Inégalités salariales : "Il n’y a pas d’amélioration depuis huit ans", affirme la fondatrice de la lettre d’information Les Glorieuses

  • l’année dernière
Chaque année Rebecca Amsellem calcule la date symbolique à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement. Elle était l'invitée éco de franceinfo, lundi, à l'occasion de la parution du baromètre 2023.

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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous et bonsoir à vous, Rebecca Amsalem.
00:08 Vous êtes économiste, entrepreneuse, vous avez créé la lettre d'information féministe,
00:13 les Glorieuses, et chaque année depuis 8 ans, vous nous dites à nous, les femmes
00:18 françaises, à partir de quel moment précisément nous travaillons pour rien, pour pas de salaire du tout ?
00:24 Une façon de mettre le doigt sur les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes,
00:28 en 2023, c'est à partir de 11h25 ce matin que nous avons commencé à travailler gratuitement.
00:35 L'an dernier, c'était trois jours plus tôt, ça veut dire qu'il y a du progrès ?
00:38 Alors j'aimerais bien dire que oui, j'aurais vraiment espéré, mais en fait ça représente
00:44 un écart de salaire qui est mis en lumière par Eurostat, qui est l'agence de statistique
00:49 de l'Union Européenne, et en fait à quelques centièmes près, parfois on passe du vendredi
00:54 au lundi. Donc malheureusement, en fait, il n'y a pas d'amélioration. Depuis 8 ans qu'on
00:58 l'organise, en 2016, à titre d'exemple, c'était le 7 novembre à 16h34, donc un jour plus tard,
01:04 ce qu'on peut dire au mieux, c'est que ça stagne. Ça varie entre 15,1% et 15,8%,
01:10 donc à 0,7%, on ne peut pas dire qu'il y a une vraie amélioration.
01:13 C'est ça, parce qu'il y a tant de travail égal, les femmes touchent 15% de moins que
01:17 les hommes. En France, un écart qui grimpe à 24% quand on prend en compte tous les boulots,
01:22 et notamment le travail à temps partiel, car les femmes, c'est une autre inégalité,
01:26 occupent les temps partiels qu'on appelle "subis". Est-ce que pour vous, c'est une partie du problème ?
01:31 Alors évidemment, et c'est été mis en lumière par la prix Nobel d'économie Claudia Goldin,
01:35 qui a travaillé pendant des années sur cette thématique-là, et elle, ce qu'elle s'est rendue compte,
01:40 de manière très intéressante, c'est que si l'écart de salaire n'était pas vraiment significatif
01:45 au moment de l'entrée dans le marché du travail, en revanche, ça a tendance à se creuser
01:49 considérablement au moment de l'âge du premier enfant, vers 30-35 ans.
01:53 Donc elle a essayé de comprendre pourquoi ça se creusait à ce moment-là.
01:56 Et elle s'est rendue compte qu'on vivait dans un marché du travail qui avait tendance à rémunérer
02:01 davantage les employés qui se mettaient plus disponibles pour leurs employeurs.
02:06 Et donc c'est pour ça qu'elle a appelé ça le travail dit "cupide". On vit dans un marché du travail
02:10 qui ne va pas forcément rémunérer la productivité, l'intelligence, ou encore les projets qui sont
02:16 mis en avant. En revanche, ils vont avoir tendance à rémunérer davantage la disponibilité.
02:21 Sauf que qu'est-ce qui se passe au moment du premier enfant ? Il faut qu'il y ait au moins
02:25 un parent pilier. Une personne qui soit plus à disposition du foyer, du jeune enfant,
02:30 au moins pendant les premières années, pour mettre en place une certaine continuité,
02:35 en cas de maladie de l'enfant notamment.
02:37 Et c'est pour ça que vous demandez un congé parental payé de manière équivalente
02:42 pour les deux parents. Ça fait partie des demandes que vous formulez aujourd'hui.
02:45 Exactement, parce que finalement qu'est-ce qui se passe ? On va avoir tendance à faire en sorte
02:50 que ce soit la mère qui devienne ce parent pilier. Pourquoi ? Parce que c'est déjà elle qui a pris
02:54 le congé maternité. Donc d'une certaine manière, ce serait elle qui se serait déjà désengagée
02:58 de l'entreprise, même si ce n'est absolument pas vrai. Ce n'est pas du tout ce que je suis en train
03:01 de dire. Mais finalement, dans les faits, on va avoir tendance à faire en sorte que ce soit la mère.
03:05 Et donc c'est pour ça qu'on veut mettre en place un congé parental obligatoire, équivalent
03:09 pour les deux parents, pour que de facto, il y ait deux parents piliers.
03:13 Pour que les deux parents soient sur les mêmes pieds d'égalité. Absolument.
03:16 Ça existe en Suède. Ça a été mis en place dès 1975.
03:20 En fait, un congé a se partagé entre les deux parents. Et ce qui s'est passé, c'est qu'au début,
03:24 c'était davantage les mères qui le prenaient plutôt que les pères. Et finalement, l'État suédois
03:28 a mis en place une période obligatoire à prendre pour les pères,
03:32 pour faire en sorte que les deux parents puissent prendre ce congé parental.
03:35 Et aujourd'hui, on voit qu'il y a une répartition à peu près équitable entre les femmes et les hommes
03:39 en termes de congés parentals. - Alors, on n'en est pas là en France. Aujourd'hui, on a 28 jours
03:43 de congés paternités. Donc, ça s'est amélioré.
03:47 Aurore Berger, elle prône plutôt pour un congé parental plus court et mieux rémunéré.
03:52 - Alors, je pense que quand on vient de mettre un enfant au monde,
03:57 ce qu'on a envie, c'est quand même de passer du temps avec son enfant, de créer du lien avec son enfant.
04:01 Et puis par ailleurs, je pense qu'on est vraiment complètement épuisé. Je pense que c'est une mauvaise idée
04:05 de raccourcir le congé parental. Je pense qu'il faut que ce soit comme en Suède, un des pays au monde
04:09 où les inégalités de salaire sont les plus faibles, avoir un congé parental long, obligatoire,
04:14 bien rémunéré, évidemment pour les deux parents. - Alors, vous avez parlé de la Suède. Je vais vous parler
04:18 de l'Islande. Il y a 15 jours, s'est tenue là-bas une grève à laquelle s'est jointe la première ministre
04:23 pour demander aux employeurs de rémunérer équitablement leurs salariés,
04:28 quel que soit leur sexe. En France, où sont les hommes, où sont les femmes politiques ?
04:32 Est-ce qu'il y a des gens qui vous soutiennent ? - Alors, il y a un certain nombre de soutiens
04:36 qu'on a eus, notamment de la part du Parti Socialiste, des écologistes. Certaines députées écologistes,
04:41 par exemple, ont décidé de reverser leur salaire du jour à des associations qui luttent contre
04:46 les violences économiques, comme Solidarité Femmes, par exemple. On a eu la première ministre,
04:50 Elisabeth Borne, qui a tweeté sur le mouvement pour montrer le soutien à l'égalité salariale.
04:56 Alors, c'est vrai que nous, ce qu'on a envie, ce n'est pas forcément qu'il y ait énormément de bruit
04:59 le jour J et puis le lendemain, rien du tout. Nous, ce qu'on veut, c'est des actions, on veut des lois,
05:03 on veut des politiques publiques qui permettent d'endiguer considérablement les inégalités salariales.
05:07 - Est-ce que ça passe ? J'ai vu que depuis quelques temps, une femme qui se pense victime
05:13 d'inégalités salariales peut demander la communication des bulletins de paie de ses collègues masculins.
05:19 Alors, ce sera anonyme, c'est une décision qui a été rendue par la Cour de Cassation le 8 mars.
05:23 La date, évidemment, n'a pas été choisie au hasard. Est-ce que ça peut faire avancer les choses, à votre avis ?
05:28 - Alors, je suis convaincue que la transparence des salaires est indispensable pour arriver à l'égalité salariale.
05:33 D'ailleurs, c'est une des quatre mesures qu'on prône et qu'on met en avant depuis des années avec les Glorieuses
05:37 et avec ce mouvement-là. Et je trouve que c'est un très bon arrêt, c'est une très belle avancée
05:43 pour la transparence des salaires. C'est un premier élément. Il faut rappeler quand même que c'est dans le cadre
05:47 d'un contentieux qu'on peut demander la fiche de paie de son collègue. Enfin, rien ne nous empêche de la demander.
05:52 Mais je pense que... - On peut l'obtenir, aujourd'hui.
05:55 - Exactement. En tout cas, cet arrêt nous permet... - Dans le cadre d'une procédure en justice.
05:59 - Exactement. Et en plus de ça, il y a une directive de l'Union européenne qui est passée cette année
06:04 pour dire aux États membres qu'ils doivent transposer en droit national, dès 2026, une transparence des salaires.
06:10 Donc, en termes de transparence des salaires, on va dans le bon sens. Ce qui manque aujourd'hui,
06:14 c'est les autres mesures qu'on met en avant avec la newsletter des Glorieuses.
06:17 - Et notamment ce congé parental rémunéré à part égale entre les deux parents.
06:22 Merci beaucoup, Rebecca Amsalem, fondatrice de la lettre d'information féministe Les Glorieuses.
06:28 Invité Echo de France Info, ce soir. - Merci à vous.

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