Maya Lauqué reçoit le comédien Frédéric Chau, qui témoigne dans le documentaire « Je ne suis pas Chinetoque, histoire du racisme anti-asiatique », réalisé par Émilie Tran Nguyen et Jessica Bagic, et diffusé dimanche 4 janvier sur France 5.
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00:00 Bonjour Frédéric Chaud.
00:01 Bonjour.
00:01 Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 Oh ça va, c'est juste une blague.
00:05 Est-ce que c'est la phrase que vous avez le plus entendue
00:08 lorsque vous disiez à une personne qu'elle était en train de vous faire une remarque raciste ?
00:12 Oui, c'est quelque chose que j'ai beaucoup subi quand j'étais plus jeune.
00:16 Aujourd'hui j'ai la chance d'être protégé.
00:17 J'ai le sentiment que ça n'existe plus aujourd'hui dans mon entourage.
00:22 Mais ma sœur, des gens de ma communauté subissent encore ce genre de prétextes
00:28 sous couvert de l'humour ou d'un racisme décomplexé.
00:33 Ce documentaire c'est un choc, ou plutôt peut-être un électrochoc.
00:37 Il réunit des témoignages, des archives qui montrent à quel point
00:40 le racisme anti-asiatique est banalisé, ordinaire, très peu dénoncé.
00:45 On va écouter par exemple cet échange surréaliste entre Jacques Martin et un petit garçon.
00:50 Nous sommes dans les années 80, dans une émission culte, l'école des fans.
00:55 Et tu aimes le soja ?
00:57 Non.
00:58 Les pousses de bambou ?
01:00 C'est quoi ça ?
01:01 Non.
01:02 Eh bien écoute, tu sais pas, après l'émission je vais t'emmener dans un restaurant
01:09 et tu verras, c'est très bon.
01:11 Est-ce que tu manges du riz ?
01:12 Oui.
01:13 Avec des baguettes ?
01:14 Non.
01:15 Ah non, je lui donnerai aussi une paire de baguettes parce que c'est très bon.
01:18 Je trouve ça très drôle en fait cette séquence où l'animateur va absolument faire dire quelque chose à l'enfant.
01:24 Et en fait l'enfant il mange des frites, il sait pas ce que c'est que les pousses de bambou.
01:29 C'est hilarant en fait cette séquence où l'enfant sans le savoir déjoue l'imaginaire qui est mis en marche par cet adulte.
01:38 Vous aussi vous avez souri en regardant cet extrait alors qu'on a aussi envie d'être très en colère.
01:43 Oui parce que je trouve que c'est assez touchant.
01:46 C'était une période de ma vie donc j'étais assez inconscient par rapport à tout ça, c'était léger.
01:52 Je pensais pas à la gravité de tout ça.
01:54 Aujourd'hui je pense que c'est des sujets qui seraient plus touchy on va dire.
02:00 Ça a commencé à quel âge pour vous les moqueries, les remarques, les clichés et de quelle manière ça s'exprimait ?
02:05 Non mais c'est toujours d'actualité.
02:07 Mais quand on est petit en fait, je pense que quand on est petit c'est pas vraiment du racisme qu'on subit,
02:12 c'est juste des moqueries parce qu'on est physiquement différent, vous pouvez avoir un strabisme,
02:17 une oreille plus haute que l'autre, on est sujet à des moqueries.
02:19 Le racisme il existe quand il est conscientisé en fait,
02:22 quand on a vraiment l'envie de marteler une différence physique.
02:28 Là, concrètement c'était mignon.
02:33 En 2015, dans une interview, vous disiez "J'ai grandi dans un environnement où le but ultime
02:39 était de gagner le concours de l'enfant le plus invisible".
02:42 Oui parce que suite à toutes ces moqueries que j'ai pu subir, je me sentais un peu différent
02:46 et quand on est enfant on n'a juste qu'une envie, c'est de ressembler à tout le monde,
02:49 faire partie d'une communauté et c'est vrai que j'ai fait un grand rejet de mes origines
02:53 et c'est ce que j'illustre aussi dans mon film "Made in China" qui est assez autobiographique.
02:57 Et un livre aussi que vous avez sorti il y a quelques années.
02:59 Absolument.
03:00 Ce documentaire revient par exemple sur la une polémique du point qui était titrée
03:05 "La réussite intrigante des Chinois de France".
03:07 C'est Franz-Olivier Gisbert qui dirigeait le magazine à l'époque.
03:10 Il se risque à une explication dans le documentaire pour tenter de comprendre cette une
03:15 et il dit "les Asiatiques de France sont mieux intégrés, ils sont chez eux, chez nous
03:20 donc on fait ça comme on le ferait avec des Bretons".
03:22 Vous en pensez quoi ?
03:23 Alors déjà ce qui est bien c'est qu'il a pu témoigner, qu'il a pu se faire son "mea culpa"
03:28 et s'excuser et je trouve ça vachement bien parce qu'en fait on peut faire des erreurs.
03:31 Moi je dis toujours on peut avoir des propos racistes sans être raciste
03:35 mais c'est de la maladresse et l'intelligence c'est au moins de s'excuser par rapport à ça.
03:39 Donc cet argument illustre à quel point la communauté asiatique subit un racisme décomplexé,
03:50 on pouvait dire tout et n'importe quoi parce qu'en fait on n'avait pas de lobby
03:54 ou de gens qui allaient se manifester par rapport à ça et s'indigner.
03:58 Or aujourd'hui ce n'est plus le cas.
04:00 Alors ce n'est plus le cas mais on voit quand même que pendant la crise Covid
04:03 et notamment certaines unes de la presse quotidienne régionale
04:07 où ce qu'on a pu entendre dans la télé, enfin ça continue, ces clichés perdurent.
04:12 Oui c'est vrai qu'on va dire que le Covid a été un catalyseur de cette discrimination,
04:18 de ce racisme latent où les gens ont fait l'almalgan entre le Covid était égal à Asiatique.
04:27 Et ce qu'il faut rappeler aussi c'est que pour la majorité des gens en fait les Asiatiques c'est des Chinois.
04:32 Donc on a subi en fait des violences, un lynchage des personnes âgées
04:36 qui ont été sorties de transports en commun, donc c'était assez dur à vivre.
04:41 Le documentaire c'est une particularité, il donne aussi la parole à la première génération,
04:46 aux parents, aux grands-parents, dont beaucoup de familles on se rend compte,
04:48 et dont la vôtre d'ailleurs, qu'on ne parle ni de racisme ni du passé.
04:52 Je crois que vous avez découvert l'histoire de vos parents à l'âge de 26 ans.
04:55 Oui c'est vrai, moi j'ai toujours pensé que mes parents étaient arrivés pour des raisons économiques,
04:59 en pensant que la France, l'Occident étaient les Eldorados.
05:03 Lorsque j'ai découvert à 26 ans le film documentaire de Ritipan sur le génocide cambodgien,
05:08 j'ai compris que mes parents étaient venus en fait…
05:11 Aider des survivants d'un génocide.
05:14 Avec aussi un déclassement important en arrivant en France, social.
05:19 Est-ce que vos parents ont vu le documentaire ?
05:21 Non, ils vont le voir dimanche je pense.
05:24 Vous en parlez davantage ?
05:25 J'en parle avec eux, je les conscientise, c'est des gens qui sont âgés aujourd'hui,
05:30 donc leur train de vie c'est plutôt marcher, faire les courses…
05:34 Mais enfin, c'est pas… par exemple le père ou la grand-mère d'Émilie Tranenglien,
05:39 qui est à l'origine de ce documentaire, il y a des échanges, on le voit dans le documentaire,
05:43 elle essaye de discuter avec sa grand-mère du passé, du racisme,
05:47 et la grand-mère détourne la conversation.
05:49 C'est très mignon.
05:50 Comment vous l'expliquez ce silence ?
05:51 Il y a un côté très culturel, on est une communauté qui ne ventile pas les problèmes,
05:57 on a plutôt tendance, et je trouve ça pas bien d'ailleurs,
06:00 et j'encourage plein de gens à regarder ce film documentaire,
06:03 parce que ça va peut-être réconcilier, ou en tout cas poser des questions,
06:05 avec comment ça se passait chez eux, et cette communauté est une communauté
06:09 qui est assez discrète, qui n'aime pas ventiler les problèmes, et je trouve ça dommage.
06:14 D'où on sent aussi la fierté et la libération à travers ce documentaire,
06:18 c'est ça qui est le message que vous et les autres témoins avons envie de faire passer.
06:21 Oui, l'idée c'est de faire bouger les lignes.
06:23 Je rappelle quand même, on est une communauté qui est très récente,
06:25 dont la migration est arrivée majoritairement dans les années 70,
06:29 donc ça ne fait même pas 60 ans qu'on est là.
06:31 Il faut laisser le temps aux choses et faire connaissance avec chacun.
06:35 Vous avez longtemps été le représentant de la communauté asiatique,
06:37 le plus populaire de France, et pas seulement en jouant le chinois de service, je vous cite.
06:42 Vous avez dépassé, vous, les clichés aussi dans votre carrière,
06:45 est-ce que vous avez l'impression d'être peut-être moins seul aujourd'hui ?
06:49 Oui, quand on voit par exemple Émilie Tran et Nguyen, des sportifs comme Alphonse Areola,
06:54 vous avez aussi d'autres journalistes, Raphaël Ihem, Bunaimin, Steve Tran,
06:58 il y en a et ça va continuer.
07:00 Il y a Lanne Dao qui travaille chez nous, qui est formidable.
07:03 Oui c'est vrai, je l'embrasse d'ailleurs.
07:05 Elle est à France Télé au révélateur et qui fait du fact-checking.
07:09 Merci beaucoup d'être venu nous voir ce matin.
07:11 "Je ne suis pas Chintok, histoire du racisme anti-asiatique"
07:15 c'est donc diffusé demain à 21h05 sur France 5,
07:18 documentaire signé Émilie Tran et Nguyen avec Jessica Bajic.
07:21 Merci.
07:22 Merci à vous.
07:23 Merci à tous les deux.