• il y a 11 mois

Philippe Goetzmann, spécialiste de la grande distribution, répond aux questions d'Alexandre Le Mer. Face à la mobilisation des agriculteurs, il estime que l'on se trompe de cible en considérant que la grande distribution est responsable de la crise agricole.
Retrouvez "L'invité éco" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linterview-eco

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Transcription
00:00 - Europe 1, il est 6h42.
00:02 - La colère des agriculteurs ne retombe pas, vous l'avez entendu dans le journal, ils tentent de se rapprocher de Paris.
00:08 Alors cette crise, elle a remis sous les projecteurs les reproches des agriculteurs à la grande distribution,
00:13 qu'ils accusent de faire trop de marche sur leur dos sans rémunérer leur travail à sa juste valeur.
00:19 On en parle ce matin sur Europe 1.
00:20 - Avec votre invité, Alexandre, c'est Philippe Gutzmann, expert de la grande distribution.
00:25 - Bonjour Philippe Gutzmann.
00:26 - Oui bonjour.
00:27 - Vous avez une conviction que vous voulez partager ce matin sur Europe 1,
00:31 c'est que lorsque les agriculteurs pointent la grande distribution,
00:35 eh bien ils se trompent de cible.
00:36 Pour quelle raison ?
00:37 - Oui, ils se trompent largement de cible.
00:39 Alors je ne veux pas exonérer la grande distribution d'un certain nombre de responsabilités
00:43 et de choix qu'elle pourrait faire pour aider l'agriculture, bien sûr.
00:47 Mais le cœur du sujet n'est pas là.
00:48 D'ailleurs, si c'était la grande distribution avec le système français, le non-respect des galimes,
00:54 enfin tout ce qu'on entend depuis quelques jours, on aurait une crise agricole qu'en France.
00:59 Or, il y a d'autres pays en Europe qui ont des problèmes similaires.
01:03 Le cœur du problème, en fait, c'est que les prix à la consommation de l'alimentation en France
01:10 sont en moyenne plus élevés que chez nos voisins
01:13 et assez nettement plus élevés que la moyenne européenne.
01:16 C'est ce que nous dit l'Institut européen de statistique Eurostat.
01:20 Et malgré cela, les marges, la rentabilité des entreprises de grande distribution
01:27 est plutôt inférieure quand on regarde les bilans aux collègues de la grande distribution
01:31 des autres pays autour de nous.
01:33 Et il semble que ce soit à peu près pareil sur la production industrielle.
01:36 Donc en fait, au bout, on a un problème de coût.
01:38 - Oui, alors en tout cas, Philippe Gutsmann,
01:40 vous avez vu notre sondage CSA pour Europe 1, CNews et le JDD,
01:44 il y a ce chiffre qui vient peut-être en appui de ce que vous nous dites,
01:48 à la question de savoir qui est responsable de cette crise agricole.
01:52 Eh bien 39% des personnes interrogées répondent l'Europe
01:57 devant la grande distribution, pour seulement 32% d'entre elles, Philippe Gutsmann.
02:01 - Oui, alors il y a l'Europe, effectivement.
02:04 Alors on a aussi un grand talent en France de pointer l'Europe dès qu'il y a un problème.
02:08 Moi j'ai envie de dire, l'Europe c'est nous.
02:10 C'est nous qui la faisons.
02:11 On en fait partie.
02:13 Et si l'Europe était un problème, c'est sans doute parce que
02:15 la France ne pèse peut-être pas assez en Europe.
02:17 Aujourd'hui, où justement, moi je crois qu'on a une trop grande tendance
02:22 à légiférer en France par peut-être manque d'influence en Europe.
02:27 Et il y a bien sûr l'Europe, d'où le soulèvement de tous les agriculteurs en Europe,
02:30 mais il y a des problèmes qui sont propres à la France à l'intérieur de l'Europe.
02:34 C'est ce qui fait que les politiques européennes ne suivent pas
02:36 celles que nous voudrions mettre en place en France.
02:39 - La Confédération paysanne appelle ce matin à bloquer les marchés de gros,
02:43 donc RINGIS, mais aussi tous les autres, ainsi que les centrales d'achat.
02:46 C'est là, dit-elle, que s'exerce la pression sur les prix.
02:50 Alors là aussi, elle se trompe de cible pour vous, la Confédération paysanne.
02:53 - Encore une fois, je peux comprendre ce mouvement-là,
02:57 mais à partir du moment où les prix à la consommation
03:00 sont aujourd'hui plutôt plus élevés, voire sur certaines productions
03:04 nettement plus élevées que chez nos voisins,
03:06 et que les distributeurs ne font pas plus de marge,
03:09 ça veut bien dire que le problème, il est en amont, il est sur les coûts.
03:13 Moi je comprends tout à fait le discours agricole qui consiste à dire
03:16 "Nous voulons toucher une juste rémunération de notre travail".
03:19 Mais la rémunération, en l'occurrence, c'est la différence
03:23 entre les prix de vente et les coûts de production.
03:27 Aujourd'hui, vu l'état des coûts de production en France,
03:29 c'est normal que les agriculteurs souhaitent que les prix soient plus élevés.
03:33 Le problème, c'est que les coûts de production sont aujourd'hui en France trop chers,
03:36 pour des raisons diverses, mais notamment,
03:40 et c'est ce que je pointe fortement, le poids fiscal, social et normatif,
03:46 fiscal et social pour des raisons simples.
03:48 Nous sommes sur une filière de la fourchette à la fourche
03:51 qui utilise énormément de main d'œuvre, et qui utilise beaucoup de fonciers.
03:56 Or, notre système fiscal et social taxent notamment ça.
03:59 Et donc on a complètement dérivé sur les coûts depuis 20 ans par rapport à nos voisins.
04:03 Le surcoût du travail par rapport aux Pays-Bas, par exemple,
04:06 il est de 45% par rapport à l'Espagne, il est de l'ordre de 30%.
04:09 Ça donne des fruits et légumes extrêmement chers.
04:11 - D'accord, mais les coûts de production, Philippe Götzmann,
04:15 c'est un côté de la tenaille, l'autre côté,
04:18 on a les négociations commerciales qui arrivent à leur terme
04:20 entre les producteurs et les distributeurs.
04:22 On voit bien dans le rapport de force que les agriculteurs ne luttent pas à armes égales.
04:26 Hier matin, on entendait ici même le président de la coopération Laitière
04:29 nous donner le résultat des négociations sur le prix du lait,
04:32 il demandait +2 à +4%, en face, on leur impose au contraire des baisses de prix.
04:36 C'est ça aussi le problème.
04:39 - Évidemment qu'il y a un rapport de force dans la négociation.
04:43 Je rappelle cependant que les distributeurs ne négocient pas avec les agriculteurs,
04:47 ils négocient avec des industriels.
04:48 - Avec des industriels, oui.
04:50 - Mais il n'empêche que les prix au bout sont en France plus élevés qu'ailleurs
04:56 et les marges des distributeurs ne le sont pas.
04:58 On pourrait espérer que les marges des distributeurs soient plus faibles,
05:01 enfin globalement on est à moins de 2% de marge nette.
05:03 Mais on a, encore une fois, j'insiste, un problème de coût.
05:07 Le sujet c'est d'arriver à baisser les coûts de production.
05:10 Je ne suis pas le seul à le dire.
05:12 Vous parlez de la coopération, la coopération agricole a sorti il y a un an
05:16 un rapport sur la compétitivité.
05:18 Le Sénat, l'année dernière, a également sorti un rapport
05:22 qui pointe les problèmes de compétitivité.
05:24 Et si on avait un problème qu'au niveau de la distribution française,
05:27 nous n'aurions donc pas de problème à l'export.
05:30 Notre problème c'est que nous perdons des parts de marché à l'export
05:33 et nous avons de plus en plus d'importations
05:36 parce que nos concurrents, j'insiste, européens,
05:39 évidemment on parle souvent du Brésil, de l'Ukraine, etc.
05:42 Mais nos concurrents européens,
05:44 donc dans la même monnaie, dans la même politique européenne,
05:48 sont plus compétitifs que nous.
05:50 On a un problème chez nous, c'est ça qu'il faut se dire.
05:52 - En tout cas, un signe d'espoir,
05:54 et c'est un autre chiffre de notre sondage CSA
05:56 que je rappelle ce matin, sondage CSA pour Europe 1,
05:59 au moment de faire leur course alimentaire,
06:01 le premier critère d'achat des consommateurs
06:03 c'est l'origine des produits.
06:05 Pour 51% des Français, ça veut dire qu'ils sont prêts à payer un peu plus cher
06:08 pour avoir des produits français et non importés.
06:11 Merci Philippe Gotsman, expert de la grande distribution,
06:14 ce matin sur Europe 1. Merci à vous.

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