L'Assemblée nationale a adopté jeudi à l'unanimité des mesures visant à freiner la "fast fashion". Mais la députée La France insoumise Alma Dufour, invitée sur franceinfo, craint que le ministère de l'Economie ne cherche à en diminuer la portée.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonsoir Alma Dufour, députée NUPS LFI de Seine-Maritime.
00:04 Vous avez été très impliquée en commission sur cette proposition de loi Horizon, adoptée
00:09 à l'unanimité, il faut le souligner par les députés cet après-midi, qui vise à
00:13 réguler ce qu'on appelle la fast fashion, mode rapide, certains disent jetable.
00:17 Le texte prévoit de définir le phénomène.
00:19 Alors allons-y, comment on peut décrire en quelques mots l'ampleur du phénomène ?
00:23 Pourquoi il faut selon vous résister à cette fast fashion ?
00:25 Alors déjà, il y a ce qu'on appelle la fast fashion et l'ultra fast fashion.
00:29 Mais le texte est divisé en deux morceaux, un qui traite de l'ultra fast fashion, les
00:33 marques comme SHEIN par exemple, qui sont des marques connues pour mettre en ligne des
00:37 millions de références chaque année, donc avec un renouvellement très rapide qui pousse
00:40 encore plus à la consommation si c'était possible dans le secteur de la mode.
00:45 Et la fast fashion en général, comme ZARA, comme H&M, ces marques qui ont pignon sur
00:49 rue depuis longtemps.
00:50 Donc il y a des marques françaises aussi ?
00:51 Aussi des marques françaises, c'est-à-dire toute l'industrie de la mode qui depuis les
00:55 années 80 a délocalisé dans les pays du sud pour casser les coûts de production,
00:59 mais aussi qui pollue énormément, car on ne le dit pas assez, le secteur textile c'est
01:02 jusqu'à 10% des émissions mondiales aujourd'hui.
01:05 Vous dites des milliers, les chiffres sont importants ? L'ordre de grandeur c'est quoi ?
01:10 Nous le seuil qu'on voulait mettre sur l'article 1 sur l'ultra fast fashion c'est un million
01:14 de références différentes par an.
01:16 Donc vous voyez, c'est quand même, il y a de la marge.
01:17 Et ça, ça concerne, les ultra fast fashion sont là-dedans ?
01:19 Voilà, et après pour les mises en marché générales de la fast fashion, il faut comprendre
01:24 qu'on importe aujourd'hui 50 vêtements par habitant français chaque année.
01:27 Plus de 2 milliards, rien que pour la France.
01:30 Et c'est un phénomène qui, malgré les appels à consommer autrement, malgré le développement
01:34 de la seconde main, ne fait qu'exploser depuis 15 ans.
01:37 Et c'est pour ça qu'il fallait une loi qui régule ça.
01:39 Vous dites, on voulait instaurer ce seuil d'un million, ce n'est pas le cas ? Ce seuil
01:44 sera fixé par décret ?
01:45 Exactement, et c'était une de nos batailles avec le gouvernement.
01:48 Pour quelles raisons ?
01:49 Alors, nous, ce qu'on voulait, c'est le fixer dans la loi, parce qu'on a eu déjà l'expérience
01:53 malheureusement que le gouvernement recule sur des textes qu'il avait adoptés qui étaient
01:56 ambitieux, comme le cas de la loi Économie circulaire en 2019, qui était déjà assez
02:01 ambitieuse et le gouvernement n'avait jamais pris les décrets qui permettaient d'aller
02:04 jusqu'au bout de la loi, et notamment sur le textile.
02:06 On aurait pu mettre déjà des malus environnementaux sur les vêtements, qui pouvaient aller jusqu'à
02:11 20% du produit, or les décrets ne sont jamais sortis, on est restés à une dizaine de centimes
02:15 par vêtement.
02:16 Donc là, nous, ce qui nous fait peur, c'est que le gouvernement, encore une fois, prenne
02:20 des seuils très très hauts, qui ne concernent quasiment personne.
02:23 Il y a un risque, ça ?
02:24 Il y a un risque.
02:25 Il y a un risque parce qu'aujourd'hui, on a senti par contre le ministre Béchu très
02:28 enthousiaste sur le texte, enfin vraiment en soutien.
02:30 Par contre, on sait que du côté de Bercy, du côté de Bruno Le Maire, il y avait beaucoup
02:34 plus de réticences, parce que cette loi, elle n'arrange pas tout le monde dans l'industrie
02:38 de la mode, elle n'arrange notamment pas les acteurs du luxe qui exportent beaucoup
02:41 en Chine et qui ont peur effectivement qu'on mette la pagaille dans les relations commerciales
02:46 avec la Chine, mais qui ont contribué à la disparition de 375 000 emplois en France
02:50 dans la fabrication de vêtements.
02:51 Ce qui rend notamment furieux la fast fashion, les marques qui produisent, Chine, mais même
02:56 l'Alliance du commerce en France, c'est que le bonus malus va être assis sur l'affichage
03:00 environnemental.
03:01 Concrètement, c'est une étiquette ? Avec quoi ? Les émissions carbone, l'eau ?
03:04 Exactement.
03:05 En fait, elle a plusieurs volets.
03:06 C'est une note ? C'est quoi ?
03:07 C'est une note.
03:08 Enfin, on ne sait pas encore comment exactement ce sera présenté au consommateur, ABCDE
03:13 ou une note en chiffré, etc.
03:14 La question, c'est que ça prend en compte évidemment l'impact carbone.
03:17 Il est central dans l'affichage environnemental, mais aussi des techniques qu'on appelle
03:21 de surproduction, de poussée à la consommation, etc.
03:24 La méthodologie est pour l'instant assez ambitieuse.
03:26 Il doit sortir dans les mois qui viennent.
03:28 C'était une méthodologie robuste et scientifique qui nous permettent justement de donner des
03:33 pénalités, des malus, donc des taxes environnementales, en fonction des efforts que font les marques
03:38 pour améliorer l'impact environnemental de leurs vêtements.
03:41 Et jusqu'en 2030, on pourrait atteindre 10 euros pour les pires produits.
03:45 Donc, c'est vraiment un changement majeur qui se dessine dans le secteur et rien n'a
03:49 été fait de tel à l'échelle du monde entier.
03:51 Sauf que là encore, ce sera dans les décrets.
03:53 Le chiffre n'y est pas.
03:55 A nouveau, voyons-y.
03:56 Alors, les 10 euros y sont.
03:57 La question, c'est est-ce que ce sera 10 euros juste pour la pire des marques ? La
04:00 pire des pires des pires des marques et 30 centimes pour Zara et H&M.
04:04 Ou est-ce que ce sera progressif de 1 euro à 10 euros en fonction des impacts, mais
04:09 que ça concernera tout le secteur ? Car il faut voir, la Chine, c'est un acteur nouveau
04:14 qui dérange beaucoup parce qu'il aggrave une situation.
04:16 Mais la situation est déjà très grave.
04:18 Et le secteur texan n'a pas entendu l'arrivée de Taimou, de Chine pour délocaliser, pour
04:23 détruire des emplois, pour exploiter les travailleurs à l'autre bout du monde et
04:25 pour polluer la planète.
04:26 Donc, c'est un problème global qu'il faut régler de façon globale.
04:29 Comment vous expliquez cette étonnante unanimité dans l'hémicycle sur la Fastation et qu'on
04:36 ne trouve pas sur l'avion, sur les gros SUV et autres ?
04:39 J'en ai été fortement surprise.
04:41 Je pense qu'honnêtement, il y a une histoire de personnes.
04:45 Il faut saluer le travail de la rapporteure Anne-Cécile Violand de Horizon, qui a déposé
04:50 cette PPL un peu dans son coin et qui a convaincu autour d'elle et qui a fini par emporter
04:54 l'adhésion du ministère de l'Environnement, de Christophe Béchut, contre l'avis de
04:59 Bruno Le Maire.
05:00 En réalité, on a eu les bris de couloir et Bruno Le Maire, encore une fois, est plutôt
05:02 opposé à ce dispositif.
05:04 Et je pense aussi qu'à l'approche des élections européennes, il fallait envoyer
05:08 un signal pour la majorité qui voulait faire des choses sociales et environnementales.
05:11 Mais on appelle vraiment à rester vigilant parce que le passage au Sénat pourrait être
05:15 l'occasion de détricoter le texte, à la fois pour Bercy et à la fois pour les sénateurs
05:20 Les Républicains.
05:21 Qu'est-ce qui vous fait craindre ça ?
05:22 Eh bien parce que Bercy, comme je vous l'ai dit…
05:24 Puisque tous les partis à l'Assemblée…
05:26 Oui, mais parce que nous, on a eu des bris de couloir comme quoi pendant plusieurs semaines,
05:30 Bercy était opposé au texte.
05:31 Et donc ce qu'on sait, c'est que Bercy, ce qui va protéger aussi les intérêts des
05:35 industries du luxe qui représentent une grosse partie du PIB, on le fait aussi dans l'agriculture,
05:39 il y a toujours ces enjeux-là.
05:40 En fait, dans les traités de libre-échange, il y a des entreprises qui perdent et des
05:43 entreprises qui gagnent.
05:44 La question, c'est que Bercy pourrait être tenté de diminuer la portée du texte pour
05:49 ne pas trop froisser la Chine et pour ne pas qu'il y ait des rétorsions commerciales
05:52 sur les marques de luxe qui exportent beaucoup en Chine.
05:54 Ça, c'est du côté de Bercy.
05:55 Ce qui s'entend, mais à raisonner comme ça et à protéger une poignée d'entreprises
06:01 qui, certes, font beaucoup de chiffres d'affaires, on ne protège pas l'industrie en général
06:06 dans notre pays, sachant que le secteur textile contribue lourdement à notre déficit commercial.
06:12 Si on veut juste parler d'économie, aujourd'hui, c'est le troisième secteur déficitaire
06:16 de notre balance commerciale.
06:17 C'est 12 milliards d'euros de pertes dans notre balance commerciale parce qu'on importe
06:20 98% des vêtements en France.
06:23 Donc, il faut pour protéger le plus grand nombre, permettre à l'industrie de se relocaliser.
06:27 Oui, des fois, il faut un peu marcher sur les pieds de certains grands groupes qui,
06:31 par exemple, ont des marchés à l'étranger.
06:32 Beaucoup de bienfaits environnementaux et en même temps, tout ça vient heurter quand
06:35 même une autre problématique et c'est le pouvoir d'achat.
06:37 Ça rend clairement les produits plus chers, notamment pour les familles nombreuses.
06:41 Modeste.
06:42 On a fait vraiment très attention au fait que déjà, le malus sera progressif.
06:48 C'est-à-dire qu'on ne commence pas à 10 euros demain.
06:50 Ça va progressivement, ça commence à 1 euro, 2 euros, etc. jusqu'en 2030.
06:55 Donc, c'est lissé dans le temps.
06:57 Et le malus va être reversé en bonus pour les entreprises vertueuses.
07:02 Ça veut dire le Made in France ?
07:04 Ça veut dire le Made in France, notamment.
07:06 Ça veut dire que l'idée, c'est d'arriver à terme à faire baisser le prix du Made
07:11 in France pour que les gens puissent s'offrir enfin des produits qui sont fabriqués dans
07:14 des conditions sociales et environnementales vertueuses.
07:16 Ensuite, il y a un problème de pouvoir d'achat plus global en France.
07:19 Mais ce qu'on doit rappeler, c'est que le problème des gens, c'est le prix du logement
07:22 qui explose 120% en 20 ans, alors que le revenu des ménages, c'est 29%.
07:27 C'est l'alimentation qui a pris 20% cette année.
07:29 C'est l'électricité.
07:30 Tout ça, on est contre l'augmentation des prix.
07:32 On est même pour des blocages sur les vêtements.
07:34 Il faut comprendre qu'on ne peut plus tolérer la manière dont sont traités les ouvriers
07:39 à l'autre bout du monde et le fait que ce secteur, aujourd'hui, nous envoie dans
07:42 le chaos climatique.
07:43 Et donc, c'est un effort progressif juste et qui permet de créer des emplois en France
07:47 à tard.
07:48 Mais ça, il faut le prendre en compte.
07:49 En quelques mots, quel sens a-t-il de le faire en France ?
07:51 L'ambition, est-ce que l'Europe s'en inspire ?
07:53 Parce qu'une loi peut remettre en question vraiment le développement de la fast fashion ?
07:58 Alors, au niveau mondial, certainement pas.
08:01 Mais nous, le problème, c'est qu'on peut toujours attendre que l'Union européenne
08:03 prenne les devants sur ce sujet.
08:04 Elle ne l'a jamais fait depuis 15 ans.
08:06 C'est-à-dire que vraiment, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières dont
08:09 on nous parle très souvent ne concerne que cinq secteurs, que les matières premières
08:12 ne concernent absolument pas le textile.
08:14 Pas l'ombre d'une mesure ambitieuse sur le sujet n'a vraiment été proposée par
08:18 la Commission européenne depuis une dizaine d'années.
08:20 Donc nous, à la France Insoumise, ce qu'on dit, et dans le cadre des élections européennes,
08:23 casse la ne tienne, prenons les devants et évidemment qu'on espère que les autres
08:27 pays vont nous suivre et que ça va créer un effet d'entraînement.
08:29 Merci beaucoup Alma Dufour, députée NUPES de Seine-Maritime.