Sonia Mabrouk reçoit Alain Finkielkraut, philosophe et écrivain dans #LeGrandRDV, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos.
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00:00 Bonjour à tous et bienvenue à vous au grand rendez-vous européen CNews Les Echos.
00:07 Bonjour Alain Finkielkraut.
00:09 Bonjour.
00:10 Merci de votre présence et votre grand rendez-vous ce dimanche.
00:13 Nous allons parler ensemble de sujets majeurs qui vous tiennent à cœur comme l'école,
00:17 bien sûr l'avenir de l'école, la grève des enseignants et une ministre qui enchaîne les polémiques et les déconvenues.
00:23 Au programme aussi Alain Finkielkraut, la culture.
00:26 Rachida Dati détaille dans le journal du dimanche sa feuille de route et ses ambitions.
00:30 Qu'en attendez-vous de votre côté ?
00:32 Si vous en attendez quelque chose, vous nous le direz.
00:35 Et puis on évoquera aussi la cérémonie qui se prépare en hommage aux victimes du Hamas.
00:39 Cérémonie où la présence de la France insoumise n'est pas souhaitée par ses propres familles.
00:45 Et puis nous plongerons aussi avec gourmandise dans votre dernier ouvrage.
00:48 Nouvel essai paru chez Gallimard.
00:50 Pêcheurs de perles, des perles qui sont autant de citations qui vous ont nourries.
00:55 Les perles de Tocqueville, Hannah Arendt, Milan Kundera ou encore Charles de Gaulle.
00:59 Et pour vous interroger sur tous ces sujets, je suis entourée de mes camarades.
01:03 Nicolas Barret les échos. Bonjour à vous Nicolas.
01:05 Bonjour Sonia.
01:06 Et Mathieu Bocoté. Bonjour Mathieu.
01:08 Bonjour.
01:09 Alain Finkielkraut, tout d'abord à la une du journal du dimanche, la nouvelle ministre de la culture, Rachida Dati.
01:14 Elle affiche ses ambitions, elle veut, dit-elle, plus de pluralisme dans le service public.
01:20 Alors allez, mais tout d'abord, peut-être sur sa personnalité, la nomination de Rachida Dati.
01:25 On l'a décrit comme une battante qui n'a pas froid aux yeux.
01:28 Que vous inspire-t-elle ?
01:30 Écoutez, il y a longtemps que le poste de ministre de la culture n'est pas confié à un ami ou une amie des arts, des lettres et de la philosophie.
01:48 Nous sommes très loin d'André Malraux et je ne sais pas grand-chose de Rachida Dati.
01:58 Ce que je sais, c'est qu'elle est pour le gouvernement avant tout une prise de guerre.
02:05 Avoir une ministre importante venue du camp des Républicains pour affaiblir ce camp.
02:17 C'est un calcul qui a sa légitimité, mais cela n'a strictement rien à voir avec la culture.
02:24 J'ajoute que Rachida Dati, à peine nommée, a dit qu'elle serait candidate à la mairie de Paris, contre Anne Hidalgo vraisemblablement.
02:34 Ce qui veut dire que c'est un petit intermède dans son existence que ces ministères qu'elle n'a jamais prévu d'occuper.
02:45 Elle le réfute, Alain Finkielkraut, mais on entend ce que vous dites par ailleurs quand vous dites "très éloignée de Malraux".
02:52 Elle a répondu à cela en disant qu'une partie de la gauche lui dit cela, que ce serait une forme de mépris de classe à son endroit et à son encontre.
03:00 Ecoutez, ce n'est pas la question du mépris de classe. Tout ça est absurde.
03:08 Je pense d'ailleurs qu'elle n'est pas la première à s'éloigner de Malraux. L'éloignement a commencé avec Jacqueline Land, ministre de la culture.
03:18 Flamboyant, mais grâce auquel ou à cause duquel la culture a commencé à sombrer dans le tout culturel et à s'adjoindre à la mode et à d'autres activités.
03:30 Donc je ne fais aucun reproche spécifique à Rachida Dati. Je ferais plutôt même le reproche à Emmanuel Macron ou à Gabriel Attal, puisqu'il a constitué ce gouvernement.
03:46 Cette nomination prouve, si besoin est, que la culture n'est pas le premier de leurs soucis.
03:55 De toute façon, je le dis, ceux qui ont le souci de la culture n'en ont rien à faire depuis longtemps.
04:05 Ils n'ont rien à faire depuis longtemps du ministère de la culture.
04:09 Alors, déclaration forte de Rachida Dati ce matin dans le journal du dimanche, elle dit "le service public doit respecter toutes les opinions".
04:16 Est-ce à dire que le service public pour l'instant ne les respecte pas ?
04:20 Je participe depuis longtemps au service public, puisque j'ai une émission à France Culture depuis 1985.
04:29 Rendez-vous compte, je suis un animal médiatique préhistorique.
04:35 Et vous vous fâchez d'une grande liberté de s'intégrer.
04:37 Cela m'impose un devoir de réserve.
04:40 Il est une époque où la directrice de France Inter avait dit qu'elle dirigeait une radio progressiste.
04:52 Ce n'est pas tout à fait respecter le pluralisme.
05:00 Les choses, me semble-t-il, se sont améliorées depuis.
05:03 Je ne dirais pas cela forcément pour la télévision. Delphine Ernotte disant qu'il fallait en finir avec le règne des mâles blancs depuis de plus de 50 ans.
05:15 Inaugurant son règne à France Télévision en évincant David Pujadas, qui est un très bon journaliste, au profit d'Anne-Sophie Lapix, sous prétexte que c'est une femme.
05:27 Ce sont des données dans cette espèce d'obsession de la représentativité, de la diversité, qui ne devrait pas figurer dans le cahier des charges du service public.
05:44 Vous dites que la culture ne semble pas être une priorité de nos gouvernants avec cette nomination de Rachida Dati.
05:51 Ce serait quoi, selon vous, la priorité en matière culturelle ?
05:55 - Écoutez, vous savez comment s'appelait le ministère de l'Education nationale, il y a longtemps déjà ?
06:01 Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.
06:05 Moi, j'aimerais bien un ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.
06:09 C'est quand même mieux qu'un ministère de l'Education nationale et des Jeux olympiques.
06:13 Quand le ministère de l'Instruction publique a changé de nom pour être ministère de l'Education nationale, il avait en charge les Beaux-Arts, la rue de Valois.
06:26 Et Jean Zay, ministre de l'Education nationale, avait dans son bureau, ministre de l'Education nationale du Front populaire de la gauche, des tableaux magnifiques de bon art.
06:35 Parce qu'il adorait se peindre. Mais c'est à cet état d'esprit-là que j'aimerais que l'on revienne.
06:43 - L'appellation et à la fois l'esprit et l'état d'esprit. On a compris qu'elle serait peut-être l'action la plus symbolique pour vous, Alain Ficulcrot, à la culture.
06:53 Et il y a ce mot qui est répété par la nouvelle ministre, ça doit vous parler, où vous interpellez "la culture pour tous".
06:59 Qu'est-ce que ça veut dire, la culture pour tous ?
07:01 - Ça, de toute façon, c'est un mot d'ordre qu'on entend depuis toujours, la culture pour tous.
07:08 Mais la culture pour tous, comment et pourquoi ?
07:10 La culture pour tous, bien sûr, il n'y a pas de raison de réserver la culture à une petite partie de la population.
07:19 Ce que je constate, c'est qu'il faudrait remettre la culture au cœur des préoccupations de l'élite.
07:26 Parce que la nouvelle élite, l'élite post-bourgeoise, n'en a rien à faire de la culture.
07:32 Il y a eu une époque en France où existait une classe cultivée.
07:37 Cette époque n'existe plus.
07:40 Nicolas Gomez Davila, un magnifique penseur colombien, a dit "la seule chose qui distingue aujourd'hui les riches des pauvres, c'est l'argent".
07:48 France très profonde. Donc oui, la culture pour tous, notamment pour les privilégiés qui forment la Jet-7 et qui n'en ont plus rien à faire.
07:58 Mais alors à ce moment-là, il faut remettre la culture d'abord au cœur de la transmission.
08:03 - Mais avec un certain discernement sur ce que veut dire la culture dans la défaite de la pensée 1987, si je ne me trompe pas,
08:08 vous avez un passage où vous critiquiez ceux qui disent "une paire de bottes vaut Shakespeare".
08:12 À certains égards, aujourd'hui, on a radicalisé cette espèce de confusion générale.
08:17 - Oui, c'est-à-dire que les populistes russes du 19e siècle disaient "une paire de bottes vaut mieux que Shakespeare".
08:26 C'est-à-dire, oui, il vaut mieux sortir les gens de la misère. C'était ça l'idée.
08:31 Et on en est arrivé, effectivement, à une sorte de nihilisme souriant où "une paire de bottes vaut Shakespeare".
08:38 C'est-à-dire que nous sommes entrés dans l'ère du "tout est égal" sous l'impulsion, justement, de l'idée d'égalité.
08:46 Tocqueville a très bien montré que la démocratie n'était pas simplement un régime qui fallait protéger,
08:52 mais un processus qui était comme les eaux du déluge, qui ne laissait rien debout,
08:57 qui s'emparait de tous les secteurs de l'existence.
09:00 Et à partir de là, les critères, les valeurs, les hiérarchies sont remises en cause.
09:06 Et même le président de la République a dit que la culture, ce n'est pas "Jono pour les uns" ou "Ajam pour les autres".
09:16 C'est "Jono et Ajam pour tout le monde".
09:19 C'est un peu ça l'idée qui règne.
09:22 Un nihilisme qui n'est pas celui du "tout est permis", mais celui du "tout est égal".
09:27 Et effectivement, aujourd'hui, la gauche, la droite, le centre cèdent les uns et les autres à ce nihilisme souriant
09:37 au nom de la lutte contre les discriminations.
09:41 - Rachida Dati, encore une question sur elle, et puis on élargira le sujet à l'Infique le Crote,
09:47 à l'école, à la transmission, très importante.
09:49 Mais il y a un symbole, elle a choisi de présenter ses voeux il y a quelques jours au musée de l'immigration.
09:54 Qu'est-ce que vous pensez de ce choix et que dit-il de la manière avec laquelle...
09:57 - Le choix de quoi ?
09:58 - De l'immigration, le musée national de l'immigration, elle y a présenté ses voeux.
10:02 Que dit ce choix de la suite, de la manière avec laquelle elle va imprimer sa marque dans le ministère de la culture ? C'est important ?
10:10 - C'est important si l'on veut dire par là que les immigrés ont la chance, non pas de s'assimiler,
10:26 mais de pouvoir assimiler la culture française.
10:31 Et que cette chance, il importe de leur donner les moyens de la saisir.
10:38 S'il s'agit simplement de flatter une certaine catégorie de la population victime des discriminations,
10:47 alors nous entrons dans le cadre de l'antiracisme démagogique et idéologique qui domine notre société aujourd'hui.
10:59 Et là c'est dommage.
11:01 - Très important parce que dans quelques instants on va marquer une pause et parler de Sylvain Tesson.
11:05 Vous venez à sa défense après la charge dont il a été victime, une courte pause.
11:09 Et puis l'école, la transmission.
11:11 Vous avez dit Alain Finkielkraut qu'il n'a jamais été aussi dangereux que de transmettre dans notre pays.
11:15 Vous vous expliquerez tout de suite.
11:17 La suite du Grand Rendez-vous avec notre invité Alain Finkielkraut, essayiste, philosophe, auteur de "Pêcheur de perles" dont on va parler.
11:28 Mais tout d'abord la première question de cette deuxième partie vous est posée par Mathieu Boccoté.
11:32 - Alors depuis quelques semaines, Sylvain Tesson est la cible d'une attaque assez vive pour le chasser de la présidence du printemps des poètes.
11:42 Que vous inspire cette charge d'autant que la pétition était signée par de nombreux libraires aussi.
11:47 - Oui alors, jadis Sénaguerre, les poètes étaient surveillés, censurés, pourchassés, voire persécutés par l'appareil d'État.
12:02 Aujourd'hui, ce sont des poètes qui font le travail.
12:08 Ce sont des poètes, ça c'est quand même une grande surprise.
12:11 Ils étaient 600 au départ, ils sont bientôt 2000.
12:17 Premier constat donc, sur le cadavre de la poésie, les poètes pullulent.
12:22 Deuxièmement, nous vivons sous un régime illibéral, c'est indéniable.
12:28 Mais nous entrons dans une société de plus en plus illibérale.
12:34 C'est de la société que viennent les mouvements d'annulation, cancel culture et de censure.
12:42 Il y a des libraires aussi qui, comme vous l'avez dit, ont signé cette pétition.
12:48 Des libraires, il faut le dire tout de suite, très minoritaires.
12:51 Mais des libraires qui se considèrent en quelque sorte comme les gardiens du dogme
12:57 et qui ne font pas le métier qu'ils exercent,
13:04 par amour de la littérature, mais pour diffuser la bonne parole et pour empêcher la mauvaise.
13:11 Encore une fois, ils sont minoritaires, mais ça n'en reste pas moins inquiétant.
13:16 Sylvain Tesson est qualifié d'icône réactionnaire.
13:21 Parmi ses délits, voire ses crimes, il a préfacé un livre de Jean Raspail.
13:30 Pas le Candessin, mais Jean Raspail est associé au Candessin.
13:34 Une dystopie racontant une invasion migratoire.
13:38 Et là est le danger pour, effectivement, ces pétitionnaires,
13:44 le danger, en effet, d'une fermeture des frontières.
13:50 Et cette fermeture des frontières, ce contrôle des flux migratoires
13:56 est assimilé par eux à une posture quasi fasciste.
14:02 C'est le commencement de l'exclusion, et disent-ils, on sait où ça mène.
14:09 Donc voilà qui extrême-droitise Sylvain Tesson.
14:14 Et ces poètes s'adossent à la mémoire du XXe siècle pour penser ainsi.
14:20 Et c'est très intéressant parce que si on regarde cette histoire,
14:25 et notamment le nazisme,
14:28 quel est le constat qu'on est amené à faire,
14:31 notamment avec Raymond Aron dans ses chroniques de guerre ?
14:36 L'enjeu de la Deuxième Guerre mondiale, dit Raymond Aron,
14:41 c'était nation libre ou empire tyrannique.
14:45 Ce n'était donc pas une sorte d'explosion de nationalisme.
14:49 Et donc la guerre hitlérienne était menée,
14:54 la guerre imposée par Hitler, l'enjeu de cette guerre,
14:57 c'était justement "Vive la Pologne, vive la Hollande, vive la France",
15:03 contre l'envahisseur.
15:05 Donc voilà notre situation.
15:08 On craignait par-dessus tout le racisme.
15:13 On craignait aussi l'oubli.
15:16 Or, nous vivons sous le joug d'un antiracisme dévoyé
15:21 et d'une mémoire totalement fallacieuse,
15:24 et Sylvain Tesson en fait les frais.
15:27 J'ajoute qu'on le présente comme un chantre dans l'enracinement,
15:31 lui, qui est un voyageur, un vagabond,
15:34 un homme aux semelles de vent.
15:36 Tout cela est lamentable.
15:37 Ce n'est pas le premier paradoxe de ces signataires,
15:40 qui sont 2000 de mémoire.
15:42 Vous dites que c'est minoritaire.
15:44 Mais comment faire aujourd'hui, Alain ?
15:46 Je dis parmi les libraires.
15:47 Bien sûr.
15:48 Mais comment faire aujourd'hui pour résister ?
15:50 C'est-à-dire que tout le monde, finalement,
15:52 un écrivain, un philosophe, un essayiste,
15:54 peut être la cible aujourd'hui de ces pétitionnaires pavloviens,
15:58 de ces polémiques, se retrouvent aujourd'hui.
16:00 Il faut le dire, aujourd'hui, quand vous tapez le nom de Sylvain Tesson
16:03 dans un moteur de recherche,
16:05 ce qui revient le plus souvent, c'est cette polémique-là.
16:08 Voilà aussi comment on entache,
16:10 on salit, si je puis dire, on assombrit une image.
16:13 Comment résister, selon vous ?
16:15 Est-ce qu'il faut ne pas tenir compte de cela ?
16:18 Est-ce qu'il faut, au contraire, porter le fer contre les pétitionnaires ?
16:22 Je ne sais pas.
16:23 Si on a la capacité d'indifférence,
16:26 on peut dire "les chiens à bois, la caravane passe",
16:29 sinon, effectivement, il faut répondre,
16:32 il faut porter le fer.
16:33 Cela dépend des tempéraments.
16:35 On peut quand même prendre acte du fait
16:39 que cette tribune a suscité un dégoût,
16:44 sinon unanime, du moins très répandu.
16:47 J'en veux pour preuve la réaction de l'écrivain Nicolas Mathieu.
16:54 Il est tout à fait à gauche.
16:57 Il est un admirateur et même un disciple, dit-il, d'Agnès Ernaud.
17:02 Mais il a dit "on ne peut pas se conduire ainsi".
17:05 Donc, tout n'est pas perdu.
17:07 Il y a quand même des cordes de rappel dans la société.
17:09 Sans oublier le gouvernement, la ministre de la Culture,
17:12 d'autres membres du gouvernement.
17:14 Le gouvernement, aux yeux des pétitionnaires,
17:17 et aux yeux d'une certaine gauche,
17:20 évidemment, ça aggrave son cas.
17:23 Ça fait de lui un poète officiel.
17:25 Certains en viennent à penser que la politique du président de la République
17:31 est tellement droitisée que lui-même
17:34 flirte avec la thématique du Rassemblement national.
17:37 Mais à peine partons de nation, on est déjà coupable.
17:41 La préférence nationale, c'est ce qu'il y a de pire.
17:44 Alors que, franchement, c'est Rousseau qui le disait.
17:48 Comment les hommes l'aimeraient-ils si leur patrie n'était rien de plus pour eux
17:53 que pour les étrangers ?
17:55 Ce n'est pas Barret qui dit ça, ce n'est pas Maurras, c'est Rousseau.
17:59 La préférence nationale, c'est la nation elle-même.
18:02 Et on a l'impression que la nation doit être dissoute
18:05 dans un ensemble plus vaste, dans l'universalité des hommes,
18:09 au nom de l'égalité des dignités des personnes.
18:12 Voilà la leçon que certains croient devoir tirer de l'épisode hitlérien.
18:17 Lecture, Culture, École, évidemment,
18:21 avec beaucoup d'abord de polémiques et de déconvenues pour la ministre,
18:25 des grèves qui s'enchaînent en tous les cas,
18:28 une première et puis une autre à venir mardi.
18:31 Vous avez dit dans une interview à Causeur, à l'infini que le croise,
18:34 qu'il n'a jamais été aussi dangereux aujourd'hui que de transmettre.
18:38 Tout simplement, que voulez-vous dire par là ?
18:40 C'est dangereux dans notre pays de transmettre ?
18:42 Ah, ça l'est de plus en plus.
18:45 C'est-à-dire que le public scolaire a changé
18:49 et la transmission est extraordinairement difficile.
18:55 D'ailleurs, dans l'Obs, un professeur qui est aussi écrivain,
19:01 Grégory Le Floch, l'explique très bien.
19:04 Je veux dire, certaines œuvres sont jugées par les élèves licencieuses
19:11 et il les refuse.
19:13 Et c'est ce que disait déjà d'ailleurs Jean-Pierre Aubin
19:16 dans son rapport célèbre sur les signes et manifestations religieuses à l'école.
19:22 Il était écrit dans ce rapport que les élèves sont de plus en plus incités
19:29 à se méfier de ce que les enseignants leur proposent
19:34 et à trier les œuvres comme ce qu'il y a dans leur assiette,
19:41 selon les catégories du halal permis et du haram de l'interdit.
19:47 C'est quand même une situation terrible.
19:50 Et il y a pire.
19:52 Jean-Pierre Aubin, dans son dernier livre, "Les profonds peurs",
19:56 commence par une anecdote dérifiante.
20:00 Un président de région va assister à un cours d'histoire
20:06 et le professeur a décidé du cours, lui dit "Oui, monsieur le président,
20:10 j'ai fait un cours sur Hitler et sur le nazisme, sans parler des Juifs.
20:15 Mais que voulez-vous ?
20:17 Je ne veux pas voir ma voiture vandalisée comme la dernière fois.
20:21 Je dois être prudent. J'ai une femme et des enfants.
20:25 Voilà aussi où nous en sommes.
20:27 - Donc c'est un défi à l'autorité des sachants, en fait.
20:30 - Des maîtres. Je ne mens pas trop aux sachants, moi.
20:33 - Oui, des maîtres. - Oui, bien sûr.
20:35 Mais au nom d'autres valeurs.
20:40 Et l'autorité des maîtres doit être rétablie d'abord
20:43 parce qu'il y a une dysmétrie.
20:45 Les enfants ne savent pas ce que les maîtres savent.
20:48 Et elle doit être rétablie pour rendre toute sa place à la culture en France.
20:55 - C'est une double contestation, à la fois de l'autorité du maître
20:58 mais la légitimité même du savoir à transmettre.
21:01 Si je vous comprends bien, un croisement.
21:03 D'un côté, c'est une forme d'héritage de la contre-culture
21:05 qui dit "il faut faire tomber l'autorité, les professeurs nous font vieillir"
21:08 et de l'autre côté, c'est une culture nouvelle
21:10 qui rejette la culture française.
21:12 - Oui, c'est ça.
21:14 Donc les professeurs nous font vieillir.
21:17 Mais d'ailleurs, de cet esprit de 68, de cet époque de 68,
21:23 il reste quelque chose à gauche, malheureusement.
21:28 Quand Gabriel Attal, ministre de l'Éducation, dit
21:31 "il faut remettre au cœur de l'éducation l'autorité, l'excellence, l'exigence, la discipline",
21:40 toute une presse bien-pensante dit que ses propos n'ont qu'un but,
21:46 satisfaire la droite.
21:50 La droite, en France, n'a jamais eu comme souci prioritaire l'école.
21:55 Elle avait ses réseaux, elle avait l'enseignement privé.
21:58 L'école, c'était, et notamment la sélection à l'école, c'était la gauche.
22:05 Et Jacques Julliard était le premier à le dire.
22:09 Jacques Julliard, homme de gauche, était orphelin de la gauche,
22:12 la gauche abandonnait l'école, abandonnait la laïcité.
22:15 Et aujourd'hui, il y a ce que je dis,
22:17 mais il y a aussi la manière de se tenir d'un certain nombre d'élèves,
22:23 affalés en classe.
22:25 Et donc, je ne sais pas s'il faut l'uniforme, mais il faut de la tenue.
22:31 Et dire cela, aujourd'hui, c'est être rationnel,
22:34 comme si l'avachissement était la dernière valeur de la gauche.
22:41 La ministre de l'Éducation nationale, Amélie Oudéa Kastéra,
22:45 a enchaîné les polémiques et les déconvenues à l'infini Kelcroet.
22:48 Certains y ont vu, en partant de la première polémique,
22:50 une guerre scolaire réactivée entre le public et le privé.
22:54 Quel regard vous portez sur cela ?
22:57 Est-ce qu'on est toujours au seuil d'une guerre scolaire dans notre pays ?
23:00 En toute façon, non.
23:02 Les explications de la ministre de l'Éducation nationale
23:06 ont été effectivement lamentables, c'est vrai.
23:10 Mais les attaques dont elle a été l'objet
23:15 ont été elles-mêmes très exagérées,
23:18 et on a voulu, à travers elle, viser le lycée Stanislas lui-même,
23:24 notamment Mediapart, qui défend dès qu'elle ombre le lycée Averroes,
23:29 où sévit un enseignement non seulement islamique, mais islamiste,
23:34 et qui veut la peau de Stanislas.
23:37 Donc c'est aussi ça, la gauche.
23:40 On est très, très loin, ou une certaine gauche,
23:42 on est très, très loin de la laïcité.
23:45 Mais si guerre scolaire il y a,
23:48 elle n'a pas du tout le même sens qu'à l'époque,
23:52 au début du XXe siècle,
23:55 l'enseignement catholique contre l'enseignement républicain.
23:58 Les gens mettent leurs enfants dans le privé,
24:01 qu'ils soient riches ou pauvres d'ailleurs,
24:03 parce que l'enseignement public répond de moins en moins à leurs exigences.
24:09 Donc ils veulent sauver leurs enfants de cet effondrement général.
24:14 On va continuer à en parler.
24:15 Une courte pause et on vous retrouve.
24:16 L'école sujet majeur, évidemment, qui nous concerne tous,
24:19 et puis d'autres sujets à venir.
24:20 Alain Fickel-Crotte est notre invité ce dimanche.
24:26 Le grand rendez-vous Europe 1C News Les Échos poursuit avec notre invité ce dimanche.
24:30 Alain Fickel-Crotte, de nombreux thèmes ont été évoqués.
24:34 Nous en venons bien entendu dans quelques instants à votre livre "Pêcheur de perles".
24:39 Mais tout d'abord, c'est ce jeudi, 7 février,
24:42 que doit se tenir une cérémonie importante en hommage aux victimes du Hamas.
24:47 Plusieurs familles de victimes françaises ont demandé à Alain Fickel-Crotte
24:50 l'interdiction de la présence de la France insoumise.
24:54 Ils ne veulent pas que des représentants, que des élus de LFI soient présents à cette cérémonie.
24:59 Vous le comprenez, qu'en pensez-vous ?
25:02 Oui, je le comprends, puisque la France insoumise a refusé de qualifier le Hamas de groupe terroriste
25:15 et que la France insoumise se déchaîne aujourd'hui contre Israël avec une virulence inouïe.
25:25 C'est-à-dire que condamnation, disons très feutrée, du pogrom,
25:32 qui n'est pas nommé pogrom du 7 octobre,
25:34 et en même temps dénonciation du génocide à Gaza.
25:40 Et Jean-Luc Mélenchon est allé assister à une audience, je crois, de la cour de justice
25:49 avec Jérémie Corbyn.
25:51 Jérémie Corbyn, quand même, qui a laissé prospérer l'antisémitisme dans le Parti travailliste.
25:58 Et Jean-Luc Mélenchon, à l'époque, a dit que Jérémie Corbyn cédait aux oukas de Netanyahou
26:04 et du grand rabbin d'Angleterre et que lui ne se le laisserait jamais faire par le CRIF.
26:10 Et il y a déjà quelques années, quand on lui parlait de communautarisme,
26:14 Jean-Luc Mélenchon dénonçait le Conseil représentatif des institutions juives de France.
26:20 Le problème de la France insoumise, c'est...
26:23 Enfin, c'est pas son problème, c'est son choix.
26:26 La France insoumise a fait carton plein en Seine-Saint-Denis
26:31 et Jean-Luc Mélenchon s'est constitué un électorat.
26:36 Et il pense que cet électorat va grandir grâce à l'immigration
26:44 et il spécule sur le changement démographique pour arriver un jour au pouvoir.
26:49 Donc il s'aligne sur ce qu'il croit être la judéophobie des quartiers qu'on appelle populaires
26:59 et c'est un calcul absolument effrayant.
27:05 Donc je comprends que, effectivement, cette récupération, cette présence soit jugée insupportable.
27:18 - Alain Figueres-Routeux, est-ce qu'il est possible de condamner avec la plus grande fermeté,
27:22 totalement et clairement, évidemment, les attaques terroristes du Hamas
27:27 tout en s'interrogeant sur l'ampleur de la riposte d'Israël ?
27:32 Est-ce que vous-même, cela vous interroge aujourd'hui sur les populations civiles palestiniennes ?
27:37 - Écoutez, je pense que la riposte, par exemple, de la coalition internationale
27:47 après les attentats qui ont endeuillé la France, à Mossoul notamment, je crois,
27:55 a été beaucoup plus aveugle, beaucoup plus indiscriminée et beaucoup plus meurtrière
27:59 que la riposte israélienne aujourd'hui.
28:01 Cela étant, et c'est la première fois qu'il y a une guerre,
28:07 on envoie des messages aux gens, il y a des couloirs humanitaires,
28:14 et du ravitaillement qui passe, etc.
28:18 Mais on peut s'interroger, en effet, sur la politique choisie par le gouvernement israélien aujourd'hui,
28:26 qui dit qu'on veut éliminer le Hamas et délibérer les otages.
28:33 Cela ne fonctionne pas. Aucun otage n'a été libéré.
28:37 Et malheureusement, pour négocier la libération des otages,
28:42 il faudra en passer par le Hamas.
28:44 Premièrement. Voilà ce que je pense.
28:47 Et deuxièmement, il y a en effet des extrémistes au gouvernement de Netanyahou
28:54 qui font peur et qui, aux Juifs que je suis, font honte.
29:00 D'ailleurs, dans le dossier de l'Afrique du Sud, ce procès invraisemblable,
29:07 les seuls éléments tangibles, c'étaient des déclarations de ces ministres extrémistes,
29:12 notamment le ministre du Patrimoine, à qui on demandait
29:15 si on devait lâcher une bombe atomique sur Gaza, répondait que c'était une option.
29:20 Cet homme a été suspendu, c'est tout.
29:22 Et maintenant, je crois qu'il est siège encore au gouvernement.
29:24 Il devrait être poursuivi en justice pour, effectivement, apologie du génocide.
29:30 Et on a vu aussi, avec Itamar Benvir, des manifestants qui dansaient
29:36 et qui préconisaient le retour des implantations à Gaza.
29:43 Avec l'idée, cette fois-ci, que les Palestiniens devraient partir
29:47 parce que certains Israéliens, très minoritaires, tirent la conclusion
29:51 que voici du pogrom du 7 octobre.
29:55 Les Palestiniens veulent notre mort.
29:58 Pour vivre en sécurité, il faudra vivre sans Palestiniens,
30:03 que ce soit à Gaza ou que ce soit en Cisjordanie.
30:07 Donc ça, c'est terrible.
30:08 Mais d'un autre côté, quand on me dit que c'est facile, c'est la solution à deux États.
30:13 C'est facile, il n'y a qu'à le faire.
30:15 – Mais est-ce que, au fond de vous, vous craignez pour l'existence même d'Israël ?
30:18 – Oui, bien sûr.
30:19 – Sur la solution à deux États ?
30:21 – La solution à deux États. Je veux bien, moi je suis pour.
30:24 – Oui, c'est facile de le dire, Alain Ficulcroc.
30:27 – Mais d'abord, il faut répéter que Gaza n'était pas un territoire occupé,
30:32 n'était plus un territoire occupé.
30:33 Qu'Israël, cet État impérialiste, s'était retiré du Sinaï,
30:38 retiré de Gaza, retiré du Sud-Liban.
30:41 Donc Gaza était un mini-État, c'était un État très riche.
30:47 Il y avait beaucoup d'argent, cet argent à servir à construire des tunnels.
30:51 – Pas dans les poches des populations, ni dans les ventres,
30:54 ni dans les frégidaires des populations civiles.
30:56 – Mais évidemment, mais c'est le ramasse à confisquer l'argent pour sa guerre sainte.
31:00 Mais alors, l'Israël s'est fondé à dire, quand vous avez un bout d'État,
31:04 regardez ce que vous en faites, c'est tout à fait légitime.
31:08 D'un autre côté, il n'y a pas d'autre solution qu'un compromis territorial.
31:12 Et de l'autre côté, cette perspective s'éloigne aujourd'hui.
31:16 Donc je crains pour l'existence d'Israël et je crains aussi,
31:19 je vois que cette situation, la situation dans laquelle cette région du monde est plongée,
31:26 est absolument tragique.
31:27 – Et si on en fait la transposition ici en France,
31:30 est-ce que cette guerre maintenant qui est en train de durer,
31:33 dont on parle de moins en moins dans les médias,
31:36 est-ce que le risque d'alimenter encore ce conflit qui est aussi chez nous,
31:41 et de manière importante, est-ce que vous craignez encore les répercussions ?
31:44 On en a parlé un moment à l'infini Kulcroth,
31:46 et puis ensuite c'est passé sous les radars.
31:48 Est-ce qu'il peut y avoir des racines longues qui vont, et bien justement…
31:52 – Je n'aime pas cette idée d'une transposition de conflits.
31:55 Jusqu'à présent, il n'y a pas d'agression juive
32:03 contre les musulmans, les arabes de notre pays, fort heureusement.
32:09 Il y a une explosion des actes antisémites depuis le 7 octobre.
32:14 Pas depuis la riposte israélienne, depuis le 7 octobre.
32:19 Et cela en France et dans le reste du monde,
32:23 et cela aussi d'ailleurs dans les campus français et surtout américains.
32:30 Le wokeisme est une entreprise de desservelage
32:33 qui réduit le monde à l'affrontement de deux forces,
32:36 les dominants et les dominés.
32:38 Les juifs d'Israël, les sionistes, donc en fait les juifs,
32:42 sont du côté des dominés.
32:44 Israël est présenté comme un Etat, une entreprise coloniale de 1948 à nos jours.
32:52 On défile au cri de la rivière à la mer, que la Palestine sera libre.
33:00 Il faut purger cette région du monde de toute présence juive.
33:05 C'est-à-dire que l'élite occidentale est en proie à un sentiment de haine de l'Occident.
33:14 Et c'est de cette haine de l'Occident qu'Israël fait aujourd'hui les frais.
33:18 Pourquoi alors Israël représenterait aujourd'hui comme la pointe de l'Occident ?
33:23 Pourquoi ce pays est visé et assimilé à l'Occident ?
33:29 Est-ce que c'est juste de l'assimiler à l'Occident d'ailleurs ?
33:31 Non, bien sûr que non.
33:32 Israël est partie prenante de la civilisation occidentale.
33:37 L'Occident ne mérite pas toutes les accusations dont il est l'objet.
33:42 C'est ce que disait très bien Octavio Paz,
33:44 notre grande tradition critique, nous l'avons pervertie et mise au service de la haine de notre monde.
33:54 Et Israël fait les frais de cette haine.
33:58 Alors il y a un concept qui est très présent chez vous, c'est le concept de petite nation.
34:02 On le trouve d'ailleurs, soit dit en passant, dans votre dernier ouvrage.
34:04 Mais il remonte à fond au début des années 90 chez vous.
34:07 Est-ce qu'aujourd'hui pour vous, finalement, la France et Israël partagent ce destin de petite nation ?
34:11 Ah oui, oui bien sûr.
34:13 D'ailleurs, il y a eu une époque, il y a eu un franco-judaïsme au 19e siècle.
34:18 C'était des Juifs qui disaient que la France accomplit des promesses messianiques
34:22 depuis la révolution française, James Thermes Teter.
34:25 Maintenant, il y a tout autre franco-judaïsme qui est une communauté de destin.
34:29 Depuis que, dans certains espaces, dans certains territoires,
34:33 sales Français et sales Juifs sont les injures les plus répandues à une communauté de destin et petite nation.
34:41 Oui, parce que c'est le droit à la continuité historique,
34:46 pour reprendre la formule d'Ortega y Yassin, qui aujourd'hui est mis en cause.
34:51 L'angoisse existentielle des Français, c'est ça.
34:54 C'est-à-dire, la France, restera-t-elle la France dans 20 ans, 30 ans ou 50 ans ?
35:01 Une angoisse d'ailleurs qui n'est plus simplement exprimée par l'extrême droite,
35:08 contrairement à ce que diraient les poètes printaniers.
35:12 Même le président de la République prend en charge cette angoisse.
35:18 Et d'ailleurs, elle devrait être prise en charge par tous les partis politiques.
35:22 Pour que la France reste la France, a dit Emmanuel Macron.
35:24 Oui, c'est ça. Pour que la France reste la France.
35:26 Oui, parce que la question se pose aujourd'hui.
35:29 On va plonger dans votre livre, remarquer une pause.
35:32 Une pause, évidemment.
35:33 Gourmandise, mais c'est une belle pause de lecture en tous les cas.
35:36 Un mot pour être précis sur Jean-Luc Mélenchon,
35:38 parce que vous avez décrié ou dénoncé un calcul électoral.
35:40 Mais lui-même est-il antisémite à vos yeux, Alain Finkielkraut ?
35:45 Est-ce que ce parti est antisémite ?
35:47 Ou Jean-Luc Mélenchon ?
35:49 Je pense qu'il n'était pas programmé pour être antisémite.
35:56 De même qu'au départ, il était laïque.
35:58 Et qu'aujourd'hui, il défend la baïa.
36:02 Simplement, quand il s'est sorti,
36:08 ce n'est pas comme chez Jean-Marie Le Pen, l'instinct qui parle,
36:13 c'est le calcul.
36:15 Mais à force de s'installer dans cette position,
36:20 il se met en effet à croire les horreurs qu'il préfère.
36:26 Pêcheur de perles.
36:27 On va plonger pour justement extirper certaines perles magnifiques
36:31 dans votre livre dans un court instant.
36:33 Notre invité est l'auteur d'un nouvel essai paru chez Gallimard.
36:40 Déjà véritable succès de librairie.
36:42 Pêcheur de perles.
36:43 La première question de cette dernière partie
36:45 vous est posée par Nicolas Barret.
36:47 Ce livre, Alain Finkielkraut,
36:49 c'est un peu le livre d'une vie de lecture, finalement,
36:52 avec toutes ces citations qui vous ont profondément marqué.
36:55 On ne pense pas de soi-même, par soi-même.
36:59 Est-ce qu'on sait vraiment réfléchir par soi-même ?
37:03 - C'est vraiment quoi ? - Réfléchir par soi-même.
37:06 - Qu'est-ce que c'est réfléchir par soi-même ?
37:08 - Est-ce qu'on sait vraiment le faire ?
37:10 Est-ce qu'on sait vraiment réfléchir par soi-même ?
37:12 - En tout cas, pour le faire, il faut être modeste.
37:18 J'entends dire qu'à l'école, on doit apprendre l'esprit critique.
37:22 Non, pas du tout.
37:23 À l'école, on doit apprendre à admirer.
37:26 L'admiration, c'est vraiment au cœur de l'enseignement,
37:29 notamment de l'enseignement de la littérature et de la philosophie.
37:32 L'esprit critique d'un blanc-bec face à Kant, Hegel, Platon,
37:39 ou même Racine et Flaubert, ça n'a aucun sens.
37:46 Et pourquoi faut-il être modeste ?
37:48 Parce que c'est la grande leçon de l'humanisme.
37:51 On ne comprend pas le monde ni le moi
37:58 si on n'en passe pas par le détour des signes d'humanité
38:03 déposés dans les œuvres de culture.
38:05 Voilà ce que nous dit l'humanisme.
38:08 Et j'emprunte cette expression à Paul Ricoeur.
38:10 Et c'est aussi la raison pour laquelle, en effet,
38:12 j'accumule les citations depuis des années
38:16 et j'en ai choisi là quelques-unes,
38:18 mais en même temps parce qu'elles m'aidaient à écrire un livre
38:22 qui ne soit pas une thèse,
38:25 qui ne soit pas la défense d'une position,
38:28 qui me permette d'aller dans plusieurs sens.
38:31 Alors des sujets que j'ai déjà explorés,
38:33 l'école dont on a parlé, mais aussi l'Europe,
38:36 mais d'autres sujets que je n'avais pas abordés comme la mort.
38:40 Et l'amour, ça, si, c'est une question qui m'entend depuis longtemps,
38:45 mais j'ai pu en parler à partir d'une citation de Valéry.
38:50 "Le cœur consiste à dépendre, comme j'espère, je ne l'avais jamais fait."
38:54 - Et vous avez pris, si je puis dire, le risque,
38:56 c'est toujours un risque de parler de soi,
38:59 en tout cas dans le premier chapitre,
39:00 de parler de vous, de parler d'amour, de l'amour fou,
39:02 avec effectivement cette citation de Paul Valéry,
39:05 "Le cœur consiste à dépendre."
39:07 Est-ce que vous vous livrez, avec pudeur évidemment,
39:09 à l'un fait que le compte,
39:10 pour mieux explorer le sentiment amoureux ?
39:13 - Oui, bien sûr. Bien sûr, il y a quelque chose de ça.
39:16 Je ne me livre pas pour le plaisir de me livrer.
39:18 Je veux faire apparaître ce que j'espère être une vérité un peu oubliée.
39:24 Germaine de Staël disait "L'amour est l'histoire de la vie des femmes,
39:29 alors qu'il n'est qu'un épisode de la vie des hommes."
39:34 C'était vrai au 19e siècle,
39:36 avec l'égalité, cette dissymétrie est caduque,
39:42 mais je ne dirais pas, moi qui, jusqu'à plus ample informé suis un homme,
39:49 je ne dirais pas que l'amour n'est qu'un épisode dans ma vie.
39:53 C'est une énigme, l'énigme du cœur battant,
39:59 une énigme qui me hante, qui m'obsède depuis que je suis tout petit.
40:05 Et donc, j'essaye, je continue sans cesse à y réfléchir.
40:10 Mais vous ne vouez pas non plus un culte à l'amour,
40:12 au risque d'en effacer le destinataire ou la destinataire dont on peut dire le non,
40:16 puisque, évidemment, c'est public.
40:18 Vous partagez la vie depuis très longtemps de l'avocate Sylvie Topalov,
40:22 et vous allez jusqu'à raconter une rupture,
40:25 avec un épisode sur un film, sur une actrice,
40:30 où vous êtes disputée.
40:32 C'est la femme de votre vie, donc tout se termine bien,
40:35 mais ce n'est pas le culte de l'amour non plus.
40:37 Non, non, non, c'est vrai.
40:39 Je ne suis pas un dévot de l'amour.
40:43 Il y a des formes d'amour que je n'apprécie pas.
40:48 Prenez par exemple la très belle fable de La Fontaine,
40:53 Les deux pigeons.
40:55 Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
40:59 Cette autosuffisance me fait froid dans le dos.
41:04 Pour moi, aimer, c'est aussi partager le monde.
41:08 Et puis l'amour ne peut pas être exclusif de l'amitié,
41:13 qui est une des grâces de l'existence.
41:15 Mais ce que j'essaye de faire apparaître,
41:20 c'est une composante de l'amour un peu négligée
41:24 par la tradition littéraire, et en effet, l'admiration.
41:29 On dit parfois que l'amour rend aveugle.
41:31 Il peut ouvrir les yeux, il peut rendre lucide,
41:35 et cette lucidité ne se confond pas avec le désenchantement.
41:40 Il peut y avoir une lucidité de l'éblouissement.
41:44 - Mais l'admiration n'est plus qu'une part,
41:46 néanmoins une distance.
41:47 C'est le contraire de s'abolir en l'autre.
41:49 L'on conserve une différence irréductible si on l'admire.
41:52 - Bien sûr, c'est-à-dire là aussi,
41:54 je n'ai pas une idée fusionnelle de l'amour.
41:58 Il y a une irréductibilité de l'autre.
42:01 Pourquoi je pense que l'indépendance des femmes
42:05 est une chance pour l'amour ?
42:07 Une femme toujours à disposition, une femme au foyer,
42:12 comment tenir la promesse de l'aimer toujours ?
42:17 C'est très difficile.
42:19 Une femme qui s'en va, qui va travailler,
42:23 qui revient, etc., c'est autre chose.
42:27 Donc je critique avec une certaine véhémence le néo-féminisme,
42:35 mais j'admire la libération des femmes.
42:40 - Il y a l'amour, il y a aussi la mort, la peur de la mort.
42:44 Et j'insisterais sur la peur de la fin de vie
42:47 en étant malheureusement diminuée, malade.
42:50 Michel Houellebecq avait pris position sur la fin de vie
42:52 de manière affirmée, assumée, estimant que l'euthanasie
42:56 c'était une forme de déclin de la civilisation.
42:59 Pourquoi avez-vous estimé à ce moment-là qu'il était allé trop loin ?
43:03 - Écoutez, en effet, on a très légitimement peur de la mort,
43:12 peur de la fin de la vie, d'autant plus que la croyance en Dieu,
43:19 c'est-à-dire en l'au-delà, en une vie éternelle,
43:23 est de plus en plus fragile.
43:26 - Ça, c'est l'athée complet que vous êtes qui le dit.
43:28 Je ne sais pas si ça vaut pour tout le monde.
43:30 - Je pense que les athées ont cette certitude, peut-être à tort,
43:35 qu'il n'y a pas de vie après la mort.
43:38 Les croyants sont quand même dévorés aussi par le doute.
43:45 Il y a le doute dans la foi.
43:47 Il n'y a pas le doute dans l'athéisme,
43:49 mais il n'y a pas non plus de triomphalisme dans l'athéisme d'aujourd'hui.
43:51 L'athéisme est orphelin.
43:53 On aimerait bien penser qu'il y a un après.
43:56 On aimerait bien penser qu'on peut rejoindre ceux qu'on a connus
43:59 et aussi faire la connaissance de ceux qu'on a admirés.
44:02 Si vous voulez, moi, j'aimerais bien me dire, après la mort,
44:04 j'irais voir Peggy, j'irais voir Hannah Arendt, etc.
44:07 - Et retrouver vos parents.
44:08 - Et retrouver mes parents pour leur poser toutes les questions
44:11 que je n'ai pas songé à leur poser.
44:13 Mais l'angoisse de la fin de vie, aujourd'hui,
44:16 prend presque le pas sur l'angoisse de la fin de la vie
44:19 parce que la médecine répare tout sauf le cerveau,
44:22 d'où cette idée de "on va être à train de l'Alzheimer".
44:26 Et il y a un philosophe qui en parle admirablement,
44:29 Michel Malherbe, historien de la philosophie, spécialiste de Hume.
44:32 Sa femme, Annie, a été atteinte de la maladie de l'Alzheimer.
44:36 Il a consacré à cela deux livres extraordinaires.
44:41 Et il dit que l'Alzheimer, ce n'est pas une maladie,
44:44 c'est le mal ayant installé dans le vivant ses quartiers.
44:52 Ayant installé dans le vivant ses quartiers.
44:54 Le vivant se défait inexorablement.
44:58 Il est touché jusque dans son intégrité d'individu,
45:04 jusque dans sa dignité d'être responsable.
45:07 Et c'est très fort, si vous voulez.
45:09 Ce qui est très fort là-dedans, c'est que ce vivant le sait.
45:13 La femme de Dresvani a subi la même maladie.
45:20 Et il parle de l'immense chagrin de se savoir en état de destruction mentale.
45:25 Que fait-on face à ce chagrin ?
45:28 On est totalement désarmé.
45:29 Même la loi sur l'euthanasie ne le prend pas en charge.
45:32 Et j'essaye d'en parler.
45:34 Et Welbeck critique tout ça.
45:36 Mais il se donne un attache facile, parce que dans "Allez, on tire",
45:39 il y a un personnage qui a un AVC, qui souffre,
45:43 qu'on arrache à l'épade pour lui éviter l'euthanasie.
45:46 Mais ce personnage-là, il est assez vivant pour lire,
45:50 pour écouter de la musique, pour d'une certaine manière communiquer.
45:53 Donc c'est comme si l'Alzheimer ne pouvait pas se regarder fixement,
45:59 même par Welbeck.
46:00 La maladie et la mort font partie de la vie.
46:02 Ce livre est aussi une ode à la vie et à l'amour.
46:05 Merci de l'avoir partagé avec nous ce dimanche à l'Infinite Croix du Jour.
46:08 Merci de votre présence.
46:09 J'en remercie également mes camarades Mathieu et Nicolas.
46:12 On va souhaiter bon dimanche à tous ceux qui nous regardent et nous écoutent.
46:15 Et à très bientôt, à vous aussi Alain Finkielkraut.
46:18 Merci.
46:19 Merci à tous !