MK-Ultra - la fin du silence

  • il y a 8 mois
Transcript
00:00 Ça s'est passé à Montréal, ça s'est passé au Canada,
00:04 avec l'aide du gouvernement canadien en lien avec la CIA,
00:08 où on a torturé des gens.
00:11 Personne ne nous disait jamais de quel traitement il s'agissait.
00:15 J'ai reçu 31 traitements aux électrochocs durant cette courte période.
00:20 Il s'est avéré que ce n'était pas nécessairement bon pour moi,
00:26 mais bien pour la CIA et les études qu'il publiait.
00:31 Le Canada a été un pays de l'histoire
00:35 Un pays qui a été un pays de l'histoire
00:39 Un pays qui a été un pays de l'histoire
00:43 Un pays qui a été un pays de l'histoire
00:47 Un pays qui a été un pays de l'histoire
00:51 Un pays qui a été un pays de l'histoire
00:55 Un pays qui a été un pays de l'histoire
00:59 Un pays qui a été un pays de l'histoire
01:03 Je m'appelle Rosamie Autonne-Témorin, je suis reporter et autrice,
01:07 puis en faisant de la recherche pour mon premier livre,
01:10 je suis tombée sur une histoire dure à croire,
01:12 qui s'est pourtant bel et bien déroulée, puis chez nous.
01:16 Une histoire que j'essaie de comprendre depuis maintenant pas loin de deux ans.
01:23 C'est l'histoire d'une recherche de 30 ans par les agences d'intelligence américaines pour améliorer le contrôle de l'esprit.
01:29 La CIA s'est convaincue que les communistes avaient trouvé la clé à la brainwashing.
01:45 Un programme de recherche a été lancé pour développer une version américaine de cette supposée drogue,
01:50 le programme MK-ULTRA.
01:52 Il s'est étendu sur une dizaine d'années,
01:54 et il a donné cours à environ 150 expériences dans près de 90 institutions,
01:59 dont le Allen Memorial Institute de l'Université McGill à Montréal.
02:04 L'Institut psychiatrique était tout récent,
02:07 et Donald Ewan Cameron en était le premier directeur.
02:11 Le premier directeur de l'Allen Memorial, Ewan Cameron, a dirigé l'Institut pendant 20 ans.
02:17 À l'époque, c'était une sommité.
02:19 Il avait diagnostiqué des décideurs nazis pendant les procès de Nuremberg,
02:23 en plus de présider l'Association des psychiatres américains et canadiens.
02:27 Au Allen Memorial, Cameron a tenté de mener à bien ses techniques de « depatterning »,
02:32 donc de déprogrammation.
02:34 Son objectif, c'était d'amener les personnes qui souffraient de troubles de santé mentale à l'état d'enfant
02:39 pour mieux les faire renaître.
02:41 C'est en 1957 que la CIA a commencé à financer ses activités.
02:55 Bon, on ne sait pas s'il était au courant, vu que les fonds étaient envoyés sous le couvert de fausses fondations,
03:00 mais ce qu'on sait, c'est que les expériences de Cameron ont été menées sur des cobayes
03:05 qui ignoraient tout de ce qui se passait,
03:07 des gens à qui on pouvait donner des électrochocs 30 fois plus forts que la moyenne,
03:11 puis des drogues psychédéliques.
03:13 Des gens qu'on pouvait maintenir dans un coma pendant plusieurs jours
03:17 pour leur faire entendre le même message en boucle.
03:20 Et aujourd'hui encore, on ne sait même pas le nombre exact de personnes
03:35 qui ont vu leur identité voler dans le processus.
03:38 Mais ce qu'on sait, c'est que pour beaucoup de monde, ça a laissé des traces,
03:41 puis qu'en fait, ça en laisse encore.
03:43 J'habite à Montréal depuis 15 ans,
03:52 pourtant j'ignorais que des expériences terribles avaient été menées à deux rues de chez moi,
03:56 il n'y a pas si longtemps que ça.
03:58 Cameron a utilisé ce traitement électrochocs pour les patients pendant 30 jours.
04:05 Quand on Google le MKUltra, il y a un paquet d'articles qui sortent.
04:09 C'est difficile de faire la part des choses entre les théories conspirationnistes et les faits.
04:13 Mais ce qui nous aide, c'est qu'il y a plusieurs articles,
04:17 plusieurs sources internes qui étaient privées à l'époque,
04:20 qui ont été rendues publiques, puis qui nous aident à en savoir plus.
04:23 On avance l'hypothèse que c'est à Montréal
04:26 qu'il y a eu les pires expériences du MKUltra,
04:29 qui était quand même un programme international.
04:31 C'est ici qu'ils ont été les plus violents.
04:33 Ma soeur avait 19 ou 20 ans quand elle a été admise à l'Institut Allen Memorial.
04:43 Voici des photos de famille.
04:49 Ici, on la voit avant qu'elle tombe malade.
04:55 Elle souffrait de troubles d'anxiété et de concentration.
05:00 Elle performait très mal à l'école et elle avait un tempérament cœur et l'heure,
05:09 parfois incontrôlable.
05:12 Mes parents l'ont amenée voir leur médecin,
05:15 qui les a dirigées vers l'Institut Allen Memorial,
05:21 où pratiquait un médecin d'une grande notoriété.
05:25 La première fois qu'on lui a donné son congé,
05:30 elle est revenue à la maison et elle disait à ma mère,
05:32 « Tu n'es pas ma mère. Ne me dis pas quoi faire, tu n'es pas ma mère. »
05:35 Et bien sûr, je n'étais pas sa soeur.
05:38 Cela me rappelle de bien mauvais souvenirs.
05:42 Ils ont attaqué son cerveau, son âme en fait.
05:48 Ce sont nos souvenirs qui font de nous des humains.
05:55 Elle n'est plus qu'une âme vide.
06:00 Ma mère a été admise au Allen Memorial en 1957.
06:05 Elle souffrait de dépression post-partum après avoir perdu un enfant.
06:10 Elle a été traitée par le Dr. Ewan Cameron.
06:13 Il s'en est servi comme cobaye pour réaliser ses expériences psychiatriques.
06:18 On induisait chez elle un coma artificiel qui durait un mois chaque fois.
06:24 On lui administrait des doses massives de drogue, dont le LSD.
06:30 On lui administrait aussi des électrochocs.
06:34 Ma mère est devenue un véritable ermite
06:38 et elle n'exprimait plus aucune émotion.
06:44 Quand elle me déposait quelque part en voiture,
06:47 elle laissait les clignotants fonctionner.
06:50 Et quand je lui demandais pourquoi,
06:52 elle me répondait que c'était pour lui tenir compagnie.
06:55 Je me disais « Ouf, ça ne va pas bien du tout ».
06:59 En grandissant, j'en voulais à ma mère de sa manière d'être.
07:06 Je ne comprenais pas ses agissements,
07:09 qui provoquaient chez moi colère et embarras
07:14 parce que je ne les comprenais pas.
07:19 Lorsque je repense à la manière dont je l'ai traitée,
07:24 cela me fait très mal, vous comprenez.
07:28 C'est en 1974 que le New York Times a levé le voile sur le MKUtra.
07:33 14 ans plus tard, la CIA a dédommagé 9 victimes canadiennes.
07:37 Puis en 1992, le Canada a accepté de compenser les patients
07:41 à condition qu'ils aient été déstructurés,
07:44 c'est-à-dire qu'ils aient été ramenés à l'état de poupon,
07:47 puis on a nié toute responsabilité légale ou morale.
07:50 Finalement, seuls 80 des anciens patients du Dr Cameron
07:54 répondent aux critères de l'aide fédérale.
07:56 250 personnes voient leurs dossiers rejetés,
07:59 sans compter ceux et celles qui ignorent l'existence même du programme.
08:04 Mon père a écrit à un membre du Parlement et au gouvernement.
08:09 J'ai gardé toute sa correspondance depuis le premier jour,
08:13 ainsi que toutes les réponses des gouvernements ou autres instances.
08:17 On y prétendait que ma mère n'avait pas subi assez de traitements
08:20 pour être indemnisée.
08:23 Mon père a essayé pendant des années d'obtenir une indemnisation,
08:27 que lui a refusée le gouvernement.
08:30 Mon père était un vétéran canadien qui avait fait la guerre.
08:34 Il s'est battu pour le Canada et pour les Canadiens,
08:37 et il a été trahi.
08:41 Après son décès, à l'âge de 93 ans,
08:44 j'ai décidé de prendre la relève.
08:50 Depuis le régime d'aide aux personnes déstructurées,
08:53 il y a environ une dizaine d'ententes hors cours
08:55 qui ont été conclues avec le gouvernement fédéral.
08:58 On a accepté de donner 100 000 $ à quelques individus,
09:01 mais avec des clauses de non-divulgation.
09:04 Alison Steele fait partie de ces rares cas-là,
09:06 et même si le gouvernement a voulu faire ça discrètement
09:09 puis éviter que ça s'ébrute, c'est devenu public.
09:12 Et Alison, elle, est devenue un modèle pour beaucoup de familles.
09:16 Les médias s'en sont emparés,
09:20 et j'ai commencé à recevoir des tonnes d'appels de familles
09:24 dont un proche avait subi le même sort au Allen Memorial.
09:30 Après m'être informée, je me suis rendue compte
09:33 que leur histoire était absolument identique à la mienne.
09:38 L'une des membres de ces familles, Marilyn Rappaport,
09:42 s'est jointe à moi et à d'autres,
09:44 et nous avons décidé de former le groupe SAGA,
09:48 Alliance des survivants contre les abus gouvernementaux.
09:53 SAGA, c'est devenu un regroupement de familles
09:55 qui cherche à rendre justice à un ou une proche passée par le MKUltra.
09:59 Des dizaines de Canadiens,
10:01 menacés par une chapterie sombre dans l'histoire du pays,
10:03 sont venus de l'ombre aujourd'hui.
10:05 Plus de 60 personnes se préparent à lancer un discours classique
10:08 contre le gouvernement provincial et fédéral.
10:11 Bonjour.
10:12 Bonjour.
10:13 Comment allez-vous?
10:14 Bien.
10:15 Et vous?
10:16 Et nous?
10:17 Où allons-nous faire ça?
10:18 Ces dossiers sont énormes, vous savez.
10:20 Les recours collectifs, c'est énorme.
10:23 Je suis l'avocat qui représente environ 30 familles qui m'ont mandaté,
10:27 ainsi que Marilyn Rappaport,
10:29 qui représentera les requérants du recours.
10:33 Je poursuivrai sûrement le gouvernement canadien,
10:36 peut-être l'université McGill, l'Institut Allen,
10:40 et éventuellement le gouvernement du Québec.
10:44 Je viens juste de m'engager dans cette cause,
10:47 et j'y suis déjà plongée jusqu'au cou.
10:51 Puis plus ça avance, plus je me rends compte
10:54 que c'est notre dernière chance d'obtenir justice.
10:57 Si nous ne le tentons pas maintenant,
11:00 ce sera foutu pour la prochaine génération, c'est sûr.
11:04 Si toutes ces familles souhaitent le jugement du gouvernement,
11:07 ont-elles les moyens financiers pour le faire?
11:10 Beaucoup ne peuvent pas afforder de fonds pour une action classique.
11:14 Et donc, j'ai dû prendre le cas sur un sujet de contingence.
11:19 Vous avez un cœur très bon.
11:20 Merci beaucoup.
11:22 J'ai toujours été un grand défendeur de la justice,
11:25 et il me semble qu'elle a été refusée à ses familles.
11:28 À tort.
11:30 C'est une période très sombre de l'histoire du Canada,
11:34 celle où le Dr. Kamen s'est livré à ses expériences sur des patients.
11:40 Vous représentez une soixantaine de familles?
11:43 À peu près, oui.
11:46 Nous nous sommes penchés de nouveau sur le dossier
11:50 pour aider ces familles à obtenir justice.
11:54 Les membres de ces familles sont aussi des victimes.
11:57 Mes parents ont été victimes.
12:00 C'est Frank Snable, le victime.
12:03 Je suis Tom Snable, son fils.
12:06 J'ai complètement ressenti les effets.
12:08 Je suis née avec une mère qui a été très affectée.
12:13 On a pas de mère pour nous élever.
12:16 Elle était malade et était dans un état de malade tout le temps.
12:19 Avec un père malade, ce n'était pas très sain du tout.
12:22 Je suis né sans mère.
12:25 En fait, j'ai fini en soins de longue durée, dès le début.
12:30 C'est criminel et, bien entendu, immoral.
12:34 C'est un honneur pour moi de sensibiliser d'autres familles à la situation
12:40 pour qu'elles puissent aussi se faire entendre,
12:43 parce que c'est un dossier qui devrait passer à l'histoire.
12:47 Nous souhaitons seulement que justice soit faite.
12:50 Bien sûr, une indemnisation serait la bienvenue,
12:53 mais il faudrait aussi des excuses.
12:56 Donc, aujourd'hui, c'est la première rencontre entre Marilyn et les avocats.
13:13 C'est donc la première étape officielle de la poursuite.
13:19 Bonjour, Rose. Comment allez-vous?
13:22 Bien.
13:23 C'est très émouvant.
13:26 Et vous savez, c'est ici, c'est ici pour nous.
13:30 Et être ici aujourd'hui, encore une fois,
13:33 ça fait que tout devient plus réel.
13:37 Finalement, le recours collectif qui était envisagé,
13:40 s'est devenu une action en dommage et intérêt
13:42 intentée par Marilyn et Allison au nom des familles.
13:45 Elles poursuivent l'Hôpital Royal Victoria,
13:47 le Centre universitaire de santé McGill et le gouvernement canadien,
13:51 à qui elles reprochent d'avoir donné quatre bourses au Dr Cameron.
13:54 En sortant du palais de justice,
13:56 elles devraient enfin avoir une meilleure idée de la suite des choses,
13:59 mais on se doute bien que ça va être un long processus.
14:02 Alors, comment ça s'est passé?
14:04 Maître Stein considère que la rencontre préliminaire d'aujourd'hui s'est bien passée.
14:08 En gros, le juge lui a demandé de rassembler le dossier médical
14:12 de tous les patients concernés,
14:13 question de vraiment démontrer que chaque famille a connu des conséquences égales.
14:17 Parce que si elles poursuivent ensemble,
14:19 il faut prouver qu'elles ont eu les mêmes dommages.
14:21 La prochaine rencontre va avoir lieu dans deux mois,
14:24 ce qui veut dire que c'est pas mal une course contre la montre qui s'entame.
14:27 C'est vraiment important pour moi d'aller au bout de cette histoire-là,
14:34 parce qu'il y a des gens à qui on demande de rester silencieux depuis 60 ans,
14:38 parce qu'on ne veut pas parler de santé mentale,
14:40 parce qu'on ne veut pas parler de théories conspirationnistes,
14:43 parce qu'on ne veut pas parler de la CIA qui est venue jouer dans nos affaires,
14:47 ou qu'on ne veut pas parler des erreurs de McGill.
14:49 Mais ça donne que j'ai accès à des micros,
14:51 puis maintenant je vais aller le donner à peu importe qui a quelque chose à dire
14:56 et en ressent le besoin,
14:57 parce que si c'est une façon de trouver la guérison
15:00 ou de faire évoluer la conscience collective
15:02 sur le rapport qu'on a avec l'autorité médicale
15:05 ou le rapport qu'on a avec notre propre santé,
15:07 bien je pense que ça en vaut la peine.
15:10 Ma mère est rentrée au Allen Memorial.
15:18 Elle est rentrée pour un postpartum et a eu des chocs électriques,
15:23 l'insuline qui causait de la somnolence,
15:26 plus une série d'autres médicaments.
15:29 Oui, j'ai été victime du MK-Ultra.
15:32 Je crois que toute ma famille l'a été.
15:34 Il n'y a pas une personne qui est affectée, c'est tout mon entourage.
15:37 Puis pendant des années.
15:39 Vous venez juste d'obtenir le dossier médical de votre mère.
15:44 Vous l'avez reçu quand?
15:45 Le début septembre.
15:46 Ça fait combien de temps que vous l'attendiez?
15:48 Bien, toute notre vie, je pense.
15:52 Là qu'on sait ce qui s'est passé vraiment.
15:55 Est-ce qu'on peut le feuilleter?
15:57 Oui, ça c'est une copie.
15:59 Qu'est-ce que ça contient, un dossier médical?
16:01 Celui-ci contient des notes du Dr Cameron de l'admission.
16:06 Ça dit bien qu'elle a été...
16:08 Psychothèque, réaction, postpartum.
16:11 Donc l'objectif c'était de régler sa dépression postpartum.
16:14 Oui, mais ils ont commencé à y trouver plein d'autres diagnostics.
16:18 De la postpartum à la psychose avec des caractéristiques schizophréniques.
16:23 Je l'ai lu, je l'ai mis de côté, je l'ai remu,
16:29 puis j'ai pris des notes.
16:31 Puis là j'ai vécu beaucoup d'émotions.
16:34 J'ai été choqué.
16:36 Choqué à ce qu'ils ont fait.
16:38 Ça m'a fait comprendre beaucoup de choses sur comment moi j'ai été élevé.
16:44 Pourquoi moi je suis devenu comme la deuxième mère chez nous.
16:49 Donc le dossier médical il est important pour pouvoir poursuivre le gouvernement,
16:53 mais il est important pour vous aussi.
16:55 Oui, oui.
16:58 Avoir accès au dossier médical d'un proche, c'est un processus qui est super compliqué.
17:02 Puis il y a des familles qui essayent depuis plusieurs années d'obtenir les papiers officiels sans réussir.
17:07 Puis c'est notamment le cas de Gisèle Trudeau qu'on s'en va rencontrer.
17:11 Mon père s'est retrouvé là-bas parce qu'il travaillait pour une compagnie qui était anglophone.
17:17 Et il y avait un service médical.
17:20 Et apparemment c'est l'infirmière qui était là, qui l'a référé au Memorial.
17:26 Ce qu'on sait c'est qu'il y a eu des électrochocs.
17:28 Ce qu'on sait c'est qu'il y a eu des mélanges de médicaments.
17:31 Ce qu'on sait c'est qu'il a été hospitalisé.
17:33 Puis donc comment on peut faire pour avoir une confirmation de ce qui s'est passé?
17:38 Il faut avoir le dossier médical.
17:40 Le dossier médical c'est la clé.
17:42 Mais est-ce qu'on accepte de vous donner son dossier médical?
17:44 Pas du tout.
17:46 Quelle démarche vous avez fait jusqu'à maintenant pour essayer d'avoir le dossier de votre père?
17:50 J'ai écrit au CHUM, à l'hôpital Service des archives.
17:53 J'ai écrit à l'hôpital Douglas.
17:56 J'ai écrit au service juridique, au ministère de la Justice, au gouvernement canadien.
18:03 J'ai fait une demande à la commission d'accès à l'information.
18:07 J'ai fait appel à ma députée.
18:09 Je pense que j'ai frappé partout où je pouvais.
18:14 Je veux savoir qu'est-ce qui s'est passé.
18:16 Ça fait partie de ma vie de savoir d'où je viens.
18:19 Est-ce que je vais être comme lui?
18:21 Est-ce que je suis comme lui?
18:23 On s'entend que peu importe ce que le dossier indique,
18:27 que votre père soit passé au MQA ou pas, l'important pour vous c'est juste de le savoir.
18:32 Oui.
18:33 Et de le voir parce que je ne l'y crois plus après toutes ces démarches-là.
18:37 Après toutes ces demandes-là, je ne les crois plus.
18:40 Je n'ai plus confiance en eux.
18:42 J'aimerais voir le dossier.
18:44 Je comprends.
18:49 J'ai appelé la commission d'accès à l'information pour essayer d'orchestrer une entrevue au sujet des dossiers médicaux qui sont difficiles à obtenir.
18:56 Aujourd'hui, on m'a envoyé un courriel.
18:58 Bonjour, la commission d'accès à l'information est un tribunal administratif.
19:02 Nous ne pouvons pas commenter.
19:04 Bonne fin de journée.
19:06 Une fille s'essaye.
19:08 Qu'est-ce qui se passe avec les records médicaux?
19:10 Quelles sont les difficultés?
19:12 Ils limitent les dossiers médicaux aux anciens patients du Dr. Cameron, traités uniquement par lui.
19:20 Le problème, c'est que beaucoup de ces patients n'ont pas été traités seulement par le Dr. Cameron,
19:27 mais par d'autres médecins sous sa supervision et ses directives.
19:31 Et le fait que bien des dossiers soient incomplets nous a aussi causé des problèmes.
19:37 Beaucoup sont redactés d'il y a des années.
19:40 C'est vrai, beaucoup sont soit retirés, soit...
19:46 Beaucoup de records sont détruits.
19:48 Détruits.
19:49 Pourquoi?
19:50 Je ne sais pas.
19:52 Je ne peux pas répondre pour le Harlan Memorial ou le Service des Archives Médicales.
19:57 Peut-être à cause des poursuites, je ne sais pas.
19:59 Je ne veux pas déjà les accuser d'avoir détruit ces dossiers en raison des poursuites.
20:04 Je ne sais pas vraiment pourquoi.
20:07 Je vais envoyer un appel au team de PR de McGill,
20:10 car je voudrais savoir pourquoi il n'y a pas un seul mot sur les expériments de MQLTRA sur leur site.
20:18 Évidemment, il y a des lois qui protègent la confidentialité des dossiers médicaux.
20:24 Donc, pour comprendre qui a le droit de consulter quoi,
20:27 puis où se positionnent le gouvernement et McGill dans tout ça,
20:29 sur plusieurs mois, je l'ai appelé et écrit au Centre universitaire de santé,
20:33 à l'Université McGill, à la Commission d'accès à l'information,
20:36 à plusieurs pairs du gouvernement fédéral,
20:38 puis aux deux avocates qui les représentent, sans grand succès.
20:42 Bonjour, mon nom est Roselyne Auton-Témorin.
20:45 Je suis journaliste et je fais présentement un documentaire.
20:48 Je voulais savoir si c'était possible d'orchestrer une entrevue avec un représentant du Centre universitaire
20:53 pour discuter de ce qui se passe à McGill.
20:56 Est-ce que c'est possible de m'envoyer votre requête par courriel?
21:00 Je vais travailler là-dessus tout de suite.
21:02 Ah, c'est gentil.
21:03 Puis je vous pourrai envoyer une confirmation.
21:06 Parfait, alors je vous envoie le courriel rapidement et je me croise les doigts.
21:10 Fantastique.
21:11 Incluez toutes vos informations de contact et qui vous envoyez.
21:15 Bien sûr. Merci.
21:16 Merci.
21:17 De rien.
21:18 Vous ne l'entendrez jamais de retour.
21:23 Ça fait une semaine que j'ai contacté le département de la justice, le département de la santé,
21:28 l'université McGill et le bureau de Justin Trudeau.
21:31 Je suis toujours sans nouvelles, alors je relance tout le monde.
21:35 Des Montréalais ont été soumis à leur insu à des expériences de lavage de cerveau.
21:42 Monique Posé, c'est la députée bloquiste de Repentigny.
21:45 Puis c'est aussi, selon mes recherches, une des rares politiciennes à avoir récemment abordé le sujet du MKUltra.
21:50 Le 25 mai 2018, elle a interpellé les libéraux en leur demandant que le Canada présente ses excuses.
21:56 Puis aujourd'hui, elle accepte de nous rencontrer.
21:58 Il ne s'agit pas de science-fiction, mais bien d'événements s'étant déroulés au Allen Memorial entre 1957 et 1964.
22:07 Mme Posé, je l'ai connu à beaucoup, beaucoup de portes.
22:10 À date, vous êtes la seule élue qui est acceptée de me parler.
22:13 Donc, merci pour ça.
22:14 Je vous en prie.
22:15 Qu'est-ce qui vous a poussé à parler du MKUltra à la Chambre des communes?
22:19 Bien, c'est le courriel d'un citoyen m'expliquant qu'est-ce que c'était ce projet-là, MKUltra,
22:27 et que sa mère avait été victime de ce fameux docteur, le docteur Cameron.
22:32 Alors, je trouvais que c'était dans l'horreur, là, ça, qu'est-ce que c'est que cette histoire?
22:37 Alors, j'ai commencé à m'informer.
22:39 Ça s'est passé à Montréal, ça s'est passé au Canada, avec l'aide du gouvernement canadien,
22:45 en lien avec la CIA, où on a torturé des gens, là.
22:50 Alors, j'ai dit oui, je vais faire quelque chose.
22:52 Est-ce que le gouvernement va s'excuser publiquement et indemniser globalement des centaines de familles?
22:57 Puis, comment ont réagi vos collègues à la Chambre des communes?
23:00 Je vous dirais que dans la réaction du ministre, j'avais l'impression qu'il ne savait pas du tout de quoi je parlais.
23:06 Et après la période de questions, il y a des députés qui sont venus me voir en me disant,
23:11 « Mais de quoi parlais-tu? C'est quoi cette histoire-là? »
23:16 Donc, il y a beaucoup de gens encore qui ignorent ce qui s'est passé dans les années 50,
23:22 fin des années 50, début des années 60.
23:24 Donc, vous avez aussi écrit à Justin Trudeau, si je ne me trompe pas?
23:27 Oui, effectivement. Alors, j'ai posé une question aux Chambres, j'ai écrit à M. Trudeau, et je n'ai toujours pas de réponse.
23:33 Alors, est-ce qu'il y a une question de honte ou est-ce qu'il y a une question de peur?
23:38 Dans le sens que je me suis dit, si les citoyennes et les citoyens apprennent ça,
23:43 il y a des citoyens qui pourraient se poser des questions, à se dire,
23:46 « Y a-t-il encore quelque chose qui se fait de cet ordre-là en quelque part,
23:50 que ce soit à Montréal, à Toronto ou ailleurs au Canada? »
23:53 C'est incroyable, mais ça s'est fait.
23:56 Donc, il faut absolument que le gouvernement arrête dans le fond de faire des cachettes et tout ça,
24:02 qu'il soit transparent, puis ça va peut-être aider à ce que la population, à un moment donné,
24:06 soit moins cynique envers les élus.
24:09 Comment ça se fait que je n'étais pas au courant des expériences MQLTRA?
24:13 Comment ça se fait que le monde à qui j'en parle, on n'ont jamais entendu parler non plus?
24:17 Je ne sais pas. Je ne sais pas.
24:20 Bien des francophones ne savent pas que ça s'est produit,
24:25 mais ils sont nombreux à l'avoir aussi subi.
24:29 C'est peut-être une affaire de deux solitudes.
24:32 À l'époque, le Allen Memorial, c'était un hôpital majoritairement anglophone,
24:36 donc l'histoire a peu fait jaser dans le Québec français.
24:39 Puis je trouve ça super problématique, parce que ça veut dire qu'aujourd'hui encore,
24:43 il y a peut-être des familles francophones qui ne savent pas qu'un de leurs proches est passé par le MKLTRA.
24:48 On veut croire que le Canada est un endroit sûr,
24:54 mais il se passe bien des choses qu'on ignore.
25:00 [Musique]
25:05 On m'a conseillé de rencontrer Beverly Burke.
25:08 Elle ne fait pas partie de la poursuite, mais elle aurait déjà engagé des avocats pour poursuivre la CIA.
25:14 À ce qu'on me dit, elle ne se souvient de rien,
25:16 mais elle a des documents qui lui rappellent ce qu'elle a vécu.
25:20 Je ne sais pas quel genre d'entrevue ça peut donner.
25:26 [Musique]
25:30 - Vous vous souvenez de pourquoi vous avez commencé à travailler au Memorial Allen?
25:34 - Ma mère m'a dit que j'étais dépressif, et qu'ils pensaient que j'allais être une bonne victime.
25:39 C'est là que Dr. Cameron m'a emmenée.
25:43 - Son travail, sans précédent dans la psychiatrie,
25:47 consistait à trois domaines, dont il a appelé la thérapie du sommeil,
25:50 le conduit psychique et le dépatternage ultime.
25:54 - Au bout de tout ça, j'ai eu une lobotomie.
25:57 Vous savez ce que c'est? - Une lobotomie?
25:59 - Oui, j'ai eu une lobotomie, pour ne pas me souvenir de rien.
26:02 C'est un document qui m'a été envoyé pendant que j'étais à l'Allen.
26:06 - Je peux lire? - Bien sûr.
26:08 - Donc, vous avez été sous l'influence de l'LSD.
26:15 À de nombreuses occasions.
26:18 Vous avez aussi reçu des chocs électro-chocs de Paige Russell.
26:25 - Vous avez reçu des dépatternages. - Oui.
26:28 - Je suppose que vous n'avez pas consacré à tout ça?
26:34 - Non. Mes parents n'ont pas consacré à la lobotomie non plus.
26:40 C'était terminé, personne ne l'a consacré.
26:43 J'étais de l'âge et je n'ai pas consacré.
26:46 Mais c'était terminé.
26:48 Maintenant, mon souvenir n'est pas si mauvais, mais le passé,
26:51 je ne peux pas me souvenir du passé.
26:54 - Mais voulez-vous que vous saviez ce qui s'est passé à l'Allen?
26:58 C'est mieux de ne pas le faire? - Non, c'est mieux de ne pas le faire.
27:01 - C'est le Dr Cameron.
27:06 - Avez-vous jamais pu confier à vos médecins?
27:11 - Non, pas avec mes parents non plus.
27:14 Dans ces jours, le médecin était Dieu.
27:21 Mais après cette expérience, mes parents n'ont pas confié à mes médecins.
27:26 - Un homme énergétique et enigmatique.
27:29 Cameron était un psychiatre honorable et respecté,
27:33 mais il n'était pas universellement aimé.
27:35 Son collègue, le Dr Elliot Emmanuel.
27:38 - Il était un autoritaire,
27:41 impuissant,
27:43 envie de pouvoir,
27:45 nerveux,
27:48 tense,
27:49 en colère.
27:50 Un homme en colère.
27:51 - J'ai trouvé un article dans le journal canadien de psychiatrie
27:54 publié le 1er août 1961.
27:57 Ça porte sur les effets de certaines pratiques qui ont été commises
28:01 pendant le MKUltra.
28:03 Et c'est signé par Dr Ewen Cameron,
28:06 mais aussi Dr Lévy, Dr Thomas Ban et Dr Rubenstein.
28:10 Quatre hommes que j'aimerais vraiment beaucoup entendre sur ce qu'ils ont fait.
28:14 Cameron est mort.
28:16 Dr Lévy, Rubenstein, je ne sais pas où ils sont.
28:20 Par contre, il y a un Thomas Ban qui a publié un livre il y a quelques années.
28:24 Si c'est lui, le Thomas Ban en question, il n'est pas jeune.
28:28 Il y a de moins en moins de personnes qui peuvent nous donner leur juste.
28:32 Les survivants de cette histoire-là, les protagonistes principaux,
28:37 ils s'évaporent.
28:39 C'est confrontant l'idée d'entrer en communication avec cet homme-là
28:45 tandis que je rencontre un paquet de familles qui en ont souffert.
28:50 Pour rejoindre le plus grand nombre de familles possibles impliquées dans la poursuite,
28:54 j'ai fait une petite vidéo, un témoignage de trois minutes où j'ai l'air super à l'aise.
28:58 Puis, il a été partagé sur le groupe Facebook des familles.
29:02 Une des premières personnes qui a répondu, c'est Susan Lapp,
29:05 qui habite à Guelph, en Ontario.
29:07 On est donc aujourd'hui à Guelph, en Ontario.
29:10 J'ai appris ce qui était arrivé à ma mère grâce aux dossiers médicaux.
29:18 Je les ai demandés bien des fois à mes guilles,
29:20 et je suis parmi les chanceux qui ont fini par les obtenir
29:24 après un an et demi d'efforts acharnés.
29:27 Quand j'en ai pris connaissance, je n'en croyais pas mes yeux.
29:31 J'étais tellement bouleversée.
29:34 Je me disais, ils ne peuvent pas lui avoir fait ça.
29:37 Ce n'est pas possible.
29:39 En poursuivant, je me suis rendue compte qu'à leurs yeux,
29:43 ils avaient réussi à la déstructurer.
29:47 C'était écrit noir sur blanc.
29:49 Ils lui ont donc fait subir le pire.
29:51 Elle n'avait plus sa tête.
29:53 Ils ont tout effacé.
29:55 Je me suis toujours demandé ce qui n'allait pas avec moi
30:00 pour que je ne me rappelle rien de mon enfance.
30:03 Je me disais, ce n'est pas normal.
30:05 Pourquoi est-ce que je n'ai aucun souvenir de ma mère?
30:08 En lisant ces dossiers, j'ai pu revisiter mon enfance
30:14 et me rendre compte que c'est pour ça que je ne me souvenais pas de ma mère.
30:17 J'ai refoulé beaucoup de souvenirs
30:19 parce qu'elle passait son temps à partir et à revenir.
30:22 Que fait alors un enfant?
30:25 Il apprend à se détacher.
30:28 Je suis partie de la maison très jeune.
30:30 C'était très clair qu'à 18 ans, je m'en allais.
30:33 Je ne voulais plus être là.
30:35 À un moment donné, j'ai souffert d'une dépression.
30:38 J'ai trouvé d'autres moyens pour anesthésier, si on veut, la drogue.
30:43 Ça m'est venu. C'était le temps.
30:45 C'était à l'époque ce qui se passait.
30:48 Il s'est passé des choses que je ne pensais jamais, jamais que j'irais jusqu'à là.
30:53 Je pense que j'avais comme pu le louper vers la fin.
30:57 J'ai décidé de joindre mes efforts à ceux d'Allison et de Marilyn
31:03 parce que j'ai toujours voulu apprendre tout ce que je pouvais sur ma mère.
31:07 Et c'était là un moyen d'y arriver.
31:11 J'ai vu les atrocités qui lui ont fait subir.
31:13 S'il y a un côté positif à tout ça, c'est que j'ai appris des choses sur elle.
31:18 Si le MKUltra a volé l'âme de certains patients,
31:24 je pense qu'il a aussi volé une partie de la vie de leurs descendants et descendantes.
31:28 Toutes celles que je rencontre essayent de composer avec un vide
31:31 qui a un impact réel sur leur propre identité.
31:40 Pendant qu'on faisait notre entrevue ensemble,
31:43 Marilyn Rappaport m'a envoyé un email.
31:46 Je ne comprends pas, mais elle m'écrit qu'il était avec deux infirmières
31:51 qui travaillaient au Allen Memorial Institute dans les années 60.
31:55 Elle avait beaucoup de compassion pour les patients qui étaient traités à l'époque.
32:00 Elle m'invite à les contacter.
32:02 Bonjour, j'aimerais parler à Barbara, s'il vous plaît.
32:04 C'est moi.
32:07 Je crois que Marilyn Rappaport vous a parlé de moi.
32:10 On est justement dans le coin.
32:12 Je me demandais si je pouvais avoir l'audace de vous demander
32:16 si vous étiez prête à nous recevoir pendant quelques minutes aujourd'hui.
32:21 Je m'en vais voir Barbara, dont j'avais jamais entendu parler avant il y a une heure
32:28 et qui a été infirmière-stagiaire sous le Dr Cameron.
32:31 Je suis curieuse de parler. Je ne sais pas comment répondre.
32:36 Je sais que c'est elle qui a lâché la psychiatrie à cause de ce qu'elle a vu.
32:40 Bonjour, Barbara.
32:42 Bonjour, je suis Paul.
32:44 Je n'ai su que plus tard ce qui se passait vraiment.
32:47 On distribuait des médicaments, on s'occupait de nos patients.
32:53 On ne savait pas vraiment ce qui se passait.
32:56 Je pense qu'on voyait ce qu'il y avait d'injuste dans tout cela
33:00 et qu'on se disait qu'il y avait quelque chose de pas net dans cette façon de procéder.
33:04 Pourquoi donnait-on des somnifères à des gens qui de toute façon ne se réveillaient jamais en fait?
33:11 Je devais donner à certains patients des médicaments dont on ne trouvait nulle part le nom,
33:18 seulement des chiffres.
33:21 On me disait que les patients recevaient les traitements dont ils avaient besoin
33:26 et que je devais faire ce qu'on me disait sans poser de questions.
33:33 Nous étions très naïves.
33:35 Nous ne connaissions pas l'importance du soutien accordé par d'autres organismes, comme la CIA.
33:44 Nous avons appris tout cela il y a seulement quelques années.
33:48 Pensez-vous que les médecins et que Hugh et Cameron savaient d'où venait l'argent?
33:54 Je crois qu'ils l'ont fait, bien sûr.
33:57 Il n'était certainement pas une personne gentille.
34:01 Le docteur Cameron a quitté Montréal en 1964,
34:03 puis il est mort d'un arrêt cardiaque trois ans plus tard à l'âge de 65 ans pendant une randonnée en montagne.
34:09 Donc on ne saura pas s'il savait ou pas d'où venait l'argent.
34:12 Mais moi, ce que j'aimerais être capable de déterminer, c'est la nature de ses intentions.
34:17 Qu'est-ce qu'il voulait faire à ce monde-là? Il y a sûrement des gens qui le savent, ça.
34:21 Ces sont des temps qui sont le feu de l'esprit.
34:26 Les hommes y passent à travers leurs aventures.
34:29 Et c'est son esprit, sans doute, qui peut détruire l'humanité.
34:35 À ma grande surprise, hier, j'ai reçu un courriel de Thomas Barne, le psychiatre qui a travaillé avec le docteur Cameron au Allen Memorial.
34:44 Donc, il est vivant. Il a 92 ans, je l'ai appelé.
34:48 Bonjour, je suis Roselyne Morin, je suis la journaliste qui a essayé de trouver le secret de l'argent.
34:55 Je suis la journaliste qui a essayé de vous rencontrer.
34:58 Il a eu un problème de son écran.
35:01 Mettons que son audition a déjà été meilleure.
35:04 Donc, il m'a demandé d'entamer une correspondance par courriel.
35:07 Je lui ai envoyé deux premières questions et je viens juste de recevoir ses réponses.
35:13 Il me confirme qu'il a travaillé avec Ewan Cameron de juillet 1959 à juin 1960 en tant que son associé de recherche.
35:23 Je viens de lire rapidement sa réponse, mais ce qu'il en ressort, c'est qu'il veut mettre de l'avant
35:29 les volontés scientifiques derrière les événements.
35:31 Il avait des objectifs difficiles à comprendre pour quelqu'un qui n'est pas en recherche psychiatrique.
35:37 Donc, je pense que d'emblée, il veut se positionner comme un chercheur, ce qu'il était.
35:42 Maintenant, je veux mieux comprendre comment ces recherches-là ont pu mener aux témoignages qu'on recueille entre-temps.
35:49 En ce moment, on est à l'aéroport de Vancouver. On s'en va à Occonagan Falls rencontrer Jerry Jackson,
35:58 qui a été traité directement par Dr Cameron.
36:01 Elle a accepté de nous rencontrer, donc on s'en va découvrir sa version des faits.
36:05 C'est important de venir en Colombie-Britannique parce qu'il n'en reste pas tant des patients et des patientes encore vivants.
36:21 Jerry est dans ses 80. Elle a encore toute sa taille, donc elle peut nous donner une version des faits éclairée puis juste.
36:29 Jerry, elle, considère qu'elle a été une patiente d'un docteur dévoué, Dr Cameron, d'un homme bon.
36:35 C'est important de donner parole à cette version-là de l'histoire aussi.
36:39 Je suis Jerry Jackson et j'ai été traité au Island Memorial de 1960 à 1964.
36:50 J'ai eu trois enfants et j'ai fait une grave dépression après avoir accouché du dernier.
36:57 On parle maintenant de dépression postpartum, mais à l'époque, je ne sais pas quel terme on utilisait.
37:05 On te disait seulement que tu étais instable.
37:08 Mon mari m'a donc amené là-bas et après nous avoir interviewés, le Dr Cameron a dit qu'il me prendrait comme patiente privée.
37:17 J'ai reçu 31 traitements aux électrochocs durant cette courte période.
37:20 Tout était un traitement là-bas.
37:23 Personne ne nous disait jamais de quel traitement il s'agissait.
37:27 C'était juste un traitement.
37:30 Est-ce que vous avez l'impression que votre consentement a toujours été respecté au Island Memorial?
37:34 Je ne crois pas que j'avais donné mon consentement.
37:38 Je pense qu'ils ne me croyaient pas aptes à le faire.
37:44 Je pense qu'une fois là-bas, quand le Dr Cameron a dit qu'il m'acceptait comme patiente,
37:50 ça voulait dire que je devais me soumettre à ce qu'il jugeait bon.
37:55 Il s'est avéré que ce n'était pas nécessairement bon pour moi,
38:03 mais bien pour la CIA et les études qu'il publiait.
38:11 Et quel genre d'homme était Dr Cameron?
38:14 Un homme très paternel,
38:17 bienveillant,
38:20 qui vous tapotait la tête en vous disant que tout allait bien aller.
38:27 Je l'aimais bien.
38:31 C'était un vieux monsieur très gentil.
38:34 Tout fait pour le bien de la CIA.
38:40 Je crois que ceux qu'ils considèrent comme un monstre
38:44 pensent probablement aux traitements qu'on leur a fait subir là-bas.
38:48 Et lui en attribue le blâme,
38:51 plutôt que de penser aux problèmes que le Dr Cameron et son équipe médicale tentaient de régler.
38:56 Ils ne pensaient qu'à l'effet qu'avaient les traitements sur eux.
38:59 Alors c'est comme si lui, le Dr Cameron, personnifiait les traitements.
39:06 Si Geri fait partie de la poursuite, ce n'est pas pour elle.
39:09 En fait, c'est pour ses enfants.
39:11 Elle en a eu deux quand elle était traitée par Dr Cameron,
39:14 et elle est convaincue que ce sont les médicaments qu'elle prenait à l'époque
39:17 qui ont créé chez eux des troubles de dépendance,
39:19 dont ils ont eu beaucoup de difficultés à se défaire.
39:22 C'est une rencontre qui tombe quand même à un drôle de moment,
39:28 parce que ça fait plusieurs semaines que je suis en discussion
39:31 avec Dr Thomas Barne, le psychiatre qui travaillait avec Dr Cameron.
39:35 Au départ, pour moi, c'était clair, Dr Cameron, c'était un scientifique
39:39 qui n'avait que son pouvoir et sa réussite en tête.
39:44 Puis en discutant avec Thomas Barne, lui, il est comme, non, non, c'est un homme bon,
39:48 c'est quelqu'un qui avait une vision, puis surtout, qui s'inscrivait dans son époque.
39:51 Une époque où on testait beaucoup avec le LSD en psychiatrie,
39:54 puis une époque où le consentement, ce n'était pas une notion particulièrement importante.
39:59 Mais ce qui me chicote toujours, c'est le fait qu'il n'y a personne
40:04 en poste au gouvernement actuellement qui est capable de me parler de ces événements-là,
40:08 de me dire, c'est arrivé, on avait des responsabilités, on est désolés,
40:12 mais ça n'arrivera plus et voici pourquoi j'ai besoin que le gouvernement se prononce sur le MQI.
40:32 J'ai questionné beaucoup de personnes pour essayer de comprendre qui était Dr Cameron.
40:35 C'était donc la moindre des choses d'essayer de discuter avec un de ses enfants.
40:39 Son fils Duncan Cameron a accepté de me donner deux minutes.
40:43 Donc moi, j'étais curieuse de savoir, pour commencer, comment vous vous sentez
40:56 par rapport à la manière dont on se souvient de lui aujourd'hui.
41:00 Les choses que je pense qu'il se souviendraient de lui,
41:03 c'est qu'il était le premier directeur de l'Institut Al-Memoryl,
41:07 et qu'il a attiré des médecins pour des études de partout dans le monde.
41:13 Oui, donc il a contribué beaucoup à la psychiatrie, n'est-ce pas ?
41:18 Je pense que c'est vrai. Il était une personne très forte,
41:23 qui avait de fortes vues.
41:27 Mais vous croyez qu'il a fait quelques erreurs.
41:29 Oui, je crois que c'est vrai.
41:32 Son traitement de la schizophrénie n'a pas fonctionné.
41:37 Il aurait dû être arrêté.
41:41 Plus je fais de lectures, plus je danse avec des gens,
41:44 plus j'ai l'impression que les médias ont rapporté d'une façon monolithique l'enjeu.
41:49 Un scientifique fou, qui faisait une série d'expériences
41:55 sur une catégorie de personnes, pour un objectif de brainwashing pour la CIA.
42:00 Je me dis que si on a choisi cette version-là de l'histoire,
42:04 c'est peut-être parce que c'est la plus rassurante.
42:08 Si c'est la faute d'un seul homme et qu'il n'existe plus,
42:10 alors on est tous et toutes en sécurité.
42:13 En même temps, j'ai demandé à Thomas Bannes qui finance aujourd'hui
42:18 les expériences universitaires.
42:21 Il m'a répondu que les trois principales sources de financement sont
42:25 les gouvernements, l'industrie pharmaceutique et les fondations privées.
42:30 Ça, ça m'aide pas à dormir.
42:35 [Téléphone]
42:37 - Bonjour. - Bonjour, mon nom est Rosemey Auton-Témorin.
42:42 On a échangé quelques courriels.
42:45 - Tout ce qu'on a à dire sur cette question-là a été dans les courriels.
42:48 On ne va pas répondre à aucune autre question.
42:50 - Mais ce ne sont pas tant des questions sur le MKU-TRA
42:53 que sur les recherches menées aujourd'hui, en fait.
42:56 - Ah d'accord, alors vous pouvez poser des questions.
42:59 - Ok, super. Donc j'aimerais savoir, les recherches en psychiatrie
43:03 aujourd'hui qui sont menées chez vous, est-ce qu'il y en a qui sont
43:06 financées par le gouvernement? Puis est-ce que c'est une information
43:09 qui est publique? - C'est bon, Rosemey, je vais me renseigner.
43:13 Je vous reviendrai. - Super, merci beaucoup.
43:15 - Au revoir. - Au revoir.
43:17 - Le Centre de santé universitaire McGill répond toujours pas à ma question,
43:21 mais je continue de croire que c'est important de savoir en quoi
43:24 le consentement a changé si on veut s'assurer que le MKU-TRA
43:27 ne survienne pas à nouveau. Alors aujourd'hui, je m'en viens rencontrer
43:31 avec la psychiatre docteure Mona Gupta.
43:33 Est-ce qu'un projet comme le MKU-TRA pourrait avoir lieu aujourd'hui?
43:36 - Le projet MKU-TRA, exactement comme il se passait, je ne pense pas.
43:42 Mais si vous demandez si certains éléments de ce projet,
43:46 comme faire des recherches avec les patients atteints d'une trouble
43:49 de santé mentale, pourraient se passer, je dirais que oui.
43:52 Le nombre de consentements éclairés pour la participation dans la recherche
43:57 est très bien établi, est très bien ancré dans tous les processus
44:01 qu'on a actuellement pour surveiller la recherche.
44:04 - Puis est-ce qu'un gouvernement pourrait financer une recherche
44:07 en espérant obtenir un outil de contrôle?
44:10 - Est-ce qu'une instance gouvernementale peut financer dans une manière cachée
44:16 un projet de recherche mené dans un hôpital ailleurs?
44:20 Je ne pense pas que les normes de la recherche, les cas d'éthique de recherche
44:23 vont permettre ça.
44:26 Les gouvernements, même les organismes de financement,
44:28 n'arrivent pas avec un projet tout emballé qu'ils donnent aux chercheurs.
44:32 Ce qui est important, je pense, de rappeler, c'est que le Dr. Cameron,
44:36 il travaillait sur plusieurs théories pendant plusieurs années.
44:40 Donc, il avait déjà un intérêt sur un concept,
44:44 et ça correspondait avec les besoins et les intérêts du CIA aux États-Unis.
44:52 - C'est une période de changements énormes dans la psychiatrie.
44:57 Nous voyons une énorme demande pour le savoir concernant
45:03 les effets de stress sur les êtres humains.
45:06 - Dans tous les domaines de la recherche, dans tous les domaines de la vie,
45:10 il y aura toujours des situations où quelqu'un peut contourner les règles.
45:16 Je pense que notre responsabilité en termes de communauté académique,
45:21 en termes de communauté de recherche, mais aussi en termes de société,
45:23 c'est d'être sûr qu'on travaille constamment sur l'élaboration des normes,
45:27 sur la mise en application de ces normes, les normes aussi évoluent en soi,
45:33 et donc d'être au fait de comment notre façon de voir la recherche change,
45:37 et d'être sûr que la cade qu'on développe respecte les changements dans notre façon de penser.
45:43 - Il y a 60 ans, on ne parlait pas de santé mentale.
45:50 On pouvait parler du cancer ou du diabète,
45:53 mais on ne parlait jamais de santé mentale.
45:58 - Je sais que vous habitez avec votre fille.
46:01 Est-ce que c'est tout de votre dépression postpartum, du Adelema Rial, du MQ-Ultra?
46:06 - Quand elle a eu 21 ans, elle avait des problèmes,
46:10 et je lui écris une lettre où je lui racontais tout cela.
46:16 - Chère Heather, je veux que tu saches qu'il y a bien longtemps,
46:20 après la naissance de Kevin, j'ai eu une forte dépression,
46:24 et j'ai quitté Sainte-Ère, au Québec, pour Montréal,
46:27 à l'hôpital Allen Memorial, où j'ai demandé à être admise.
46:31 Les deux fois où j'étais enceinte, le Dr Cameron a voulu que je me fasse avorter,
46:37 mais j'ai refusé parce que je voulais t'avoir.
46:39 Quand j'étais sous traitement au Allen Memorial,
46:43 on m'a administré des électrochocs, de l'oxyde nitreux et du LSD.
46:46 Une fois, j'ai même voulu me suicider en avalant un flacon de pilules.
46:51 Tout ce que ça m'a donné, ça a été de prolonger mon séjour à l'hôpital,
46:56 et je n'ai rien accompli d'autre.
46:59 Tu as la plus grande opportunité de ta vie devant toi.
47:02 Saisis-la au passage. Nous t'aimons.
47:05 Nous voulons ce qu'il y a de mieux pour toi,
47:09 donc tu dois t'engager envers toi-même et réaliser ton plein potentiel.
47:13 Appelle quand tu voudras. Je t'aime, Maman.
47:17 C'est la première fois que je relis cette lettre depuis que j'ai 21 ans, et j'en ai 57.
47:24 Tu étais lucide.
47:26 Je pensais que je l'étais. J'ai l'air de savoir ce que je parlais.
47:35 Je ne sais pas si je l'avais ou pas, mais je pense que ça m'a aidée.
47:39 C'était la fondation de mon self-awareness,
47:44 mon capacité à regarder à l'intérieur et à trouver des choses,
47:49 à me demander.
47:52 Peut-être que quelque chose de bien vient de toutes les expériences à l'hôpital.
47:59 C'est quoi cette lettre-là?
48:04 C'est la lettre que j'ai écrite à mon père le 31 décembre,
48:09 suite à la réception de la dernière réponse du CHUM,
48:12 qui me dit qu'il n'y a rien dans le dossier.
48:15 J'ai voulu clore le dossier, si on peut dire,
48:19 en me disant que j'ai fait toute cette démarche-là pour te rendre une forme de justice.
48:24 Malheureusement, je n'ai pas le dossier.
48:28 Peut-être que je l'aurai un jour, ça répondra sûrement à des questions que j'ai.
48:33 Mais pour moi, c'était important de lui dire que
48:37 je lui pardonnais tout ce qu'il avait fait.
48:41 Je lui pardonnais le geste aussi de son décès,
48:45 parce que c'est lui qui l'a provoqué.
48:47 Et je pense qu'aujourd'hui, j'aurais besoin de lui dire « Regarde, c'est correct. Je ne t'en veux pas.
48:53 Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec,
48:55 mais je vais faire quelque chose de spécial avec cette lettre-là. »
49:00 Est-ce que vous avez l'impression qu'aujourd'hui, vous connaissez cette femme-là?
49:03 J'ai l'impression de connaître une version de ma mère que j'ai construite.
49:07 Je l'ai reconstituée.
49:10 Ça demeurera toujours un mystère.
49:16 C'est un conflit existentiel que je ne pourrai jamais régler, et je dois l'accepter.
49:22 J'ai fait tout ce que je pouvais.
49:24 J'ai vu toutes les photos que je pouvais.
49:29 Je veux garder les bons souvenirs de ma mère.
49:32 C'est émotif. C'est triste.
49:36 C'est vraiment triste, et c'est de l'abus à un point qu'on ne peut pas expliquer.
49:42 C'est triste, mais je veux garder les bons souvenirs.
49:46 Je me guéris avec mon art, la peinture.
49:51 Et j'ai créé une série intitulée « Filles heureuses ».
49:57 Ce sont des jeunes filles innocentes, heureuses, souriantes, qui m'apportent de la joie,
50:03 et en apportent à bien des gens qui les regardent aussi.
50:07 Et ça me rend heureuse.
50:10 Est-ce que vous avez l'impression que de combattre avec une soixantaine de familles,
50:16 ça vous donne une force plus grande?
50:19 C'est très gratifiant.
50:24 On saura au moins qu'on aura fait notre possible.
50:27 Et on est entré en contact.
50:30 On peut partager notre souffrance,
50:33 et on peut reconnaître que d'autres personnes ont subi le même sort.
50:37 Tout d'un coup, je n'allais plus être seule.
50:42 J'avais une communauté de gens qui allaient me comprendre
50:45 et savoir ce que j'ai vécu, ce que je vis encore.
50:49 Qu'est-ce que vous espérez retirer de la poursuite?
50:53 La validation.
50:54 Pour être validée.
50:56 Cela s'est passé à eux, et c'était faux.
51:00 D'avoir une excuse pour avoir fait ça.
51:03 Je pense que notre mère serait très contente de savoir qu'on fait ça.
51:08 Ça fait maintenant deux ans que je suis les familles dans leur démarche judiciaire.
51:14 Et elles en sont encore à un état préliminaire.
51:17 En fait, elles attendent présentement de connaître la date de leur prochaine audience à la Cour supérieure.
51:22 Je me dis qu'au moins en attendant, les langues se délient.
51:24 Ce qui avait commencé comme un documentaire sur le MKUltra
51:27 en est devenu un sur la santé mentale,
51:30 sur l'importance de se défaire des tabous
51:33 pour pouvoir parler de nos souffrances, de celles de nos proches,
51:36 et se réapproprier notre histoire.
51:38 Ce que je trouve paradoxal, c'est que pendant que plusieurs familles ont brisé le silence,
51:43 nous, on s'est buté à celui de politiciens et d'institutions.
51:48 Ce qui me laisse croire que tout n'a pas encore été dit dans cette histoire.
51:52 [Musique]
52:22 [Générique]

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