Geneviève Ferone Creuzet, cofondatrice du cabinet de conseil Prophil et de l’AG du futur est l'invitée éco de franceinfo, lundi 5 février.
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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous. Ce soir, nous nous glissons dans la peau d'un actionnaire responsable avec notre invitée, Geneviève Ferrand-Creuset.
00:12 Bonsoir.
00:13 Vous êtes cofondatrice de Profil, société de recherche et de conseil en stratégie,
00:18 et vous organisez demain soir au Théâtre des variétés à Paris,
00:22 et le temps d'une représentation interactive, une Assemblée Générale Fictive,
00:27 "J'ai du futur", dites-vous. C'est la deuxième édition, au-delà du plaisir du spectacle, du théâtre.
00:33 Pourquoi, selon vous, faut-il faire de la pédagogie autour des assemblées générales ?
00:38 Alors déjà, les assemblées générales d'actionnaires, c'est du théâtre, c'est des postures.
00:42 Donc on s'est dit, pourquoi pas en détourner les codes,
00:45 donc créer une entreprise complètement fictive qui s'appelle Myrniton,
00:48 mais qui est un beau fleuron de l'agroalimentaire, familiale et cotée en bourse,
00:52 comme ça on se met toutes les contraintes.
00:54 Elles n'existent pas, mais on va faire en sorte qu'à travers un script extrêmement exigeant,
00:59 elle va justement poser des questions sous forme de résolution aux spectateurs,
01:04 qui sont les actionnaires.
01:06 Donc les spectateurs d'un soir vont se glisser dans la peau d'actionnaire de cette entreprise,
01:10 ils vont épouser sa légende, et au moment de voter, ils vont se dire,
01:14 "Mais est-ce que je vote pour ou est-ce que je vote contre ?"
01:17 Et donc on les amène à réfléchir et à les embarquer.
01:20 Donc effectivement c'est une assemblée générale d'actionnaires, certes fictives,
01:24 mais très pédagogiques, parce que l'intérêt c'est à travers une histoire, mais bien construite,
01:30 de les amener à se poser des questions,
01:32 et puis à sortir de cette idée selon laquelle les actionnaires,
01:35 c'est un peu une masse informe, des personnes qu'on ne connaît pas,
01:39 qui sont lointaines, hors sol.
01:41 Ce que vous voulez dire, c'est que c'est nous, c'est vous,
01:43 que les actionnaires, et notamment les petits actionnaires, ont un pouvoir qu'ils ignorent ?
01:47 Mais bien sûr !
01:48 C'est évident, c'est-à-dire qu'on oublie toujours que les actionnaires,
01:51 ils vivent la même vie que nous, c'est-à-dire, à moins que je n'ai pas les bonnes informations,
01:56 ils vivent les mêmes vies que nous.
01:58 Donc on va leur redonner du pouvoir en allant les chercher,
02:02 et on espère qu'ils vont comprendre qu'ils ont tout intérêt, eux aussi,
02:08 parce qu'ils sont actionnaires, qu'ils ont des intérêts à défendre,
02:11 qu'ils ont intérêt à réfléchir autrement, à penser autrement,
02:14 ou mettre leur argent, et quoi faire de leur argent.
02:17 Alors vous dites qu'il faut rentrer dans l'ère de la post-croissance, qu'est-ce que ça veut dire ?
02:21 Alors la post-croissance, c'est assez simple, c'est simplement se coltiner le réel.
02:26 Le réel, c'est qu'on a fait à peu près n'importe quoi au-delà des limites planétaires,
02:30 on a emballé le climat, on est dans des situations extrêmement tendues sur l'eau,
02:35 sur le cycle du phosphore, de l'azote, etc.,
02:38 que des personnes vivent de façon indigne,
02:40 qu'on n'est pas sûr de garantir l'accès aux services essentiels.
02:43 Donc la post-croissance, c'est vraiment d'atterrir à partir de la dette qu'il faut purger,
02:49 et de reconstruire un nouvel imaginaire,
02:51 mais un nouvel imaginaire qui ne soit pas une pensée magique,
02:54 quelque chose qui soit tangible.
02:56 Donc la post-croissance, c'est entreprendre dans un monde écologiquement sûr et socialement juste.
03:00 Et ce n'est pas le cas aujourd'hui, vous dites que les actionnaires ne prennent pas en compte,
03:04 parce qu'il y a quand même des résolutions qu'ils doivent voter.
03:08 Il y a certains actionnaires, oui.
03:10 Je vous dirais que les actionnaires de long terme, et qui sont déjà responsables,
03:14 oui, je pense que ce qu'ils vont entendre va résonner.
03:17 Mais je peux vous dire que la majorité des actionnaires des grandes entreprises cotées en bourse,
03:22 ce sujet-là leur passe vraiment au-dessus de la tête.
03:24 Alors qu'il y a quand même des actions, des résolutions, qui concernent l'action climatique des entreprises.
03:29 Donc ils les votent sans savoir de quoi ils parlent ?
03:31 En fait, je me demande parfois s'ils ne votent pas sans avoir vraiment des connaissances approfondies
03:39 sur ce qui est en train de se passer.
03:41 Je pense qu'il faut les sortir de ce rôle passif.
03:43 Parce qu'aussi ils votent à travers des intermédiaires.
03:46 Ce sont des intermédiaires en fait qui leur disent comment voter.
03:48 Et qui leur disent comment voter en fonction de quoi ?
03:50 Notamment en fonction du dividende, Geneviève Ferron-Crozet,
03:53 et non en fonction de l'intérêt général, c'est ça que vous voulez montrer, toucher du doigt ?
03:57 C'est ça. On leur dit comment voter en fonction du dividende qu'ils pourraient toucher à court terme,
04:03 et sous un angle uniquement financier, prendre en compte uniquement les intérêts strictement financiers.
04:08 Donc nous on les amène à penser dans une dimension sociale environnementale,
04:13 et à intégrer des enjeux de moyens long terme.
04:16 Et donc à leur dire "mais attention, la valeur demain,
04:19 c'est pas cette valeur de court terme que vous pensez avoir, elle va vous glisser entre les doigts".
04:23 Sauf que quand on voit les résultats du CAC 40 l'année dernière,
04:27 selon une lettre financière, les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 97 milliards d'euros l'an dernier.
04:34 C'est un record.
04:35 Donc finalement ils ont raison de continuer à voter comme ça les actionnaires, ça leur apporte de l'argent ?
04:39 Alors oui, ils ont raison, encore une fois, à court terme, et encore une fois quand on dit les actionnaires,
04:44 on pense vraiment à des grands actionnaires institutionnels, à des grands fonds de pension,
04:48 et ces grands fonds de pension, ils sont aussi pris en tenaille,
04:51 ils doivent donner aussi de l'argent à des retraités à l'autre bout du monde.
04:55 Et donc on voit bien que ce système marche sur la tête,
04:57 parce que si on réfléchit, l'intérêt de tous, c'est de revoir ce qui va créer la valeur demain.
05:02 Et ce qui crée la valeur demain, ce n'est certainement pas cette fuite en avant climatique, sociale.
05:07 Donc se réapproprier un petit peu de pouvoir en se posant les bonnes questions,
05:13 en s'informant, et surtout en se posant cette question qui est centrale,
05:17 est-ce qu'on va être de bons ancêtres ?
05:19 Parce que ce qui se joue, c'est l'économie de demain.
05:22 Mais est-ce que vous n'avez pas peur de faire fuir, avec votre discours,
05:26 les entreprises ? On a vu Stellantis quand même, qui a quitté la France pour les Pays-Bas.
05:31 Concernant plutôt une autre résolution, qui est la rémunération des dirigeants,
05:36 avec ce discours que vous appelez "post-croissance", qu'on peut qualifier d'utopique aussi.
05:41 Est-ce que vous n'avez pas peur de faire fuir les grands groupes,
05:43 dans des pays où on se pose finalement moins de questions ?
05:46 Ce qui est sûr, c'est que ce sujet est politique.
05:48 Très clairement, ce sujet est politique, mais je ne vois pas comment on va pouvoir l'éviter.
05:53 Parce que tout simplement, les fondamentaux de la croissance,
05:55 demain, il n'y aura plus de dividendes.
05:57 Dans un monde à 4 degrés, la question des dividendes ne se pose absolument plus.
06:00 Donc c'est aujourd'hui, investir, un peu comme vous savez,
06:04 nos arrière-grands-parents investissaient.
06:06 Au début, le capitalisme, ce n'était pas une rente, c'était prendre un risque.
06:09 Donc nous, on veut renouer avec cette culture du risque.
06:11 C'est pour ça qu'on dit "post-croissance" et pas "décroissance".
06:14 On se coltine le réel. Il y a des institutions qui fonctionnent.
06:17 Mais on renoue avec une culture de risque.
06:19 On renoue avec des inventions, du progrès.
06:22 Mais on réencastre le progrès dans les limites planétaires.
06:26 Et c'est ça qui fera la valeur demain.
06:28 Donc aujourd'hui, on est dans un monde qui est réellement celui...
06:32 On termine, on est dans un crépuscule là.
06:34 Et on prépare l'avenir. C'est pour ça que ça s'appelle l'âger du futur.
06:38 L'âger du futur, donc. Au Théâtre des variétés à Paris, demain.
06:42 Merci Geneviève Ferron-Crezé, cofondatrice de Profil.
06:45 Vous étiez l'invité éco de France Info ce soir.
06:47 Merci à vous.