, c'est une science,
08:00 puis un art, puis un art de vie, puis un art de vie, puis un art de vie.
08:03 Quand on regarde les beaux-arts,
08:05 les beaux-arts, c'est avec la religion, l'amour et la guerre,
08:08 la chasse, c'est un des thèmes les plus représentés.
08:10 Vous allez dans tous les musées du monde,
08:12 vous avez des représentations, ce qu'on appelle, synergétiques.
08:15 La littérature, n'en parlons pas.
08:17 J'allais dire, Demingue, en passant par Louis Pergaud,
08:23 Genevoix, Pierre Moineau, Foudras, Karine Dixen,
08:29 ils ont tous parlé de la chasse.
08:30 Plus ou moins de manière accessoire au principal,
08:33 mais ils ont tous parlé. Tous.
08:35 Et pourtant, messieurs, vous défendez une civilisation,
08:37 c'est ce que vous nous dites,
08:38 vous défendez un mode de vie, un art de vivre,
08:40 c'est ce que vous nous dites, et pourtant, on vous fait la guerre.
08:43 On vous fait la guerre, on vous présente un peu
08:45 comme la dernière trace d'un monde cruel,
08:47 un résidu de cruauté dans un monde civilisé.
08:50 Je caricature, mais c'est un peu le discours public
08:53 entourant les chasseurs.
08:55 Et souvent, cette critique s'ancre, on le disait plus tôt,
08:58 sur la notion du vivant.
09:00 On le dit, le respect du vivant impliquerait
09:02 de renoncer à la chasse et de, pour l'essentiel,
09:05 ensuite manger des plantes.
09:07 - Les pauvres.
09:08 - Oui, parce que nous serions alors plantophobes.
09:10 Mais, Jérémie, alors, est-ce que vous sentez
09:13 la vigueur de cette attaque, et que répondez-vous
09:16 à ceux qui vous accusent, justement,
09:18 de saccager le vivant, alors que vous en dites
09:22 les défenseurs ?
09:24 - Déjà, je reviens un petit peu sur ce qu'un ver a dit au début,
09:27 cette sacralisation du vivant pose problème.
09:30 Le vivant est sacralisé comme un concept,
09:33 un peu comme Gaïa, d'ailleurs, c'est la même chose,
09:35 dans les sociétés qui sont très confortables,
09:38 qui n'ont plus une confrontation, plus ou moins,
09:42 même plus ou moins directe, avec la nature telle qu'elle est.
09:44 La nature, c'est hostile.
09:46 - Donc, cette vision désincarnée de la nature.
09:48 - Complètement, déjà, d'une part.
09:49 Et puis ensuite, effectivement, cette dissociation-là,
09:52 elle pose problème entre la mort,
09:54 qui serait qualifiée moralement comme mauvaise,
09:57 et la vie, qui serait qualifiée moralement comme bonne.
10:01 La réalité, elle n'est pas faite comme ça.
10:03 Et nous, quand on chasse,
10:06 quand on chasse, on demeure civilisé,
10:09 on demeure humain, mais on s'introduit pour un temps,
10:11 et un temps seulement, dans la nature,
10:13 en respectant les règles.
10:14 Et ça, ça ne passe pas bien aujourd'hui,
10:16 parce que précisément, les attaques viennent
10:18 d'une mouvance générale,
10:21 d'un état d'esprit général, qui sacralise la vie pure.
10:24 Et la vie pure, ça existe chez Plotin, peut-être,
10:27 mais ça n'existe pas ailleurs.
10:29 C'est un peu ça, l'idée.
10:30 - Ils sont déconnectés du réel.
10:32 - C'est important, parce que le vivant,
10:34 on nous présente le vivant, la nature,
10:36 comme la chose la plus généreuse qui soit,
10:38 et vous nous dites finalement, la vision,
10:40 qu'ont les écolos, et on reviendra dans un instant,
10:42 par exemple, sur les véganes et tout ça,
10:44 donc le rapport au monde animal,
10:46 vous nous dites qu'ils ont une vision, finalement,
10:48 désincarnée, asséchée, de la nature.
10:50 - C'est-à-dire qu'ils ne veulent pas admettre
10:55 que dans la...
10:57 Je risque de me répéter,
10:59 dans la nature, il y a la vie et il y a la mort.
11:01 Il y a les saisons, et la vie et la mort,
11:04 c'est un circuit perpétuel, un perpétuel recommencement.
11:07 Et vous savez, je donne un exemple,
11:10 l'espérance d'une vie, d'une perdre grise,
11:13 c'est 18 mois.
11:15 18 mois.
11:17 Sur un animal qui naît, sur 10 animaux
11:19 qui naissent dans l'année sauvage,
11:21 il y en a un, un, qui va passer l'année.
11:23 Un seul.
11:24 Il y en a neuf, ce sont les maladies,
11:26 ce sont les accidents.
11:27 La nature est impitoyable.
11:29 Les seuls, les plus forts résistent.
11:31 Et ça, une partie du monde écologiste,
11:34 pas tous, ne veulent pas l'admettre.
11:36 Nous, on s'inscrit totalement là-dedans.
11:38 Totalement là-dedans.
11:40 - Alors justement, je reprends ce que vous avez dit tout à l'heure,
11:43 c'est la chasse reproduit sublime, pardon, la nature.
11:46 Mais en quoi cette reproduction de l'animalité
11:49 ou de la prédation est-elle bonne ?
11:51 - C'est-à-dire que là, ce que disait Vincent,
11:53 c'est que la chasse, la chasse,
11:56 on ne fait qu'effectivement que reproduire ce qu'il y a dans la nature.
11:59 Elle n'est pas bonne, elle n'est pas mauvaise.
12:01 C'est une passion pour nous.
12:03 C'est une passion.
12:04 Et je pense qu'il n'y a pas de connaissance plus intime de la nature
12:09 que le monde, par le monde de la chasse.
12:12 Moi, j'ai vu des choses à la chasse que je ne verrai,
12:14 qu'un promeneur ne verra jamais.
12:16 - Comme quoi, par exemple ?
12:17 - Jamais. J'ai vu des aigles royaux.
12:18 Des aigles royaux en Écosse, c'était exceptionnel.
12:20 J'ai vu un loup en Bulgarie, un très grand vieux loup
12:22 qui nous a observé à 300 mètres.
12:25 Je ne verrai jamais plus ça.
12:26 Je le verrai une fois, pas deux. Pas deux.
12:28 J'ai vu des épervits en train de chasser quand j'étais à l'AFU.
12:31 Le promeneur, il ne le verra jamais. Jamais.
12:35 - Peut-être un élément qu'on pourrait ajouter sur la question de la chasse.
12:39 En quoi c'est ce que vous disiez, la question que vous posiez
12:41 sur le fait qu'elle soit bonne ou pas, etc.
12:43 En quoi ça la rend bonne, moralement ?
12:46 Il y a l'élément éthique.
12:48 Et l'élément éthique, ce n'est pas rien.
12:50 Parce que la chasse, on peut très vite sombrer
12:54 dans des excès de tir, de choses comme ça.
12:56 Une lubrice, la démesure, tout ce qu'on veut.
12:59 La tempérance, l'humilité, le fait de faire attention
13:04 à ce qu'on fait, pas n'importe quoi.
13:06 Ça, c'est un élément aussi qui peut la rendre bonne
13:08 comme exercice du libre arbitre.
13:11 Ça, c'est vraiment important.
13:12 Et l'éthique à la chasse, ça se décline assez facilement en deux mots.
13:16 C'est d'abord le respect inconditionnel de la loi,
13:20 à la fois sa lettre et son esprit,
13:22 mais c'est aussi le respect d'un code,
13:24 presque un code d'honneur de la chasse,
13:26 qui consiste à répondre à des situations
13:28 qui sont toujours inédites,
13:30 parce que c'est ça le sel de la chasse, c'est toujours inédit.
13:32 Or, le législateur ne peut pas intervenir tout le temps,
13:35 tout le temps dans toutes les actions de chasse.
13:37 On a plein d'exemples qu'on pourrait donner,
13:39 mais je pense que là, on n'a pas le temps de le faire.
13:40 Mais ça, ça contribue aussi à faire en sorte
13:42 que la chasse puisse être quelque chose
13:45 qui relève du beau et du bon.
13:47 - Alors, messieurs qui parlent de la chasse,
13:49 parlent du rapport aux animaux.
13:51 Et on va souvent présenter le chasseur
13:53 comme l'ennemi, en fait, des animaux.
13:56 Or, je devine à vous entendre que vous ne le voyez pas ainsi.
13:59 Et j'ai inscrit cela plus largement.
14:01 Comment vous positionnez-vous par rapport, par exemple,
14:03 à ce qu'on pourrait appeler l'industrialisation
14:05 de la nourriture carnée?
14:06 Donc, le chasseur entretenait un rapport privilégié
14:08 avec l'animal qu'il chassait.
14:10 Inversement, quand on a des espèces d'usines
14:12 qui produisent, soit du porc, du cochon, ainsi de suite,
14:16 quel regard posez-vous sur ce rapport au monde animal
14:21 qui n'est pas celui du chasseur?
14:23 - Nous, c'est la nature sauvage.
14:26 Pour l'industrialisation, c'est le monde domestique.
14:33 Donc, ce sont des animaux domestiques qu'on exploite.
14:36 Voilà. À très grande échelle, pour nourrir une population.
14:39 Et ça, c'est un autre débat.
14:41 Je pense qu'on ne peut pas nourrir toute la population
14:43 avec des animaux sauvages.
14:45 Donc, voilà.
14:46 Moi, je n'ai aucun problème avec les industries alimentaires.
14:51 Par contre, c'est là où on peut s'irriger.
14:54 C'est les dévoiements de l'industrie alimentaire.
14:58 Souvenez-vous de ce qu'avait dit,
15:00 ou ce qu'avait recommandé la Cour des comptes
15:02 avec Pierre Mouskvici,
15:03 qui voulait supprimer une partie de l'élevage français
15:05 parce que c'était mauvais pour la planète.
15:08 Et Bruno Le Maire, ministre de l'économie,
15:10 avait quand même déclaré que, finalement,
15:12 la viande cellulaire, c'était formidable.
15:14 Ça, c'est peut-être...
15:15 On s'élargit un peu du débat de la chasse.
15:18 Mais là, c'est extrêmement grave.
15:20 Parce que toucher à l'élevage, c'est toucher à l'économie.
15:24 Mais c'est toucher surtout à notre histoire
15:26 et au paysage français.
15:27 - Mais est-ce que vous distingueriez, par exemple,
15:29 d'un côté la chasse, de l'autre côté l'élevage,
15:31 au sens plus large,
15:32 et ensuite ce qu'on pourrait appeler l'industrie...
15:34 Peut-être que le terme n'est pas le bon.
15:35 Mais l'industrialisation de la production du vivant,
15:37 donc dans les immenses fermes souvent dénoncées
15:40 où les animaux sont assez peu respectés,
15:42 sont condamnés à une existence quasi-concentrationnaire,
15:44 est-ce que, pour vous, ça témoigne d'un rapport au vivant
15:47 auquel vous vous opposez
15:48 ou tout le monde vous le croyez inévitable?
15:50 - Oui, tout ça se distingue radicalement.
15:53 Moi, quand je pense aux éleveurs,
15:55 je pense pas nécessairement à cette viande industrielle,
15:58 à cette production, là, dont vous parlez là,
16:01 cette production massive de viande,
16:03 avec parfois, parfois quand même, il faut bien reconnaître,
16:06 des systèmes d'abattage qui sont pas moraux,
16:11 j'allais dire, d'une certaine façon.
16:12 Mais il faut distinguer ça d'abord des éleveurs,
16:15 on va dire traditionnels,
16:17 avec lesquels nous, on est...
16:19 Enfin, avec lesquels on travaille nécessairement en tant que chasseurs,
16:21 qui entretiennent les espaces.
16:23 Le jour où il n'y a plus d'animaux dans les champs,
16:25 d'animaux, j'entends bien,
16:27 là, on n'est pas sur des productions de céréales, etc.,
16:29 mais d'animaux, il n'y aura plus de campagne.
16:32 Ce sera fini.
16:33 Les milieux se fermeront, etc.
16:34 Donc, c'est essentiel, cette chose-là.
16:36 Par contre, concernant la chasse, c'est encore un autre cas de figure,
16:38 c'est que, on a eu quelques débats là-dessus, à plusieurs reprises,
16:42 le chasseur, c'est pas l'anthropocentrisme.
16:45 L'élevage, quel que soit le type d'élevage,
16:47 oui, il y a une expression "anthropocentré",
16:49 nécessairement, puisqu'on utilise des éléments qui sont autour de nous,
16:54 des éléments plus ou moins naturels, pour subsister, etc.
16:57 Le tourisme, tout ça, c'est anthropocentré, nécessairement.
17:00 Le tourisme, évidemment, est naturel.
17:02 Mais la chasse, non.
17:04 Le but, c'est justement que quelque chose en nous,
17:07 c'est ce que Ortega y Gasset appelle la vacance de l'humanité.
17:10 Il y a une partie de vacances de l'humanité, lorsqu'on chasse.
17:14 On a le pied dans la culture, on a le pied dans la nature.
17:17 C'est ça qui nous intéresse, au fond.
17:19 C'est peut-être très condensé, mais c'est ça, l'idée.
17:21 Donc, la distinction, vraiment, entre l'élevage, d'un côté,
17:24 et la chasse, de l'autre, elle est importante.
17:27 - Dans les débats sur la chasse, beaucoup, en tout cas, les opposants,
17:31 convoquent les morts, les accidents.
17:33 Les accidents de chasse.
17:35 Et qui, selon eux, le seul fait qu'il y ait des morts,
17:38 justifie qu'on interdise la chasse.
17:40 Que répondez-vous à cette accusation, ou à cet argument ?
17:43 - Alors, qu'il y ait des morts à la chasse,
17:46 c'est un discours qui est réel, mais je rappellerai les chiffres.
17:52 Je crois que l'année dernière, la décédant dernière, il y a eu 6 morts.
17:56 C'est, entendons-nous bien, c'est 6 morts de trop.
18:00 C'est indiscutable.
18:02 Il y en avait, il y a 30 ans, il y en avait 29.
18:05 Donc, il y a eu des efforts colossaux qui ont été faits.
18:08 D'autant plus à travers la formation, ce qu'on appelle des chefs de ligne,
18:12 par les fédérations de chasse, etc.
18:14 D'autre part, il faut savoir, quand même, en 30 ans,
18:17 on est passé d'un million 900 000 animaux, de grands animaux tirés,
18:22 à un million et demi.
18:24 C'est-à-dire, entre 7 et 9 millions de balles chaque année.
18:27 Donc, il y a des grands progrès qui ont été faits,
18:30 mais c'est insuffisant.
18:31 Il faut tendre vers le zéro.
18:34 Parce que le profil, on le connaît.
18:36 C'est ce qu'on appelle le tir en battue,
18:39 chasse de grands animaux, particulièrement de sangliers,
18:42 et les tireurs, je dis bien les tireurs,
18:44 qui ne sont pas ceux des miradors.
18:46 Donc, des tirs qui sont moins fichants.
18:49 Quand on corrigera tout ça, il faut tendre vers le zéro accident.
18:54 - Alors, il nous reste 3 minutes.
18:56 Le temps de revenir sur...
18:58 Parce que nous sommes la veille de la veille de Noël.
19:01 Donc, imaginons, sous le signe de la tradition,
19:04 que les anti-chasse l'emportent.
19:06 Imaginons que les vegans triomphent.
19:08 Oui, je vois votre visage, vous le voyez comme un avenir
19:11 pas nécessairement radieux.
19:13 Mais imaginons cela néanmoins.
19:15 Quelle part, auprès de l'expérience humaine,
19:17 même le non-chasseur perdrait-il?
19:19 Je ne suis pas chasseur, je ne sais pas si Arthur Lé vous l'êtes,
19:22 mais je suis participe d'une voix de présence, mais familière.
19:25 Que se passe-t-il lorsque l'activité qui est la vôtre disparaît?
19:28 - On sera très malheureux, d'abord.
19:30 - Ah, ça, je m'en doute bien.
19:32 - Et l'homme perdrait une part de son histoire,
19:35 de sa civilisation et de son humanité.
19:37 Et de son enracinement.
19:39 - Et on s'orienterait vers...
19:41 Disons l'émergence d'une société
19:44 où il y aurait d'un côté le sauvage pur,
19:47 intouché, intouchable.
19:49 Et de l'autre côté, un homme nouveau,
19:52 n'ayant plus de connexion avec ce de quoi il vient,
19:55 physiologiquement.
19:57 - Je reprends votre formule.
19:59 Pour vous, la volonté de séparer l'homme de la chasse,
20:02 cela nous inscrit dans les utopies totalitaires de l'homme nouveau?
20:05 - Oui, complètement.
20:07 - On ne peut pas accepter aujourd'hui notre altérité.
20:11 On veut faire tout uniformiser et tout interdire.
20:15 La chasse, dans ces conditions, va passer à la trappe.
20:19 Nous, on ne l'accepte pas.
20:21 On est fiers d'être chasseurs.
20:23 On leur revendique un peu plus tous les jours.
20:26 Sans tabou ni honte.
20:28 - Juste une petite parenthèse.
20:30 J'ai vu en venant tout à l'heure dans le train,
20:33 il y avait une belle affiche pour PETA.
20:36 - Peta, qui est l'association de défense du droit des animaux.
20:39 - On avait un visuel avec un homard et une tête de chien.
20:42 C'était écrit "Vous ne mangeriez pas votre chien,
20:46 alors pourquoi un homard tout de soufre manger vegan?"
20:50 C'est l'idée qu'on entend tout le temps.
20:52 Il y a deux remarques là-dessus très rapidement.
20:54 C'est que d'un côté, on a le tout de soufre.
20:57 Et on a un phénomène qui est de plus en plus courant dans la psyché contemporaine.
21:01 C'est de réduire les animaux à leur capacité de souffrir.
21:03 - C'est ce que disait Peter Senger, le philosophe.
21:05 - Exactement.
21:06 Et ça, ça devient insupportable.
21:07 Parce que l'animal est bien plus que ça.
21:09 On ne peut pas le réduire.
21:10 On ne peut pas le réduire simplement à ce réceptacle de la douleur ou du bien-être.
21:13 Et la deuxième chose qui va un peu dans le sens de votre question,
21:16 justement, ce qui m'a frappé, c'est "Non, je ne mange pas mon chien,
21:19 parce qu'en fait, culturellement, ça me dégoûte."
21:21 Il y a des cultures existent.
21:23 Il y a des gens qui sont en chair et en os, qui existent partout dans le monde.
21:27 Et cette idéologie-là, ces idéologies-là, veulent nous imposer un nom nouveau,
21:31 précisément parce qu'elles font fi, parce qu'elles sont ultra normatives.
21:36 - Voilà.
21:37 Merci à tous les deux, Vincent Piednoir et Imbert Rambeau,
21:41 pour ces explications et cette ode à la chasse, l'ouverture de la chasse,
21:46 l'ouvrage que vous pouvez lire dans les prochains jours.
21:50 Dans un instant, Romaric Sengar, la dernière avant-garde, sera l'invité,
21:55 le troisième invité de face à Mathieu Boquete ce samedi soir.
21:58 A tout de suite.
21:59 La deuxième partie de face à Mathieu Boquete, toujours avec Mathieu,
22:05 mais vous aviez Arthur de Vatrigan en début d'émission, juste à côté de vous.
22:09 Vous avez décidé de le renvoyer en face.
22:11 - En fait, c'est un migrant temporaire. Il est retourné chez lui.
22:13 - De retour sur cette place, pardonnez-moi, le sociétaire de face à Mathieu Boquete,
22:19 Arthur de Vatrigan. Bonsoir.
22:21 Et vous invitez ce soir Romaric Sengar.
22:23 Bonsoir, monsieur Sengar. - Bonsoir.
22:25 - La dernière avant-garde.
22:27 Pourquoi inviter Romaric Sengar ce soir ?
22:30 - Alors, je le disais, nous sommes la veille de la veille de Noël.
22:33 Ce n'est pas un détail, donc c'est l'occasion, surtout, je le disais,
22:36 dans une année folle quand même, de revenir quelques fois sur les fondamentaux
22:39 et la question du christianisme, notre rapport à la foi,
22:41 s'impose inévitablement dans cette période de l'année.
22:43 Romaric Sengar, bonsoir. - Bonjour, Mathieu.
22:45 - Alors, une question toute simple pour commencer.
22:47 Vous nous présentez donc dans la dernière avant-garde ce qu'est un monde,
22:50 non pas ce que serait, mais ce qu'est un monde
22:52 qui s'est complètement asséché spirituellement
22:54 et les effets culturels, existentiels de cet asséchement spirituel.
22:59 Mais votre titre interpelle la dernière avant-garde.
23:02 Qu'entendez-vous par là ?
23:04 - Disons que je me suis rendu compte que d'abord, j'avais la nostalgie,
23:08 finalement, de ce grand élan des avant-gardes
23:10 qui m'a toujours fasciné au début du XXe siècle
23:13 et qu'on avait perdu, en fait, ce souffle.
23:16 Et même si, par beaucoup d'aspects, je suis très critique de la modernité,
23:19 en tout cas, de ce qu'aura été la modernité,
23:21 puisqu'il est visible qu'elle est aujourd'hui épuisée,
23:25 j'ai la nostalgie de ce grand souffle, de cette grande ambition,
23:29 de ces grandes aspirations qu'avaient encore les poètes,
23:31 par exemple, au XIXe et au XXe siècle,
23:33 qui étaient celles de transformer l'homme, de transformer le monde
23:36 et d'aspirer à une sublimation de l'humanité, de la création.
23:41 Et tout ça s'est effondré.
23:43 Alors, au début du XXe siècle, on n'est plus dans un christianisme en tant que tel,
23:47 mais quelque part dans un élan qui est héritier du christianisme.
23:51 Et cet élan-là s'est essoufflé.
23:53 Et moi, qui ai toujours finalement rêvé d'appartenir à une avant-garde
23:57 ou d'en fonder une, j'aurais mis de très nombreuses années
24:00 à trouver le moyen de trouver cet élan,
24:02 parce qu'il se trouve que l'ère moderne, la séquence moderne s'étant épuisée.
24:08 C'est finalement la fin d'une épopée de plusieurs siècles à laquelle nous assistons.
24:13 Nous assistons à cette fin-là.
24:14 Et donc, il ne suffit pas d'hériter de la geste de nos grands-parents poètes,
24:20 entre guillemets, pour reprendre le flambeau.
24:22 Il faut tout réinventer ou il faut revenir à l'origine de cette grande séquence
24:26 de la modernité ou de l'élan, en tout cas, européen,
24:31 pour réussir à retrouver ce souffle,
24:33 alors qu'aujourd'hui, nous sommes face exclusivement à des formes de décomposition
24:37 à tous les niveaux, à tous les degrés.
24:38 - Alors, vous lisant, on a quelquefois l'impression
24:41 de croiser certaines intuitions de Chesterton,
24:43 dont vous partagez certainement des intuitions,
24:45 pas nécessairement le même profil, mais lui-même dit...
24:49 Alors, je le dis, non pas exactement dans ces mots,
24:52 mais il nous dit "j'aurais fait le tour de toutes les hérésies,
24:55 finalement, avant de revenir à l'évidence première,
24:57 le christianisme était fondateur".
24:59 Est-ce qu'on pourrait dire quelque chose de semblable pour votre parcours ?
25:02 - Complètement, oui, complètement.
25:04 Thibon disait aussi que tous les chemins mènent à Rome,
25:09 dans le sens où si on va suffisamment loin,
25:11 quelque part, on aboutit de toute façon à la vérité chrétienne.
25:15 En tout cas, c'était comme ça que Thibon le manifestait.
25:17 Oui, oui, moi aussi, bien sûr, je pense que j'ai d'abord été attiré
25:21 par des formes de vitalité, de vitalité esthétique,
25:24 de vitalité humaine, de vitalité philosophique,
25:26 et j'aurais évidemment égrainé un certain nombre d'impasses
25:29 avant de revenir, en ce qui me concerne personnellement,
25:32 à la révélation chrétienne.
25:33 - C'est intéressant, parce que, est-ce qu'on pourrait dire,
25:35 c'est une proposition qui ne cadre pas dans l'esprit moderne,
25:38 que celui qui se lance, par exemple, dans le nichéisme,
25:40 on pourrait trouver d'autres références,
25:42 et bien aboutira, au terme de cela,
25:44 dans la possibilité de la révélation chrétienne.
25:46 Est-ce que ça pourrait représenter un parcours présent aujourd'hui ?
25:49 - C'est en partie le mien, moi-même, j'ai été très nichéen à 15 ans,
25:53 voilà, ce qui était... Bon, Nietzsche rend assez idiot
25:58 l'adolescent de 15 ans, parce que c'est un peu
26:00 la pensée testostérone, comme ça, qui est un peu...
26:03 Voilà, mais il y avait dans les critiques de Nietzsche,
26:06 par exemple, de la contemporanéité, du...
26:09 Non pas du christianisme, mais d'un certain rapport
26:12 du christianisme au monde, des choses qui m'apparaissent
26:14 extrêmement justes, et si on va au bout de ces critiques,
26:16 si on pousse toutes les portes, si on va jusqu'au bout
26:20 de tous ces élans, de toutes ces critiques,
26:23 on arrive, à un moment donné, au pied de la croix,
26:26 ou face à la bouche d'un revolver, de toute façon,
26:28 je pense que toute trajectoire intérieure poussée suffisamment loin
26:32 mène à la folie, à la mort, ou à la révélation.
26:35 - Arthur de Matrigan.
26:36 - Alors, l'avant-garde, que vous appelez de vos voeux,
26:38 doit prendre sa source en arrière,
26:42 alors pas au 18e, pas au 17e, pas au 16e,
26:44 mais carrément, le 12e siècle, où il faut revenir
26:46 à la mystique cistercienne. Pourquoi la mystique cistercienne ?
26:50 - Parce que l'état d'effondrement dans lequel nous sommes
26:53 nous oblige à faire des détours particulièrement acrobatiques,
26:56 dirais-je. D'abord, toute forme d'avant-garde
26:59 et toute révolution, enfin, tout révolutionnaire
27:01 est un réactionnaire, c'est des choses qu'on oublie,
27:03 aujourd'hui, un révolutionnaire est toujours quelqu'un
27:05 qui prend appui sur un autre moment du passé,
27:07 parfois de l'espace, pour pouvoir agir avec le présent
27:10 et inventer un nouveau futur.
27:12 Donc, c'est en "révolutionnaire" que j'appréhende le 12e siècle,
27:16 non pas par nostalgie du 12e siècle en tant que tel,
27:18 mais parce qu'il me semble que c'est un point d'appui critique
27:20 particulièrement intéressant pour faire face à ce à quoi
27:23 nous sommes opposés aujourd'hui.
27:26 Pourquoi le 12e siècle ? Parce que c'est ce que les historiens
27:29 qui, aujourd'hui, depuis 30 ou 40 ans,
27:32 ont largement réhabilité le Moyen-Âge.
27:34 Le 12e siècle, c'est ce grand sommet du Moyen-Âge,
27:38 c'est le Moyen-Âge idéal, celui de la chevalerie,
27:40 des cathédrales, de la grande théologie.
27:42 C'est ça, le 12e siècle, c'est un sommet,
27:44 finalement, de l'esprit humain.
27:46 Et c'est un sommet qui a informé, j'irais,
27:48 toutes les strates les plus inconscientes
27:50 de l'imaginaire européen.
27:52 Et c'est justement un sommet au sens,
27:54 c'est une des visions les plus hautes qu'on puisse avoir
27:56 de l'humanité, de la vocation de l'humain,
27:58 individuellement parlant, ou collectivement,
28:00 ou universelle, la visée la plus élevée.
28:02 Et donc, on ne cesse depuis de rabaisser,
28:05 comme ça, la visée.
28:07 On est passé d'une volonté de déifier l'humanité
28:09 à une volonté de légaliser
28:11 jusqu'à l'explosion de la planète,
28:13 ce qui est déjà un abaissement.
28:15 Et aujourd'hui, il s'agirait à peine
28:17 de survivre de manière étriquée
28:19 comme des animaux protégés.
28:21 Donc, évidemment, on ne cesse de rabattre
28:23 l'exigence, autant revenir
28:25 à l'exigence la plus élevée, la plus glorieuse,
28:27 la plus vertigineuse,
28:29 qui est celle du 12e siècle.
28:31 - Alors, Chesterton se présente, finalement,
28:33 comme le fil rouge inattendu de notre échange.
28:35 Alors, Chesterton disait aussi, tous les révolutionnaires
28:37 authentiques se retournent vers un moment du passé
28:39 pour se projeter plus loin dans l'avenir.
28:41 Mais Chesterton dit aussi, et c'est une phrase essentielle
28:43 chez lui, je le dis encore de mémoire,
28:45 lorsque l'homme cesse de croire en Dieu,
28:47 ce n'est plus qu'il ne croit plus en rien,
28:49 c'est qu'il croit finalement en n'importe quoi.
28:51 Et vous nous dites, de notre époque, qu'elle est finalement
28:53 tentée par de nouvelles hérésies, si je vous comprends bien.
28:55 Si oui, lesquelles?
28:57 - Eh bien, le catharisme, c'est-à-dire...
28:59 - T'entendez-vous parler pour le commune immortelle?
29:01 - Oui, voilà, bien sûr.
29:03 L'hérésie cathare est une hérésie manichéenne,
29:05 justement du XIIe siècle,
29:07 qui considère qu'il y a une interprétation du mal,
29:09 finalement. Le mal est un scandale.
29:11 Les catholiques vont considérer que ce scandale,
29:13 c'est que la création était bonne,
29:15 mais qu'elle a chuté à cause du péché originel,
29:17 et que nous portons les traces
29:19 de ce froissement, quelque part,
29:21 et qu'il s'agit de réparer
29:23 cette blessure. Chez les cathares,
29:25 la création est mauvaise intégralement.
29:27 Ce qui est pur, ce qui est beau,
29:29 ce qui est noble, c'est l'esprit, et finalement,
29:31 ce n'est pas Dieu qui a créé le monde,
29:33 mais un mauvais des murs, Satan, en quelque sorte,
29:35 et nous sommes emprisonnés dans des corps de boue,
29:37 dont il faudrait nous débarrasser.
29:39 Et finalement, c'est toute l'incarnation
29:41 qui est mise en procès par les cathares.
29:43 Il me semble qu'aujourd'hui,
29:45 chez les wouks, on se retrouve
29:47 exactement dans une configuration spirituelle
29:49 absolument similaire aux cathares.
29:51 - Nous sommes dans un monde
29:53 qui déteste l'incarnation ?
29:55 - Nous sommes dans un monde qui déteste l'incarnation,
29:57 qui considère que la subjectivité est reine,
29:59 et qui a le même fantasme que les cathares,
30:01 qui a un fantasme de désengendrement.
30:03 Il faudrait revenir en amont.
30:05 Finalement, toute contrainte qui nous est posée
30:07 par l'incarnation est vécue comme une malédiction,
30:09 comme une damnation.
30:11 - Donc l'identité sexuelle, les frontières, la nation ?
30:13 - Toute forme d'identité qui ne serait pas choisie,
30:15 comme si finalement l'homme serait à la base
30:17 un ange entièrement libre d'incarner
30:19 ce qu'il aurait envie, mais l'incarnation
30:21 l'aurait enfermée dans des contraintes insupportables
30:23 et vécues comme fasciste.
30:25 - Alors, dans cet esprit, depuis 40 ans,
30:27 le maître mot de la philosophie, c'est déconstruction.
30:29 Déconstruire, déconstruire, déconstruire.
30:31 Est-ce que vous voyez dans cette déconstruction
30:33 l'ultime expression de ce que vous appelez
30:35 cette tentation cathare ?
30:37 - En partie.
30:39 C'est-à-dire que la déconstruction,
30:41 en effet, il y a une dimension de la déconstruction
30:43 qui est de l'ordre de la désincarnation, finalement.
30:45 Il s'agirait de considérer que tout ce qui est
30:47 un trait de l'incarnation
30:49 est une malédiction, et donc
30:51 il faut la relativiser, la défaire,
30:53 etc., et ne jamais voir,
30:55 on pourrait voir dans ces constructions,
30:57 par exemple, qu'une civilisation,
30:59 une culture sont des élaborations
31:01 parfois très sophistiquées, très nobles,
31:03 et, comme je le dis souvent,
31:05 on peut déconstruire une cathédrale et dire qu'on pouvait
31:07 construire une autre manière d'habiter le monde,
31:09 et on se retrouve dans la niche du chien, et en effet,
31:11 il y a quatre murs, il y a un toit, on ne peut
31:13 habiter le monde là-dedans, mais c'est juste un peu moins bien.
31:15 Donc, déconstruire pour déconstruire, et reconstruire autre chose,
31:17 c'est absurde. Le déconstructeur, surtout, a un côté
31:19 vraiment candide, c'est-à-dire qu'il se rend
31:21 compte que, non, tout n'est pas
31:23 tombé du ciel instinctivement
31:25 tel quel, et que les choses
31:27 sont le résultat
31:29 de longs processus, de lents processus d'incarnation.
31:31 Néanmoins, ces lents processus
31:33 sont parfois le fruit
31:35 d'un génie collectif, et d'un
31:37 tamis aussi du temps qui a permis
31:39 d'élaborer un rapport au monde plus fin, plus
31:41 subtil, plus nuancé, et en fait,
31:43 en remettant tout cela en cause, bien sûr,
31:45 ces choses-là s'adaptent, mais en les remettant
31:47 définitivement en cause, on nous
31:49 déshabille, on nous désarme,
31:51 et on a l'impression d'avoir fait un progrès,
31:53 ce qui me paraît, évidemment,
31:55 l'inverse complet.
31:57 - Arthur de Vatrigan. - La dernière avant-garde,
31:59 pour vous, elle n'est pas politique, elle est artistique.
32:01 Et pourquoi, justement, croyez-vous
32:03 que c'est par la culture, par l'art, que viendra
32:05 notre salut ?
32:07 - Parce que c'est un rapport à l'esprit
32:09 et à la matière.
32:11 L'art est une manière d'habiter le monde,
32:13 d'ailleurs, puisque je parlais de ça, finalement,
32:15 c'est la manière
32:17 intime d'habiter le monde. La politique
32:19 organise une manière collective d'habiter
32:21 le monde. Et puis, le XIXe siècle
32:23 et le XXe siècle étaient des siècles très
32:25 objectivistes, très matériels, ont été
32:27 très politiques, et on n'est pas obligé d'être forcément
32:29 très politique. Il me semble qu'aujourd'hui,
32:31 que ces utopies politiques ont été
32:33 détruites et qu'elles se sont
32:35 finalement
32:37 diffusées dans l'atmosphère, puisqu'on parle de totalitarisme
32:39 d'atmosphère, n'est-ce pas ?
32:41 L'enjeu n'est plus, sur ce point de vue,
32:45 d'une utopie collective, mais plutôt
32:47 d'une manière de retrouver
32:49 une vie intérieure et de
32:51 réapprendre de manière sensible et profonde
32:53 à habiter le monde, et que ça,
32:55 le moyen d'arriver à ça,
32:57 c'est l'art qui, par excellence,
32:59 ramène de la transcendance dans le
33:01 quotidien, dans le détail, dans
33:03 l'incarnation, au sens le plus
33:05 scrupuleux du terme.
33:07 - Alors, vous nous dites cela de l'art, on pourrait dire que l'art
33:09 contemporain, dans tous les sens du terme, ne tient pas
33:11 nécessairement cette promesse.
33:13 Est-ce que cet art qui, justement, est toujours...
33:15 On a quand même cette représentation aujourd'hui, quelqu'un prend un téléphone,
33:17 le brise par terre, jette une plure de banane
33:19 dessus, et dit "ouais, voilà, c'est une représentation
33:21 artistique, et il va réussir à la vendre très cher".
33:23 Est-ce qu'on peut voir, dans cette espèce
33:25 d'art un peu étrange aujourd'hui,
33:27 un effet de la décristianisation et de la
33:29 despiritualisation dont vous parlez ?
33:31 - Tout à fait. En fait, mais en même temps, c'est un effet
33:33 de la christianisation paradoxale. C'est-à-dire que
33:35 avant le christianisme,
33:37 globalement, l'art
33:39 ne s'intéresse qu'à ce qui dépasse complètement
33:41 l'homme, c'est-à-dire soit le divin, soit
33:43 des grandes épopées collectives, soit la guerre,
33:45 tout ce qui a trait avec l'invisible.
33:47 On n'aura jamais l'idée
33:49 de représenter le visage de son
33:51 voisin avant l'ère chrétienne. Il faut que Dieu
33:53 lui-même prenne un visage, et le visage
33:55 d'un fils d'artisan juif
33:57 du premier siècle,
33:59 de sa propre ère, je veux dire,
34:01 il faut qu'il prenne un visage et un visage
34:03 commun pour qu'on puisse avoir
34:05 l'idée de représenter son
34:07 voisin, et finalement, sur les cathédrales, de donner
34:09 à l'ange de Reims, peut-être, le visage d'un
34:11 adolescent qu'on vient de croiser dans la rue.
34:13 Cette idée-là, qu'on peut tout représenter,
34:15 que quelque part, Dieu
34:17 est désormais incarné et est possiblement
34:19 partout, c'est ça qui
34:21 va donner des possibilités tout à fait
34:23 inouïes à l'art occidental, de représentation
34:25 tout à fait inouïe, jusqu'au
34:27 bout où quelque part, se
34:29 retournant, Duchamp dit
34:31 "je prends cette pisse
34:33 hautière, et je décide qu'elle est
34:35 spirituelle et qu'elle est transcendante, puisque c'est moi l'artiste,
34:37 c'est moi qui relaie ce mouvement divin",
34:39 et donc quelque part, c'est une espèce d'aporie
34:41 terminale, l'art contemporain, dans ce sens-là.
34:43 Et là, on bégaye sur
34:45 Duchamp depuis un siècle, c'est pour ça qu'il faut
34:47 justement revenir à une définition de l'art,
34:49 on ne peut pas poursuivre, aller plus loin
34:51 dans la transgression précédente, il n'y a plus de transgression,
34:53 tout a été transgressé. Donc il s'agit plutôt de retrouver
34:55 un équilibre pertinent,
34:57 et c'est pour ça que je pense que le XIIe siècle est intéressant,
34:59 parce qu'il nous propose un équilibre
35:01 pertinent entre la chair
35:03 et l'esprit, entre
35:05 le divin
35:07 et l'humain, dans le détail, et c'est pour ça
35:09 que l'art
35:11 peut se rebâtir à partir
35:13 d'une perspective qui soit à nouveau
35:15 totale, radicale,
35:17 flamboyante, telle que celle du XIIe siècle.
35:19 - Alors, vous avez été un jeune homme, vous êtes encore un jeune homme
35:21 tenté par l'absolu, disons ça ainsi,
35:23 ce qui vous
35:25 conduit vers le christianisme, vers la révélation
35:27 chrétienne, etc. Le commun des mortels,
35:29 vous en conviendrez, sont probablement
35:31 un peu moins habités par cette tentation
35:33 de l'absolu. Alors votre chemin
35:35 vers, je dirais la foi,
35:37 j'espère le terme n'est pas mauvais,
35:39 on le comprend, mais est-ce que notre monde rend
35:41 encore possible la rencontre du christianisme,
35:43 du catholicisme, pour ceux qui n'ont
35:45 pas la même attitude existentielle
35:47 que la vôtre ? Est-ce que l'homme ordinaire
35:49 peut encore retrouver, autrement
35:51 que dans les ruines d'un vieux monde
35:53 qu'il habite sans même le comprendre, est-ce qu'il peut
35:55 encore retrouver la trace de la foi et la quête de la foi
35:57 telle que vous la vivez ?
35:59 - Disons que moi ce qui me paraît très concret
36:01 dans ce rapport, en tout cas à la foi,
36:03 à la transcendance ou à la métaphysique, et notamment
36:05 à Saint Bernard, c'est cette histoire du troisième
36:07 avènement que va inventer,
36:09 que va inventer Saint Bernard, au sens premier
36:11 du terme, c'est-à-dire que
36:13 on pensait avant Saint Bernard,
36:15 - C'est celui de l'autre Saint Bernard ?
36:17 - Alors Saint Bernard au XIIe siècle,
36:19 Saint Bernard de Clairvaux,
36:21 qui est non pas le fondateur des Cisterciens,
36:23 mais la première grande figure des Cisterciens,
36:25 et l'intellectuel le plus célèbre de l'époque
36:27 finalement, au sens, dans toute la chrétienté.
36:29 Et alors qu'on fête le premier
36:31 avènement, et qu'on le fêtera donc après-demain avec Noël,
36:33 c'est-à-dire la première venue du Christ
36:35 sur Terre, on attend pendant
36:37 cinq ou six siècles, en tout cas
36:39 après la christianisation
36:41 d'Égaule, puis de la France et Saint Bernard,
36:43 on attend le second avènement, c'est-à-dire le retour du Christ
36:45 et la fin du monde. Et quelque part,
36:47 des Cisterciens
36:49 du XXe siècle, par exemple,
36:51 comme Gaétano Raccitti, ont montré
36:53 qu'on vivait jusqu'à Saint Bernard
36:55 dans une espèce d'attente apocalyptique,
36:57 c'est-à-dire que quelque chose de phénoménal avait eu lieu,
36:59 l'incarnation de Dieu, quelque chose de phénoménal
37:01 allait avoir lieu, la fin des temps,
37:03 et entre les deux, notre vie,
37:05 notre vie personnelle, était écrasée
37:07 par une tension comme ça extraordinaire.
37:09 Et puis Saint Bernard va montrer
37:11 avec ce troisième avènement, qui est en fait l'avènement intermédiaire,
37:13 que dans chaque âme humaine,
37:15 Dieu peut s'incarner,
37:17 comme le soir de Noël dans la crèche,
37:19 et qu'en même temps, Dieu reviendra
37:21 de la fin des temps, depuis nos cœurs, c'est-à-dire que
37:23 l'apocalypse se précipite
37:25 depuis un phénomène intérieur
37:27 et personnel. Ça paraît très abstrait et métaphysique
37:29 ce que je dis là, mais en fait, en faisant ça,
37:31 Saint Bernard de Clairvaux invente à chaque être humain sur Terre
37:33 un destin. Autrefois,
37:35 l'humanité avait un destin,
37:37 les collectivités avaient un destin, mais l'humain
37:39 n'avait aucun destin, et soudain,
37:41 l'homme occidental possède un destin
37:43 grâce à Saint Bernard de Clairvaux, et cela,
37:45 évidemment, je suis peut-être plus hanté d'absolu
37:47 que d'autres personnes, mais c'est
37:49 une question d'avoir... c'est juste la question du sens de la vie,
37:51 c'est-à-dire qu'à partir du moment où ce troisième
37:53 avènement a lieu, alors
37:55 chacun d'entre nous peut ramener
37:57 sa propre histoire,
37:59 même la plus humble, même la plus petite,
38:01 à des phénomènes...
38:03 En fait, à la question de la création du monde,
38:05 de la fin du monde et du sens du monde,
38:07 on est relié, on est connecté, puisqu'on aime
38:09 dans cette ère de réseau
38:11 les multiples connexions,
38:13 l'aspect réticulaire des choses, et bien
38:15 on se connecte, on se branche à un réseau
38:17 qui fait totalement sens, même
38:19 si notre vie elle-même est très obscure
38:21 et très simple. - Alors, je vous présente le parcours
38:23 d'un jeune contemporain, un de vos amis,
38:25 un de vos cousins lointains, imaginons par exemple,
38:27 qui se promène dans une ville occidentale
38:29 d'aujourd'hui. Il n'est pas particulièrement habité par la
38:31 tentation de la foi, mais il regarde devant lui
38:33 un bâtiment qui était construit ces dernières
38:35 années, un centre commercial plus ou moins
38:37 soviétique ou plus ou moins américain,
38:39 et ensuite il voit une vieille église. Une vieille église
38:41 qui d'une manière ou de l'autre l'interpelle.
38:43 Si l'on y est entré, il y ressent peut-être quelque chose
38:45 de particulier, un silence, une beauté.
38:47 Est-ce que le simple... et c'est une question
38:49 vraiment de... de toute façon du qui-d'homme,
38:51 mais est-ce que le simple rapport à la beauté architecturale
38:53 peut conduire notre contemporain
38:55 quelquefois sur les premières traces de la foi
38:57 pour ceux qui la cherchent, évidemment ?
38:59 - Je le crois, ça a été mon cas, par exemple.
39:01 Évidemment, les cathédrales,
39:03 si elles sont si précieuses et si
39:05 l'incendie de Notre-Dame de Paris a tellement ébranlé
39:07 finalement le pays
39:09 entier et même toute une partie du monde,
39:11 c'est parce qu'elles sont le vestige
39:13 d'un rapport au monde tout à fait
39:15 extraordinaire, où il y a du divin, où il y a
39:17 l'idée de quelque chose qui dépasse l'humain.
39:19 Une cathédrale, une architecture, c'est
39:21 une manière d'habiter le monde, c'est une manière de représenter
39:23 le monde et de représenter une manière d'habiter le monde.
39:25 Donc évidemment qu'entre la cathédrale
39:27 qui est chargée de sens, de beauté,
39:29 de grandeur
39:31 et d'une aspiration sublime,
39:33 et en même temps qui peut montrer un homme crucifié
39:35 et décharné en plein milieu de tout ça,
39:37 et puis un bâtiment purement fonctionnel,
39:39 il y a deux...
39:41 on propose deux manières d'habiter le monde,
39:43 et qu'on a la nostalgie de cette manière élevée
39:45 d'habiter le monde, et que n'importe qui,
39:47 peu importe sa culture, son milieu social,
39:49 va être de toute façon
39:51 attiré, transporté,
39:53 étonné par une cathédrale
39:55 et ennuyé par les bâtiments
39:57 purement fonctionnels que le XIXe et le XXe siècle
39:59 justement ont produits,
40:01 en despiritualisant le monde
40:03 et en faisant de la beauté quelque chose
40:05 de luxueux, une espèce d'arôme
40:07 supplémentaire, mais finalement
40:09 pas si nécessaire, alors que justement
40:11 au Moyen-Âge, justement au XIIe siècle,
40:13 l'œuvre d'art est au centre du village,
40:15 est au centre du monde, est au centre des villes,
40:17 c'est-à-dire que ce qui est au centre,
40:19 c'est Dieu, c'est la beauté, c'est la sagesse,
40:21 c'est la connaissance, et tout le reste est périphérique
40:23 à ça. Aujourd'hui, c'est le supermarché
40:25 qui est au centre du village,
40:27 ou alors le bâtiment purement fonctionnel.
40:29 - Arthur de Matrigan. - Dans votre essai,
40:31 vous êtes assez optimiste aussi,
40:33 vous ne dites pas "tout est acheté, la culture
40:35 aujourd'hui et l'art ne valent rien, absolument pas,
40:37 est-ce qu'il change, est-ce qu'il fait plaisir ?"
40:39 Vous dites "le génie nous habite encore",
40:41 mais qu'est-ce qui vous rend déjà si optimiste
40:43 et à quels artistes pensez-vous
40:45 que ça se trouve dans la littérature, dans le cinéma,
40:47 dans la peinture, dans la série ou dans la chanson
40:49 qui, à votre avis, font participe
40:51 de cette nouvelle élan que vous appelez de vos voeux ?
40:53 - Je cite en effet
40:55 plusieurs auteurs,
40:57 plusieurs œuvres d'art,
40:59 je veux dire en littérature évidemment
41:01 Michel Houellebecq, Richard Millet,
41:03 Antoine Volodine, dans un genre
41:05 qui n'a strictement rien à voir,
41:07 ou Jean-Jacques Choulle, me semble avoir
41:09 produit des recherches
41:11 artistiques, des voix tout à fait
41:13 inédites et tout à fait singulières
41:15 et extrêmement fortes, mais on trouve
41:17 ça aussi dans les séries, moi j'adore Young Pope,
41:19 la série de Sorrentino, mais ça peut
41:21 être aussi, pas uniquement pour des raisons
41:23 catholiques, ça peut être aussi The Leftovers par exemple,
41:25 que je trouve c'est une série
41:27 vraiment profondément métaphysique, donc
41:29 il ne s'agit pas forcément de chercher dans des
41:31 arts comme ça qui seraient particulièrement
41:33 élitistes, pour trouver
41:35 une grandeur, une beauté neuve, une manière
41:37 nouvelle d'explorer le monde et les possibilités
41:39 qui sont les nôtres et qui sont fascinantes dans un monde
41:41 comme le nôtre, aussi confus
41:43 et accélérés, donc il y a des choses
41:45 qui ont lieu partout, alors ce qui change en revanche
41:47 par rapport au début du siècle précédent ou au siècle
41:49 précédent, c'est qu'autrefois il y avait des écoles
41:51 et puis après des écoles des traditions, des écoles
41:53 des mouvements en opposition les uns aux autres,
41:55 des avant-gardes qui sont des espèces de
41:57 finalement de petites écoles, de laboratoires
41:59 dans lesquelles on fabrique de l'art et que ça
42:01 ça a complètement disparu, ce qui fait qu'on a
42:03 une grande confusion générale,
42:05 autant au niveau métaphysique, intellectuel, politique
42:07 que artistique, et qu'il y a
42:09 des tentatives comme ça qui sont éparses
42:11 et qui sont belles et qui sont riches
42:13 et qui sont très excitantes dans ce qui peut se passer
42:15 aujourd'hui, mais que la
42:17 question dans la... la question c'est
42:19 comment elles peuvent s'envisager comme
42:21 un vrai rapport au monde, et bien il n'y a plus
42:23 ce cadre métaphysique ou philosophique pour
42:25 pour pouvoir réunir
42:27 tout cela dans un seul faisceau, et c'est ce que
42:29 j'ai modestement essayé de faire avec mon essai.
42:31 - Alors, au jeune homme ou à la jeune femme qui travaillent
42:33 par des questions semblables aux...
42:35 par des questions semblables aux vôtres, et qui
42:37 la question de la foi, de la religion,
42:39 du catholicisme, le travail, mais
42:41 il ne sait pas comment s'y engager d'une manière ou de l'autre.
42:43 Si vous deviez un instant l'accompagner,
42:45 je devine que ce serait sur le terrain de la culture, peut-être pas,
42:47 de quelle manière, quel conseil lui donneriez-vous ?
42:49 - Ah bah il faut
42:51 entendre quelque part la résonance du divin
42:53 en nous, c'est-à-dire
42:55 que les gens...
42:57 il y a toujours des coups de foudre,
42:59 des coups de foudre amoureux,
43:01 il faut être terrassé par quelque chose
43:03 qui nous dépasse et que nous portons en nous-mêmes,
43:05 quelque part, c'est ça la question, c'est ça le...
43:07 le divin, c'est quelque chose qu'il faut écouter,
43:09 qu'il faut entendre, et que chacun a la faculté
43:11 de l'entendre, et quand il ne l'entend pas,
43:13 il se réduit, et ce que je dis d'ailleurs
43:15 dans mon livre, le problème c'est que quand l'homme se réduit,
43:17 il se révolte, et une fois qu'il se
43:19 révolte, il se dévaste, et
43:21 c'est un peu cet enchaînement-là
43:23 auquel on assiste aujourd'hui, l'homme est promis à des
43:25 grandes choses, à de grands destins, notamment
43:27 celui révélé par Bernard de Clairvaux,
43:29 et à force de réduire sa destinée,
43:31 de réduire son ambition même,
43:33 la signification de sa vie sur Terre,
43:35 eh bien il se révolte, il se révolte contre tout,
43:37 et il finit par tout détruire,
43:39 par tout brûler, dans un grand geste de
43:41 dépit et de désespoir, et
43:43 je pense que
43:45 en revanche, chacun a
43:47 en soi quelque chose qui vibre
43:49 à Dieu directement,
43:51 ou du moins à quelque chose qui serait de l'ordre de la
43:53 transcendance, et c'est ça qu'il faut cultiver.
43:55 - La dernière avant-garde
43:57 d'Oromarix Sengar, merci d'avoir été
43:59 avec nous ce samedi
44:01 soir. Mathieu Bocque, côté Arthur
44:03 de Vatrigan, merci à tous les deux. - C'est à vous de le dire.
44:05 - L'info se poursuit sur CNews. A tout de suite.
44:07 (je vais tester la vitesse de la machine)