Est-ce un échec pour l'école ? Pour l'État ? Est-ce la bêtise a gagné ? Menacé de mort depuis fin février et une altercation avec une élève à qui il avait demandé de retirer son voile, le proviseur du lycée Maurice-Ravel à Paris a quitté ses fonctions. Il s'en va pour "raisons de sécurité" et a été reçu cet après-midi par le Premier ministre Gabriel Attal. Pour en parler, Iannis Roder, professeur d'histoire-géo en Seine-Saint-Denis et directeur de l'Observatoire de la laïcité à la Fondation Jean Jaurès.
Ecoutez Les personnalités incontournables au cœur de l'actualité répondent aux questions des journalistes de RTL. avec Julien Sellier du 27 mars 2024
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00:00 RTL bonsoir, Isabelle Choquet et Cyprien Signe.
00:05 Allez RTL bonsoir, on accueille maintenant notre invité face à l'événement.
00:09 L'événement c'est ce constat d'échec que le proviseur du lycée Maurice Ravel à Paris a quitté ses fonctions.
00:15 Ce proviseur était menacé de mort, menacé depuis une altercation avec une élève fin février.
00:19 Il avait demandé à cette jeune fille de retirer son voile.
00:22 Alors il s'en va pour raison de sécurité.
00:24 Il a été reçu cet après-midi par le Premier ministre Gabriel Attal.
00:27 Bonsoir Yanis Roder.
00:28 Bonsoir.
00:29 Vous êtes prof d'histoire géo en Seine-Saint-Denis, vous dirigez l'observatoire de la laïcité à la Fondation Jean Jaurès.
00:34 Vous êtes auteur ces dernières semaines de préserver la laïcité aux éditions de l'observatoire.
00:38 Le départ de ce proviseur, est-ce que c'est un échec pour l'école, pour l'État ?
00:41 Est-ce que vous avez l'impression en quelque sorte que la bêtise a gagné dans cette histoire ?
00:45 Je ne suis pas certain de cela parce qu'il faut regarder la chronologie.
00:49 Cette affaire éclate le 28 février de l'an.
00:52 Très vite, cela s'emballe sur les réseaux sociaux.
00:55 Les premières menaces de mort arrivent très vite.
00:57 Ce proviseur dit aujourd'hui qu'il se met en retrait.
00:59 Je pense que ce n'est pas dû à cet emballement premier sur les réseaux sociaux.
01:04 Mais je pense qu'il y a autre chose. Je n'ai pas d'informations.
01:06 Mais je pense qu'il doit y avoir des menaces réelles, puisqu'il en parle,
01:10 mais qui ne relèvent pas de cet emballement sur les réseaux sociaux.
01:13 Et je pense que si la hiérarchie, sa hiérarchie et Matignon l'ont reçu et ont accepté cette mise en retrait,
01:21 qui peut être comprise comme justement une abdication finalement, un recul en race campagne,
01:26 je pense qu'il se passe quelque chose, en tout cas les menaces doivent être très sérieuses.
01:30 Dans cette affaire, un homme sera jugé pour menace de mort dans trois semaines.
01:34 On a le sentiment qu'il y a quand même une forme d'impuissance.
01:37 On se demande comment on peut protéger les enseignants, les proviseurs, face à ces menaces qui se multiplient sur les réseaux.
01:43 Ce qui est sûr, c'est que je pense qu'aujourd'hui la représentation nationale
01:47 devra à un moment donné se poser la question des réseaux sociaux.
01:50 Et notamment de l'anonymat sur les réseaux sociaux.
01:52 Parce que ces emballements qu'on a maintenant régulièrement, et souvenons-nous de ce qui est arrivé à Samuel Paty,
01:57 cela part d'un emballement sur les réseaux sociaux.
01:59 On l'entendait dans le reportage au lycée Maurice Ravel, excusez-moi de vous couper à 18h,
02:04 ces menaces ont été diffusées sur les réseaux sociaux et quasiment tous les élèves les ont vues dans ce lycée.
02:10 Voilà, et donc il y a une ambiance qui s'installe, une ambiance délétère qui s'installe,
02:16 des menaces qui sont faites, des menaces de mort.
02:18 À un moment donné, il va falloir, je pense, réfléchir, vraiment se poser la question.
02:23 Cela ne relève pas de l'éducation nationale, en réalité, les réseaux sociaux.
02:26 Cela relève de la représentation nationale.
02:28 À un moment donné, je pense que des responsables politiques devront poser des choses sur la table.
02:32 Qu'est-ce qu'on fait avec des choses qu'on ne peut pas contrôler ?
02:34 Parce que vous dites, un jeune homme de 26 ans va être condamné, un autre de 23 ans également, je crois, deux.
02:39 Combien de menaces de mort pour deux personnes interpellées et qui vont être jugées ?
02:43 RTL a eu téléphone aujourd'hui la jeune fille qui avait refusé d'enlever son voile.
02:47 Elle aussi, elle a quitté le lycée, elle a arrêté l'école.
02:49 Elle est désolée pour le proviseur, elle regrette la tournure des événements.
02:53 C'est vraiment un constat d'échec pour tout le monde dans cette affaire ?
02:56 Oui, c'est un constat d'échec pour tout le monde, mais en même temps, moi, je veux bien qu'elle regrette cette jeune fille.
02:59 Mais enfin, on est le 28 février, on n'est pas à la rentrée le 1er septembre.
03:02 Elle sait exactement ce qu'elle fait et quand elle tourne le dos au proviseur, elle sait exactement ce qu'elle fait.
03:07 Donc, je veux bien qu'après, elle vienne dire "je suis désolée pour tout le monde".
03:10 Mais enfin, je crois que là, elle a joué un jeu qui était extrêmement dangereux.
03:15 Et je pense qu'elle l'a joué à dessein.
03:17 Vous qui êtes prof, on le rappelle, vous êtes en activité.
03:19 Ces provocations du type "venir à l'école avec un voile", parfois on a la sensation que ça arrivait moins souvent, en fait,
03:25 quand il y a eu la loi sur les signes religieux en 2004.
03:27 Est-ce que c'est devenu plus régulier ? Est-ce que vous, par exemple, vous en avez été le témoin ?
03:31 Oui, oui, bien sûr, j'en ai été le témoin, évidemment.
03:33 Et je demande régulièrement à des jeunes gens d'enlever le signe qu'ils portent.
03:38 Ils le font sans problème en général.
03:41 Je n'ai jamais eu de problème avec ça.
03:44 Mais effectivement, la loi de 2004 avait apaisé les choses.
03:47 Et puis, au printemps, hiver-printemps 2022, on a vu arriver ce qu'on a appelé les abayas.
03:54 Et là, effectivement, en même temps que les abayas, il y a eu un regain d'intérêt pour le voile.
03:59 Ce n'était pas anodin.
04:00 On l'a vu dans les signalements, on l'a vu monter.
04:03 Et donc là, certains, que j'appellerais des entrepreneurs identitaires et religieux,
04:07 ont vu l'occasion d'essayer de fracturer la loi pour fracturer l'école de la République.
04:11 Et donc à partir de là, effectivement, on a eu des vidéos sur TikTok, etc.
04:17 qui faisaient des centaines de milliers de vues.
04:19 Des défis qui étaient défier votre CPE, défier votre proviseur, porter ci, porter ça.
04:24 On l'a vu à ce moment-là.
04:25 Il y a eu une brèche.
04:26 Oui, il y a eu une brèche qui s'est ouverte.
04:28 On a mis du temps à réagir parce que le ministre de l'éducation de l'époque, M. Ndiaye,
04:31 soit il n'a pas pris la mesure de la chose, soit il ne voulait pas dire les choses.
04:38 M. Attal est arrivé, il a tapé du poing sur la table, ça a été réglé tout de suite.
04:42 Au mois de septembre dernier, en trois semaines, il n'y avait plus d'Abaya.
04:45 C'était réglé.
04:46 Mais ce qui n'empêche pas que ponctuellement, vous avez des jeunes gens ou des jeunes filles
04:50 qui vont essayer discrètement de passer, de remettre un voile, de remettre quelque chose
04:55 après avoir passé la grille.
04:57 Vous vous militez pour le dialogue régulier autour de la laïcité en classe.
05:01 Mais beaucoup de profs ont peur, on le sait, d'entamer ce dialogue, peur des réactions.
05:04 Je me mets à la place d'un prof qui débute, qui a 23, 24 ans.
05:08 Est-ce qu'il est assez formé aujourd'hui ? Est-ce qu'il a assez d'outils pour aborder ce sujet
05:12 en face d'une classe de quatrième ou de troisième ?
05:14 Oui, c'est vrai que c'est difficile.
05:16 Moi, je ne jugerai jamais les collègues parce que ça peut être compliqué.
05:20 On est jeune.
05:21 Et vous savez comment fonctionne notre système quand on est jeune professeur ?
05:25 On n'est pas nommé dans les grands lycées de Centre-Cours.
05:28 En général, non.
05:29 On est plutôt nommé dans les lycées ou dans les collèges des espaces qu'on appellera,
05:34 j'appellerai comme ça, des espaces de relégation sociale, où c'est plus compliqué, bien sûr.
05:38 Et non, je vous dirai de manière très claire, non, aujourd'hui, les enseignants ne sont pas,
05:43 les jeunes enseignants ne sont pas assez formés à cette élection, même si depuis deux ans,
05:47 depuis que Jean-Michel Blanquer a instauré un oral obligatoire au concours de recrutement des professeurs,
05:52 ils sont mieux formés que je l'ai et témoins.
05:55 Moi, je suis arrivé en Seine-Saint-Denis, je ne savais rien sur la laïcité ou presque.
05:58 Je me suis formé tout seul parce que j'en ai pris un peu plein la figure,
06:01 donc j'étais un peu obligé de le faire.
06:02 Aujourd'hui, ils sont un peu mieux formés, mais en même temps, il faut continuer une formation,
06:07 il faut une formation continue de qualité et vraiment proposer de l'aide pédagogique à ces enseignants.
06:13 Emmanuel Macron veut, dès la rentrée prochaine, instaurer une heure d'enseignement civique par semaine.
06:18 Aujourd'hui, c'est une demi-heure, ce n'est pas assez ?
06:20 Je ne crois pas que le problème se pose comme ça, en réalité.
06:22 Je pense que le problème, il est d'abord dans la posture enseignante
06:25 et dans ce que les enseignants comprennent de leur mission.
06:28 Ça, c'est la première chose.
06:29 C'est-à-dire qu'un enseignant, ce n'est pas seulement un prof de maths,
06:31 ce n'est pas seulement un prof de SVT ou un prof d'histoire,
06:33 c'est aussi quelqu'un qui va faire partager les valeurs et les principes de la République.
06:37 Il est là pour fabriquer des républicains, c'est le rôle de l'école de la République.
06:39 Pas que pendant l'heure d'éducation civique.
06:41 Et pas que pendant l'heure d'enseignement moral et civique.
06:43 D'autre part, je crois qu'il y a aussi une dimension qu'on n'a pas assez prise en compte.
06:47 Néanmoins, j'ai entendu les sénateurs qui ont rendu un rapport le 6 mars en parler.
06:52 Informez les parents.
06:54 Quand vous mettez votre enfant à l'école de la République,
06:56 vous n'êtes pas au supermarché des sensibilités et vous n'allez pas prendre
06:59 "ça, ça m'intéresse, ça, ça m'intéresse, ça, ça m'intéresse".
07:01 Non. Vous allez tout prendre et en même temps,
07:04 vous allez comprendre qu'on est en train de fabriquer un petit républicain.
07:07 C'est-à-dire que l'école est là pour fabriquer la citoyenneté de chacun.
07:10 Ça, les parents, on ne leur dit pas, ou du coup, on ne leur dit pas assez.
07:13 Vous qui évoquez ces questions avec vos élèves,
07:15 vous avez vécu en tant que prof en Seine-Saint-Denis le 11 septembre,
07:19 les attentats de Mohamed Merah, ceux du 13 novembre.
07:21 Merci de rappeler que je suis très vieux.
07:23 Le 7 octobre.
07:24 Vous dites que vous avez entendu des horreurs, c'est le terme que vous employez.
07:27 Comment vous désamorcez ces situations ?
07:30 Comment vous arrivez à raisonner ces gamins ?
07:32 Comment vous arrivez à les convaincre de l'importance de la laïcité à l'école et dans notre pays ?
07:37 Parce que j'imagine que vous avez entendu des choses qui sont abominables quand on les entend.
07:41 Oui, et qui sont parfois très dures à entendre,
07:43 notamment après le 7 octobre.
07:45 Vous savez, il ne faut jamais braquer les élèves.
07:49 Et donc quand vous avez des élèves en face qui vous disent des horreurs,
07:52 il faut reprendre ces horreurs.
07:54 Tu viens de dire ça, je vais écrire ce que tu as dit.
07:57 Est-ce qu'on peut expliquer ensemble ce que tu veux dire ?
08:01 De qui tu parles ?
08:03 Je prends un exemple.
08:05 Il n'y avait pas de juifs dans les tours le 11 septembre.
08:09 Moi j'ai eu ça, le 12 septembre 2001.
08:12 Il n'y avait pas de juifs dans les tours.
08:13 Tu es trop fort, on ne connaît pas le bilan,
08:15 mais toi tu connais déjà la religion de chacune des victimes.
08:18 Et donc, on reprend ça, on explique.
08:21 Mais comment tu sais ça ?
08:23 D'où ça sort ?
08:24 Quelles sont tes sources ?
08:25 En fait, c'est un travail de déconstruction auquel vous allez vous atteler.
08:29 Surtout, en ne jugeant pas moralement l'élève,
08:32 parce que vous avez tous les autres qui vous regardent.
08:34 Il ne faut pas braquer ni l'élève ni la classe.
08:36 Et donc, c'est la stratégie pédagogique.
08:38 Tout simplement, c'est le prof qui vous parle.
08:40 Mais ça, c'est enseigné ou c'est vous qui l'improvisez quand ça arrive ?
08:42 Ça, c'est moi qui l'ai théorisé.
08:45 Mais je l'ai théorisé dans des bouquins.
08:47 Enfin, il n'y a que ma mère et ma soeur qui le disent.
08:49 Non, mais dans la formation.
08:51 Oui, oui, mais je le dis dans les formations.
08:53 Je le dis, mais parce qu'il faut absolument reprendre la parole des élèves.
08:57 Parce que souvent, ils vous balancent des choses comme ça,
08:59 sans avoir réellement réfléchi au fond de ce qu'ils disent.
09:02 Et quand vous les faites réfléchir, certains vous disent "Ah ouais, c'est vrai, là j'ai..."
09:06 Donc, il faut du temps pour réfléchir à l'école.
09:08 Et vous n'en avez pas forcé.
09:09 Il faut du temps. Et c'est ça, ça c'est une vraie question.
09:11 Et là, pour le coup, je l'ai écrit à peu près 12 fois dans mes bouquins.
09:14 On manque de temps. On manque de temps, surtout pour faire réfléchir, pour se poser.
09:19 Et pour que le temps de l'école ne soit pas le temps du scrolling ou du zapping.
09:23 Que ce soit un temps qui nous permette de réfléchir sur des sujets,
09:26 qui nous permette d'écrire, de réécrire, de se tromper, de progresser,
09:30 d'émettre des hypothèses, de revenir dessus.
09:32 On n'a pas ce temps-là.
09:34 On a des programmes qui sont, en l'état actuel, je le dis, je me permets de le dire, infaisables en réalité,
09:39 si on veut prendre le temps de faire réfléchir et penser nos élèves.
09:42 Et les faire penser, c'est aussi les faire produire.
09:44 Si je veux terminer mon programme, je ne fais rien de tout ça et j'oublie les 9 dizaines de mes élèves en route.
09:49 Merci beaucoup, Yannis Roder, prof d'histoire géo en Seine-Saint-Denis,
09:51 directeur de l'Observatoire de la laïcité à la Fondation Jean Jaurès.
09:54 Je rappelle votre dernier bouquin, parce qu'il n'y a pas que votre maman et votre soeur qui l'élisent.
09:59 Yannis Roder, préservez la laïcité aux éditions de l'Observatoire.
10:02 Merci d'avoir été ce soir notre invité face à l'événement dans RTL.
10:05 Bonsoir, l'émission continue avec RTL Inside.
10:07 RTL a passé la journée dans un salon de coiffure, car les deux tiers des coiffeurs, figurez-vous,
10:12 présentent des signes d'anxiété. Visiblement, écouter les conversations et les malheurs des clients,
10:16 ce n'est pas toujours facile.
10:17 Et puis la visoconférence, le menu ce soir, Alex Vizorek.
10:20 Il y aura des blagues de gauche, ainsi que des blagues de droite,
10:22 parce que sur RTL, d'où que vous veniez, l'humour c'est ici.
10:25 Et bien sûr.
10:26 Vous allez te payer ou quoi ?
10:27 J'ai une brime.
10:28 Viens à payer, à tout de suite.
10:30 Julia Sélier, Isabelle Choquet et Cyprien Sénier.