"Christian Ranucci, la malédiction des Rambla" / Le 28 juillet 1976, Christian Ranucci, 22 ans, est exécuté, après avoir été condamné pour l'enlèvement et l'assassinat de Marie-Dolores Rambla, 8 ans, survenus deux ans plus tôt. Depuis, il est devenu pour beaucoup le symbole de l'erreur judiciaire, surtout depuis le succès du livre de Gilles Perrault, "Le Pull-Over rouge". Dominique Rizet et Imen Ghouali ont recherché les protagonistes de l'affaire et reviennent sur l'hystérie publique et médiatique qui l'a entourée. Ils évoquent également l'étonnant parcours criminel du frère de Marie-Dolores.
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00:00 Donc il y a un problème majeur qui est que l'institution ne peut pas reconnaître qu'elle s'est trompée
00:08 à partir du moment où la sanction qui a été prononcée est si définitive que ça s'appelle la mort.
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00:49 28 juillet 76, Christian Ranucci est guillotiné en pleine nuit à la prison des Beaumet.
00:56 Accusé de l'enlèvement et du meurtre d'une enfant, il a été condamné dans une atmosphère d'hystérie et de vengeance.
01:04 - À mort Ranucci !
01:07 - C'était une scène révolutionnaire quoi, j'ai vu la foule sanguinaire.
01:12 Pour beaucoup, Ranucci est devenu le symbole de l'erreur judiciaire.
01:17 Plus de 40 ans après sa mort, certains se battent encore pour le réhabiliter.
01:22 - L'institution a beaucoup de mal à considérer qu'elle s'est trompée, particulièrement quand il y a un homme qui a été guillotiné.
01:28 L'affaire Ranucci c'est aussi la descente aux enfers de la famille de la victime, les Remblas.
01:34 Une famille inconsolable qui a subi toutes les remises en cause, avant d'être de nouveau frappé par l'horreur.
01:41 Avec Imen Gwali, nous avons décidé de retrouver les protagonistes de cette affaire
01:46 et d'analyser avec eux les conséquences et les répercussions de ce dossier hors normes.
01:58 4h13, ce matin à la prison des Beaumet de Marseille, Christian Ranucci a été guillotiné, il avait 22 ans.
02:04 C'est la première exécution capitale en France depuis l'arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d'Est.
02:08 Tout commence le 3 juin 1974.
02:15 Ce lundi après-midi de Pentecôte, Pierre Rembla pousse la porte de l'hôtel de police de Marseille.
02:21 Sa fille de 8 ans, Marie Dolores, a disparu depuis plusieurs heures.
02:27 La fillette jouait au pied de son immeuble avec son petit frère Jean-Baptiste,
02:36 quand un homme brun est descendu de sa voiture et s'est approché des deux enfants.
02:41 C'est ce que raconte le petit garçon de 6 ans aux gendarmes et aux journalistes.
02:48 Il m'a appelé avec ma soeur, après il a dit que je cherchais le chien.
02:54 Il avait perdu son chien ?
02:56 Oui. Après il a dit que je passe par là-bas et ma soeur reste là.
03:01 Quand le monsieur dit "je pars de ce côté avec ta grande soeur,
03:11 toi tu vas faire le tour de l'immeuble tout seul pour chercher le chien,
03:17 on se retrouvera de l'autre côté", le petit garçon s'en va.
03:20 Ce serait donc cet homme qui aurait enlevé Marie Dolores.
03:26 Pressé de questions, Jean-Baptiste confie un autre détail.
03:30 On lui a surtout demandé quelle voiture avait ce monsieur,
03:35 à ce moment-là il nous a dit qu'il avait une Simca gris métallisée.
03:42 Le ravisseur serait donc un homme jeune, aux cheveux noirs,
03:48 qui conduit une Simca en sang gris.
03:51 Ça, Jean-Baptiste qui adore les voitures en est sûr.
03:55 Dès le lendemain de la disparition de Marie Dolores,
04:02 la police se met à sa recherche dans toute la ville.
04:05 Aucune trace de la fillette.
04:09 La disparition de la petite Rambla fait les gros titres.
04:13 Les policiers lancent alors un appel à témoins.
04:16 Très vite, un homme, Vincent Martinez, les appelle.
04:23 La veille, il a eu un accident de la route à 20 km de Marseille.
04:27 Un accident qui a peut-être un lien avec l'enlèvement.
04:31 Arrivé au carrefour de La Pomme,
04:33 il a été percuté par un coupé 304 Peugeot gris métallisé,
04:37 qui a pris la fuite.
04:39 Il pense avoir le numéro d'immatriculation, mais il n'est pas sûr.
04:47 Un couple arrivé sur place a pris le fuyard en chasse.
04:52 Alain et Aline Aubert ont repéré le coupé un kilomètre plus loin,
04:56 garé sur le bas-côté, vide.
04:59 Ils ont vu le chauffard grimper dans la colline.
05:02 - Monsieur Aubert relève le numéro du coupé Peugeot, nous dit-il,
05:10 et le rapporte donc à Vincent Martinez.
05:14 - M. Martinez est allé porter plainte à la gendarmerie.
05:20 Il a précisé que le chauffard paraissait seul à bord.
05:23 Mais maintenant qu'il a entendu parler de l'enlèvement de Marie Dolores,
05:28 il se demande si un enfant n'était pas dans la voiture du chauffard.
05:32 Les gendarmes contactent les témoins de l'accident, Alain et Aline Aubert.
05:38 Eux aussi modifient leur déclaration.
05:41 Ils se rappellent maintenant que le fuyard qu'ils ont aperçu dans la colline
05:46 portait un paquet volumineux.
05:48 - Le 5 juin, le témoignage Aubert évolue.
05:54 Le paquet volumineux, assez volumineux, devient un enfant
06:02 portant un short blanc ou une culotte blanche.
06:06 - Un paquet ou un enfant ?
06:10 Les gendarmes se rendent au carrefour de La Pomme.
06:14 Après deux heures de fouille,
06:16 ils découvrent le corps d'une fillette cachée dans un fourré.
06:19 L'enfant a été poignardé.
06:23 Reste à vérifier s'il s'agit bien de Marie Dolores.
06:27 - On amène le père, encadré par des policiers, qui va jusqu'au bosquet.
06:36 Et puis on entend des hurlements inhumains, quoi.
06:41 Et les policiers ont été obligés de le ramener en le soutenant
06:46 jusqu'à leur voiture.
06:50 La mort de Marie Dolores bouleverse toute la ville.
06:59 La scène de crime et ses environs sont ratissées à la recherche d'indices.
07:04 Dans une champignonière voisine, les policiers découvrent
07:11 un pullover rouge, un vêtement qu'ils placent sous scellé.
07:17 Retrouver le chauffeur qui a pris la fuite est la priorité.
07:21 C'est peut-être bien lui qui a enlevé et tué la petite.
07:25 Grâce à l'immatriculation relevée par les époux auberts,
07:29 la police identifie rapidement sa voiture.
07:31 Il s'appelle Christian Ranucci, il a 20 ans.
07:34 L'homme est interpellé à Nice
07:36 et transporté au commissariat de police de Marseille.
07:39 - On voit arriver un jeune homme qui présente assez bien,
07:44 qui n'est pas un marginal, c'est clair.
07:47 Christian Ranucci reconnaît sans peine l'accident,
07:50 mais il nie farouchement le meurtre.
07:53 La nuit passe et malgré la pression des policiers,
07:58 il ne fléchit pas.
08:01 - On sent quand même une tension qui monte,
08:03 on sent une certaine angoisse qui monte aussi chez les policiers
08:06 parce que la garde à vue est en train de courir,
08:09 mais ils ont une carte maîtresse.
08:12 Cette carte, ce sont les époux auberts.
08:15 Le couple est convoqué et confronté à Christian Ranucci.
08:19 - Madame Aubert s'adresse à Ranucci en lui parlant dans les yeux.
08:25 "C'est vous."
08:27 Et Ranucci, là, va... va vaciller.
08:31 - Après 4 heures d'interrogatoire,
08:39 il a finalement consenti à avouer la vérité,
08:43 à savoir qu'il était bien l'auteur du meurtre de la petite fille.
08:46 Christian Ranucci a signé des aveux complets.
08:51 Il a reconnu avoir enlevé et tué Marie Dolorès à coups de couteau.
08:55 Une arme maculée de sang que les hommes du commissaire Alessandra retrouvent,
09:00 sur les indications de Ranucci,
09:02 dans un tas de fumier près de la champignonière.
09:07 Les policiers n'ont aucun doute,
09:09 ils tiennent l'assassin de Marie Dolorès.
09:12 Quand la mère de Christian Ranucci, Héloïse Maton, se rend au commissariat,
09:19 elle répond volontiers aux journalistes qui l'attendent
09:22 et veulent tout savoir de son fils.
09:25 - Il travaillait déjà depuis 3 semaines dans une maison d'air conditionné.
09:29 Il se plaisait beaucoup dans son travail.
09:31 Il était fiancé. Pas du tout, mais il avait pas mal de relations,
09:34 garçon et fille, il n'était jamais seul pour un sidien.
09:37 Et il sortait le soir, il allait danser.
09:39 Quelquefois, quelquefois, oui.
09:41 Raisonnablement. Pour vous, c'était un fils attentionné ?
09:44 - Très, madame.
09:45 - Héloïse Maton confie la défense de son fils
09:51 à l'un des ténors du baron marseillais, Paul Lombard.
09:55 Parmi ses collaborateurs, un jeune avocat de 25 ans,
09:59 Jean-François Leforçonnet.
10:01 - Ce qui, moi, m'intrigue sur le moment,
10:04 c'est que Ranucci ne remet pas en cause sa culpabilité.
10:07 Il continue à avouer ce crime,
10:10 mais il y a des pièces du puzzle qui ne rentrent pas, si vous voulez.
10:15 Il y a des points de fait qui nous paraissent surprenants,
10:19 à commencer par les témoins de l'enlèvement
10:22 qui ne s'accordent pas sur la marque de la voiture de Ranucci.
10:27 - Le petit Jean-Baptiste, le frère de Marie-Dolores,
10:31 ne reconnaît pas le coupé 304 de Ranucci.
10:34 Il est certain d'avoir vu une Simca 1100, et il n'est pas le seul.
10:39 Un autre témoin, un voisin, M. Spinelli, a assisté à l'enlèvement.
10:45 - M. Spinelli est garagiste, donc il dit, moi,
10:49 je ne confonds pas les marques de voiture, c'est une Simca.
10:53 Bon, j'ai vu une Simca.
10:55 - Plus ennuyeux encore pour les policiers,
10:58 ni Jean-Baptiste ni le garagiste ne reconnaissent Christian Ranucci.
11:02 Moins de 3 semaines après le drame,
11:06 la juge d'instruction organise une reconstitution.
11:09 Elle convoque les principaux témoins à charge, les époux Aubert.
11:13 - On n'a jamais pu les faire des mordres
11:17 de la description qu'ils ont donnée d'un Ranucci
11:21 sortant de sa voiture par sa portière.
11:24 La portière, elle est coincée.
11:26 Mme Aubert n'a jamais voulu admettre que cette portière ne soit pas coincée.
11:30 - Des incohérences sur lesquelles la juge d'instruction
11:33 n'a pas l'intention de s'attarder.
11:35 - Elle dit, bon, on ne va pas rester 2 heures
11:37 à savoir si la portière s'ouvre ou pas.
11:39 On va aller à l'essentiel, on va grimper dans la colline
11:42 et vous allez nous montrer où est-ce que vous l'avez tuée
11:45 et comment vous l'avez tuée.
11:47 Mais au moment de mimer le meurtre, Christian Ranucci s'effondre.
11:52 Il explique qu'il a tout oublié.
11:56 - Quelque chose s'est cassé, quoi.
12:00 Il s'est mis à hurler, à pleurer.
12:03 Il a dit, non, je peux pas faire ça.
12:06 3 experts psychiatres sont nommés pour examiner Christian Ranucci.
12:11 Les 3 médecins sont formels.
12:13 Le suspect simule son amnésie.
12:16 Dès lors, la conviction de la juge est faite.
12:20 Après une petite enquête, elle clôt l'instruction
12:23 sans prendre la peine d'entendre ni le garagiste
12:26 ni le petit frère de Marie Dolores,
12:28 alors qu'ils sont les seuls témoins de l'enlèvement
12:31 et qu'ils n'ont pas reconnu Ranucci.
12:39 Mars 1976.
12:41 Christian Ranucci comparaît pour enlèvement et meurtre
12:44 devant la cour d'assises d'Aix-en-Provence.
12:47 Il risque la peine de mort.
12:49 - À bord ! - Non, on le tue !
12:52 - Ses avocats vont tout faire pour sauver sa tête
12:55 dans un contexte extrêmement tendu.
12:58 Quelques semaines plus tôt, un fait divers a marqué la France.
13:03 L'affaire Patrick Henry,
13:05 l'assassin d'un petit garçon de 7 ans, Philippe Bertrand.
13:09 L'indignation suscitée par ce crime crapuleux
13:13 s'invite au procès de Christian Ranucci.
13:17 [Musique]
13:19 - Geneviève Donatini, vous êtes la seule femme de ce jury.
13:39 Quelle impression vous fait Christian Ranucci
13:42 quand il entre dans le box de la cour d'assises ?
13:45 - Écoutez, je crois qu'il y a un seul mot qui peut le caractériser,
13:49 c'est arrogant.
13:51 Il était arrogant.
13:53 Il a un costume, un costume bleu criard,
13:57 mais vraiment bleu criard,
13:59 avec un soupule blanc
14:01 et sur le soupule blanc, une croix.
14:04 Une grande croix.
14:06 C'était un peu choquant.
14:08 - Une impression largement partagée par la salle.
14:12 D'autant que Christian Ranucci se dit désormais innocent.
14:15 Il est persuadé que les débats vont le prouver.
14:19 Pourtant, les témoins à charge l'accablent.
14:23 Monsieur Martinez, l'automobiliste accidenté,
14:26 les époux au baird qui l'ont désigné,
14:28 le directeur d'enquête.
14:30 Mais face au commissaire Alessandra, l'accusé s'énerve.
14:34 - Il a commencé à parler de matraque,
14:39 de passage à tabac.
14:42 Pendant le procès, il nous a échappés.
14:46 On a été accablés.
14:49 On se disait, on va jamais sortir de ce truc-là.
14:52 - La défense a pourtant un témoignage capital
14:56 qui pourrait bien innocenter Christian Ranucci.
14:59 Une femme, Jeannine Mattei, raconte une histoire troublante.
15:06 Quelques jours avant le meurtre de Marie-Dolores,
15:09 sa fille et l'une de ses copines ont été importunées
15:12 par un inconnu qui disait avoir perdu son chien noir.
15:15 Il conduisait une Simca en sang.
15:18 Et portait un pullover rouge.
15:22 - Ce pullover rouge, on le voit surgir comme ça.
15:31 Il prend petit à petit de l'importance
15:34 parce que la Simca, le stratagème utilisé par le ravisseur,
15:39 qui est de dire "aide-moi à chercher un chien que j'ai égaré",
15:43 c'est un modus operandi qui a un peu d'originalité quand même.
15:48 - Exactement comme pour l'enlèvement de Marie-Dolores.
15:54 Cet homme au pullover rouge ne peut pas être Christian Ranucci.
16:00 Le jour où la fille de Jeannine Mattei
16:02 a été abordée par cet inconnu à Marseille,
16:05 l'accusé, lui, était à Nice. Il travaillait.
16:08 Pourtant, à la barre, Jeannine Mattei ne convainc pas.
16:13 - Il faut lui arracher son témoignage.
16:17 Il ne vient pas spontanément.
16:19 Elle rame, comme on dit, pour apporter son témoignage.
16:22 Donc on a l'impression qu'elle se force un peu à témoigner.
16:27 - C'est un témoignage qui semblait un petit peu
16:30 un petit témoignage de dernière heure.
16:33 Cette dame, elle était très courageuse
16:36 de venir comme ça témoigner dans ce procès-là.
16:39 Face à d'autres témoins, elle n'a pas fait le poids.
16:43 - Quels autres témoins ont eu, selon vous, plus de poids ?
16:46 - M. et Mme Houbert, par exemple.
16:48 - Votre intime conviction est déjà faite à ce moment-là ?
16:51 - Ce que je peux vous dire, c'est que mon intime conviction,
16:54 lors de ces 2 jours de procès,
16:56 parce qu'il faut bien dire aussi qu'il n'a duré que 2 jours,
16:59 elle a changé toutes les 5 minutes, suivant qui j'entendais.
17:03 Parce que les témoins, on n'a pas de raison de ne pas leur faire confiance.
17:07 Les avocats parlent très bien, les magistrats aussi.
17:10 Donc voilà, elle a changé toutes les 5 minutes, mon intime conviction.
17:15 - Gilbert Collard, l'avocat des parents de Marie-Dolores,
17:22 prend la parole en premier. Il surprend tout le monde.
17:27 - J'ai tout fait pour éviter l'exécution capitale.
17:32 J'ai même, à un moment donné, interpellé Christian Ranucci
17:37 en lui disant "Dites la vérité, vous êtes sauvés".
17:40 Parce que finalement, ce qu'il a fait condamner, c'est son mensonge,
17:44 son non-têtement dans le mensonge.
17:47 J'ai conclu ma plaidoirie en disant que je voulais
17:50 qu'au moins un homme n'oublie pas Marie-Dolores,
17:54 et que cet homme, c'était Christian Ranucci.
17:57 Pour qu'il continue à être celui qu'il avait tué,
18:01 et qu'il subisse la peine.
18:04 - A l'issue des débats, que retenez-vous de l'attitude de Christian Ranucci ?
18:08 - C'est le fils de sa mère, quoi. Elle était là, dans la salle,
18:11 elle vêtue de noir aussi, avec un crucifix autour du cou.
18:14 Et on sentait bien que son seul spectateur,
18:17 qu'il ne fallait pas décevoir, c'était sa mère.
18:20 Je pense que si elle n'avait pas été dans la salle d'audience,
18:24 il aurait peut-être avoué.
18:27 - Vous n'avez jamais douté de la culpabilité de Christian Ranucci ?
18:30 - Alors, jamais. Franchement, jamais.
18:33 - L'avocat général est lui aussi convaincu de sa culpabilité.
18:39 Il réclame la peine capitale au nom de la société.
18:47 - Je trouve presque dans l'obligation de recueillir la peine de mort.
18:51 Pour la famille, pour la petite, et pour l'opinion publique.
18:55 De quoi j'aurais eu l'air, moi,
18:58 si j'avais demandé 15 jours de prison avec sursis ?
19:01 Il aurait pu se tourner vers les parents, leur demander pardon.
19:05 Enfin, il l'avait tuée, cette petite.
19:08 Il est resté complètement froid.
19:11 Mais ça ne m'a pas plu.
19:14 Ça ne m'a pas plu, ça ne m'a surtout pas ému.
19:17 J'aurais voulu être ému, moi aussi.
19:20 Je ne l'ai pas été.
19:23 Pas du tout.
19:25 - Les avocats de Christian Ranucci n'ont plus que quelques heures
19:32 pour éviter la mort à leurs clients.
19:35 - S'il faut faire payer à quelqu'un le culot de plaider
19:40 qu'on est innocent lorsqu'on l'est vraiment,
19:43 ça, c'est plus de la justice, c'est du règlement de cause.
19:46 - Geneviève Donnadini, durant ces deux jours d'audience,
19:59 quel est le moment qui vous a le plus marquée ?
20:01 - C'est lorsqu'on a fait circuler parmi les jurés
20:04 les photos de la petite fille massacrée.
20:07 Le couteau, la petite chaussure pleine de seins.
20:10 Ça, ça m'a énormément marquée.
20:13 Ensuite, les parents, le papa qui était là,
20:17 qui était donc complètement sous cette douleur énorme,
20:21 la maman de Ranucci.
20:23 Donc, ça, c'est des moments très forts,
20:25 surtout qu'il faut se rappeler qu'à l'époque,
20:28 j'avais 35 ans, une petite fille de l'âge de la victime.
20:31 Tout ça, forcément, c'est des choses qui m'ont beaucoup marquée.
20:34 - Qu'avez-vous en tête lorsque vous vous retirez pour délibérer ?
20:38 - Vous savez, la peine de mort,
20:41 il y a les pour et il y a les contre.
20:44 Mais lorsque vous êtes face à un jeune,
20:48 il avait que 22 ans,
20:50 quand vous êtes donné le droit de lui trancher la tête,
20:53 c'est quand même quelque chose de terrible.
20:57 Mais en même temps,
20:59 vous avez une petite fille qui a été assassinée.
21:02 Donc, c'est un dilemme.
21:07 ...
21:13 - 20h30.
21:15 Christian Ranucci est déclaré coupable
21:18 de l'enlèvement et du meurtre de Marie-Dolores.
21:21 Aucune circonstance atténuante ne lui est accordée.
21:27 Christian Ranucci est condamné à la peine de mort.
21:32 - Ils disent qu'ils sont fous.
21:36 C'est tout ce qu'il a dit. Il a dit qu'ils sont fous.
21:39 Et il était furieux.
21:41 Je pense que là, il prend conscience.
21:45 - À mort Ranucci !
21:48 À mort Ranucci !
21:50 À mort Ranucci !
21:52 - Gilbert Collard, quelle est la réaction de vos clients,
21:55 les parents de Marie-Dolores, à l'énoncé du verdict ?
21:57 - L'honnêteté m'oblige à dire que lorsqu'ils ont entendu
22:00 que Christian Ranucci était condamné à mort,
22:02 ils ont été non pas satisfaits,
22:04 absolument inappropriés.
22:06 Mais, oui, osons le dire,
22:09 leur fille était vengée.
22:11 - Comment réagit la salle ?
22:13 - Oh là là, ça a été horrible.
22:16 Les applaudissements, des cris de joie.
22:19 Moi je me suis fait casser la gueule à la sortie.
22:22 Je n'avais pas demandé la peine de mort.
22:25 Et puis là je me suis retrouvé insulté par des mégères.
22:29 Les vraies tricoteuses, quoi.
22:32 On m'a arraché les pitoches,
22:34 heureusement c'est de la peau de lapin.
22:36 C'est pas de l'hermine, donc je n'ai pas fait un drame.
22:39 C'était une scène révolutionnaire.
22:42 J'ai vu la foule sanguinaire.
22:45 - Moi je pleurais.
22:48 Je me suis enfuie de ce tribunal.
22:51 Donc j'ai pris ma voiture et je suis partie très rapidement.
22:55 Ce que je venais de vivre, c'était quand même un drame.
22:59 On avait 2 morts dans cette affaire-là.
23:02 On savait qu'il y avait eu ce crime-là.
23:05 Mais en fait, on n'a jamais su pourquoi il avait eu lieu.
23:09 Et on n'a pas cherché à savoir pourquoi il y avait eu ce crime.
23:14 - En 1976, il n'y a pas d'appel possible des verdicts de cour d'assise.
23:21 Christian Ranucci tente alors un recours devant la cour de cassation.
23:25 Mais 3 mois plus tard, la plus haute juridiction de France rejette son pourvoi.
23:31 Il ne lui reste plus qu'un seul espoir, la grâce présidentielle.
23:36 - Il avait lu, jusqu'à...
23:39 Il avait dit qu'il y avait une aversion pour la pête de mort, etc., etc.
23:43 Ah non, non, mais il s'attendait à être gracieux.
23:46 Il s'attendait à être gracieux, bien sûr.
23:49 - Mais au moment où le président étudie la demande de grâce de Ranucci,
23:53 un nouveau fait divers émeut la France.
23:56 Un petit garçon de 6 ans vient d'être enlevé et tué à quelques kilomètres de Toulon.
24:05 Une fois encore, l'opinion publique déchaînée réclame la mort.
24:10 La décision de l'Elysée tombe donc presque sans surprise.
24:14 La grâce est refusée. Christian Ranucci sera guillotiné.
24:20 L'exécution est prévue dès le lendemain, dans le plus grand secret.
24:26 4h du matin.
24:28 En cette nuit d'été, Christian Ranucci dort encore dans sa cellule de la prison des Bomettes.
24:34 - Les gardiens ont ouvert, clac, clac, comme ça, et lui ont sauté dessus.
24:40 Et à ce moment-là, on a frémi parce qu'il a cru, le malheureux, qu'il était agressé.
24:45 Et il a poussé un hurlement en disant "je vais le dire à mes avocats".
24:50 Le gardien a dit "vos avocats sont là, vos avocats sont là".
24:54 Et il m'a regardé comme quelqu'un qui comprend pas ce qui lui arrive.
24:58 Et à partir de ce moment-là, commence un chemin abominable,
25:07 que d'aucuns appelaient un chemin de croix.
25:14 Christian Ranucci et ses avocats traversent la prison endormie.
25:19 Des couvertures ont été installées sur le parcours,
25:22 pour que le bruit des pas du cortège macabre n'alerte pas les autres détenus.
25:27 - On fait asseoir Christian Ranucci sur un tabouret.
25:32 Puis à ce moment-là, on lui offre une cigarette, on lui offre un verre d'alcool.
25:37 Il prendra la cigarette, refusera l'alcool.
25:41 On l'attache avec des ficelles, mais vraiment des ficelles d'emballage.
25:46 Et puis après, ils l'ont amené à la guillotine.
25:52 Alors, il peut plus marcher parce qu'il est accroché.
25:56 Ils le portent.
25:58 Quand on le plaque sur une planche de bois, la planche de bois bascule, avance de 30 cm.
26:06 - Sur la porte de la prison, le procès verbal d'exécution.
26:10 Christian Ranucci est mort à 4h13.
26:14 Aujourd'hui encore, plus de 40 ans après sa mort,
26:27 les policiers de la police de l'Etat ont fait un grand travail.
26:31 Aujourd'hui encore, plus de 40 ans après l'exécution de Christian Ranucci,
26:37 l'affaire hante toujours ses protagonistes.
26:40 - Geneviève Donnadini, qu'avez-vous ressenti après l'exécution de Christian Ranucci ?
26:49 - Après l'exécution, une grande tristesse.
26:54 Disons, ben voilà, quoi.
26:56 Oui, ils l'ont tué. Nous l'avons tué.
27:00 C'est une responsabilité collective.
27:03 J'en ai vraiment pas ma responsabilité.
27:05 J'y étais. C'est une responsabilité collective.
27:08 Et c'est un meurtre qui n'a pas lavé l'autre.
27:12 - Ça vous a rongé pendant toutes ces années ?
27:15 - Ah oui, moi oui.
27:17 J'y ai quand même souvent pensé.
27:19 Moi, je me suis enfermée dans le mutisme pendant plus de 40 ans.
27:23 - Vous souhaitez aujourd'hui que les jurés soient mieux accompagnés ?
27:28 - Mieux préparés, quoi.
27:30 Maintenant, ils sont quand même mieux préparés qu'il y a 40 ans.
27:33 Mais surtout accompagnés après.
27:36 Parce que c'est difficile de juger quelqu'un que vous ne connaissez pas.
27:41 Vous ne savez ce qu'il a fait que par ce que vous entendez.
27:45 Puisqu'on ne regarde pas les pièces écrites.
27:48 Et quelquefois, il y a des procès qui sont très très durs encore.
27:53 Et les jurés, après, ben, ils reprennent leur voiture et repartent chez eux, quoi.
27:58 Ils ont vécu quelque chose de très fort.
28:01 Et je pense qu'il faudrait quand même un petit...
28:03 Quelque chose pour les aider, pour quelqu'un à qui ils pourraient parler.
28:07 Sans bien sûr trahir le secret des délibérations.
28:10 - Un soutien psychologique ?
28:11 - Un soutien psychologique, oui.
28:13 - Juste avant d'avoir la tête tranchée,
28:19 Christian Ranucci a crié à ses avocats "réhabilitez-moi".
28:25 Paul Lombard, Jean-François Leforcenet et André Fraticelli ont essayé, sans y parvenir.
28:31 Depuis leur mort, un nouvel avocat a repris le flambeau
28:40 et fait des derniers mots du condamné "le combat d'une vie".
28:43 Maître, comment en êtes-vous venu à vous intéresser à Christian Ranucci ?
28:52 Ce qui me motivait, c'est évidemment l'idée d'une erreur judiciaire possible,
28:57 qui à l'étude s'est révélée non seulement une erreur, mais une horreur.
29:01 Absolue.
29:02 Et je dirais, si vous voulez me reprendre l'expression du juge Pierre Michel,
29:08 qui a été le dernier juge d'instruction, qui a clôturé le dossier,
29:11 il l'a donné au substitut au procureur de la République, que c'est qu'elle dit,
29:15 et il a dit "c'est un dossier de merde, mais il est coupable".
29:19 Bon, alors je prends la première partie, sur la deuxième, je ne la prends pas,
29:24 et on peut en parler.
29:25 Qu'est-ce qui vous a convaincu de l'innocence de Christian Ranucci ?
29:29 Il y a deux choses différentes.
29:31 Il y a premièrement la question de savoir si on peut condamner un homme sur un tel dossier,
29:36 ça c'est une certitude, la réponse est non.
29:39 Il y a une deuxième question, c'est de savoir est-ce qu'on est certain qu'il est innocent.
29:43 Le frère, le petit frère de la victime, Jean Rambla,
29:46 et le garagiste qui a regardé l'enlèvement et qui l'a vu,
29:50 le garagiste dit "c'est pas Ranucci",
29:53 et la voiture "c'est pas une Peugeot 304, c'est une Simca 1100",
29:58 et le gosse dit "je ne connais pas ce type",
30:01 et la voiture c'était une Simca 1100.
30:03 Bon, alors avec ça, on envoie un type à l'échafaud,
30:07 c'est un dossier qui ne tient pas la route,
30:09 personne ne l'a reconnu, et ce n'est pas l'homme au pelotet rouge.
30:13 Alors, à partir de là, si vous voulez, on sort du champ du raisonnable,
30:18 qui normalement aurait dû s'arrêter là, et on entre dans n'importe quoi.
30:22 Trois requêtes en révision ont été successivement déposées,
30:25 ces recours ont tous été rejetés, pourquoi ?
30:28 Parce que l'institution se demande à quoi bon,
30:32 je dirais même de façon très cynique, puisqu'il est mort de toute façon.
30:35 Donc il y a un problème majeur,
30:38 et c'est un dossier que l'institution ne peut pas reconnaître qu'elle s'est trompée
30:43 à partir du moment où la sanction qui a été prononcée
30:47 est si définitive que ça s'appelle la mort.
30:50 Pour autant, l'intérêt suscité par l'affaire Ranucci ne faiblit pas.
31:00 De nouvelles pistes voient le jour.
31:02 En janvier 2006, c'est cette photo, prise lors du procès de Christian Ranucci,
31:07 qui a relancé le débat.
31:09 En cause, cet homme noyé dans la foule,
31:12 qui affiche une certaine ressemblance avec Michel Fourniret.
31:16 Le tueur en série qui passait ses étés dans la région de Marseille
31:23 au cours des années 70,
31:25 pourrait-il être l'assassin de Marie-Dolores Rambla ?
31:35 En comparant la photo de Fourniret avec celle de la personne
31:39 qui était dans la foule du procès de Ranucci,
31:42 on constate de suite qu'il y a une grosse anomalie.
31:45 La personne qui est dans la foule a une faussette à la Kirgou-Glace sur le menton,
31:48 Fourniret n'en a pas.
31:50 La personne qui était dans la foule au procès de Ranucci porte des lunettes de vue,
31:54 Fourniret ne portera des lunettes que dix ans après.
31:56 L'homme qui est dans la foule a les sourcils qui partent comme ça
31:59 et qui redescendent brutalement, Fourniret non, ils n'ont pas cette cassure.
32:03 Les vérifications effectuées, je crois que c'est le SRPJ de Reims qui a fait ces vérifications,
32:07 ont prouvé que ce n'était pas Fourniret.
32:10 Deux mois plus tard, nouveau rebondissement.
32:15 Le scellé numéro un de l'affaire Ranucci refait surface,
32:19 le fameux pullover rouge retrouvé dans la champignonière.
32:23 Le magazine Marseille-Lepdo révèle que le vêtement n'a pas été détruit.
32:28 Il est toujours aux grèves de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.
32:31 Peut-être pourrait-il révéler des éléments nouveaux s'il était expertisé.
32:35 Cette expertise, qui est-ce qui peut la demander ?
32:38 Maintenant, il n'y a plus de demandeur vivant ayant droit de Christian Ranucci
32:43 depuis le décès de sa mère, c'est donc le garde des Sceaux.
32:46 C'est possible ?
32:47 Dans l'intérêt de la loi, c'est possible.
32:49 Ça réduit considérablement les chances de voir une telle procédure aboutir.
32:52 Absolument.
32:53 Quel ministre de la Justice rouvrira ce dossier brûlant ?
32:59 D'autant que le scellé du pull n'a pas été conservé correctement.
33:03 Il a été tellement manipulé, ce pullover rouge,
33:09 qu'on va trouver une salade d'ADN.
33:13 Ça va être très difficile.
33:15 Si pour certains, Christian Ranucci est la victime d'une terrible erreur judiciaire,
33:21 pour d'autres, il ne fait aucun doute qu'il est bien l'assassin de la petite Marie Dolorès.
33:28 Même si les preuves sont irréfutables, indiscutables,
33:31 il y a toute une partie romanesque, fantasmagorique, qui fonctionnera.
33:35 Ça fait partie du romanesque judiciaire.
33:38 Ces remises en question, ces recours, ces polémiques
33:47 ont été un fardeau supplémentaire pour la famille Rambla.
33:51 Cédric Mélac, en 2008, vous avez rencontré Jean-Baptiste Rambla.
33:55 Comment a-t-il grandi, cet enfant, depuis le meurtre de sa sœur, Marie Dolorès ?
34:00 C'est un enfant qui a été entravé dans sa construction,
34:04 qui a grandi dans une double culpabilité.
34:06 Culpabilité d'abord du survivant.
34:08 Pourquoi elle ? Pourquoi pas moi ?
34:10 Et puis, il a été enlevé par la famille Rambla.
34:13 Il a été enlevé par la famille Rambla.
34:15 Culpabilité d'abord du survivant.
34:18 Pourquoi elle ? Pourquoi pas moi ?
34:20 Également, culpabilité autour de ce témoignage,
34:25 le témoignage qu'il a apporté.
34:27 C'est un enfant qui a grandi dans la crainte,
34:31 dans l'incertitude également,
34:33 incertitude autour de cette vérité judiciaire.
34:36 Sa famille a réussi à surmonter le drame
34:39 qui a été la mort de Marie Dolorès ?
34:41 Ça n'est pas le cas.
34:42 C'est une famille qui a été meurtrie, affectée gravement
34:45 par cette situation et a fortiori par la remise en cause
34:49 perpétuelle de la culpabilité de Christian Ranucci.
34:54 Est-ce qu'il avait une place pour grandir, ce gamin, dans cette famille ?
34:57 Je crois qu'il avait une place, même si cette place
35:00 était aussi dans l'ombre de cette sœur disparue.
35:03 Une place dans l'ombre, une enfance tourmentée.
35:07 Durant des années, les nuits de Jean-Baptiste ont été hantées
35:10 par l'enlèvement et le meurtre de sa sœur.
35:13 Déjà petit, il avait des médicaments ?
35:22 Il a pu, à un moment donné, prendre des médicaments.
35:26 En effet, consommation qui a pu se muer progressivement
35:30 à l'âge adulte par une consommation de cocaïne
35:33 qui visait, au fond, à lui permettre de gérer son affectivité.
35:36 Quels sont les traits marquants de sa personnalité ?
35:39 C'est un homme qui est impulsif, qui présente une tolérance
35:42 limitée à la frustration. C'est un sujet également
35:45 qui peut présenter une dépendance affective
35:48 vis-à-vis de son environnement familial.
35:51 C'est cet ensemble de caractéristiques
35:54 qui peut définir Jean-Baptiste Rambla.
35:57 Des troubles psychologiques, un caractère impulsif,
36:01 une dépendance à la drogue, le profil d'un homme fragile,
36:05 que ces failles ont fini par faire basculer.
36:09 L'affaire Ranucci se rappelle à nos souvenirs.
36:13 Le frère de la petite Marie Dolores,
36:16 la fillette que Christian Ranucci était accusé d'avoir tuée,
36:19 est à son tour devant les assises des Bouches du Rhône,
36:22 à Aix-en-Provence, depuis ce matin.
36:24 Il est accusé d'avoir tué son ancienne employeuse.
36:27 Musique de tension
36:30 En juillet 2004, Christian Chalençon s'est rendu
36:41 au commissariat de Marseille pour y déclarer
36:44 la disparition de sa compagne, Corinne Baidol,
36:47 dont il n'avait plus de nouvelles depuis plusieurs jours.
36:53 Christian Chalençon, quand la disparition de Corinne est signalée,
36:57 vous avez l'impression qu'on vous prend au sérieux ?
37:00 Non, parce qu'elle est majeure.
37:03 La police m'avait dit "elle a pété un câble",
37:06 j'ai dit "mais vous vous rendez compte, elle a pété un câble ?"
37:09 Elle a laissé son fils, elle a laissé ses papiers,
37:11 elle a laissé tout sur la table.
37:13 Le seul truc qu'elle m'a dit, c'est que toutes les voitures
37:16 de police vont avoir son signalement, tout ça, mais bon, voilà.
37:19 Et vous, vous y avez cru, cette hypothèse ?
37:22 Non, parce que moi j'ai cherché dans tous les hôpitaux de la région,
37:26 j'ai cherché à l'aéroport de Marignane, j'ai cherché de partout.
37:31 Après sept mois sans nouvelles, le 12 février 2005,
37:38 le corps de Corinne Baidol a été découvert
37:41 dans l'abri de jardin d'un des employés du couple.
37:44 Cet employé, c'est Jean-Baptiste Rambla.
37:47 En garde à vue, Rambla reconnaît les faits.
37:52 Quand j'ai vu ça, j'ai dit, c'est pas possible, c'est impossible.
37:56 C'est impossible qu'on arrive à faire des trucs comme ça.
37:59 Vous vous rendez compte qu'il a brûlé dans la baignoire,
38:02 il a démembré, il a mis dans un sac.
38:07 C'est incroyable, quoi. Je sais pas, je comprends pas.
38:13 Vous étiez l'employeur de Jean-Baptiste Rambla ?
38:16 J'étais l'employeur de Jean-Baptiste, c'est à cause de son papa.
38:19 Il me faisait vraiment de la peine, son père.
38:21 Vraiment, il me faisait de la peine.
38:23 Il me dit, tu peux pas embaucher mon fils ?
38:25 J'ai fait, écoute, dis-moi ce qui est.
38:27 Il me dit, il fera tout ce que tu veux, tout ça.
38:29 J'ai dit, écoute, envoie-le, on verra bien.
38:31 Et puis, il m'a envoyé un message,
38:33 il m'a dit, tu peux pas embaucher mon fils.
38:35 J'ai dit, écoute, dis-moi ce qui est.
38:37 Il me dit, il fera tout ce que tu veux, tout ça.
38:39 J'ai dit, écoute, envoie-le, on verra bien.
38:42 Et puis voilà, quoi.
38:44 Quand vous avez su que c'était Jean-Baptiste Rambla,
38:46 vous connaissiez ?
38:48 Tu y crois pas.
38:50 Tu y crois pas.
38:52 Tu t'es dit, attends, c'est pas possible.
38:54 Il venait me demander, mais où allait l'enquête, tout ça ?
38:57 Est-ce qu'on a pas retrouvé, tout ça ?
39:00 Quand tu sais ce qu'il a fait, après, tu te dis,
39:03 c'est vraiment un tordu, quoi.
39:06 [Musique]
39:14 Cédric Mélaque, vous rencontrez Jean-Baptiste Rambla
39:16 avant le procès.
39:18 Qu'est-ce qu'il vous raconte du passage à l'acte ?
39:20 Il évoque une discussion, un conflit
39:23 qui aurait dérapé avec cette femme,
39:26 madame Bédel.
39:28 Il en vient à commettre l'irréparable
39:30 en étranglant cette femme.
39:32 Quelle interprétation vous faites de son geste ?
39:35 Alors, il s'agit assurément d'un passage à l'acte
39:39 non prémédité, qui aurait été commis
39:43 dans un contexte dit paroxystique,
39:46 c'est-à-dire un pétage de plombs,
39:48 pour le dire en des termes simples.
39:51 Est-ce qu'il regrette ?
39:53 Il affiche des regrets.
39:55 J'ai tout lieu de considérer que ces regrets
39:57 sont relativement investis.
39:59 Ce ne sont pas des regrets fins.
40:01 Le procès de Jean-Baptiste Rambla
40:04 pour le meurtre de Corinne Bédel
40:06 s'ouvre 4 ans après les faits.
40:08 Dans la salle, ses parents sont là pour le soutenir.
40:12 Ils ne comprennent pas son geste.
40:15 Jamais il n'a parlé de quelque chose
40:18 ni à moi, ni à ma femme, ni à personne.
40:20 Dans les écoles, partout, il était mal vu,
40:23 mon petit, et voilà, nous sommes arrivés.
40:26 Maintenant, nous sommes arrivés en catastrophe.
40:30 Les médias sont venus en ombre
40:33 pour suivre ce qu'ils appellent déjà
40:36 la malédiction des Ramblas.
40:39 Roland Mahi, vous étiez avocat général lors de ce procès.
40:56 Quelle impression vous fait l'accusé Jean-Baptiste Rambla ?
40:59 J'avais affaire à un homme qui se présentait banalement,
41:03 normalement,
41:05 pas particulièrement accablé par ce qui lui était reproché,
41:09 mais sans insolence particulière.
41:12 J'avais affaire au meurtrier,
41:16 j'ai envie de dire sinistrement banal.
41:19 Pour vous qui êtes un habitué des prêtoirs,
41:21 est-ce que ce procès est exceptionnel ?
41:23 Oui, ce procès avait incontestablement une saveur particulière.
41:27 On attendait l'évocation de la personnalité de l'accusé
41:31 au travers de ce qu'il avait pu vivre
41:33 lorsqu'il était tout petit, très jeune enfant en tout cas.
41:37 Donc ce traumatisme "ranucci",
41:40 c'est un élément qu'il faut prendre en compte ?
41:43 On est obligé de prendre en compte ce traumatisme "ranucci".
41:47 Cela fait partie de la personnalité de celui que l'on juge.
41:52 Mais une petite enfance marquée par une violence extrême,
41:56 l'assassinat de sa sœur ne conduit pas nécessairement
42:00 à l'assassinat de son employeur.
42:02 On parle beaucoup de Christian Ranucci à ce procès.
42:05 Exactement, on ne parle que de lui.
42:07 Je lui disais "mais attendez, on s'occupe de Corinne là ?
42:10 Est-ce qu'on s'en occupe ?
42:12 T'occupe pas ?
42:14 Il m'a demandé ce que j'avais ressenti.
42:17 Il me dit "ranucci", mais moi je m'en bats les trucs de "ranucci".
42:21 Il s'est fait guillotiner à 40 ans.
42:23 Roland Mahi, vous êtes avocat général au procès.
42:26 Quelle peine demandez-vous à l'encontre de Jean-Baptiste Remblat ?
42:29 Il faut savoir que l'homicide volontaire, la peine maximum encourue,
42:33 est 30 années de réclusion criminelle.
42:35 J'ai requis 20 ans de réclusion criminelle.
42:38 Ça me paraissait une peine équilibrée.
42:43 Après deux heures de délibérés,
42:48 Jean-Baptiste Remblat est condamné à 18 ans de réclusion criminelle.
42:52 Pour dire ce qu'ils veulent, c'était déjà jugé.
42:58 Parce que c'était le petit Remblat,
43:00 il avait 5 ans quand sa soeur a disparu.
43:03 Non, non, attendez, vous vous rendez compte ?
43:06 Vous tuez quelqu'un, vous le démembrez, vous le brûlez.
43:09 Attendez, mais c'est pas normal ça.
43:11 Il fallait qu'il ait de la prison incompréhensible.
43:15 Le remboursement de la prison
43:20 Je pense tous les jours à Corinne.
43:26 Tous les jours, tous les jours qui passent, je pense à Corinne.
43:29 Je sais qu'elle est au cimetière Saint-Pierre,
43:31 et tous les jours je passe devant le cimetière et je pense à elle.
43:34 J'ai une petite pensée pour Corinne.
43:36 C'est une fille magnifique, une femme magnifique,
43:42 qui a une petite fille, qui a un petit...
43:45 Qu'est-ce que vous voulez faire ?
43:49 Après 11 années de prison,
43:58 Jean-Baptiste Remblat obtient une libération conditionnelle.
44:01 À sa sortie, il s'installe à Toulouse,
44:04 suite une formation de couvreur,
44:06 et se rend régulièrement dans un centre médico-psychologique.
44:11 En juillet 2017,
44:13 moins d'un an après sa sortie,
44:15 Remblat fait de nouveau la une des journaux.
44:18 Il aurait tué.
44:21 Encore.
44:23 La victime s'appelle Cynthia Lunimbu.
44:29 Elle avait 21 ans.
44:31 Elle avait 21 ans.
44:33 Alberto Lunimbu, vous êtes le papa de Cynthia.
44:57 C'était votre fille unique ?
45:00 Oui, c'est une fille adorable, une fille gentille,
45:03 une fille qui aimait vivre.
45:05 Une fille qui avait l'avenir devant elle,
45:07 qui voyait l'avenir en rose.
45:09 Alors, mais bon...
45:11 Elle venait d'emménager seule ?
45:13 Oui, parce qu'elle a trouvé un job.
45:15 Bon, elle était majeure.
45:17 Je viens d'emménager seule, c'est encourageant,
45:19 mais je la fréquentais régulièrement.
45:21 Le 27 juillet 2017 ?
45:23 Oui.
45:24 Vous appelez la police ? Pourquoi ?
45:26 J'appelle la police parce que je ne vois plus ma fille.
45:29 Je ne les vois pas.
45:31 Je suis devant sa porte, je l'ouvre,
45:33 et puis, la poubelle était dehors.
45:36 J'étais inquiet, c'est pourquoi j'appelais la police.
45:39 Les policiers m'ont dit d'appeler les pompiers,
45:41 et puis ils ont entré par les voisins.
45:43 C'est comme ça qu'ils m'ont venu annoncer la nouvelle.
45:46 C'est une scène d'horreur.
45:55 Une jeune femme de 21 ans
45:57 qui est quasiment décapitée
46:00 et qui est lardée de coups de cuteur.
46:04 Voilà ce qu'il voit.
46:06 Une scène qui est d'une extrême violence,
46:09 voire d'une extrême cruauté.
46:12 C'est rare, la décapitation.
46:25 J'ai pris le coup de feu de la police.
46:28 Elle m'a appelée pour dire que Cynthia était morte.
46:32 Moi, j'ai dit "Quoi ? Elle est morte de quoi ?"
46:35 Elle m'a dit qu'elle était assassinée.
46:39 Quand j'ai entendu comme ça,
46:41 j'ai tombé par terre.
46:43 Ça a été ma vie et la mort pour moi.
46:47 Parce que c'est ma fille unique.
46:49 C'est ma fille unique.
46:53 Moi, j'ai dit "Non, c'est pas vrai."
46:56 "C'est pas vrai."
46:58 L'enquête est confiée au SRPJ de Toulouse.
47:04 Les policiers doivent avant tout déterminer
47:07 à quel moment Cynthia a été tuée.
47:10 À quelques heures près,
47:12 cinq à six jours avant la découverte du corps.
47:17 Par conséquent, les faits, vraisemblablement,
47:20 sont dus 21 juillet 2017.
47:23 Que donne l'enquête sur ce crime ?
47:26 Les choses vont très vite,
47:29 puisque l'on retrouve des empreintes génétiques
47:32 qui sont identifiées à celles d'un homme
47:35 qui non seulement est connu des services de justice,
47:38 mais qui vient de bénéficier d'une libération conditionnelle
47:42 après avoir été condamné dans une affaire de meurtre.
47:46 L'identification est facile
47:48 parce que l'homme est fiché au fichier des empreintes génétiques.
47:52 Le fichier livre rapidement un nom,
47:56 Jean-Baptiste Remblat.
47:59 Moins de deux semaines après la découverte du corps de Cynthia,
48:08 Remblat est interpellé et placé en garde à vue.
48:16 Maître Frédéric David,
48:18 comment se déroule cette garde à vue de Jean-Baptiste Remblat ?
48:21 Monsieur Remblat, dans les premiers instants, ne dit rien.
48:24 S'acharne même à contester les éléments qui sont mis à sa charge.
48:28 Jusqu'à ce qu'il y ait les preuves matérielles intangibles
48:33 relatives à l'ADN qu'on retrouve sur différents endroits de l'appartement.
48:38 À partir de là, il reconnaît sa culpabilité.
48:41 Quelle version va-t-il donner aux policiers ?
48:44 Il est rentré dans cet immeuble au hasard.
48:47 Il aurait accédé à un étage, tapé une première porte.
48:51 Personne ne lui aurait répondu.
48:53 Il aurait tapé à la porte suivante, du même étage.
48:56 Et c'est là où cette jeune fille lui ouvre
49:00 et qu'il y a un ferlement de violence tout en entinoui.
49:04 Pourquoi cette jeune fille ?
49:05 L'enquête n'a jamais démontré qu'il avait pu croiser,
49:10 rencontrer, discuter avec cette victime.
49:13 Lui-même expliquant que c'est au hasard qu'il s'adresse à cette porte.
49:19 D'ailleurs, parce que la porte précédente, personne n'avait répondu.
49:23 Jean-Baptiste Remblay est mis en examen pour meurtre en récidive et placé en détention.
49:39 Quatre mois après son incarcération, il est présenté à la juge d'instruction
49:43 et tente désormais de justifier son crime.
49:46 Remblay explique avoir été agressé par un couple la veille du meurtre.
49:51 La femme ressemblait à la silhouette de Cynthia qu'il aurait aperçue à sa fenêtre.
49:56 Au regard du fait qu'il ait soulé en l'emprise de produits stupéfiants en ce moment-là,
50:01 son sang n'aurait fait qu'un tour et il serait rentré dans cet immeuble.
50:04 Est-ce qu'il exprime des regrets ?
50:07 C'est plus que ça, parce qu'il est tout le temps en train de parler de sa condition de victime,
50:13 lui, lorsqu'il était enfant et lorsqu'il a grandi dans ce contexte familial.
50:18 Quand il parle des parents de la victime, il fait systématiquement référence
50:23 au fait qu'il peut savoir ce que ces gens ressentent.
50:27 Mais maître David, la victime, c'est Cynthia ou c'est lui, dans son récit ?
50:32 Non, non, la victime, c'est Cynthia et ce sont les parents de Cynthia.
50:36 Il n'y a aucun doute là-dessus.
50:38 Mais il n'est pas question, pour Jean-Baptiste Remblat,
50:41 d'en faire l'économie de ce passé.
50:44 Ce passé, les parents de Cynthia ne veulent pas en entendre parler.
50:53 Ce qu'ils veulent, eux, c'est une explication à ce geste fou.
51:02 Pourquoi ? Pourquoi vous coupez ma fille comme ça ?
51:06 Morson, morson, morson, morson, on dirait un mouton.
51:09 Pourquoi ? Pourquoi ? Il est assassin.
51:13 Il est assassin. Pourquoi il a fait ma fille comme ça ? Ma fille est nique.
51:16 Pourquoi ? Pourquoi ? Oh Dieu ! C'est niais !
51:21 Pourquoi ? Quel douleur !
51:23 Tandis que l'instruction se poursuit,
51:34 Jean-Baptiste Remblat continue de se réfugier derrière le fantôme de Christian Ranucci.
51:39 Comme prisonnier à jamais de son ombre.
51:44 [SILENCE]