SMART SPACE - Emission du vendredi 22 mars

  • il y a 6 mois
Vendredi 22 mars 2024, SMART SPACE reçoit Michel Matas (avocat associé, De Gaulle Fleurance) , Matthieu Chartier (managing director, Starburst France) et Jean-Daniel Testé (PDG d’OTA, président de l’Aerospacelab France)
Transcript
00:00 [Générique]
00:04 Bonjour à tous et bienvenue dans Smart Space.
00:07 Starship franchit enfin les portes de l'espace.
00:11 Nous allons revenir ensemble sur les étapes pas toutes réussies,
00:14 vous le verrez, de ce troisième vol test dans notre émission.
00:18 On parlera aussi de Zephalto, l'entreprise toulousaine
00:21 qui veut embarquer dans la stratosphère en ballon touristique.
00:25 L'entreprise annonce son tout premier vol habité.
00:28 Et puis on va aussi parler de défense spatiale
00:31 avec la quatrième édition de l'exercice militaire spatial Asterix
00:35 qui s'est tenue il y a quelques jours à Toulouse.
00:38 Enfin de votre Space Talk, on va se poser des questions
00:42 sur la loi spatiale, la force de financement,
00:45 pour comprendre comment l'Europe et puis la France surtout
00:48 préparent le terrain des entreprises du New Space
00:51 pour garantir leur développement économique.
00:54 Voilà pour le sommaire, direction l'espace tout de suite dans Smart Space.
00:58 La fusée Starship de SpaceX est envolée jusque dans l'espace
01:06 pour sa troisième tentative.
01:09 Le vol d'essai sans équipage a décollé le matin du jeudi 14 mars dernier
01:13 depuis la Starbase de SpaceX à Boca Chica au Texas.
01:17 L'étage supérieur de 50 mètres de haut, rappelons-le de la méga fusée,
01:21 s'est séparé avec succès de son étage inférieur de propulsion
01:24 avant de se lancer direction l'espace.
01:28 Mais le retour sur Terre s'est avéré, lui, un tout petit peu plus critique.
01:32 Malgré une résistance à la chaleur impressionnante
01:35 lors de sa réentrée dans l'atmosphère,
01:38 Starship n'a pas survécu à cette étape cruciale
01:42 et n'est donc pas pu amérir dans l'océan.
01:45 Pour rappel, c'est ce vaisseau qui doit transporter des humains
01:48 vers la Lune pour le compte de la NASA en 2026.
01:52 A priori, une date qui a déjà été reportée une première fois.
01:55 Une bonne nouvelle tout de même, au cours de sa traversée de l'espace,
01:59 le vaisseau Starship a testé une nouvelle manœuvre
02:02 qui consistait à transférer 11 tonnes d'oxygène liquide froid
02:06 entre deux réservoirs intérieurs.
02:09 Un système de transfert qui sera indispensable
02:11 lors du voyage vers la Lune programmé par la NASA.
02:14 En résumé, une journée plutôt réussie,
02:17 si l'on en croit la déclaration officielle de l'entreprise.
02:21 Autre actualité, la start-up toulousaine Zephalto
02:24 se prépare pour son tout premier vol habité.
02:28 Un vol stratosphérique à bord d'un ballon
02:30 pour une expérience touristique hors norme à 25 km d'altitude.
02:35 L'opération se déroulera depuis le circuit automobile de Nogaro, dans le Gers.
02:39 A son bord, deux pilotes d'essai,
02:41 dont le fondateur de Zephalto, Vincent Faredastier.
02:44 La date exacte n'est pas encore fixée.
02:46 En attendant, notamment un meilleur créneau météorologique.
02:50 Si ce vol réussit, l'entreprise pourra mettre en branle ses vols touristiques.
02:55 La nacelle pourra embarquer jusqu'à 6 passagers
02:58 pour un ticket d'entrée autour de 120 000 euros par personne.
03:04 Dernière actualité, la quatrième édition de l'exercice militaire spatial Asterix
03:10 vient de se dérouler à Toulouse.
03:12 Un exercice d'envergure auquel a pu assister en tant qu'observateur
03:16 Jean-Daniel Testé, président d'Agena Space et consultant en sécurité dans l'espace.
03:21 Bonjour Jean-Daniel, bienvenue dans Smart Space.
03:24 Quel était l'objectif principal de cet exercice d'envergure ?
03:28 Il y a plusieurs objectifs bien entendu,
03:30 parce que ce n'est pas un exercice d'envergure.
03:34 Je dirais que si aujourd'hui je devais en sortir un en particulier,
03:37 c'est un objectif international.
03:39 Chaque année il y avait des participants de nombreux pays alliés qui participaient,
03:43 mais cette année c'était vraiment un record, on en est plus d'une quinzaine.
03:46 Donc c'était un gros challenge d'internationaliser à ce niveau-là cet exercice.
03:50 C'était vraiment une réussite.
03:52 Quel était le scénario global cette année ?
03:54 Je sais qu'il y a peut-être plusieurs scénarios,
03:56 mais il y a quand même une ligne générale qui s'est dessinée.
03:59 La ligne qui est toujours la même,
04:02 c'est la préservation des capacités spatiales des pays alliés
04:07 dans le cadre d'une crise terrestre.
04:10 C'est bien logique, et je l'ai dit à plusieurs reprises,
04:13 il n'y a pas de crise spatiale sans crise terrestre.
04:17 Aujourd'hui il y a un contexte qui se passe sur la Terre,
04:20 des événements, une crise géopolitique,
04:22 et dans ce cadre-là les moyens spatiaux sont utilisés en soutien.
04:25 On l'a déjà dit aussi à plusieurs reprises au sein de notre antenne,
04:29 le spatial est un soutien essentiel aux opérations,
04:32 que ce soit pour le renseignement, que ce soit pour les télécommunications,
04:35 et bien entendu la navigation et la synchronisation des événements.
04:39 Donc le soutien spatial est indispensable,
04:41 et donc il faut le protéger, il faut le préserver.
04:43 Et bien entendu si l'adversaire est conscient de notre besoin de soutien spatial,
04:48 il a tendance à essayer de nous supprimer soit brouiller les télécommunications,
04:52 soit perturber les signaux GNSS, que ce soit sur radio, que ce soit sur GPS,
04:56 en tout cas ceux qu'on utilise,
04:58 soit empêcher les satellites d'observation ou d'écoute
05:01 de faire le recueil d'informations au-dessus de la zone de crise.
05:04 Donc dans ce scénario global,
05:06 qui est une continuité entre un scénario conventionnel aéroterrestre,
05:10 et puis ce qui se passe dans l'espace,
05:13 il y a toute une série d'événements.
05:15 Alors de mémoire au sein de l'Astérix 2024,
05:18 il y en a plus d'une vingtaine, 23 d'événements de toute nature,
05:21 parmi tout ce que je viens de citer,
05:23 c'est-à-dire du brouillage de télécommunications,
05:25 de l'illumination de satellites d'observation,
05:28 du brouillage de l'UEO, du GPS,
05:32 et aussi de l'action dans l'espace pour aller intimider nos satellites
05:36 et faire peser une menace directement dans l'espace
05:39 sur nos satellites qui rendent tous ces services,
05:41 pour nous intimider,
05:43 et éventuellement, si la manœuvre va jusqu'à son terme,
05:47 essayer de faire cesser les services qu'ils rendent.
05:50 Donc un scénario très compliqué, très complexe,
05:53 comme je l'ai dit tout à l'heure,
05:55 avec en soutien une participation de beaucoup de pays alliés,
05:58 donc une communauté internationale très consciente
06:01 de ces besoins.
06:04 - Vous pouvez nous donner quelques exemples, peut-être,
06:06 de ces partenaires qui ont participé ?
06:08 On compte quoi ? Des acteurs privés, des institutions,
06:11 d'autres agences spatiales ?
06:13 - Non, très bien, vous avez raison de me rappeler,
06:15 il n'y a pas que des acteurs.
06:17 Quand je citais les acteurs internationaux,
06:19 c'est essentiellement des services homologues
06:21 au commandement de l'espace.
06:23 C'est-à-dire soit des Space Force, soit des bureaux espace,
06:25 soit carrément aussi des commandements d'espace
06:27 de pays alliés, comme les Américains,
06:30 les Allemands, les Britanniques.
06:32 Donc il y a un peu de tout.
06:34 Mais j'avais oublié de citer aussi,
06:36 parce que c'est très important, et en particulier pour Astérix,
06:38 la participation de tout un panel de services industriels,
06:42 puisque nos industriels ont en orbite
06:46 des capacités qui sont, selon l'idual,
06:49 c'est-à-dire vocations civiles et militaires,
06:51 dont l'objet, enfin la mission,
06:55 peut nous aider à compenser éventuellement
06:58 une perte dans un domaine.
07:00 Donc cette participation industrielle est essentielle
07:03 et fait complètement partie, depuis le début,
07:06 des exercices de base et des exercices à service.
07:08 - Est-ce qu'on pourrait dire que l'exercice a été une réussite ?
07:11 Est-ce qu'à la fin, il y avait un échec possible
07:14 dans cet exercice-là des équipes du commandement de l'espace ?
07:18 - L'exercice est tellement complexe
07:20 que des sources d'échecs, il y en a un peu partout.
07:22 Il faut dire que tout a été parfait,
07:24 même si c'était le commandement de l'espace
07:26 qui en parlait, il vous dirait
07:28 "non, il y a toujours des petits bugs".
07:30 Mais globalement, c'est une réussite.
07:32 Quand on voit les enjeux que j'ai détaillés
07:35 au début de l'interview,
07:37 pour moi, c'est une réussite phénoménale.
07:40 Et si je peux donner une petite touche personnelle,
07:42 parce que je suis des astérix depuis quasiment le début,
07:45 ce qui m'a le plus impressionné,
07:47 c'est la maturité des opérateurs.
07:50 Au tout début, il y a quatre ans,
07:52 lorsque le premier fait, c'était la découverte,
07:55 il y avait un peu de balbutiement.
07:58 Quand les opérateurs pris sur leur métier
08:01 étaient interrogés sur ce qu'ils faisaient,
08:04 il n'y avait pas beaucoup d'assurance,
08:06 il y avait quelques doutes, ils regardaient toujours,
08:08 ils jetaient un coup d'œil vers leur chef
08:10 pour vérifier qu'ils n'étaient pas de béguines, etc.
08:12 Là, ce que j'ai vu, c'est une prise de compétences
08:16 vraiment manifeste,
08:18 et une assurance de tous ces opérateurs
08:20 qui a vraiment grandi
08:22 par rapport à l'exercice de 2021.
08:24 - Et puis j'imagine que le contexte actuel,
08:27 vous avez parlé de contexte tout à l'heure,
08:30 n'était pas sans raisonner dans cet exercice.
08:32 Au même moment, il y a eu une situation géopolitique
08:36 assez intense entre notamment Emmanuel Macron
08:39 et le président Vladimir Poutine
08:41 par échange indirect.
08:43 Est-ce que c'était assez palpable
08:46 pendant cet exercice-là ?
08:48 Est-ce que ça résonnait directement
08:49 sur ce conflit en Ukraine ?
08:51 - Directement, je ne pense pas,
08:54 parce que le président a placé le débat
08:56 dans un autre contexte.
08:58 Le spatial, forcément, est en background
09:00 de toute crise, comme je l'ai dit tout à l'heure,
09:02 mais en fait, les discussions
09:04 et puis les prises de position du président
09:06 vis-à-vis de la Russie,
09:08 elles étaient indépendantes,
09:10 et c'est normal aussi.
09:11 Donc l'exercice, on n'avait pas à en tenir compte,
09:14 puisque l'exercice était dans un scénario,
09:16 je dirais fictif, mais pas tant que ça,
09:18 mais globalement dans un scénario
09:19 qui était complètement indépendant de la situation.
09:21 Ce que je peux dire, par contre,
09:23 c'est qu'au quotidien, aujourd'hui,
09:25 on retrouve des morceaux du scénario Asterix.
09:29 Dimanche, j'ai parlé des brouillages
09:30 de télécommunications,
09:31 des brouillages des signaux GNSS,
09:33 de l'IVU, GPS.
09:34 C'est du quotidien.
09:35 On va regarder aujourd'hui des compagnies aériennes
09:37 qui continuent à faire des vols réguliers
09:39 vers les Pays-Baltes
09:42 et au-dessus des Pays-Baltes.
09:44 Ils remontent quasiment tous les jours,
09:46 des pertes de signaux de navigation
09:49 qui sont dues à des brouillages
09:50 réalisés par les Russes depuis le 5 octobre.
09:52 Merci beaucoup Jean-Daniel Tessé.
09:54 On comprend l'importance de cet exercice
09:56 qui fait figure d'entraînement
09:58 pour préparer notre commandement
10:00 de l'espace aux situations à venir.
10:01 Jean-Daniel Tessé, je rappelle que vous êtes
10:02 président d'Agena Space
10:04 et consultant en sécurité dans l'espace.
10:06 On enchaîne avec notre talk tout de suite sur Bismarck.
10:14 La France dispose de la première industrie spatiale européenne
10:17 et pourtant l'avenir de ces entreprises
10:19 n'est pas forcément garanti.
10:21 Il faut d'abord construire un cadre national,
10:23 un cadre européen suffisamment compétitif.
10:25 C'est le terme qui va nous intéresser aujourd'hui.
10:28 Comment ? On va tenter de le définir ensemble
10:30 avec nos invités en plateau.
10:32 A ma gauche, Mathieu Chartier, managing director
10:34 chez Starburst France.
10:36 Bonjour.
10:37 Bienvenue sur le plateau de Smartspace.
10:39 En face de vous, on a Michel Matas,
10:41 avocat associé chez De Gaulle Florence.
10:43 Bonjour.
10:44 Bonjour.
10:45 Bienvenue sur le plateau de Smartspace.
10:47 Avec plaisir.
10:48 On est content de pouvoir parler de ce sujet aujourd'hui.
10:50 C'est important.
10:51 On a tout un écosystème de start-up
10:54 et d'entreprises historiques et de start-up
10:56 qui se côtoient aujourd'hui en France.
10:58 L'idée ensemble, c'est de comprendre
11:00 comment on va pouvoir leur garantir
11:02 une certaine prospérité économique à l'avenir.
11:05 Est-ce qu'un cadre réglementaire
11:07 va pouvoir favoriser cette prospérité ou pas ?
11:10 Mathieu, peut-être que vous pouvez commencer par nous dire
11:14 si on sait ce que représente le chiffre d'affaires
11:17 du secteur spatial français au sein de l'Europe.
11:20 Tout à fait.
11:21 C'est une question qui peut être largement débattue.
11:24 Si on se concentre sur l'industrie spatiale,
11:27 c'est environ 3 milliards en France,
11:29 environ 30 000 employés.
11:31 Si on prend un périmètre un peu plus large,
11:35 ce qui est intéressant,
11:37 avec toutes les applications spatiales
11:39 et les chiffres d'affaires, notamment avec la donnée,
11:42 les télécommunications,
11:44 on parle d'environ 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
11:47 Si on prend un peu de perspective,
11:49 c'est entre 30 et 40 % de l'activité économique européenne
11:52 autour du spatial.
11:53 Déjà, on a mis le doigt sur le premier problème,
11:56 définir le revenu généré,
11:58 le chiffre d'affaires généré par le spatial en France.
12:01 C'est dû à quoi, à cette amalgame
12:03 entre l'aérospatial, le spatial, la data, la tech ?
12:06 C'est exactement ça.
12:07 Vous avez parfaitement, vous et Mathieu, résumé le sujet.
12:10 C'est-à-dire qu'on a globalement en France...
12:13 La France fait partie des rares pays
12:16 qui a toujours construit des avions, lancé des fusées,
12:19 envoyé des satellites.
12:20 On est un pays d'ingénieurs.
12:21 Je pense que c'est une des grandes fiertés de la France.
12:24 A raison.
12:25 On a aussi un modèle économique,
12:26 et ça on en parlera, je pense, tout à l'heure,
12:28 sur le financement des start-up un peu colbertiste,
12:30 qui consiste à utiliser l'argent public
12:33 comme levier pour l'argent privé,
12:36 à la fois la commande publique,
12:37 mais aussi l'investissement public,
12:40 qui fait qu'aujourd'hui, on a un écosystème assez large.
12:44 Alors, on a les acteurs très connus,
12:46 les lanceurs ou les exploitants de satellites,
12:48 comme Airbus, qui est...
12:51 Ariane, qui est le lanceur le plus connu.
12:54 Airbus, qui construit des satellites
12:56 et des constellations de satellites.
12:58 Telsat, qui exploite les grands satellites géostationnaires.
13:03 On en parlera peut-être un peu, de la différence entre...
13:06 On en parle souvent, oui, dans Smart Space.
13:08 Les géos et les léos,
13:09 entre la basse orbite et l'orbite géostationnaire.
13:12 Ce ne sont pas les mêmes contraintes techniques,
13:13 ce ne sont pas les mêmes coûts,
13:14 ce ne sont pas les mêmes coûts d'exploitation.
13:15 Et c'est d'ailleurs pour ça un peu que le New Space arrive
13:18 et se démocratise,
13:19 parce qu'avec des technologies disruptives
13:24 et des sauts technologiques,
13:26 on arrive à faire mieux, beaucoup moins cher.
13:29 Voilà.
13:30 Et le cadre réglementaire là-dedans était un petit peu...
13:34 Historiquement, pour vous donner un ordre d'idée,
13:36 le cadre réglementaire de l'espace,
13:38 c'est un premier traité en 1967 sur l'espace.
13:41 - Le traité de l'espace. - Exactement.
13:43 - Qui ne dit pas grand-chose, finalement.
13:45 - Qui dit quand même un certain nombre de choses,
13:47 mais qui reste au niveau intérêt statique,
13:49 puisque à l'époque, la conquête de l'espace
13:51 n'est perçue que comme une conquête intérêt statique.
13:54 Donc il s'agit de dire l'espace n'appartient à personne.
13:57 Le dessus de l'espace n'est pas le reflet des continents.
14:01 Il n'y a pas la partie qui appartient à la Russie,
14:03 à la Chine, à la France, aux Etats-Unis.
14:05 Donc c'est un système de coexistence entre Etats.
14:08 C'est du droit international public assez classique.
14:11 Et à partir de là, ont été élaborés un second traité,
14:13 un troisième traité, un quatrième traité.
14:15 Et à partir de là, chacun des pays a commencé
14:17 à adopter des lois nationales.
14:19 Donc vous avez une loi américaine,
14:21 avec l'AFCCI qui est l'autorité de contrôle américaine.
14:25 Vous avez la loi française,
14:27 la loi sur les opérations spatiales de 2008,
14:30 qui est à la fois la plus ancienne
14:32 et la plus sophistiquée des lois européennes,
14:36 parce que historiquement, la France est le pays des lanceurs
14:39 et des exploitants de satellites en France.
14:41 Donc on a un peu plus d'ancienneté là-dessus.
14:43 Et il y a une loi luxembourgeoise.
14:45 À l'échelle des pays européens,
14:47 il y a une dizaine de pays qui ont des lois spatiales.
14:50 Et donc toute la question est aujourd'hui,
14:52 comme l'industrie n'est plus une industrie française,
14:56 mais une industrie européenne,
14:58 les lanceurs sont des lanceurs européens,
15:00 il y a le CNES, mais il y a l'ESA,
15:02 il y a le financement européen
15:04 qui est devenu fondamental dans l'écosystème.
15:07 Probablement une des questions les plus importantes,
15:10 c'est celle de la mise en commun
15:12 d'un régime légal et réglementaire
15:14 qui permette d'assurer de la visibilité
15:16 et de la prévisibilité à tous les acteurs.
15:18 - Et c'est là qu'on grasse des dents un petit peu,
15:20 parce que tous les avis sur le sujet,
15:22 depuis déjà quelques mois,
15:24 même la direction de certaines grandes enseignes aérospatiales
15:29 comme Ariane, ont pointé du doigt à l'époque,
15:33 il y a un an déjà,
15:35 cette idée de réglementer tous ensemble en Europe
15:38 et puis d'imposer peut-être trop de contraintes
15:41 à des acteurs nationaux qui ont besoin d'être compétitifs
15:44 face notamment aux États-Unis.
15:46 Donc cette question de réglementer à l'européenne,
15:49 est-ce qu'elle peut être un frein ?
15:51 Vous travaillez directement avec ces nouvelles vagues d'acteurs
15:54 qui arrivent, comment c'est perçu ?
15:57 - Ce qui est sûr, c'est qu'en fait,
15:59 il faut mettre ça en regard de ce qui se passe aux États-Unis
16:02 avec SpaceX qui est intégralement verticalisé,
16:04 donc qui par nature bénéficie de coûts plus faibles
16:07 que les acteurs européens.
16:09 Malgré tout, je pense que si on veut avoir un écosystème
16:12 robuste, on va dire dynamique et moins monopolistique
16:15 qu'on peut l'avoir aujourd'hui aux États-Unis,
16:17 SpaceX étant la seule entreprise quasiment par ULA
16:21 capable de lancer dans le monde,
16:23 enfin en tout cas pour le monde occidental,
16:26 on a besoin de dynamiser et donc d'ouvrir
16:29 un peu plus, de libérer quelques contraintes.
16:31 Malgré tout, ça reste important pour développer l'écosystème
16:34 et on avait cette discussion-là aussi,
16:36 c'est important de générer de la demande.
16:38 Et donc si on veut générer de la demande,
16:40 il faut aussi favoriser les majeures de plusieurs acteurs
16:42 et donc garder des règles de distribution
16:45 ou de répartition qui sont, malgré tout...
16:47 D'accord, donc réglementer plutôt la distribution...
16:50 Ou alors garder de la flexibilité,
16:53 mais garder aussi cette logique de répartition
16:55 qui est importante pour que cet écosystème émerge
16:57 en Espagne, en Italie, dans les pays de l'Est,
16:59 qu'il y ait quand même une dynamique importante
17:01 à l'échelle de l'Europe, parce que le marché européen
17:03 peut être un marché à taille critique pour le spatial.
17:05 Alors l'Europe se concentre sur ce sujet,
17:07 précisément la Commission européenne, je crois que vous pouvez
17:09 nous en dire un mot, il y a une étude en tout cas
17:11 d'une possible réglementation à l'échelle européenne
17:14 du secteur spatial.
17:16 Oui, on parle beaucoup de la loi spatiale européenne,
17:18 c'est tout à fait d'actualité.
17:20 Très récemment, le Parlement européen a adopté
17:23 une résolution en vue de l'adoption d'une loi spatiale européenne.
17:27 Le Parlement français, il y a beaucoup d'actualité en ce moment.
17:30 Il y a eu un rapport fait par la députée Rillac
17:33 sur... C'est Rillac, oui.
17:35 Exactement fin décembre 2023, qui a été déposé à l'Assemblée,
17:38 qui est très intéressant d'ailleurs sur l'écosystème globalement.
17:42 Et il apparaît qu'aujourd'hui, la question phare,
17:46 parce qu'il y a un certain nombre de questions spécifiques
17:48 qui doivent être traitées par la réglementation,
17:50 c'est comment on gère les débris spatiaux
17:53 qui sont un problème de plus en plus important sur les orbites basses,
17:56 compte tenu du nombre... Pour vous donner un ordre d'idée
17:58 sur le nombre de lancements de satellites,
18:01 globalement, depuis qu'on lance les satellites géostationnaires,
18:05 on peut dire que grosso modo, c'est 10 à 15 satellites géostationnaires
18:09 qui sont lancés par an. D'accord ?
18:11 Ils sont lancés à une altitude de 35 000 km,
18:14 ça suppose une grosse infrastructure.
18:16 C'est 10 à 15 par an.
18:18 Dans les 10 prochaines années, en Léo, en orbite basse,
18:22 c'est-à-dire que ce sont des orbites qui sont comprises
18:24 entre quelques centaines de kilomètres et 2 000 km,
18:27 pour faire simple, elles sont de plus en plus basses
18:30 pour un certain nombre d'applications,
18:32 mais sur ces orbites basses, on estime
18:36 à à peu près 5 000, 5 à 6 000,
18:39 les lancements dans les 10 prochaines années.
18:41 C'est-à-dire une granularité, vous êtes dans 10 par an
18:45 versus 600 par an.
18:47 Oui, la croissance exponentielle des satellites en orbite,
18:49 c'est un vrai problème, vous avez raison de le préciser.
18:51 Donc l'idée, ce serait de réglementer premièrement ça,
18:53 la question des débris satellitaires,
18:55 puisque plus il y aura débris, plus le risque va être grand.
18:57 Les risques de collision, on les connaît,
18:59 d'impact sur les activités,
19:02 et commerciales et scientifiques, autour de la Terre.
19:05 La résilience aussi.
19:07 La résilience, tout ce qui est cyberattaque,
19:10 tout ce qui est...
19:11 Oui, on vient de parler d'exercices astéristiques.
19:13 En ce moment, précisément, avec les problèmes géopolitiques
19:16 que nous connaissons tous,
19:18 il y a un certain nombre de problèmes
19:20 sur la résilience des satellites
19:23 et les observations de satellites à toute altitude
19:26 et qui concernent toutes applications.
19:28 Il y a eu pas mal d'anecdotes assez récentes
19:31 qui sont arrivées sur des satellites
19:33 qui viennent se positionner derrière d'autres satellites.
19:35 C'est arrivé en France il y a deux ans avec un satellite russe.
19:37 Oui, et puis il y a ce qu'on sait moins aussi,
19:40 mais il y a une actualité assez importante de ça.
19:43 Et puis, il y a le volet...
19:46 Il ne faut pas oublier que l'Europe
19:48 est un très fort PIB
19:53 et a culturellement, compte tenu de son système démocratique,
19:57 un poids important à exercer en valeur d'exemple
20:01 et en inspirant, par exemple,
20:04 tout ce qui est sur la gestion des débris
20:07 ou de la fin de vie des satellites.
20:09 Les normes européennes auront probablement
20:11 un effet structurant sur l'ensemble du monde
20:14 en matière de satellite.
20:16 Ça, c'est une vision, ça, c'est la question.
20:18 Est-ce que l'Europe va arriver à dicter
20:20 sa loi "au reste du pays" ?
20:22 En fait, moi, j'ai l'impression qu'on a deux discours.
20:25 Le discours qui est plutôt critique
20:27 et qui dit qu'on veut adopter la même attitude,
20:29 la même posture, à l'exemple de Thierry Breton
20:31 et de sa législation sur la donnée.
20:34 On veut adopter la même posture qu'on l'a fait dans la tech
20:37 avec le spatial. Est-ce qu'on va y arriver ?
20:39 Est-ce que ce n'est pas dangereux pour nos acteurs
20:42 qui sont, eux, moins résilients
20:44 que d'autres acteurs de la tech européenne
20:47 qui doivent faire face à cette réglementation ?
20:50 C'est une question compliquée.
20:52 Je ne sais pas si c'est une bonne réponse,
20:55 mais en tout cas, il y a avant tout un sujet de financement.
20:59 On le voit dans la technologie,
21:01 si on fait le parallèle avec l'intelligence artificielle,
21:03 le cloud, il y a quelques années de ça.
21:05 C'est avant tout un sujet de financement,
21:07 de soutien à l'écosystème.
21:09 Et ensuite, commencer à réguler intelligemment.
21:11 Je pense qu'on en est capable en Europe.
21:13 On a plein de têtes bien faites.
21:15 Mais d'être capable de gérer le marteau et l'enclume
21:18 de manière un peu équilibrée,
21:20 mais ça passe avant tout par le financement.
21:23 Je reviens là-dessus.
21:25 Si on n'a pas de champion nationaux,
21:27 on n'a pas de champion de la régulation.
21:29 Pour l'habitude, l'intelligence artificielle est un bon exemple.
21:31 Je pense qu'il faut d'abord créer l'écosystème,
21:33 les champions nationaux et internationaux.
21:35 Et à un moment, c'est pas une question de bonne pratique.
21:38 Seule différence, c'est qu'une fois que les objets sont en haut,
21:41 c'est plus difficile de faire quelque chose.
21:43 En tout cas, c'est plus coûteux en énergie et en argent.
21:46 Il faut aussi, peut-être, se poser des bonnes questions au départ,
21:49 mais pas mal de monde y travaille.
21:51 C'est pour ça qu'on a toute cette nouvelle génération
21:53 qui est prometteuse aussi, en réalité.
21:55 Des entreprises comme Exotrail qui permettent des choses assez extraordinaires,
21:58 de mobilité dans l'espace.
22:00 Des choses qu'on...
22:02 Vous l'avez dit, les satellites géostationnaires,
22:04 on ne peut plus toucher depuis 20 ans.
22:06 Ils sont là-haut, c'est comme ça, et ça ne bouge pas.
22:08 Les satellites qu'on prépare aujourd'hui,
22:10 ils seront plus agiles, en tout cas, c'est l'objectif.
22:12 Donc, effectivement, il y a peut-être un engagement financier
22:15 qui est complètement différent.
22:16 On a réévalué cette échelle-là.
22:18 Mais tout de même, on parle de long terme
22:20 pour le financement de ces entreprises.
22:22 On parle d'entreprises qui ont encore besoin
22:24 de faire leur preuve technologiquement.
22:26 Est-ce que l'aide qu'on a aujourd'hui en France,
22:31 je parle par exemple de France 2030,
22:33 c'est suffisant pour insuffler la confiance
22:36 et puis cette dynamique nécessaire
22:38 pour respirer dans un cadre européen en plus très compétitif ?
22:42 C'est un excellent début.
22:45 C'est une très bonne initiative.
22:47 L'argent public est indispensable.
22:49 Vous avez parlé de durée des cycles, du risque que ça comporte.
22:51 Les investisseurs privés, par la nature de leur investissement,
22:55 ont peur du risque dans une certaine mesure.
22:57 Il faut du financement public pour dérisquer
22:59 ou en tout cas mettre une première dynamique en place.
23:03 Ce n'est probablement pas assez.
23:05 Si on parle d'échelle, quand on regarde par rapport à la Chine,
23:07 l'Inde, aux États-Unis et à d'autres pays,
23:09 il y a une notion de taille critique
23:11 qui n'est probablement pas suffisante.
23:13 Mais en tout cas, l'intention est bonne.
23:15 Les financements sont fléchés sur les bons sujets.
23:18 L'accès à l'espace, la surveillance de l'espace,
23:20 les services en aval de traitement de la donnée,
23:22 d'observation de la Terre.
23:24 Globalement, l'orientation est bonne.
23:26 Je pense que c'est une question de rassembler les énergies
23:29 et de concentrer les efforts.
23:31 Il faut imaginer qu'en Europe, il y a plus de 15 projets de lanceurs.
23:34 Une vingtaine.
23:36 Il n'y a pas un marché en Europe pour ces 20 lanceurs.
23:39 Un marché mondial, ça se discute.
23:41 Mais il y a une notion, là encore,
23:43 il faut des champions.
23:45 Ce n'est peut-être pas à France 2030 de les choisir.
23:47 Mais c'est en tout cas une notion de ne pas trop sous-poudrer les efforts.
23:50 Donc là, on sous-poudrerait peut-être un peu trop ?
23:53 C'est une question à laquelle il est toujours difficile.
23:56 Parce que c'est difficile de jouer à la prédiction sur l'avenir
24:00 et de savoir quel sera le projet le plus viable.
24:02 Parce que quand on regarde, par exemple...
24:04 Quand on regarde le projet des lanceurs français.
24:07 Actuellement, il y a combien, Mathieu, de projets de lanceurs français ?
24:11 6, 7.
24:13 Là-dedans, vous avez des typologies très différentes.
24:17 Vous avez le projet d'Arc,
24:21 qui consiste à mettre le plus low-cost du low-cost.
24:25 C'est-à-dire que vous mettez un missile,
24:29 un gros missile sous un avion.
24:31 C'est d'ailleurs des gens qui viennent de chez MBDA,
24:33 des fabricants de missiles.
24:35 Et vous les envoyez en orbite basse,
24:37 à partir d'un avion qui décolle.
24:39 Et donc, pas de chute de l'air.
24:41 A partir d'un avion qui décolle.
24:43 Et donc, pas de coût de stockage et de transfert vers Kourou.
24:49 Pas de coût du lancement vertical.
24:51 Ça réduit beaucoup les coûts.
24:53 Vous avez aussi des projets, comme celui de Latitude.
24:55 Ou comme celui de...
24:59 On a Hyperspace aussi.
25:01 On a tous les modèles de propulsion.
25:03 On en parlait avec Orbital Baguette One,
25:05 qui est son premier lanceur.
25:07 Et si on prend les exemples qu'on vient de donner,
25:11 juste sur le marché, si on fait un petit focus
25:13 juste sur le marché du lanceur,
25:15 on parle de projet qui est une toute petite partie,
25:19 qui est la partie amont, mais qui est une toute petite partie.
25:21 C'est la plus visible, parce que c'est ça qui parle aux gens.
25:23 Mais c'est une toute petite partie du marché spatial.
25:27 Vous avez plein de projets différents,
25:29 dont il est très difficile de dire aujourd'hui
25:31 c'est lui qui va trouver le marché,
25:33 ou c'est un tel qui va trouver le marché.
25:35 Vous avez des financements...
25:37 Les trois entreprises qu'on vient de citer,
25:41 ont toutes fait un tour de table en 2023,
25:43 qui va de 5 à près de 30 millions.
25:47 Mais ce n'est pas suffisant.
25:49 Pour Latitude, par exemple,
25:51 cet exemple-là, ce sera suffisant pour aller jusqu'à
25:53 la production du premier lanceur.
25:55 Et après ?
25:57 C'est déjà un très bon début.
25:59 Les capitaux privés doivent prendre le relais.
26:01 Les capitaux privés en Europe doivent prendre le relais.
26:03 Et apporter cette masse-là aussi.
26:05 L'exemple de SpaceX, encore une fois,
26:07 SpaceX a profité pour son développement
26:09 de beaucoup de capitaux publics avant tout,
26:11 et ensuite de capitaux privés.
26:13 Je pense qu'il ne faut pas opposer.
26:15 Et je pense qu'il y a une dynamique qui est intéressante,
26:17 c'est de se dire, il faut laisser ses chances à tout le monde,
26:19 comme le fait l'agence spatiale européenne
26:21 sur le transport spatial.
26:23 C'est un modèle extrêmement intéressant.
26:25 Favoriser la compétition pour amener
26:27 des premiers financements dérestés,
26:29 c'est extrêmement intéressant.
26:31 C'est très intéressant,
26:33 on a beaucoup travaillé avec eux,
26:35 et c'est extrêmement intéressant la dynamique
26:37 qui est en train de se mettre en place.
26:39 Et derrière, il y a un moment où ce sont les gagnants,
26:41 ou les plus malins, ou les premiers
26:43 qui arrivent à décrocher des contrats
26:45 qui gagneront.
26:47 En tout cas, il faut continuer à accompagner.
26:49 Un dernier mot avant de conclure,
26:51 on arrive bientôt au terme.
26:53 Est-ce qu'il y a une question de labellisation ?
26:55 Parce que vous le disiez, il va falloir
26:57 des financements privés, et il y a beaucoup
26:59 d'acteurs au sein de l'Europe. Est-ce que si on
27:01 labellisait, peut-être, on apporterait plus
27:03 de crédibilité à l'un ou l'autre
27:05 des acteurs, on permettrait de
27:07 favoriser les investissements ?
27:09 C'est un peu une question piège, si tu permets, Mathieu.
27:11 En fait, il y a,
27:13 si vous permettez, Mathieu,
27:15 là-dedans,
27:17 en fait, c'est assez malin.
27:19 La Commission européenne réfléchit
27:21 pour un certain nombre d'obligations
27:23 à faire du normatif classique,
27:25 et pour certaines autres, à favoriser
27:27 de la soft law,
27:29 de ce qui devrait être.
27:31 Et donc, pour ça, elle se dit
27:33 nous avons beaucoup
27:35 de financements en matière spatiale
27:37 qui viennent de l'argent public, nous soumettrons
27:39 la capacité
27:43 à recourir à des fonds publics européens,
27:45 un certain nombre d'obligations,
27:47 en termes, par exemple, de création de débris,
27:49 en termes de machin, ce qui permet
27:51 de ne pas contraindre, de ne pas
27:53 adopter une réglementation contraignante...
27:55 - Ça peut être une option viable.
27:57 - Qui peut, par exemple, priver les opérateurs européens
27:59 de marchés internationaux
28:01 où ces règles ne sont pas en vigueur,
28:03 mais qui peuvent, quand même,
28:05 inciter le marché globalement
28:07 à les prendre comme des éléments structurants.
28:09 - Ça peut être une option viable.
28:11 - Exactement.
28:13 - Pour la prospérité de la compétition.
28:15 On est obligés de s'arrêter ici. Merci beaucoup
28:17 à tous les deux, Mathieu Chartier,
28:19 Michel Mathas, d'avoir pris le temps de venir en plateau
28:21 aujourd'hui avec nous.
28:23 - Merci à vous.
28:25 - On se retrouve dès la semaine prochaine sur Bismarck.
28:27 (Générique)
28:29 ♪ ♪ ♪
28:31 ...