La guerre du goût - L'édito culture

  • il y a 6 mois
Christine Angot revient notamment sur l'affaire Sylvain Tesson et le printemps des Poètes

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Transcript
00:00 Christine Angot, vous nous parlez d'une guerre du goût.
00:04 Oui.
00:05 Paul Preciado écrit dans Libération « Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et au
00:13 moins jusqu'au début des années 2000, dans les parlements européens, l'extrême droite
00:18 était le tabou démocratique.
00:20 La droite et la gauche traditionnelle gardaient encore leurs noms historiques en fonction
00:25 de l'endroit où les élus siégeaient dans le Parlement né de la Révolution française.
00:30 Dans cette distribution, l'extrême droite n'était pas un lieu dans l'hémicycle,
00:36 mais plutôt son dehors constitutif.
00:38 Preciado ajoute « Il est nécessaire aujourd'hui d'établir une troisième dimension, le fascisme,
00:45 non pas comme le bord de l'hémicycle ou l'extérieur de la démocratie, mais comme
00:50 une variable interne qui peut affecter comme une maladie politique n'importe quel autre
00:56 siège et qui l'appelle la troisième dimension fasciste ».
01:00 J'ai pensé en lisant ça à la pétition contre la nomination de Sylvain Tesson au
01:05 Printemps des Poètes et que le but des signataires était peut-être de prémunir la vie culturelle
01:11 de cette maladie que Preciado appelle la troisième dimension fasciste qui pourrait affecter elle
01:16 aussi n'importe quel festival, théâtre, institution culturelle au cas où un jour
01:22 il y aurait un retour de l'anti-intellectualisme ou de mots comme parisianisme.
01:27 L'argument des pétitionnaires a été balayé par la ministre de la Culture au nom de l'amour
01:34 des mots, par le ministre de l'économie au nom du talent d'une plume aventureuse.
01:39 Xavier Bertrand, Pascal Praud et Eric Ciotti s'y sont tous mis.
01:42 Les 1200 pétitionnaires ont été traités de cafards par le Figaro, de nobody par CNews
01:49 et de jaloux.
01:50 En réalité, Sylvain Tesson ne fait pas de politique.
01:55 Il exprime une passion de l'aventure un peu surannée, une vision de la littérature
02:01 un peu figée, avec des phrases un peu enflées qu'on peut juger emphatiques, les grands
02:08 espaces blancs, désertiques, le vent sur les steppes et en dépit de ces chiffres de
02:13 vente, la jalousie n'est peut-être pas du côté qu'on croit.
02:16 Philippe Solers, à la première page de son livre La guerre du goût, écrit « Oh écoutez,
02:26 au point où nous en sommes, nous n'avons plus qu'une seule ambition, qu'on nous
02:30 laisse tranquille, que nous puissions vérifier l'expérience.
02:34 » Quelle expérience ?
02:36 L'expérience sensible, intérieure, lire, entendre, voir.
02:44 La guerre du goût n'est pas une guerre entre ceux qui aiment les mots et ceux qui
02:48 ne les aiment pas, tout le monde les aime.
02:51 Ce n'est pas une affaire d'esthétique, c'est une affaire de goût au sens où les
02:58 goûts et les couleurs se discutent, âprement, parce qu'ils essaient de représenter la
03:03 vie réelle, et souvent y échouent.
03:05 La bataille ne date pas d'hier.
03:09 1830, la bataille d'Ernani de Victor Hugo porte sur les règles de versification.
03:14 1823, Stendhal rapporte une anecdote qui a eu lieu à Baltimore l'année précédente.
03:21 Le soldat en faction à l'intérieur du théâtre, voyant Othello tuer Desdémone au cinquième
03:27 acte, s'écrit « Il ne sera pas dit qu'en ma présence, un maudit nègre aura tué
03:31 une femme blanche ».
03:32 Il tire sur l'acteur qui joue Othello, le blesse au bras.
03:36 Ce soldat a beau être un militaire et savoir manier les armes, c'est un naïf qui a
03:44 de l'illusion et qui confond le réel et sa représentation imaginaire.
03:49 Il y aura une guerre.
03:51 Il y a déjà une guerre.
03:54 L'extrême droite peut débarquer autant qu'elle veut, absorber tous les bancs de
03:58 l'hémicycle, à la manière d'une maladie comme celle que décrit Paul Preciado.
04:02 Il y aura une guerre.
04:03 Poétique.
04:04 Littéraire.
04:05 Et elle a déjà commencé.
04:07 NICOLAS : Christine Angot, merci.

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