L'interview d'actualité - Alexandre Macé Dubois

  • il y a 7 mois
1 Français sur 5 est atteint de maladie mentale, soit 13 millions de personnes. Joanna Ghiglia reçoit à cette occasion Alexandre Macé Dubois, journaliste et auteur du livre « A en devenir fou. Dans la peau d'un schizophrène ». Pour rédiger son ouvrage, il s'est mis dans la peau d'un schizophrène et a intégré un service psychiatrique. Il nous parle de cette maladie encore très méconnue et sujette à de nombreux stéréotypes. 

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Transcript
00:00 -Bonjour Alexandre Massé-Dubois.
00:02 Il y a une tribune qui a été publiée il y a quelques jours
00:05 dans le journal "Le Monde"
00:06 pour demander la suppression du mot "schizophrénie",
00:09 parce qu'un collectif alerte sur les stéréotypes
00:12 qui sont associés à cette maladie mentale.
00:14 Selon l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé,
00:17 la schizophrénie se caractérise par des troubles mentaux,
00:20 des troubles importants de la perception de la réalité,
00:24 et aussi par des altérations du comportement.
00:27 Alors vous, vous vous êtes mis dans la peau d'un schizophrène
00:30 et vous avez infiltré un service psychiatrique.
00:32 Pour vous, c'est quoi, un schizophrène ?
00:35 -Pour venir sur cette tribune, pour moi, c'est pas le débat.
00:38 Là, c'est un débat linguistique, c'est pas du tout la question.
00:40 En revanche, sur cette stigmatisation,
00:42 oui, je pense qu'il faut réfléchir à la manière dont on traite
00:45 les gens qui ne sont pas comme nous, qui sont en marge de la société.
00:48 C'est intéressant, il y a un psychiatre décédé en 2003, Lucien Bonafé,
00:52 qui disait qu'on jugeait du degré de civilisation d'une société
00:55 par la manière dont elle traitait ses déviants et ses marges.
00:59 Et je pense qu'on peut revoir aussi toute l'histoire de la folie.
01:02 Michel Foucault parlait très bien, les premiers asyles d'aliénés
01:05 sont nés dans les murs des océans, les proseries.
01:09 Et aujourd'hui, ça n'a pas changé, en fait.
01:12 Au Moyen Âge, les fous étaient envoyés dans la nef des fous,
01:15 le bateau vers l'inconnu.
01:17 Donc c'est plus l'image qu'on se fait nous-mêmes de la folie
01:20 qu'un débat linguistique.
01:22 -Vous, vous avez décidé d'infiltrer, d'être en immersion
01:25 dans ce service de psychiatrie, ça fait l'objet de votre livre.
01:29 Pourquoi est-ce que vous avez eu cette démarche ?
01:31 -Il y a plusieurs choses.
01:32 J'ai des amis qui sont passés par l'hôpital psychiatrique
01:35 qui m'ont raconté un peu leur quotidien,
01:36 un quotidien fait d'ennuis, de médicaments.
01:39 Et puis j'avais cette curiosité journalistique également.
01:41 Je lisais régulièrement, très régulièrement, trop régulièrement,
01:44 les alertes lancées par les professionnels de la santé,
01:47 mais aussi par Dominique Simonot,
01:49 qui est la compteur générale des lieux de privation et de liberté,
01:52 qui est alerte sur le recours abusif à la contention et à l'isolement.
01:56 Il ne faut pas oublier également que la France est pointée du doigt
01:59 par les ARS, par Dominique Simonot,
02:02 mais aussi par le Conseil de l'Europe et par l'ONU.
02:05 Donc c'est pas rien.
02:06 -Vous avez été interné dans une clinique au nord de Paris,
02:09 et là, vous avez constaté que les conditions,
02:11 vous en parlez un petit peu, il y a quelques instants,
02:13 vous avez constaté que les conditions de prise en charge
02:15 sont terribles sur place.
02:17 Pour quelle raison ?
02:18 -Oui, parce que ce que j'écris, c'est que je m'attendais à voir leur faire
02:20 et j'ai vu le pire.
02:21 -C'est terrible, ça fait froid dans le dos, quand même, cette phase.
02:23 -En fait, on ignore tout ce drame qui se joue derrière ces murs.
02:27 Moi, ce qui m'a frappé, c'est l'ennui, déjà.
02:30 L'ennui.
02:31 Il y a des gens qui...
02:32 En fait, il n'y a rien à faire, il n'y a pas d'activité,
02:34 il y a deux chaises qui se battent en duel,
02:35 il y a un baby-foot sans balle,
02:36 il y a une télé qui ne fonctionne pas.
02:38 Et les gens, les patients, ne les sentent pas.
02:41 Si tant est qu'ils puissent encore marcher,
02:43 parce que c'est la chose qui m'a choqué, évidemment,
02:46 c'est cette hyper-médication.
02:48 Les gens sont complètement shootés au médicament.
02:49 -Ce que vous dénoncez dans votre livre.
02:51 -Bien sûr, les gens font des malaises, des crises d'épilepsie.
02:54 Et en fait, tout le monde s'en fout.
02:55 Il y a un psychiatre qui me disait...
02:58 Finalement, ils ne sont pas lucides.
02:59 Donc, vous, vous avez vu...
03:01 Moi, j'ai vu des choses que je n'aurais pas dû voir,
03:02 mais les "fous", les gens qui sont hospitalisés en psychiatrie,
03:06 ils vivent un calvaire et tout le monde s'en fout.
03:09 -Lors de votre hospitalisation,
03:11 est-ce qu'il y a des moments où vous avez personnellement eu peur,
03:15 pour vous ?
03:16 -Non, j'étais dans ce rôle-là
03:19 et je savais très bien que...
03:20 Alors, le risque de l'expérience, je suis rentré au soin libre,
03:22 ils auraient pu me garder sous contrainte.
03:24 -Vous n'étiez pas sûr de pouvoir sortir.
03:26 -Exactement.
03:27 J'étais sûr de rentrer, mais pas de sortir.
03:29 C'était le risque, c'est ce qui inquiétait mes parents.
03:32 Maintenant, non, le drame, c'est pas moi.
03:34 Le drame, ce sont ces gens-là qui sont hospitalisés,
03:38 parfois pendant des semaines ou des mois ou des années.
03:41 J'ai rencontré quelqu'un, après l'expérience,
03:44 qui m'a dit...
03:45 J'ai passé 20 ans en hôpital psychiatrique
03:46 et j'ai perdu 20 ans de ma vie.
03:48 J'ai reçu beaucoup d'autres témoignages de malades
03:51 qui m'expliquaient, qui me disaient
03:52 "La psychiatrie broie des vies, la psychiatrie m'a tué."
03:56 C'est ça qui est dramatique.
03:57 -C'est-à-dire que vous pensez qu'on peut ressortir "plus fou"
04:00 qu'en entrant ?
04:01 -D'où le titre du bouquin, évidemment.
04:03 Je suis pas le seul à le dire,
04:04 il y a le psychiatre Roger Jotis qui expliquait
04:07 que l'hôpital psychiatrique était une fabrique à fou.
04:10 Et en fait, avec ce manque de moyens,
04:12 donc ce manque d'activité,
04:14 cet ennui, ces médicaments,
04:16 oui, ça fabrique des fous.
04:18 Ça n'aide pas du tout à une réinsertion de la société
04:21 et on met des gens qui ne sont pas comme nous,
04:23 qui ne répondent pas aux normes que la société veut nous imposer,
04:26 on les met à l'écart, on les met au bord de la société,
04:29 et comme on faisait déjà il y a cinq siècles.
04:32 -C'est pas banal, ce que vous avez vécu.
04:34 Est-ce qu'il vous reste des séquelles de cette infiltration,
04:36 de cette immersion ?
04:37 -Non, pas du tout.
04:38 -Vous êtes ressorti, comme vous êtes entré,
04:41 vous avez des choses qui avaient changé.
04:43 -Oui, j'ai fait cette expérience dans le but de témoigner,
04:46 de raconter un quotidien.
04:48 Et puis j'avais ce projet de livre.
04:50 Non, j'ai pas gardé des séquelles.
04:51 En revanche, les gens qui sont hospitalisés des années,
04:54 eux gardent des séquelles.
04:56 -Qu'est-ce qu'il faudrait faire, très concrètement,
04:57 parce qu'on parle beaucoup de fermeture de lits en 40 ans ?
05:00 60 % des lits ont été fermés.
05:03 C'est ça aussi le problème ?
05:04 -C'est ça, et il y a 40 % des postes qui sont vacants en psychiatrie.
05:08 Il y a un manque de moyens.
05:09 Moi, je pense aux infirmiers.
05:11 Les infirmiers travaillent dans des conditions déplorables,
05:14 avec des salaires misérables.
05:16 Il y a plus de formation en psychiatrie,
05:17 il doit le diplôme infirmier.
05:19 Donc il y a ce manque de moyens humains,
05:22 mais il y a aussi toute une politique derrière,
05:24 il y a tout un système à revoir,
05:25 un système qui est basé sur l'hypermédication.
05:28 Et c'est ça qui est dramatique.
05:29 En fait, il y a une augmentation de la consommation des psychotropes
05:31 par des gamins.
05:33 Entre 6 et 17 ans, ça a été augmenté.
05:35 Ça a pris 60 % en 10 ans.
05:37 Le prix des médicaments a explosé, a été multiplié par 6,
05:40 sur la même période.
05:41 Et on a un système contre-productif
05:43 qui se base sur cette médication.
05:45 Faute de moyens, faute de moyens humains,
05:48 faute d'accompagnement, il n'y a pas de psychothérapie.
05:50 En fait, on met ces gens à l'écart
05:52 et on les gaffe de médicaments, parce qu'on ne veut pas les voir.
05:55 Il n'y a pas de suivi, il n'y a pas d'accompagnement,
05:57 donc ça rend fou.
05:58 Ce qui amène aussi, comme vous l'avez dit,
05:59 un manque d'humanité dans les services.
06:01 Merci beaucoup, Alexandre Massé-Dubois, d'avoir été avec nous.
06:04 Je rappelle que vous êtes journaliste et auteur du livre
06:07 "À en devenir fou". Bonne journée.
06:08 Merci. Merci à tous les deux.

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